20 juillet 2009

Épidémies de typhoïde en Guyane française : 13 ans de veille et de gestion sanitaires

Article
Auteur(s)
François Mansotte
Direction départementale des Affaires sanitaires et sociales de la Gironde
Françoise Ravachol
Direction départementale des Affaires sanitaires et sociales de la Gironde
Dominique Maison
Direction départementale des Affaires sanitaires et sociales de la Gironde
Marc Ruello
Direction départementale des Affaires sanitaires et sociales de la Gironde
Vanessa Ardillon
Cellule interrégionale de la santé, Antilles Guyane
Claude Flamand
Cellule interrégionale de la santé, Antilles Guyane

Introduction

La Guyane française est un département français d’Amérique de la taille du Portugal, situé au niveau de l’équateur entre le Brésil et le Suriname (anciennement Guyane néerlandaise) dont la surface est occupée à 90 % par la forêt amazonienne (voir figure 1). À 7 000 km de la métropole, le droit français ainsi que l’ensemble des directives européennes s’appliquent dans ce département d’outre-mer où 7 communes sur 22 ne sont pas accessibles par la route. Près de 15 % de la population, soit plus de 30 000 personnes, n’y ont pas accès à une eau potable distribuée par un réseau public, aussi bien en sites isolés qu’en zones urbaines. C’est aussi le dernier département français où a été enregistrée une épidémie de choléra en 19911, 2.

Figure 1. Carte de la Guyane française

Dans ce contexte très particulier, le médecin chargé de la veille et de la gestion sanitaires à la Direction de la santé et du développement social (DSDS) de la Guyane enregistre, essentiellement sur la base des données de laboratoires, les déclarations obligatoires qui concernent les cas de fièvre typhoïde (voir encadré). La cellule de veille et de gestion sanitaires réalise ensuite des enquêtes épidémiologiques et environnementales autour des cas. Cet article fait le point sur les cas groupés de fièvre typhoïde enregistrés en Guyane de 1995 à 2007 et la politique sanitaire mise en place depuis 2004 dans le domaine de la prévention des pathologies d’origine hydrique.

Fièvres typhoïdes et paratyphoïdes

Les infections à Salmonella typhi (fièvre typhoïde) et à Salmonella paratyphi A, B et C (fièvres paratyphoïdes) sont des infections systémiques à point de départ digestif.

La durée d’incubation est le plus souvent de 8 à 14 jours mais peut varier de 3 jours à 1 mois. Ces infections se manifestent classiquement par une symptomatologie associant une fièvre prolongée à début progressif, à des céphalées intenses, une anorexie, une splénomégalie, une bradycardie relative, une éruption cutanée maculaire sur le tronc et l’abdomen, une somnolence (voire une obnubilation) et des diarrhées ou plus fréquemment une constipation chez des adultes. Les fièvres paratyphoïdes sont généralement moins graves que la fièvre typhoïde.

La létalité, qui peut atteindre 10 % sans traitement antibiotique, est inférieure à 1 % avec une antibiothérapie adaptée. Le diagnostic est réalisé par l’isolement de cette bactérie dans le sang, la moelle osseuse, les urines ou les selles. La sérologie (test de Widal) a peu de valeur diagnostique.

La transmission de la typhoïde peut être directe, par contact avec des selles infectées ou du matériel souillé ou par ingestion d’aliments contaminés lors de leur manipulation par un porteur, excréteur de germes. La transmission indirecte se fait par ingestion d’eau ou d’aliments consommés crus (fruits de mer, légumes, etc.) souillés par des selles de personnes infectées (égouts, épandage, etc.).

Les fièvres typhoïdes et paratyphoïdes sont réparties mondialement. Elles sont endémiques dans les pays en développement à faible niveau d’hygiène (Asie, Afrique, Amérique du Sud). Il existe un vaccin contre la fièvre typhoïde recommandé pour les voyageurs en zone endémique dès l’âge de 2 ans.

Source : INVS www.invs.sante.fr/surveillance/fievres_typhoides/default.htm

Définition de cas

La définition d’un cas certain correspond à toute personne, malade ou porteuse, chez laquelle Salmonella typhi ou paratyphi A, B ou C auront été retrouvés dans un prélèvement biologique (selles, sang, bile, etc.). Un cas probable est un cas clinique en contact avec un cas certain.

Le signalement (www.invs.sante.fr/surveillance/fievres_typhoides/default.htm) de cas de fièvre typhoïde est systématiquement effectué par les laboratoires de ville ou hospitaliers auprès de la cellule de veille et de gestion sanitaires de la DSDS. À partir de ce signalement, si le laboratoire a pu obtenir les coordonnées téléphoniques du patient, un infirmier de santé publique de la DSDS procède à une investigation téléphonique, à l’aide d’un questionnaire, pour connaître l’origine présumée de la contamination. Concernant les cas pour lesquels les coordonnées téléphoniques ne sont pas disponibles, un technicien sanitaire de la DSDS se déplace à l’adresse du patient pour collecter les informations. Le questionnaire utilisé inclut la collecte d’informations sur la réalisation de voyages dans le mois précédant la maladie, l’eau utilisée pour la boisson, les modalités d’assainissement, la participation à des repas pris en commun, la consommation d’aliments à risque et la pratique de la baignade. À la suite de l’analyse du questionnaire, des mesures de prévention sont déclenchées. Si plus de deux cas sont déclarés une même semaine et qu’ils paraissent avoir un lien entre eux (lieux de résidence, famille, repas communs, etc.), une investigation environnementale est réalisée incluant des prélèvements d’eau. Le formulaire officiel de déclaration obligatoire est transmis à la DSDS dans un second temps.

Données épidémiologiques 1995-2007

Sur une période de 13 ans, 13 épidémies de fièvre typhoïde ont été enregistrées en Guyane, touchant 80 personnes recensées en groupes variant de 2 à 13 cas. Sur les 13 épisodes recensés, 9 ont affecté 61 personnes vivant sur le fleuve Maroni, 2 ont touché 15 personnes vivant sur le fleuve Oyapock et 2 ont concerné 4 personnes vivant en zone urbaine (tableau 1). Pour la quasi-totalité des épidémies recensées, les populations concernées ne sont pas alimentées en eau potable par des réseaux publics et ont recours à des ressources en eau peu sûres (eau de fleuve en sites isolés et eau de puits en zones urbaines). Sept opérations de vaccination préventives contre la typhoïde ont été organisées par la DSDS à l’occasion de ces 13 épidémies, du fait des limites identifiées sur les possibilités d’agir sur les conditions précaires d’assainissement et d’alimentation en eau potable des populations résidant en sites très isolés.

Tableau 1. Épidémies de typhoïde enregistrées en GUYANE de 1995 à 2007

Mesures d’intervention

Positions sanitaires spécifiques à la Guyane

La Guyane est de loin le département français le plus concerné par la survenue de cas de typhoïde et pour lequel les taux d’incidence des maladies entériques peuvent atteindre 20 à 30 % par commune, avec un maximum supérieur à 50 % pour des populations alimentées par des installations publiques défaillantes, ou non alimentées par des installations publiques.

Dans ce contexte, la priorité de la DSDS consiste en un renforcement de l’accès à l’eau potable, des mesures d’assainissement et d’actions d’éducation sanitaire adaptées à la situation locale. Pour ce faire, la DSDS a saisi la section des eaux du Conseil supérieur d’hygiène publique de France (CSHPF) qui a validé, le 3 avril 20073, le plan d’amélioration de l’organisation de l’alimentation en eau potable de la Guyane proposé par la DSDS (tableau 2).

Tableau 2. Synthèse de l’avis du CSHPF (section des eaux) du 3 avril 2007 relatif à l’amélioration de l’organisation de l’alimentation en eau potable en Guyane

En parallèle, la DSDS a saisi la section des maladies transmissibles du CSHPF qui a émis, le 18 janvier 20074, un avis favorable à la vaccination contre la typhoïde lors de la survenue d’épidémies ou de cas groupés en Guyane dans des cas très ponctuels où la situation s’impose de manière exception­nelle, c'est-à-dire quand il existe à la fois :

  • un foyer limité géographiquement et d’incidence élevée;
  • la survenue de nouveaux cas;
  • des difficultés d’accès à l’eau et à l’assainissement;
  • des difficultés concernant les comportements, en particulier à l’occasion d’inondations.

Cette vaccination doit s’accompagner de trois conditions :

  • un monitorage des activités de vaccination effectuées;
  • un renforcement de la surveillance épidémiologique;
  • la diffusion de messages sur la limite de la protection vaccinale et sur l’importance de la mise en œuvre de mesures d’assainissement.

Actions techniques de prévention

En application des recommandations précitées du CSHPF, la DSDS en collaboration avec la Direction de l’Agriculture et de la Forêt, certaines collectivités et opérateurs privés, mettent en œuvre les dispositions techniques reprises dans le Plan Régional Santé Environnement 2004-2008 de la Guyane5,6 parmi lesquelles figurent l’alimentation des hameaux isolés, des familles isolées et des zones d’habitat insalubre urbaines (tableau 3).

Tableau 3. Disposition techniques mises en œuvre en Guyane pour améliorer l’accès

Actions d’information, de formation et d’éducation sanitaire

Des actions de formation au bénéfice des professeurs des écoles sont réalisées avec la collaboration de l’Institut universitaire de formation des maîtres de la Guyane, en particulier à destination des enseignants nouvellement affectés en sites isolés. À l'instar de l’épidémie de choléra de 1991, des affiches visant à prévenir la diarrhée sont diffusées (www. pseau.org/gif/couv_dsds_guyane _affiche_lutte_contre_diarrhee.jpg).

En complément, pour la promotion de la récupération d’eau de pluie filtrée,un autocollant illustrant les consignes à suivre pour équiper les réservoirs collecteurs d’eau de pluie et pour l’entretien des filtres à bougies de céramique poreuse est diffusé.

Enjeux pour le futur

Pour le futur, il est essentiel que les orientations techniques retenues actuellement soient évaluées au regard de leur mise en œuvre concrète et de leur efficacité. Avec la collaboration des centres de santé, des avancées importantes en matière de localisation cartographique des pathologies d’origine hydrique sont attendues; l’objectif étant de pouvoir faire le lien entre la localisation des cas et les conditions d’alimentation en eau potable, permettant ainsi de prioriser les actions d’éducation sanitaire, les nouveaux équipements publics concernant l’eau potable, voire la réalisation de campagnes de vaccination préventives. L’utilisation de tests de détection rapide de rotavirus lors d’épidémies de gastroentérites est actuellement évaluée en territoire amérindien au niveau du poste de santé de Trois Sauts situé sur le territoire de la commune de Camopi. En raison de la situation de cette commune sur le fleuve frontière avec le Brésil, l’échange de données épidémiologiques avec ce pays est à organiser. La réalisation d’approches de santé communautaire associant les bénéficiaires d’équipements publics est à développer afin de mieux orienter la réalisation des futurs équipements publics concernant l’eau potable mais surtout l’assainissement des eaux usées.

Bibliographie

  1. Marchand D, Waroux J-M., 1991. Rapport de mission préventions contre les risques de choléra dans le département de la Guyane. Cayenne : DDASS de la Guyane.
  2. Villeneuve C, Meleder H, Bourgarel S., 1992. La prévention du choléra en Guyane. BEH. 33 : 159-160.
  3. Conseil supérieur d’hygiène publique de France (section des eaux), 2007. Avis relatif au plan d’amélioration de l’organisation de l’alimentation en eau potable de la Guyane Française proposé par la Direction de la Santé et du Développement Social. Paris : 3 avril 2007.
  4. Conseil supérieur d’hygiène publique de France (section maladies transmissibles), 2007. Avis relatif à la vaccination contre la typhoïde en Guyane. Paris : 19 juillet 2007.
  5. Préfecture de la région Guyane, 2007. Plan Régional Santé Environnement de la Guyane. Cayenne.
  6. DAF, DSDS, 2005. Préconisations pour la mise en place d’installations d’alimenta­tion en eau potable en sites isolés de Guyane. Cayenne.

Remerciements

Les membres de la section des eaux du Conseil Supérieur d’Hygiène Publique de France; MM. Waroux et Marchand, les deux ingénieurs sanitaires ayant réalisé un rapport de mission à l’occasion de l’épidémie de choléra de 1991; M. Tricard, responsable du Bureau de l’Eau du Ministère de la Santé au moment de l’épidémie de choléra de 1991; Mme Ney, Mme Hérault, M. Saout du Bureau de l’Eau du Ministère de la Santé; M. le président du Conseil Régional de la Guyane; Le Rotary Club; M. Vivier, Mme Heurtaux, M. Clément, M. Plantier, M. Verhaeghe (DAF); Mme Cefber (DDE);  M. Castagnet (SGDE); Mme Poixblanc, M. Houssein (CCCL); Mme Ly-Boua-Fu (CUCS) et M. Horth (adjoint au maire) de Cayenne; M. Hervouet (société DDSC); Mme Guiraud (société NBC); Mme Grenier et M. Joubert (Centre Hospitalier de Cayenne); M. Aouamri (illustrateur); M. Grangeon, actuel directeur de la DSDS de la Guyane et M. Cartiaux, son prédécesseur jusqu’en juillet 2006; l’ensemble des agents du Département Santé Environnement de la DSDS de la Guyane.