12 novembre 2020

Une comparaison des mesures d’imprégnation des contaminants environnementaux entre le Québec, l’Ontario et le reste du Canada

Résumé scientifique
Le texte qui suit est le résumé d’une publication scientifique (ou d’une étude) n’ayant pas été réalisée par l’Institut national de santé publique du Québec. Ce document ne peut donc pas être considéré comme la position de l’Institut. Son objectif est de porter à l’attention des lecteurs des éléments récents de la littérature scientifique, et ce, sous un éclairage découlant de l’expertise des auteurs du résumé.
Auteur(s)
Mathieu Valcke
Ph. D., conseiller scientifique spécialisé, Direction de la santé environnementale et de la toxicologie, Institut national de santé publique du Québec

Valcke M, Karthikeyan S, Walker M, Gagné M, Copes R, St-Amand A. Regional variations in human chemical exposures in Canada: A case study using biomonitoring data from the Canadian Health Measures Survey for the provinces of Quebec and Ontario. International Journal of Hygiene and Environmental Health. 2020;225:113451. doi:10.1016/j.ijheh.2020.113451

Contexte

L’Enquête canadienne sur les mesures de la santé (ECMS) est une enquête évolutive conduite depuis 2007 et menée tous les 2 ans dans l’ensemble du Canada. Pour chaque cycle, de 5 500 à 6 500 personnes sont sélectionnées selon un plan d’échantillonnage représentatif à l’échelle canadienne au regard de l’âge, du sexe et du caractère urbain ou rural du lieu de résidence. Les participants sont appelés à fournir des échantillons biologiques dans lesquels la concentration de divers contaminants environnementaux, ou leurs métabolites, sont mesurés. Cette enquête étant déployée sur les territoires de cinq régions distinctes (les provinces maritimes, le Québec, l’Ontario, les Prairies et la Colombie-Britannique), il est possible d’étudier les disparités régionales d’imprégnation aux contaminants dans les mesures populationnelles. C’était là l’objectif poursuivi par Valcke et al. (2020).

Présentation de l’étude

Dans cet article, les données spécifiques aux populations québécoises et ontariennes ont été extraites de la base de données de l’ECMS. Afin d’obtenir des estimations robustes des mesures d’imprégnation provinciales, les effectifs populationnels des paires de cycles de l’ECMS ont été combinés et ajustés en fonction des poids statistiques de l’échantillon de chaque province au sein de l’ensemble de l’ECMS. Ainsi, seuls les analytes ayant été mesurés dans au moins deux des trois premiers cycles de l’ECMS, soit les cycles 1 et 2 ou 2 et 3, ont pu faire l’objet d’analyses statistiques à l’échelle de la province du Québec. À noter que les données des cycles 4 et 5 n’étaient pas encore disponibles lors du début des travaux décrits dans cet article. Des analyses de variance, ajustées par la procédure de Bonferroni-Holm pour des comparaisons multiples, ont été effectuées afin d’établir si les différences observées entre les mesures d’imprégnation des deux provinces, mais aussi entre chaque province et le reste du Canada, étaient statistiquement significatives.

Principaux résultats

Au total, 45 contaminants environnementaux ou leurs métabolites (analytes) ont été analysés par Valcke et al. (2020), selon les moyennes géométriques et les valeurs du 95e centile disponibles dans l’ECMS pour le Québec et l’Ontario. Les différences significatives observées entre ces deux provinces sont rapportées dans le tableau 1. Les écarts statistiquement significatifs entre les concentrations mesurées pour l’ensemble du Canada et l’une ou l’autre de ces provinces sont également présentés.

Tableau 1 - Paramètres analysés dans l’ECMS pour lesquels des différences statistiquement significatives ont été observées entre les concentrations mesurées au Québec et en Ontario, ou excluant l’une ou l’autre de ces deux provinces

Paramètre
(unité de mesure)
Cycles combinés de l’ECMS Moyenne géométrique (intervalle de confiance à 95 %)

ECMS, Québec

ECMS, Ontario

ECMS, Québec exclu

ECMS, Ontario exclue

Urinaires (µg/g de créatinine)

Fluor 

2 et 3

340 (310 – 370)

590 (520 – 680)*

530 (490 – 580)*

420 (390 – 460)¥

2-hydroxyfluorène

2 et 3

0,36 (0,31 – 0,42)

0,28 (0,25 – 0,3)

0,25 (0,23 – 0,27)*

0,27 (0,24 – 0,29)

3-hydroxyfluorène

2 et 3

0,14 (0,11 – 0,16)

0,11 (0,1 – 0,12)

0,09 (0,08 – 0,1)*

0,1 (0,09 – 0,11)

9-hydroxyfluorène

2 et 3

0,22 (0,19 – 0,25)

0,15 (0,13 – 0,16)*

0,14 (0,13 – 0,15)*

0,16 (0,15 – 0,18)

2-hydroxynaphtalène

2 et 3

5,6 (4,7 – 6,6)

4,2 (3,6 – 4,9)

3,7 (3,4 – 4,1)*

4 (3,6 – 4,4)

1-hydroxyphénanthrène

2 et 3

0,2 (0,18 – 0,23)

0,15 (0,14 – 0,16)*

0,14 (0,13 – 0,15)*

0,15 (0,14 – 0,17)

2-hydroxyphénanthrène

2 et 3

0,08 (0,07 – 0,09)

0,06 (0,06 – 0,07)*

0,06 (0,06 – 0,06)*

0,07 (0,06 – 0,07)

3-hydroxyphénanthrène

2 et 3

0,12 (0,11 – 0,13)

0,08 (0,08 – 0,09)*

0,08 (0,08 – 0,09)*

0,09 (0,08 – 0,09)

4-hydroxyphénanthrène

2 et 3

0,03 (0,03 – 0,04)

0,02 (0,02 – 0,03)

0,02 (0,02 – 0,02)*

(0,02 (0,02 – 0,03)

Plomb

1 et 2

0,66 (0,58 – 0,75)

0,49 (0,47 – 0,52)*

0,49 (0,47 – 0,51)*

0,55 (0,51 – 0,59)

Sélénium

1 et 2

53 (48 – 59)

47 (45 – 49)

52 (51-54)

56 (54-58)¥

Sanguins (µg/L)

Manganèse sanguin

1 et 2

8,8 (8,4 – 9,2)

9,8 (9,5 – 10)*

9,8 (9,5 – 10)*

9,4 (9,1 – 9,7)

Plomb sanguin

2 et 3

14 (12 – 15)

11 (10 – 11)*

11 (10 – 11)*

12 (11 – 12)

* Différence statistiquement significative avec le Québec après ajustement de Bonferroni-Holm pour 156 tests.
¥ Différence statistiquement significative avec l’Ontario après ajustement de Bonferroni-Holm pour 156 tests.

Les analytes pour lesquels les concentrations mesurées étaient significativement plus élevées au Québec en comparaison de l’Ontario ou du reste du Canada (ou les deux) incluent le plomb dans le sang et l’urine ainsi que huit métabolites urinaires d’hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP). Par ailleurs, les concentrations de manganèse sanguin et de fluor urinaire étaient statistiquement plus faibles au Québec en comparaison du reste du Canada et, a fortiori, de l’Ontario dans le cas du fluor. Enfin, le sélénium urinaire et sanguin était significativement plus faible en Ontario en comparaison du reste du Canada.

Des hypothèses sont avancées comme explications à certains des résultats observés. L’une d’entre elles relève du fait que la proportion de réseaux d’eau potable fluorée est beaucoup plus importante en Ontario qu’au Québec, ce qui pourrait expliquer les écarts observés pour le fluor urinaire. Une consommation de tabac historiquement – et encore aujourd’hui – plus élevée au Québec comparativement à l’Ontario (par 23 % en moyenne), mais aussi du reste du Canada (par 13 % en moyenne), pourrait expliquer les différences observées dans les concentrations urinaires de métabolites des HAP. D’ailleurs, une analyse complémentaire réalisée par les auteurs a montré que les concentrations de cotinine urinaire supérieures à 50 µg/L (indicatrices d’une exposition à la fumée de tabac) étaient environ 20 % plus fréquentes dans la population québécoise. L’usage du tabac pourrait aussi avoir contribué aux plombémies moyennes plus élevées au Québec; toutefois, l’âge moyen des habitations québécoises est suggéré comme facteur explicatif. En effet, les réglementations fédérales concernant le contenu en plomb des peintures et des matériaux de plomberie ont été implantées progressivement de la fin des années 70 au début des années 90. Par ailleurs, la proportion de bâtiments résidentiels ayant été construits avant cette période, ou nécessitant des rénovations significatives, est documentée par les auteurs comme étant légèrement plus élevée au Québec en comparaison avec l’Ontario. Par conséquent, l’effet attendu de ces réglementations sur la diminution de l’exposition au plomb de nos jours, et les plombémies en découlant, pourrait avoir été moins important au Québec.

Malgré l’utilité de l’étude, et le caractère original de la comparaison interprovinciale au sein de l’ECMS qui y est décrite, ses auteurs rappellent tout de même l’importance d’interpréter les résultats avec prudence. En particulier, bien que le devis d’échantillonnage de l’ECMS soit établi dans un souci de représentativité à l’échelle canadienne, des incertitudes persistent quant à l’extrapolation de certains éléments de cette représentativité à l’échelle provinciale. Par exemple, les sites d’échantillonnage nationaux sont établis au sein de l’ECMS afin de refléter la répartition canadienne entre la population rurale et urbaine. Il n’est pas certain que la représentativité établie par le plan d’échantillonnage de l’ECMS soit maintenue lorsque les données d’une province sont extraites. Par conséquent, il est possible que les tendances relatives à certaines mesures de l’exposition qui sont plus directement associées à des déterminants spécifiques aux milieux urbains ou ruraux soient affectées dans cette analyse. Par exemple, les concentrations plus élevées en métabolites de HAP dans la population québécoise pourraient être liées au fait qu’une plus grande proportion des effectifs québécois demeure dans des secteurs urbains où les émissions industrielles constituent une source importante d’exposition à ces polluants.

Intérêt pour la santé publique

Cette étude est la première à avoir extrait de l’ECMS des données de biosurveillance des contaminants environnementaux à l’échelle provinciale. À ce titre, les données y étant décrites pourront contribuer à l’établissement de priorités spécifiques au Québec ou à l’Ontario concernant à la mise en place de mesures ciblant les sources d’exposition populationnelles sur lesquelles il est possible d’intervenir. Cette étude permet également de disposer de valeurs populationnelles auxquelles comparer les résultats d’éventuels projets spécifiques de biosurveillance portant sur des problématiques particulières à l’une ou l’autre des provinces.

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