11 octobre 2011

L'Enquête canadienne sur les mesures de la santé : résultats de la biosurveillance pour le plomb, le bisphénol A et le mercure total

Article

Contexte

L’enquête canadienne sur les mesures de la santé (ECMS), menée par Statistique Canada en partenariat avec Santé Canada et l’Agence de la santé publique du Canada, est l’enquête la plus exhaustive réalisée au Canada pour obtenir des mesures directes sur la santé. Cette enquête a été conçue de manière à être représentative de la population canadienne; elle consiste à recueillir des renseignements sur l’état de santé en général et sur les modes de vie des Canadiens au moyen d’entrevues et de mesures physiques directes (par exemple, le poids et la taille des sujets). Les résultats de cette enquête permettront de fournir de l’information sur des maladies chroniques et infectieuses, la condition physique, la nutrition et d’autres facteurs qui influencent la santé.

Dans leur quotidien, les Canadiens sont exposés à diverses substances chimiques présentes dans l’environnement. Plusieurs de ces substances peuvent se retrouver dans le corps humain, posant ainsi un risque potentiel pour la santé. Elles peuvent s’introduire dans l’organisme par ingestion, inhalation et contact cutané. L’exposition humaine aux substances chimiques peut être estimée indirectement en mesurant ces substances dans l’environnement, les aliments ou les produits ou directement par la biosurveillance.

La biosurveillance consiste à mesurer, au sein d’une population, une substance chimique ou les produits de dégradation de cette substance. En règle générale, l’évaluation s’effectue à l’aide de prélèvements de sang ou d’urine, et parfois dans d’autres tissus ou liquides tels que les cheveux, les ongles et le lait maternel. Cette évaluation indique la quantité de substances chimiques présente chez la personne visée (figure 1).

Figure 1. Comprendre la biosurveillance humaine

Afin de mieux connaître l’exposition des Canadiens à diverses substances chimiques, l’ECMS inclut une composante sur la biosurveillance dans le cadre de laquelle des échantillons de sang et d’urine sont prélevés pour évaluer l’exposition à diverses substances chimiques présentes dans l’environnement. Ces mesures peuvent servir de base de référence pour de futures activités de surveillance et de recherche sur l’exposition aux substances chimiques. Elles permettent de comparer l’exposition aux substances chimiques chez diverses populations canadiennes et d’autres pays ainsi que sur une base temporelle. Elles peuvent également servir à identifier les substances chimiques d’intérêt prioritaire qui nécessitent des mesures de protection de la santé publique. Enfin, elles permettent d’évaluer l’efficacité des mesures réglementaires et environnementales mises en place pour réduire l’exposition à des substances chimiques précises et les risques afférents pour la santé.

Le volet biosurveillance de l’enquête suit, plus particulièrement les résultats obtenus pour le plomb, le bisphénol A et le mercure total.

Méthodologie de l’enquête et limites associées à la biosurveillance

Entre mars 2007 et février 2009, quelque 5 600 personnes réparties dans 15 sites de collecte ont participé à l’étude, représentant environ 97 % de la population canadienne âgée de 6 à 79 ans (tableau 1).

Tableau 1. Sites de collecte pour le cycle 1 de l’ECMS

Région de
l’Atlantique

Québec

Ontario

Prairies

Colombie-Britannique

  • Moncton (Nouveau-Brunswick)
  • Québec
  • Montréal
  • Montérégie
  • Sud de la Mauricie
  • Clarington
  • North York
  • Don Valley
  • St. Catharines-Niagara
  • Kitchener-Waterloo
  • Comté de Northumberland
  • Edmonton (Alberta)
  • Red Deer (Alberta)
  • Vancouver
  • Williams Lake et Quesnel

Les participants recrutés pour participer à l’enquête ont dû se soumettre à une interview d’une durée de 60 minutes ayant pour but de recueillir des données démographiques et socioéconomiques ainsi que des renseignements sur le mode de vie, les antécédents médicaux, l’état de santé actuel, l’environnement et les conditions de leur logement. Par la suite, ils ont été invités à se rendre, dans un délai de deux semaines, dans un centre d’examens mobile aménagé expressément pour l’enquête où des professionnels de la santé prélevaient notamment des échantillons de sang et d’urine.

Les substances chimiques de l’environnement visées par l’ECMS ont été sélectionnées sur la base de consultations menées auprès des responsables de divers programmes de Santé Canada, de Statistique Canada ainsi que des résultats d’un atelier d’experts sur la biosurveillance humaine des substances chimiques de l’environnement, tenu en 2003. Les substances ont été choisies à partir d’une liste initiale de 220 substances et groupes de substances chimiques présents dans l’environnement. Le choix des 91 substances chimiques évaluées lors du premier cycle de l’ECMS a été fait en fonction de plusieurs facteurs, notamment les besoins de programmes comme le Plan de gestion des produits chimiques du Canada et de certaines ententes internationales comme la Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants. Les autres critères étaient :

  • Effets connus ou présumés sur la santé
  • Niveau de préoccupation de la population
  • Preuves d’exposition de la population canadienne
  • Exigences nouvelles ou actuelles en matière de santé publique
  • Capacité de détecter et de mesurer la substance chimique ou ses produits de dégradation chez les humains
  • Similarité avec les substances chimiques surveillées dans d’autres programmes nationaux et internationaux afin de pouvoir faire des comparaisons utiles
  • Coûts d’exécution des analyses.

Le tableau 2 présente les types de substances mesurées dans le cadre du cycle 1 de l’ECMS par groupe d’âge.

Tableau 2. Substances chimiques de l’environnement mesurées par groupe d’âge

Substance mesurée Échantillon biologique 6-11 12-19 20-39 40-59 60-79
Métaux et éléments trace Sang et urine

Organochlorés Plasma    

Biphényles polychlorés (BPC) Plasma    

PBDE Plasma    

Composés perfluorés Plasma    

Bisphénol A Urine

Composés organophosphorés (insecticides) Urine

Pyréthroïdes (insecticides) Urine

Herbicides du type phénoxy Urine

Chlorophénols Urine

Tabac Urine

Les échantillons biologiques ont été traités et entreposés sur place avant d’être envoyés aux laboratoires de référence de l’ECMS. Il s’agit du premier ensemble exhaustif de données de biosurveillance sur l’exposition de la population canadienne à diverses substances chimiques présentes dans l’environnement. Les analyses relatives à la biosurveillance ont été effectuées au Centre de toxicologie du Québec.

Limites de la biosurveillance

Bien que la biosurveillance soit un outil utile pour mesurer l’exposition aux substances chimiques dans l’environnement, elle comporte aussi des limites qu’il importe de considérer lors de l’utilisation des données. En effet, si les données de biosurveillance permettent d’estimer la quantité d’une substance chimique présente chez une personne, ces données ne peuvent pas, à elles seules, déterminer quels effets sur la santé, s’il y en a, peuvent résulter de cette exposition. Aussi, l’absence d’une substance chimique ne signifie pas nécessairement qu’une personne n’y a pas été exposée. À titre d’exemple, il se peut que les technologies actuelles ne permettent pas de mesurer de très faibles concentrations. Enfin, la biosurveillance ne peut déterminer la source ou la voie d’exposition puisque la mesure d’une substance chimique reflète l’exposition provenant de toutes les sources et de toutes les voies.

Résultats

Concentrations de plomb dans la population canadienne (2007-2009)

Les concentrations de plomb dans le sang, qui sont habituellement utilisées pour évaluer l’exposition humaine, reflètent l’exposition récente et également antérieure puisque le plomb est emmagasiné dans les os et libéré dans le sang.

Des concentrations élevées peuvent accroître le risque de dommages au système nerveux et aux reins. Au Canada, l’actuel niveau d’intervention relatif à la concentration sanguine de plomb est de 10 microgrammes par décilitre (10 µg/dL). Pour les concentrations égales ou supérieures à ce niveau, des mesures sont recommandées pour en réduire l’exposition. Certaines études ont révélé que des concentrations sanguines de plomb inférieures à 10 µg/dL chez les enfants peuvent avoir des effets néfastes sur leur santé.

Les résultats de l’ECMS de 2007-2009 montrent que des concentrations sanguines de plomb ont été détectées chez 100 % des personnes de 6 à 79 ans, la moyenne géométrique s’établissant à 1,34 µg/dL (figure 2). Ce niveau est environ trois fois moins élevé que celui mesuré dans l’Enquête Santé Canada de 1978–1979. En outre, de 2007 à 2009, moins de 1 % des Canadiens avaient des concentrations sanguines de plomb égales ou supérieures au niveau d’intervention de 10 µg/dL comparativement à 27 %, trente ans plus tôt.

Figure 2. Concentrations sanguines de plomb dans la population canadienne, selon le groupe d’âge et le sexe, 2007 à 2009 (moyennes géométriques)

Source : Enquête canadienne sur les mesures de la santé, 2007-2009.
Note : Une moyenne géométrique est un type de moyenne sur laquelle les valeurs extrêmes ont moins d’effet qu’elles en ont sur la moyenne arithmétique classique. La moyenne géométrique permet de mieux estimer la tendance centrale de données fortement asymétriques. Ce type de données est répandu dans la mesure des concentrations dans le sang et dans l’urine de substances chimiques présentes dans l’environnement.

Les données font ressortir que les concentrations sanguines de plomb sont plus élevées chez les adultes que chez les enfants. Chez les adultes, la concentration géométrique moyenne augmentait avec l’âge pour atteindre 2,08 µg/dL chez les personnes de 60 à 79 ans. De façon générale, les concentrations sanguines de plomb étaient plus élevées chez les hommes que chez les femmes.

Certaines caractéristiques sociodémographiques se sont avérées statistiquement significatives par rapport aux concentrations sanguines de plomb : les personnes vivant dans des ménages avec des revenus plus faibles avaient des concentrations sanguines de plomb plus élevées que celles vivant dans des ménages avec des revenus plus élevés. Par ailleurs, les personnes nées à l’extérieur du Canada avaient des concentrations sanguines de plomb plus élevées que les personnes nées au Canada.

Les personnes vivant dans des maisons construites il y a plus de 50 ans présentaient des concentrations sanguines de plomb plus élevées que celles vivant dans des maisons construites il y a moins de 20 ans. Les concentrations sanguines de plomb se sont également avérées plus élevées chez les fumeurs ou les anciens fumeurs et chez les personnes qui buvaient de l’alcool au moins une fois par semaine.

Concentration de bisphénol A dans la population canadienne (2007-2009)

Certaines études réalisées sur les animaux suggèrent que l’exposition à un stade précoce de la vie, à de faibles concentrations de bisphénol A, peut affecter le développement neuronal et le comportement. Toutefois, des incertitudes demeurent pour interpréter l’application de ces résultats à la santé humaine.

Du bisphénol A a été détecté dans l’urine de 91 % des personnes de 6 à 79 ans. En raison des différences entre les échantillons de population, les groupes d’âge et les méthodes d’analyse en laboratoire, il faut faire preuve de prudence à l’égard des comparaisons avec d’autres études. Néanmoins, selon la National Health and Nutrition Examination Survey (NHANES) aux États-Unis, du bisphénol A a été détecté chez 95 % des Américains de 6 ans et plus. Dans le cadre de la German Environmental Survey, du bisphénol A a été détecté chez 99 % des 3 à 14 ans. Ces données tendent à démontrer une exposition continue et généralisée au bisphénol A.

Les Canadiens de 6 à 79 ans affichaient une concentration géométrique moyenne de bisphénol A urinaire de 1,16 microgramme par litre (µg/L) (figure 3). Cela correspond aux résultats des études internationales de populations de référence qui relèvent des concentrations moyennes ou médianes de 1 à 3 µg/L.

Figure 3. Concentrations urinaires de bisphénol A dans la population canadienne, selon le groupe d’âge et le sexe, 2007 à 2009 (moyennes géométriques)

Source : Enquête canadienne sur les mesures de la santé, 2007-2009

Les concentrations de bisphénol A variaient quelque peu selon le groupe d’âge : les 12 à 19 ans présentaient une concentration géométrique moyenne supérieure (1,50 µg/L) à celles des enfants de 6 à 11 ans (1,30 µg/L). Chez les adultes, les concentrations géométriques moyennes diminuaient avec l’âge, passant de 1,33 µg/L chez les 20 à 39 ans à 0,90 µg/L chez les 60 à 79 ans. Les différences de concentration du bisphénol A dans l’urine entre les divers groupes d’âge peuvent être attribuées à des différences dans les habitudes alimentaires, à des différences dans l’absorption par le corps, la distribution, le métabolisme et l’élimination du bisphénol A, à la dilution de l’urine ou à l’utilisation de produits contenant du bisphénol A.

Concentration de mercure dans la population canadienne (2007-2009)

L’exposition chronique à des niveaux élevés de méthylmercure peut causer un engourdissement et des picotements aux extrémités corporelles, une vision trouble, de la surdité, un manque de coordination musculaire et un affaiblissement intellectuel; elle peut aussi avoir des effets néfastes sur les systèmes cardiovasculaire, gastro-intestinal et reproductif. L’exposition prénatale peut compromettre le développement du système nerveux central et provoquer des retards neurologiques et de développement.

Pour la concentration sanguine de mercure total (c’est-à-dire toutes les formes de mercure combinées), Santé Canada recommande une valeur seuil de 20 microgrammes par litre (20 µg/L) pour la population adulte en général. Il a été récemment recommandé d’abaisser cette valeur à 8 µg/L pour les enfants, les femmes enceintes et les femmes en âge de procréer.

De 2007 à 2009, des concentrations sanguines de mercure total ont été détectées chez 88 % des Canadiens de 6 à 79 ans. Pour l’ensemble de la population, la moyenne géométrique s’établissait à 0,69 µg/L (figure 4). Les concentrations de mercure étaient plus faibles chez les enfants et les adolescents de 6 à 19 ans que chez les adultes. Les enfants de 6 à 11 ans avaient une concentration géométrique moyenne de 0,27 µg/L, comparable à celle observée chez les adolescents de 12 à 19 ans (0,31 µg/L). Les concentrations géométriques moyennes augmentaient avec l’âge pour atteindre 1,02 µg/L chez les personnes de 40 à 59 ans puis diminuaient pour passer à 0,87 µg/L dans le groupe des 60 à 79 ans.

Figure 4 Concentrations sanguines de mercure total dans la population canadienne, selon le groupe d’âge et le sexe, 2007 à 2009 (moyennes géométriques)

E À utiliser avec prudence (données comportant un coefficient de variation de 16,6 % à 33,3 %)
Source : Enquête canadienne sur les mesures de la santé, 2007-2009

Les concentrations géométriques moyennes de mercure étaient comparables chez les hommes et chez les femmes dans tous les groupes d’âge, aucune différence significative ne s’observant entre les deux sexes.

Conclusion

Les résultats de cet exercice représentent une source inestimable de données qui permettront notamment d’effectuer un suivi temporel. Le deuxième cycle de l’ECMS, dont les résultats sont attendus à l’automne 2012, couvre la période 2009 à 2011 et inclut un échantillon d’enfants de 3 à 5 ans. L’ECMS est maintenant en collecte de façon continue : le cycle 3 de collecte débutera en janvier 2012 et se poursuivra jusqu’en décembre 2013. Le volet de biosurveillance continue d’être un volet d’importance. Ainsi, le cycle 2 comportera des résultats d’analyses de composés organiques volatils présents dans l’air intérieur et le cycle 3 ajoutera des analyses de ces composés organiques volatils présents dans l’eau de robinet.

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