L’adaptation au changement climatique en zone côtière au Canada et au Sénégal, une comparaison Nord/Sud
Introduction
D’après le Groupe intergouvernemental d’experts sur le climat (GIEC)1, les pays ayant des ressources économiques limitées, un faible niveau de technologie, d’accès à l’information et de compétences, de mauvaises infrastructures, des institutions instables ou faibles et un accès inéquitable aux ressources, disposent de faibles capacités d’adaptation et sont extrêmement vulnérables aux changements climatiques (GIEC, 2001).
Dans le cadre de nos travaux de recherche doctorale, dont les principaux résultats sont présentés dans ce résumé, notre objet de recherche était d’interroger cette idée, couramment admise au sein de la communauté internationale, qui considère que les pays du Sud seraient plus vulnérables et moins capables de faire face aux impacts négatifs des changements climatiques que les pays du Nord (Noblet, 2015). Ceci nous conduit à nous poser deux questions :
- En quoi un pays en développement est-il plus vulnérable au changement climatique qu’un pays développé?
- En quoi un pays développé dispose-t-il de meilleures capacités d’adaptation qu’un pays en développement?
À travers une comparaison Nord/Sud entre un pays considéré comme « développé » : le Canada (Nouveau-Brunswick) et un pays dit « en développement » : le Sénégal (Petite Côte, Région de Thiès), notre thèse analyse la manière dont les problèmes du climat et de la vulnérabilité climatique en zone côtière sont perçus et gérés au sein de ces deux sociétés, ainsi que les actions mises en œuvre au titre de l’adaptation.
Route provinciale rongée par l’érosion, juin 2012, Miscou, N-B, Canada (Mélinda Noblet)
Résidences menacées par l’érosion, novembre 2012, Joal, Sénégal (Mélinda Noblet)
Méthodologie et contexte théorique
Notre travail s’est inscrit dans une perspective constructiviste en retenant la définition de P. Corcuff (2011) selon laquelle « les réalités sociales sont appréhendées comme des constructions historiques et quotidiennes des acteurs individuels et collectifs » (Corcuff, 2011). D’un point de vue méthodologique, notre étude s’appuie sur deux enquêtes de terrain de quatre mois menées dans chaque pays. Celles-ci sont basées sur le principe de la triangulation méthodologique qui comprend : l’analyse documentaire, l’observation participante (avec la tenue d’un journal de bord), la réalisation de 70 entrevues semi-dirigées et de 2 groupes de discussion.
Dans la littérature scientifique, plusieurs auteurs discutent du rapport entre vulnérabilité et développement. Selon U. Beck, les sociétés du risque ont en elles « une dynamique évolutionnelle qui détruit les frontières et reposent sur une démocratie de base. Elles placent uniformément l’humanité dans une situation où elle se met en péril elle-même par l’intermédiaire de la civilisation » (Beck, 2008). Malgré tout, il estime que le risque (technologique, sanitaire, environnemental, naturel, etc.) reste plus accru dans les pays en développement : « Pauvreté extrême et risque extrême s’attirent systématiquement comme des aimants » (Beck, 2008).
Plus récemment, K. O’Brien et R. Leichenko (2000) considèrent dans leur article traitant de la « double exposition » des sociétés contemporaines au changement climatique et à la mondialisation, qu’il est difficile de définir qui sera « perdant » ou « gagnant » de ces deux processus en cours. Les auteurs reconnaissent que même si les pays africains peuvent être considérés à première vue comme étant les « doubles perdants », ils remarquent que les sociétés africaines évoluent rapidement et commencent à tirer parti de la mondialisation à leur tour et que les impacts du climat peuvent offrir des opportunités dans certaines conditions (O’Brien et Leichenko, 2000).
A. Magnan, quant à lui, considère qu’il est « structurellement impossible de “prédire” qui est vulnérable aux changements climatiques et qui ne l’est pas (…) » (Magnan, 2013), notamment parce qu’il estime que les effets les plus significatifs des changements climatiques se feront sentir dans plusieurs décennies et qu’il n’est pas réellement possible de prédire comment les sociétés vont se prémunir par rapport à ces nouveaux problèmes.
Résultats et discussion
À travers un travail empirique, et en s’appuyant sur une comparaison Nord/Sud de l’action publique en matière d’adaptation, notre thèse montre que la manière dont le problème du climat est perçu et géré, de son émergence à aujourd’hui, ne permet pas de certifier que la vulnérabilité concerne les pays du Sud et que les pays du Nord disposent de meilleures capacités à s’adapter. Par cette thèse, nous proposons un apport critique et réflexif sur la gestion du problème du climat, et en particulier sur les problèmes liés à la vulnérabilité climatique. Nous avons d’une part montré que la vulnérabilité aux impacts existe au Canada comme au Sénégal et d’autre part qu’il est nécessaire de s’adapter, peu importe où l’on se situe sur la planète.
Par ailleurs, nous montrons que malgré la stimulation de la communauté internationale du climat et la multiplication des rapports accablants sur la réalité du réchauffement global de la planète, il est difficile pour les gouvernements au Canada comme au Sénégal de mettre en place des mesures d’adaptation effectives. En effet, comme tant d’autres domaines de l’action publique, l’adaptation est confrontée à l’inertie des institutions, aux rapports de force entre groupes d’intérêts et entre les institutions, au processus de path dependence, etc. (Noblet, 2015). La notion de path dependence fait référence ici aux travaux de P. Pierson (2000), qui mettent en évidence que dans le domaine des politiques publiques, les choix sont contraints par ceux déjà effectués dans le passé. Poursuivre sur le même chemin est souvent considéré comme moins coûteux (sur le plan cognitif et matériel pour les institutions et les acteurs concernés) par rapport à la possibilité de choisir une nouvelle option. Dans le cadre de l’adaptation, nos travaux montrent que derrière les actions d’adaptation canadiennes se cachent en réalité les anciennes pratiques de gestion du risque et derrière les actions sénégalaises nous retrouvons les pratiques « habituelles » de développement. Plus globalement, les conclusions de notre thèse vont même jusqu’à dire que l’adaptation telle qu’elle est pensée par la communauté internationale (communauté scientifique et institutions internationales), formulée comme étant un simple ajustement des systèmes socio-écologiques à un environnement qui change est impossible dans les deux cas dans la mesure où elle constitue un exercice nettement plus complexe dans la réalité, en matière de gouvernance par exemple. Nous mettons en évidence que la gouvernance locale est un mythe et que les gouvernements centraux, au Canada comme au Sénégal, ont beaucoup de difficultés à mettre en œuvre une décentralisation politique efficace. Il se trouve d’ailleurs que le Sénégal dispose de meilleurs instruments que le Nouveau-Brunswick sur ce plan.
Enfin, nos résultats démontrent d’une part que la vulnérabilité climatique est un problème public international (Nord/Sud) et que les capacités à s’adapter sont faibles au Nord comme au Sud. D’autre part, nous observons que le réchauffement climatique et les différents problèmes qu’il engendre viennent questionner plus que jamais les modes de gestion des problématiques environnementales et les modèles de développement des sociétés d’aujourd’hui. Plus qu’un ajustement, l’adaptation aux changements climatiques se doit d’être pensée comme un processus de transformation profonde des sociétés contemporaines au Nord comme au Sud.
Pour en savoir plus
Noblet, M., 2015, L’adaptation au changement climatique en zone côtière au Canada et au Sénégal, une comparaison Nord/Sud. Thèse de doctorat en science politique, Université Picardie Jules Verne, Amiens (disponible en ligne très prochainement).
Noblet. M, « Entre vulnérabilité au changement climatique et vulnérabilisation des territoires au Canada et au Sénégal », Vertigo, à paraître en 2015.
Noblet. M, « Entre vulnérabilité au changement climatique et vulnérabilisation des territoires au Canada et au Sénégal », 82ème Congrès de l’ACFAS, colloque 611, Montréal, 12 mai 2014.
Noblet Mélinda, Étude de cas sur l’adaptation au changement climatique au Sénégal, Cours numérique, Université de Moncton (NB, Canada) et UVED (France)
Références
- Beck, U. (2008). La société du risque : Sur la voie d’une autre modernité, Paris : Flammarion, 521 p.
- Corcuff, P. (2011). Les nouvelles sociologies, Armand Colin, séries : « 128 », (3e éd.).
- IPCC report, Chapter 18 (2001). Adaptation to climate change in the context of sustainable development and equity, Working group II.
- Magnan, A. (2013). Changement climatique : tous vulnérable? : Repenser les inégalités, Éditions Rue d’Ulm, 66 p.
- Noblet, M. (2015). L’adaptation au changement climatique en zone côtière au Canada et au Sénégal, une comparaison Nord/Sud. Thèse de doctorat en science politique, Université Picardie Jules Verne, Amiens.
- O’Brien, K. L., and Leichenko, R.M. (2000). Double Exposure: Assessing the Impacts of Climate Change within the Context of Economic Globalization, Global Environmental Change, 10, pp. 221–232.
- Pierson, P. (2000). Increasing Returns, Path Dependence, and the Study of Politics, The American Political Science Review, 94, pp. 251–267.