8 octobre 2002

Indicateurs de santé des océans et de santé humaine

Article
Auteur(s)
Éric Dewailly
Unité de recherche en santé publique, Centre Hospitalier Universitaire de Québec et Institut national de santé publique du Québec
Chris Furgal
Unité de recherche en santé publique, Centre de recherche CHUQ-CHUL

Les rapports qui unissent les humains aux océans sont essentiels. Que ce soit comme apport nutritionnel, par les usages récréatifs ou l’exploitation de ressources médicinales, les océans contribuent au bien-être général des humains qui peuplent ses rives, c’est-à-dire environ 60 % de la population mondiale1. Toutefois, la pression engendrée par le poids démographique qui s’ajoute à la dégradation des milieux côtiers, la variabilité climatique et l’industrialisation croissante, augmentent la contrainte sur les écosystèmes ainsi que les risques pour la santé humaine2. Dans ce contexte particulier, la définition de la santé des océans est celle adoptée lors du panel sur la santé des Océans, organisé par l’UNESCO3, soit le reflet des conditions de l’environnement marin et des impacts négatifs causés par les activités anthropogéniques, en particulier la destruction des habitats, la charge sédimentaire et la mobilisation des contaminants. La santé humaine correspond quant à elle à la définition de l’Organisation mondiale de la santé soit un état global de bien-être physique, social et psychologique4.

Contexte

Plus de deux milliards de personnes à travers le monde dépendent des ressources aquatiques comme source principale de protéines dans leur alimentation et, selon les données de la FAO5, cette tendance ira en s’accroissant au cours des prochaines années. Dans un contexte de développement durable, la survie des populations côtières est largement dépendante des produits aquatiques non contaminés. Au cours des dernières années, plusieurs études épidémiologiques ont abordé la question de l’exposition humaine aux contaminants qui proviennent de la chaîne alimentaire aquatique6-8. Toutefois, l'exposition cutanée et respiratoire peut également être impliquée dans l’exposition des populations maritimes à la contamination.

Contaminants en cause

Plusieurs types de contaminants environnementaux peuvent toucher les populations humaines maritimes. L’exposition aux composés organiques synthétiques, les HAP, les métaux, les toxines marines et les micro-organismes sont les principales sources de risque pour la santé. Le tableau 1 présente les substances les plus préoccupantes selon le type de contaminants.

Indicateurs

Que ce soit sur une base locale ou à une échelle plus globale, les objectifs de l’évaluation de la santé de l’environnement maritime consistent à apporter les éléments nécessaires pour assurer le maintien de la biodiversité, de l’intégrité écologique, à minimiser la perte des espèces tout en limitant les effets de l’activité humaine sur les ressources vivantes et en protégeant la santé humaine. Habituellement, les indicateurs utilisés pour rendre compte de l’état de santé de l’écosystème tiennent surtout compte des données de contamination ou d’effets importants. Toutefois, avec le développement des connaissances, il est maintenant davantage possible de se tourner vers des indicateurs qui permettent de détecter des changements subtils et ainsi de sonner l’alarme beaucoup plus tôt. Pour les indicateurs environnementaux, quatre approches sont privilégiées, soit la mise au point de biomarqueurs, les pathologies cellulaires, les réponses physiologiques et comportementales et les changements populationnels.

Pour la santé humaine, le défi face aux changements environnementaux consiste à identifier des indicateurs qui seront assez sensibles et spécifiques pour détecter les impacts sanitaires de ces changements. Dans un tel contexte, les données de mortalité et de morbidité existantes ne sont pas suffisantes comme indicateurs puisque plusieurs maladies chroniques sont multi­factorielles et mettent en jeu des facteurs tels que la génétique, les habitudes de vie et des facteurs environnementaux. Les registres de la mortalité ou du cancer sont cependant utiles comme indicateurs de maladies associées à l’environnement marin, mais sur de longues périodes (10 à 20 ans) en raison de la période de latence associée au développement d’un cancer. En ce qui a trait aux maladies aiguës comme celles causées par l’exposition aux toxines marines, les fichiers qui enregistrent ces maladies sont toutefois pertinents pour en établir l’incidence. Par contre, des problèmes majeurs de sous-déclaration de ces maladies dénotent l’urgence d’améliorer la validation de ces systèmes de surveillance.

Considérant le fait que les populations maritimes sont souvent exposées à des faibles doses de contaminants, mais de manière chronique et que les études de cohorte mises en place pour étudier les effets sont longues et coûteuses, les connaissances scientifiques doivent s’orienter vers le développement de biomarqueurs d’effets précoces en complément aux approches déjà existantes. On peut penser par exemple aux biomarqueurs d’effets sur le système immunitaire (cytokines, marqueurs cellulaires, réponse des anticorps à l’immunisation), sur l’activité endocrinienne (hormones sexuelles et thyroïde), sur la génotoxicité (adduits d’ADN) et l’induction enzymatique (Cytochrome P-450). Même si plusieurs biomarqueurs existent déjà, par exemple le ß2-microglobuline pour le cadmium, la plupart sont au stade de développement. Le plus grand défi demeure celui de la sensibilité et de la spécificité de ces biomarqueurs.

Recommandations

Des systèmes de surveillance qui seraient en mesure d’effectuer des évaluations rapides des contaminants dans l’environnement ainsi que des risques pour la santé de la population se doivent d’être développés et validés, et ce, sur une base internationale. De tels outils permettraient de détecter plus promptement les menaces présentes dans les écosystèmes et de prévenir ainsi la survenue de certaines maladies. Pour ce faire, le développement de nouveaux biomarqueurs et d’indicateurs appropriés est nécessaire afin de réduire le temps et les coûts requis pour les analyses.

La recherche sur l’océan et la santé requiert une approche multidisciplinaire et structurée selon un modèle qui met l’accent sur des thèmes critiques liés aux risques particuliers pour la santé des populations maritimes. De plus, il est essentiel que l’approche soit définie sur la base d’un réseau sans frontières géographiques et multidisciplinaire.

Pour atteindre cet objectif, le programme devrait réunir les composantes suivantes : composante de base en recherche, des ressources pour le développement de biomarqueurs, un soutien informatique et un volet formation. Il est suggéré de se pencher en priorité sur cinq modèles d’interaction population/environnement marin soit les autochtones vivant dans les régions polaires, les toxines marines aéroportées et la santé humaine, l’exposition des populations portuaires, les bénéfices pour la santé associés à la consommation des produits aquatiques et finalement, les régions côtières tropicales et les petites îles. Par la suite, les résultats et le développement technique d’une telle approche pourront être extrapolés à d’autres contextes.

Le projet Atlantis

Le projet Atlantis a été mis sur pied afin d’étudier et de surveiller les interactions entre le milieu aquatique et la santé humaine. Le premier objectif consiste donc à fournir des données sur la nature et l’étendue des effets néfastes que ce soit au niveau des risques sur la santé humaine, des ressources aquatiques, des changements naturels ou de la santé de l’environnement aquatique. Les principales activités planifiées sont la collecte des données, la surveillance biologique et l’évaluation des effets tout en développant de nouvelles méthodologies simplifiées. Le développement et la mesure d’un ensemble d’indices fiables et facilement applicables aux atteintes de l’environnement et de la santé humaine constituent le premier volet du programme. Le second porte sur des aspects de recherche qui visent une meilleure compréhension des impacts de l’environnement sur la dégradation des zones côtières. Le programme vise à documenter les aspects suivants :

  • évaluation de l’exposition humaine et animale due aux contaminants chimiques;
  • évaluation des effets associés à cette exposition;
  • évaluation du risque associé à la présence de toxines marines présentes dans les produits de la mer;
  • é valuation des risques microbiologiques associés aux activités de contact avec l’eau et la consommation de produits de la mer;
  • regroupement des données de santé humaine (indicateurs);
  • intégration des données dans le but d’améliorer la gestion du risque.

Le projet, sous la direction d’Éric Dewailly, est réalisé par plusieurs équipes œuvrant en microbiologie, toxicologie humaine, écotoxicologie, surveillance, épidémiologie, géomatique et bénéficie d’un soutien technique. De plus, le projet vise à favoriser la formation d’étudiants gradués et le transfert technologique vers des régions défavorisées. Concrètement, le complexe Atlantis est composé d’une structure autonome et mobile qui prend la forme de six modules (containers) aménagés selon des fonctions particulières, soit des aires de laboratoire, d’habitation, de stockage et de services. Les modules sont transportés par bateau sur les lieux mêmes où seront effectuées les analyses. Actuellement, les modules sont à l’étape de la construction et des essais sur le terrain sont prévus pour le printemps 2003. Plusieurs régions sont déjà visées par le programme Atlantis et cela, en fonction des conditions climatiques. Selon les prévisions, le laboratoire mobile serait en opération de mai à août dans le Saint-Laurent, de septembre à novembre dans la région Arctique et de décembre à avril en Amérique Centrale.

Références

  1. GESAMP, 2001. Protecting the oceans from land-based activities. GESAMP, Rep Stud, 71:41-44.
  2. HARVELL, CD, BURHOLDER, J.M.., COLWELL, R.R., EPSTEIN, P.R., GRIMES, J. et al., 1999. Diseases in the ocean: emerging pathogens, climate links and anthropogenic factors. Science, 285:1505-1510.
  3. UNESCO, 1996. A Strategic Plan for the Assessment and Prediction of the Health of the Ocean : A Module of the Global Ocean Obser­ving System. IOC/INF-1044. Paris: UNESCO.
  4. WHO, 1946. Preamble to the Constitution of the World Health Organization. Geneva: World Health Organization.
  5. FAO, 1999.The State of the World Fisheries and Aquaculture 1998. Rome: FAO Fisheries Department.
  6. GRANDJEAN, P. WEIHE, P., WHITE, R.F., DEBES, F., ARAKI, S., YOKOYA­MA, K. et al.,1997. Cognitive deficit in 7-year-old children with prenatal exposure to mercury. Neurotoxicol Teratol 19(6): 417-428.
  7. MARSH, D.D., TURNER, M.D., SMITH, J.C., ALLEN, P. RICHDALE, N., 1995. Fetal methylmercury study in a Peruvian fish-eating population, Neurotoxicology, 16(4):717-726.
  8. MULVAD, G. PEDERSEN, H.S., HANSEN, J.C., DEWAILLY, É., JUL, E., PEDEREN M.B. et al., 1996. Exposure of Greenlandic Inuit to organochlorines and heavy metals through the marine food chain. An international study, Sci Tot Environ, 186:137-139.

* D’après: Knap, A., Dewailly, É., Furgal, C., Galvin, J., Baden, D., Bowen, R.E., Depledge, M., Duguay, L., Fleming, L.E., Ford,, T., Moser, F., M., Owen,, R., W. A. Suk, W.A., Unluata, U.(2002). Indicators of Ocean Health and Human Health : Developing a Research and Monitoring Framework, Environ Health Perspect, vol.110 :839-845. Adaptation : Claire Laliberté.