16 décembre 2001

Changements climatiques et risque pour la santé : une première conférence canadienne

Article
Auteur(s)
Luc Fortin
Santé Canada

Une première Conférence annuelle sur les politiques de santé et de bien-être et la planification sur les mesures d’adaptation au changement climatique a eu lieu du 5 au 7 novembre dernier à Canmore, en Alberta. Organisée par Santé Canada, la conférence visait à sensibiliser les intervenants et les analystes en politiques de santé et de services sociaux aux impacts du changement climatique sur la santé et à favoriser l’intégration de ces enjeux dans les programmes et les politiques de santé publique. La conférence visait également à favoriser la création de réseaux multidisciplinaires en vue de définir des mesures stratégiques concernant le changement climatique et la santé.

De concert avec l’OMS, Santé Canada a identifié huit catégories d’effets importants sur la santé qui devraient s’intensifier au fur et à mesure que le climat changera: la morbidité et la mortalité liées à la température, les effets de conditions météorologiques exceptionnelles, les effets liés à la pollution atmosphérique, la contamination par l’eau et la nourriture, les maladies infectieuses à transmission vectorielle, l’exposition accrue au rayonnement ultraviolet dû à l’appauvrissement de l’ozone stratosphérique, les populations particulièrement vulnérables et les impacts socio-économiques sur la santé et le bien-être des populations (voir tableau).

Incidences appréhendées du changement et de la variabilité climatique sur la santé des Canadiens

Afin de permettre des discussions plus approfondies, cette conférence sur les politiques a porté sur quatre de ces effets: la qualité de l’air, les maladies à transmission vectorielle, la contamination de l’eau et la nourriture et les groupes vulnérables. Les autres impacts du changement climatique sur la santé seront abordés lors de conférences ultérieures.

La conférence a réuni des analystes en politiques de santé des gouvernements fédéraux, provinciaux et territoriaux, intervenants en santé publique ou services sociaux, représentants municipaux, universitaires et représentants d’organismes non gouvernementaux.

La première journée a été consacrée à des présentations en plénière sur différents aspects du changement climatique et de ses effets sur la santé en préparation d’ateliers régionaux la deuxième journée (Nord, Colombie-Britannique, Prairies, Ontario, Québec, Atlantique). La troisième journée, un panel d’experts a été appelé à commenter les recommandations des ateliers.

Les résultats de la conférence serviront à guider les efforts de Santé Canada en vue d’évaluer et de gérer les impacts du changement climatique sur la santé en collaboration avec les ministères provinciaux de la santé, d’autres ministères fédéraux et des organismes non gouvernementaux en santé et en environnement. Le texte qui suit résume certaines présentations et les délibérations en atelier.

L’évolution du système climatique

Au cours du dernier siècle, la température moyenne de la planète s’est réchauffée d’environ 0,6°C et le Groupe d’expert international sur l’évolution du climat (GEIEC) sous l’égide de l’Organisation mondiale de la météorologie et du Programme des Nations Unies pour l’environnement, prévoit une augmentation de 1,4 à 5,8°C d’ici la fin de ce siècle. Au Canada, la température a augmenté d’environ 1°C; les augmentations les plus importantes se sont fait sentir au centre du pays, dans le Nord-Ouest et dans l’Arctique, où la température devrait se réchauffer plus rapidement que la moyenne nationale.

Le climatologue James Bruce résume ainsi les principaux changements du climat qui auront des impacts, surtout négatifs, pour le Canada:

  • Une augmentation du nombre de canicules et une réduction des jours de froid intense;
  • Une augmentation des précipitations annuelles, surtout au printemps et en été. Cependant, ceci n’empêchera pas un assèchement des sols, surtout dans l’Ouest canadien, provoqué par des températures plus chaudes;
  • Une importante baisse du niveau d’eau des bassins des Grands Lacs et du fleuve Saint-Laurent;
  • Des sécheresses plus importantes dans certaines régions et des inondations dans d’autres;
  • L’allongement des périodes sans gel favorisant l’agriculture à condition qu’il n’y ait pas davantage de sécheresse ou d’événements météorologiques extrêmes;
  • Des orages convectifs plus violents en été et des tempêtes hivernales plus intenses dans les latitudes moyennes;
  • La fonte du pergélisol dans le nord qui entraînera davantage de soulèvement par le gel, de tassement dû au dégel et d’instabilité des pentes, affectant les structures et les bâtiments en régions nordiques et obligeant la révision des normes de construction;
  • Des baisses des niveaux des cours d’eau entrecoupés d’inondations sporadiques, ce qui constituent les pires conditions pour la qualité de l’eau.

Bruce, qui a été sous-secrétaire général de l’Organisation mondiale de météorologie, estime que même si l’ensemble des pays signataires du Protocole de Kyoto en respectaient tous les dispositifs, cela retarderait de 10 à 12 ans seulement le moment où le taux de CO2 doublerait dans l’atmosphère.

Répercussions sur la santé

Le responsable du dossier du changement climatique et de ses effets sur la santé à Santé Canada, Michael Sharpe, souligne que les impacts du changement climatique sur la santé humaine s’ajouteront aux pressions existantes sur les systèmes de santé publique plutôt que de créer des enjeux nouveaux.

Jusqu’à maintenant, selon Sharpe, l’attention des gouvernements a porté sur les mesures de réduction des gaz à effet de serre. Il estime qu’il est temps de porter davantage d’attention sur les mesures d’adaptation au changement du climat qui aura inévitablement lieu. Une collaboration soutenue parmi les différents paliers de gouvernement et les organismes non gouvernementaux sera requise pour élaborer ces mesures d’adaptation. Les administrations municipales auront un rôle clé à jouer puisque les impacts souvent différents d’une région à l’autre nécessiteront des réponses différentes. Santé Canada souhaite faciliter cette collaboration entre les divers intervenants dans l’élaboration des politiques visant la gestion des risques à la santé associés au changement climatique. Sharpe conclut en rappelant l’importance de communiquer une information pondérée sur les impacts du changement climatique afin de sensibiliser l’opinion publique sans l’alarmer.

Comment faire face aux effets du changement climatique?

Les réseaux de santé publique sont constamment confrontés entre des besoins urgents et à court terme et des besoins d’investissement pour des mesures préventives. Ils doivent composer avec des ressources limitées, des impératifs politiques et les pressions exercées par les médias et la population, estime le président de l’Association canadienne de santé publique, le docteur David Butler-Jones. Dans un tel contexte, les impacts du changement climatique ne seront pas toujours faciles à gérer.

Butler-Jones cite Walkerton (Ontario) et North Battleford (Saskatchewan) en exemples pour illustrer les problèmes qui risquent de survenir si des mesures adéquates de surveillance ne sont pas prises. La tragédie de Walkerton est la conséquence d’une combinaison de pluies diluviennes, de sources d’eau non protégées, de la privatisation de services publics sans égard à la santé publique et de l’incompétence et l’absence d’imputabilité. Quant à North Battleford, le pire a été évité grâce à la perspicacité d’un employé qui a sonné l’alarme avant que les résultats des analyses ne soient disponibles.

On prévoit que le changement climatique aura un effet sur la quantité et la qualité de l’eau. Au fur et à mesure que les niveaux d’eau baisseront, les risques liés à l’utilisation du chlore s’amplifieront. Ces risques devront être surveillés et mis en balance quant aux bénéfices que la chloration procure. Selon Butler-Jones, la réponse aux défis que pose le changement climatique passe par l’accroissement de la surveillance, des programmes d’immunisation et de prévention ainsi que de la promotion de la santé.

Les ateliers régionaux

Lors des ateliers tenus le deuxième jour, les participants ont été appelés à identifier les mesures existantes pour répondre aux effets qu’aura le changement climatique sur la santé et à identifier les lacunes ou insuffisances actuelles des systèmes de santé de leur région. Les participants avaient à se prononcer sur la pertinence d’un réseau régional de collaborateurs, établir les priorités d’action d’un tel réseau et identifier l’aide requise de Santé Canada.

Les participants du Québec ont jugé que la création d’un réseau québécois d’intervenants qui étudierait les incidences du changement climatique sur la santé n’était pas nécessaire dans l’immédiat. Ils estiment que le réseau de santé publique peut remplir cette fonction et les plans de mesures d’urgences qui seront requis en vertu de la nouvelle Loi québécoise sur la sécurité civile renforceront les réseaux et la collaboration intersectorielle.

Plusieurs ateliers ont identifié l’absence de concertation entre ministères comme une lacune majeure. Ils ont cité en exemple les programmes d’efficacité énergétique qui ont contribué à rendre résidences et édifices commerciaux trop étanches en accentuant les problèmes de qualité de l’air intérieur.

L’absence d’échéances fermes quant aux impacts du changement climatique rendra la mobilisation des ressources et des intervenants plus difficile. L’attention des réseaux de santé publique est souvent mobilisée par des risques imminents, soulignent plusieurs participants. Ils déplorent que les priorités établies par le milieu de la santé soient souvent bousculées par des enjeux de santé amplifiés par les médias. Certains ont cité en exemple les risques appréhendés par le virus du Nil.

Tous les ateliers ont recommandé un programme soutenu de communication et de sensibilisation aux incidences du changement climatique sur la santé. Cette sensibilisation devrait se faire auprès de la population, des décideurs publics et des professionnels de la santé. En plus de la sensibilisation, plusieurs ont estimé que les professionnels de la santé devraient être davantage formés sur les thèmes du dépistage et du diagnostic des maladies à transmission vectorielle et de celles liées à la qualité de l’air.

Un réseau de surveillance qui lierait les données climatiques et environnementales aux déterminants de la santé est une priorité pour tous. Plusieurs groupes déplorent le peu de données de base sur plusieurs des enjeux discutés lors de la conférence.

Si les maladies à transmission vectorielle s’accroissent, les principaux points d’entrée au pays devront améliorer leur capacité de dépister ces maladies puisqu’un plus grand nombre de voyageurs et d’immigrants en seront porteurs, estiment certains participants.

Tous se sont montrés d’accord avec le fait que les enfants, les personnes âgées, les personnes à faible revenu et ceux qui souffrent de maladies cardiaques ou respiratoires constituent des sous-populations particulièrement vulnérables aux effets du changement climatique. Les immigrants qui ne maîtrisent pas une des langues officielles et les citoyens qui vivent en marge de la société sont également plus vulnérables puisque les intervenants ne peuvent les rejoindre facilement pour prodiguer soins ou assistance. Certains estiment que les autochtones sont également plus vulnérables, puisqu’ils sont davantage tributaires des ressources de l’environnement.

Les participants en provenance des Prairies ont rappelé que les incidences sur la santé varieront d’un écosystème à l’autre ainsi que les enjeux et les populations vulnérables. Les mesures de santé publique devront être adaptées aux risques sanitaires spécifiques de chaque région. Pour cette raison, plusieurs groupes ont suggéré de tenir des ateliers ou conférences dans chaque région du pays.

Lignes directrices pour l’évaluation des incidences du changement climatique sur la santé humaine

La Convention cadre des Nations-Unies sur le changement climatique et le Protocole de Kyoto obligent les pays signataires à procéder à une évaluation nationale des impacts éventuels du changement climatique sur la santé humaine. Différentes méthodologies d’évaluation ont été élaborées ce qui complique la comparaison entre pays ou régions et nuit à l’efficacité des efforts internationaux pour renforcer la capacité d’adaptation des pays en voie de développement.

Le Centre européen de l’OMS pour l’environnement et la santé, le Programme des Nations-Unies pour l’environnement et Santé Canada ont donc élaboré des lignes directrices qu’ils proposent aux gouvernements et aux autorités sanitaires pour comprendre les impacts du changement climatique et ainsi conduire à des choix éclairés quant aux stratégies d’adaptation. Une ébauche des Lignes directrices sera disponible en 2002.

Le panel d’experts et la conclusion de la conférence

Comment aborder les incidences du changement climatique sur la santé? Tim McDaniels de l’Université de Colombie Britannique a recommandé de choisir des interventions qui offrent le plus grand potentiel d’apprentissage avec le plus faible risque d’erreur. L’importante est de s’engager, « d’apprendre en agissant », et de revoir plans et hypothèses à la lumière de l’évaluation des actions et des résultats obtenus.

Sandor Derrick, de la Fédération canadienne des municipalités, souligne que les municipalités contrôlent 50% des émissions de gaz à effets de serres par leurs opérations, leurs plans et règlements municipaux. Donc, les municipalités peuvent contribuer de façon significative à l’atteinte des objectifs de Kyoto ce que plusieurs ont commencé à faire. Derrick appuie une suggestion maintes fois réitérée durant la conférence de sensibiliser la population mais il estime que le terme « changement climatique » demeure abstrait pour plusieurs citoyens. Il suggère de mettre l’accent sur la santé, l’économie et le développement social afin de mobiliser la population. « En somme, promouvoir la qualité de vie, » suggère-t-il.

D’ailleurs, de nombreux participants estiment que le milieu de la santé doit non seulement se préparer à faire face aux incidences sanitaires du changement climatique, mais aussi à intervenir pour expliquer à la population et aux décideurs les conséquences de l’inaction face à la réduction des gaz à effets de serre.

D’autres soulignent les liens parfois faibles entre la recherche, les politiques et la planification. Des exemples de recherches qui guident et appuient les interventions: la ville de Philadelphie a évalué le nombre de vies sauvées grâce à son programme d’accessibilité à des lieux publics climatisés lors des canicules de 1990 et 1995; la ville de Milwaukee étudie la façon de sensibiliser les populations vulnérables aux dangers que représentent les parasites dans l’eau potable.

Cette première conférence sur les risques à la santé associés au changement climatique a permis de sensibiliser et de mobiliser les intervenants susceptibles d’être impliqués dans l’intégration de ces enjeux aux politiques et programmes de santé publique des différents paliers de gouvernement. Elle a également permis d'amorcer la création de réseaux et de partenariats en vue d’élaborer des mesures d’adaptation aux impacts du changement climatique.