L'accès au suivi et au traitement pour les personnes atteintes de l'hépatite C au Québec - Analyse de l'offre de services
Au Québec, plus de 2000 cas d'hépatite C sont diagnostiqués chaque année et la population des utilisateurs de drogues par injection est la plus touchée par cette infection. Les personnes infectées par le virus de l'hépatite C ne ressentent généralement pas les effets à court terme, mais bon nombre d'entre elles deviennent des porteurs chroniques et peuvent continuer de transmettre l'infection. De plus, un certain nombre de porteurs chroniques développeront des complications au cours des décennies suivant la primo infection. Depuis quelques années, il existe un traitement à l'Interféron pour les personnes séropositives au virus de l'hépatite C (VHC). Ce traitement onéreux comporte des effets secondaires importants nécessitant une prise en charge des individus à traiter pour en assurer l'efficacité. Dans les conditions actuelles, il semble que le système de santé ne permet pas de répondre adéquatement à la demande des personnes infectées dont le nombre s'accroît chaque année. D'une part, les clientèles à traiter présentent souvent des situations complexes de santé difficilement compatibles avec les exigences du traitement et d'autre part, le personnel médical n'est généralement pas en mesure de répondre à l'ensemble des besoins de ces personnes. Afin de mieux connaître les besoins de la clientèle à traiter ainsi que la situation de l'offre de services, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a demandé à l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) de réaliser une étude en vue de fournir des pistes d'actions pour la mise en place des services aux personnes atteintes du VHC au Québec.
Au plan méthodologique, la collecte et l'analyse des données ont été réalisées à partir d'un cadre théorique permettant l'exploration des dimensions de l'intégration des soins de santé. L'enquête terrain s'est déroulée entre les mois de décembre 2004 et janvier 2006. Elle a permis de recueillir des informations auprès de plus de 140 individus provenant des 18 régions sociosanitaires du Québec. Des questionnaires ont été utilisés pour la collecte des données quantitatives tandis que l'entrevue semi-dirigée et les groupes de discussion réalisés à l'aide d'une grille standard ont servi à recueillir des informations sur des dimensions du système de soins et de services. Les données quantitatives ont été utilisées pour cartographier l'offre de services tandis que les données qualitatives ont permis de la caractériser. Le sous-groupe des participants aux entrevues semi-dirigées et aux groupes de discussion est composé de 25 personnes atteintes, 40 intervenants de santé et communautaires, 21 médecins et 16 gestionnaires.
La cartographie des services VHC, établie avec la contribution des partenaires régionaux, met l'accent sur le rôle des organismes communautaires, des CLSC, des services de toxicomanie en centre de réadaptation ou en milieu hospitalier, des services spécialisés en hépatite et en VIH, de cliniques médicales spécialisées et de certains établissements de détention dans l'offre de services aux personnes atteintes du VHC. Le portrait tracé par les répondants régionaux témoigne davantage d'une volonté d'agir que de la capacité réelle du système de soins à absorber le flot des personnes atteintes en attente de traitement. Les répondants ont été clairs à ce propos : les informations dont nous disposons sont basées sur le dénombrement des points où il est possible de faire une demande de services et non pas sur la capacité réelle de ces organisations à assurer le suivi et le traitement des personnes atteintes. Cela dit, il ne faut pas non plus minimiser les efforts qui ont été consentis par certaines organisations ou regroupements d'individus pour traiter des personnes séropositives au VHC au cours des dernières années.
Les services offerts sont de trois ordres :
- les services cliniques comme le dépistage, la vaccination des hépatites A et B et l'intervention préventive auprès des partenaires;
- les services de prévention et de soutien; et
- les services d'accompagnement et de prise en charge s'adressant aux personnes infectées par le VHC en demande de traitement.
De manière générale, on peut affirmer que le dépistage, la vaccination et l'intervention préventive auprès des personnes atteintes d'une ITSS et de leurs partenaires sont des activités associées principalement aux CLSC et à certains établissements dont la clientèle est particulièrement exposée aux ITSS. Le counselling entourant le VHC est souvent mentionné lorsqu'il y a dépistage et vaccination, tandis que l'information-éducation est rapportée par plusieurs types de sites. L'intervention et la référence sont surtout rapportées par les services de première ligne et les organismes communautaires. Dans la catégorie des services d'accompagnement, les organismes communautaires occupent le volet accompagnement psychosocial et médical alors que la prise en charge médicale est principalement le fait des équipes en centre hospitalier, en clinique médicale et dans les centres de santé.
Plusieurs lieux de prise en charge et de traitement des personnes séropositives au VHC ont été identifiés au Québec. En centre hospitalier, ce sont les services spécialisés en gastroentérologie/ hépatologie qui accueillent les personnes à traiter. Les cliniques VIH et les services en toxicomanie réfèrent leurs patients aux gastro-entérologues/hépatologues pour le traitement du VHC. Peu de cliniques médicales et de CLSC offrent le traitement, mais certains professionnels assurent le suivi des patients infectés alors que d'autres les réfèrent directement aux spécialistes en raison de la complexité du suivi et du traitement. Les centres de réadaptation, les établissements de détention et les organismes communautaires sont des partenaires importants dans l'offre de services aux personnes atteintes du VHC.
Plusieurs intervenants sont à ce jour impliqués dans l'offre de services aux personnes atteintes du VHC. Les intervenants communautaires, les infirmières en prévention-dépistage, en toxicomanie, en suivi de traitement VIH et VHC ainsi que les autres professionnels qui les accompagnent sont en mesure d'assurer le suivi en première ligne. Ils doivent cependant pouvoir compter sur la collaboration des médecins omnipraticiens et spécialistes pour le traitement des personnes atteintes. Si les médecins rencontrés montrent beaucoup d'ouverture pour le traitement des patients VHC, ils sont par ailleurs trop peu nombreux à détenir l'expertise compte tenu de l'ampleur du phénomène.
La dimension des représentations et des valeurs des acteurs n'est pas négligeable dans la prestation des services. Les répondants à l'étude se sont montrés généralement ouverts à la clientèle touchée par l'infection au VHC. Même s'ils font état des préjugés et de la stigmatisation qui entourent le statut des personnes séropositives au VHC, ils estiment que c'est une clientèle dont il faut s'occuper. Quant aux personnes toxicomanes, elles sont identifiées comme des clientèles vulnérables présentant de multiples problèmes de santé et dont la prise en charge demande beaucoup de temps et d'attention. Cependant, le traitement des personnes toxicomanes séropositives au VHC est vu comme une occasion ceux qui le souhaitent, une opportunité de changer leur trajectoire de vie. Les personnes toxicomanes adhèrent elles aussi à cette vision d'une porte ouverte sur le retour à un mode de vie plus organisé.
Les experts-conseils qui ont participé à la consultation s'attendent à ce que certains standards de qualité soient respectés dans l'offre de services aux personnes atteintes du VHC. Quatre aspects ont été jugés importants à leurs yeux : l'humanisme dans les relations entre les professionnels de la santé et les personnes à traiter, le fait de détenir l'expertise nécessaire pour répondre adéquatement à la demande de services, l'efficience dans le fonctionnement du système de soins et le fait de pouvoir compter sur des ententes de collaboration qui permettent de répondre adéquatement à la demande. Ces standards de qualité sont assortis d'un certain nombre de valeurs phares partagées par les acteurs impliqués dans l'offre de services aux personnes atteintes du VHC. L'analyse du discours a fait émerger trois pôles suivant lesquels les répondants structurent leurs interventions, soit l'équité distributive, l'éthique de bienfaisance et la rationalisation des coûts relatifs aux soins de santé. Les acteurs sont sensibles à la situation des personnes atteintes du VHC et ils estiment qu'elles ont droit au traitement, mais qu'il faut s'assurer de bien répondre aux besoins des patients pour que le traitement soit le plus efficace possible.
Pour optimiser l'offre de services, les acteurs croient qu'il faut assurer une meilleure gestion des ressources, considérer le caractère particulier de la clientèle à traiter, améliorer l'offre de services et favoriser le développement de l'expertise chez les professionnels. La meilleure gestion des ressources financières et humaines passe par une mobilisation des décideurs, l'implication des réseaux locaux, la concertation des différents acteurs, la création de noyaux d'expertise, le transfert de l'expertise et le soutien financier pour combler les lacunes dans l'offre de services. À cet égard, il conviendra que le Ministère assure un leadership dans le dossier, afin de soutenir les démarches des différents acteurs à tous les niveaux. Le caractère particulier de la clientèle impose un encadrement pour le traitement. Le recours à du personnel de liaison habilité à travailler avec ces clientèles pour la prise en charge et le développement de mécanismes de soutien pour les personnes en traitement s'avère aussi des conditions pour optimiser la prise en charge. Adapter l'offre de services, c'est assurer un meilleur accès aux ressources pour ces clientèles tant en termes d'horaire que de proximité des services et optimiser la contribution des organisations qui sont déjà impliquées auprès des clientèles au prise avec des problèmes d'abus de substances, de santé mentale et de désorganisation sociale. Finalement, l'expertise concerne autant le développement des compétences en VHC que l'approche à la clientèle qui présente des problèmes complexes de santé.
En conclusion, l'intégration des services constitue une solution réaliste et souhaitée par les acteurs sur le terrain pour soutenir le traitement des personnes atteintes du VHC peu importe le mode d'acquisition. Cependant, intégration n'est pas synonyme d'uniformisation et, à cet égard, il sera opportun de définir dans les grandes lignes, les conditions à respecter pour maintenir les standards de qualité souhaités par les acteurs tout en laissant l'espace nécessaire pour que les acteurs puissent y inscrire leurs pratiques, peu importe le niveau où ils se trouvent. Les gestionnaires doivent être en mesure de justifier le regroupement ou le développement des services et l'allocation des ressources, les médecins ont à mettre au point les formules optimales de suivi et de traitement en tenant compte des nécessaires d'offrir, à contributions des partenaires, qu'ils soient du réseau communautaire ou de celui de la santé, les intervenants sur le terrain doivent connaître les attentes du réseau à leur égard et les personnes atteintes doivent être informées des possibilités de traitement et avoir accès aux services. Ce sont là des conditions qui militent en faveur d'une participation active du MSSS pour le développement d'un dossier intégré sur la prévention et le traitement du VHC.