Écrans et hyperconnectivité - Veille analytique, hiver 2024

Dans ce numéro

Risques et bénéfices de l’utilisation des écrans chez les jeunes : une revue des méta-analyses publiées à ce jour

Contexte

L’utilisation des écrans chez les enfants et les jeunes représente une préoccupation pour de nombreux chercheurs, professionnels de la santé et parents. Cette préoccupation a mené à l’élaboration de différentes lignes directrices dans les dernières années. Malgré les nombreuses recherches dont ont fait l’objet les différentes technologies numériques, les connaissances quant aux risques et aux bénéfices de celles-ci demeurent disparates. Dans ce contexte, il apparaît pertinent de procéder à un état des connaissances de façon à soutenir le développement de nouvelles lignes directrices basées sur les données les plus récentes.

Objectif et méthode

Cette étude vise à résumer les associations documentées à ce jour concernant les risques et les bénéfices liés à l’utilisation des écrans chez les enfants et les jeunes de moins de 18 ans pour différents aspects liés à la santé et à l’éducation. Pour ce faire, 217 méta-analyses publiées dans la littérature scientifique ont été analysées et catégorisées en fonction de la variable d’exposition étudiée (ex. : type d’utilisation des écrans) et de l’effet rapporté sur la santé ou un aspect éducatif (ex. : apprentissage, littératie et numératie), afin de faire ressortir les associations les plus souvent étudiées et dont les preuves sont les plus robustes. Un total de 252 associations entre l’utilisation des écrans et un effet sur la santé ou l’éducation ont été identifiées. Ultimement, 43 associations (22 effets pour l’éducation et 21 effets pour la santé) ont été jugées statistiquement significatives et incluses à l’analyse. Les variables d’exposition les plus souvent analysées dans les études retenues sont : les jeux vidéo physiquement actifs, l’utilisation générale des écrans, le visionnement de séries télévisées et de films et les interventions de promotion de la santé par l’entremise des écrans. Les effets les plus souvent étudiés dans la littérature analysée sont la composition corporelle, les symptômes dépressifs, l’apprentissage et la littératie.

Ce que l’on y apprend

Parmi les effets identifiés en lien avec la santé, les résultats mettent de l’avant une association positive entre l’utilisation de la télévision et de jeux vidéo et la composition corporelle. De la même manière, l’exposition à de la publicité d’aliments de faible qualité nutritionnelle est associée à l’ingestion d’aliments malsains. Dans un autre ordre d’idées, le temps passé devant la télévision est associé négativement à la durée du sommeil, et ce, spécifiquement chez les adolescents. Aussi, l’utilisation des médias sociaux et l’exposition à un contenu sexuellement explicite sont positivement associées à plus de comportements à risque. Enfin, l’utilisation d’Internet est positivement associée à la présence de symptômes dépressifs chez les enfants et les jeunes.

Concernant les effets en lien avec l’éducation, de façon générale les résultats indiquent que l’utilisation des écrans sans égard au contenu, au contexte ou à l’appareil utilisé est associée négativement aux mesures d’apprentissage et de littératie. Toutefois, lorsque des variables d’exposition plus nuancées concernant l’utilisation des écrans sont utilisées, les associations relevées présentent un portrait plus complexe. Par exemple, lorsque le contenu visionné est éducatif ou que l’usage de l’écran est fait en covisionnement avec les parents, les résultats des études analysés indiquent que l’utilisation des écrans est associée positivement avec les mesures de littératie chez les enfants. De la même manière, l’utilisation de jeux vidéo éducatifs spécifiquement développés pour développer la numératie est associée à des bénéfices d’un point de vue de l’apprentissage alors que les résultats concernant l’utilisation des jeux vidéo en général sont associés négativement aux mesures d’apprentissage.

Conclusion

Les résultats de cette revue soulignent le grand nombre et la variabilité importante des associations entre l’utilisation des écrans et différentes variables relatives à la santé et à l’éducation étudiées dans la littérature. Ce constat justifie l’importance d’adopter une approche nuancée à l’étude des risques et des bénéfices liés à l’utilisation des écrans de façon à permettre le développement de lignes directrices et de recommandations plus adaptées.

Sanders, T., Noetel, M., Parker, P., Del Pozo Cruz, B., Biddle, S., Ronto, R., Hulteen, R., Parker, R., Thomas, G., De Cocker, K., Salmon, J., Hesketh, K., Weeks, N., Arnott, H., Devine, E., Vasconcellos, R., Pagano, R., Sherson, J., Conigrave, J. et Lonsdale, C. (2023). An umbrella review of the benefits and risks associated with youths’ interactions with electronic screens. Nature Human Behaviour.
https://doi.org/10.1038/s41562-023-01712-8

L’usage des écrans et les associations avec le développement à la petite enfance : résultats d’une étude longitudinale française

Contexte

Bien que l’usage des écrans soit de plus en plus étudié chez les enfants, de nombreuses questions demeurent quant aux effets possibles sur leur développement durant les premières années de vie. Par exemple, le raisonnement non verbal, les habiletés langagières comme l’acquisition du vocabulaire et d’autres aspects du développement cognitif sont encore peu étudiés. De plus, certains facteurs confondants comme les caractéristiques socioéconomiques des familles et les habitudes de vie ne sont pas toujours pris en compte dans les recherches. Finalement, les études portant sur les effets de l’exposition aux écrans utilisent généralement un devis transversal, limitant ainsi la portée des résultats quant au maintien des effets à plus long terme ainsi que la détermination du sens de l’association.

Objectif et méthode

Tout en contrôlant différentes caractéristiques des parents et des enfants, cette étude examine les associations possibles entre l’usage des écrans chez les enfants dès l’âge de deux ans et leur développement cognitif, et si ces associations semblent perdurer dans le temps.

Les données proviennent de l’Étude longitudinale française depuis l’enfance (ELFE), une enquête d’envergure nationale déployée en France depuis 2011 et suivant plus de 18 000 nouveau-nés et leurs parents. La présente étude porte sur un sous-échantillon de 8 030 enfants. Les chercheurs ont utilisé des données longitudinales quant à l’exposition aux écrans et le temps d’usage quotidien à l’âge de deux ans, trois ans et demi et cinq ans et demi. Les effets sur le développement (développement cognitif général, habiletés langagières et raisonnement non verbal) ont été évalués aux mêmes âges à l’aide de questionnaires standardisés. Des caractéristiques sociodémographiques en lien avec l’enfant (le sexe, le poids à la naissance, etc.) ou le parent (l’âge de la mère, son niveau de scolarité, etc.) et les facteurs liés aux habitudes de vie (la fréquentation d’un service de garde, la pratique d’activités extérieures, etc.) ont été également pris en compte.

Ce que l’on y apprend

Les analyses suggèrent que durant les premières années de vie, l’utilisation des écrans est associée à un moins bon développement cognitif général, les effets pouvant varier selon l’âge de l’enfant et l’aspect mesuré. Toutefois, la taille des associations diminue considérablement lorsque les caractéristiques sociodémographiques et les habitudes de vie sont prises en compte.

Plus spécifiquement, les enfants qui sont exposés à la télévision au moment des repas à l’âge de deux ans démontrent de moins bonnes compétences langagières au même âge et un développement cognitif moins avancé à trois ans et demi, comparativement aux enfants des foyers où la télévision n’est pas allumée durant les repas. De même, la durée d’usage quotidien des écrans est négativement associée au développement cognitif, mais uniquement de façon transversale. En d’autres mots, plus la durée d’usage est élevée à trois ans et demi ou à cinq ans et demi, plus les compétences cognitives générales des enfants, mesurées au même âge, sont faibles.

Une seule association positive de petite taille est rapportée dans l’étude. En effet, les résultats indiquent que les enfants de trois ans et demi qui ont une durée d’usage plus élevée sont également ceux qui démontrent les meilleures capacités de raisonnement non verbal au même âge. Les auteurs soulignent que plus d’études portant spécifiquement sur le raisonnement non verbal seraient nécessaires avant de conclure à un effet positif.

Conclusion

Les résultats de cette étude suggèrent que l’usage et l’exposition aux écrans pourraient avoir des effets à court et à moyen terme sur les jeunes enfants, notamment sur leur développement langagier et leurs compétences cognitives, et cela, même lorsque des facteurs confondants sont pris en compte. Malgré la petite taille des associations, ces résultats sont préoccupants dans la mesure où le développement global de l’enfant est non seulement rapide et intense durant les premières années de vie, mais également fortement influencé par son environnement. De plus, les habitudes de vie qui sont développées précocement tendent à perdurer à l’âge adulte. En somme, et compte tenu de la présence grandissante des écrans à la période de la petite enfance, les auteurs soulignent l’importance de poursuivre la recherche sur le phénomène des écrans dans différents contextes et de façon longitudinale.

Yang, S., Saïd, M., Peyre, H., Ramus, F., Taine, M., Law, E. C., Dufourg, M.-N., Heude, B., Charles, M.-A., & Bernard, J. Y. (2023). Associations of screen use with cognitive development in early childhood: The ELFE birth cohort. Journal of Child Psychology and Psychiatry. https://doi.org/10.1111/jcpp.13887

L’usage des écrans chez les enfants et ses effets sur le développement de la fonction visuelle à 12 ans

Contexte

L’augmentation du temps d’écran chez les enfants s’accompagne de différents risques pour la santé notamment sur le sommeil et le développement de certaines capacités cognitives, langagières et sociales. D’un point de vue de la santé oculaire, une forte utilisation des écrans a été associée à différents symptômes tels que la fatigue oculaire, la sécheresse oculaire, une vision trouble ainsi qu’un risque plus élevé de développer de la myopie. Toutefois, la recherche dans ce domaine s’est peu attardée aux effets d’une exposition et d’une utilisation modérée des écrans sur le développement de la fonction visuelle chez les enfants.

Objectif et méthode

L’objectif de cette étude est d’évaluer l’association longitudinale entre l’utilisation des écrans chez les enfants et différentes dimensions de la fonction visuelle, notamment l’acuité visuelle, la sensibilité aux contrastes et la vision des couleurs. Pour ce faire, les données de 305 enfants participant à une enquête épidémiologique longitudinale (cohorte PELAGIE, France) ont été analysées par régression linéaire. Les variables principales utilisées dans l’analyse incluent le temps d’écran évalué à l’âge de 6 ans et 12 ans ainsi que les résultats à différents tests de la fonction visuelle évaluée à l’âge de 12 ans. Globalement, le temps d’écran moyen (télévision et jeux vidéo) rapporté par les parents était de 8,3 heures par semaine à l’âge de 6 ans et de près du double à l’âge de 12 ans avec 15,6 heures par semaine. Aucune différence statistiquement significative n’a été relevée pour le temps d’écran selon les sexes.

Ce que l’on y apprend

Les résultats indiquent de façon générale l’absence d’association négative entre l’exposition aux écrans à l’âge de 6 ans et les domaines de la fonction visuelle évaluée à l’âge de 12 ans. Au contraire, l’analyse menée dans cette étude relève certaines associations positives selon les sexes. D’une part, les résultats de l’analyse de régression linéaire indiquent une association statistiquement significative entre le temps moyen passé devant un écran aux écrans à l’âge de 6 ans et une meilleure sensibilité aux contrastes à l’âge de 12 ans. Cependant, lorsque cette association est mise en lien avec différentes variables de contrôle (sexe, taille de la tête à la naissance et indice de masse corporelle) elle ne demeure significative que pour les filles. Quant aux garçons, aucune association significative n’est relevée en ce qui a trait à l’acuité visuelle ou à la sensibilité aux contrastes. Toutefois, les résultats indiquent qu’une plus grande utilisation des écrans est associée à une meilleure perception d’une certaine gamme de couleurs, et ce, uniquement chez les garçons.

Conclusion

Les résultats de cette étude indiquent que, globalement, l’exposition modérée aux écrans chez les enfants n’est pas associée à des effets négatifs sur le développement de la fonction visuelle évalué à l’adolescence. Au contraire, les résultats de cette étude suggèrent que l’utilisation des écrans pourrait être bénéfique pour certaines dimensions de la fonction visuelle des enfants et des adolescents et que ces effets sont différenciés selon le sexe. Ultimement, ces résultats invitent à davantage de recherche relativement aux mécanismes d’influence de l’exposition aux écrans sur le développement de certaines dimensions spécifiques de la fonction visuelle chez les enfants. À cet effet, de futures recherches auraient avantage à évaluer les effets négatifs sur la santé visuelle (ex. : sécheresse oculaire) des jeunes et à employer des mesures objectives de temps d’écran.

Champagne-Hamel, M., Monfort, C., Chevrier, C. et Saint-Amour, D. (2023). Screen Time at 6 Years Old and Visual Function in Early Adolescence. Vision, 7 (4), 63. https://doi.org/10.3390/vision7040063

La dépendance au travail et le stress technologique sont‑ils liés ?

Contexte

La pandémie a accéléré la progression de l’usage des technologies de l’information et de la communication (TIC) dans les milieux de travail, en particulier par l’intermédiaire du travail à distance. Ces nouvelles conditions de travail auraient eu pour conséquences d’augmenter la présence de deux phénomènes chez les travailleurs : la dépendance au travail* (workaholism), qui se caractérise par une forte absorption dans le travail et une difficulté à se déconnecter des exigences du travail, ainsi que le stress technologique provoqué par la nature et l’usage des technologies (surcharge, invasion, complexité). Plusieurs éléments liés à chacun de ces phénomènes laissent penser qu’ils pourraient être liés et s’interinfluencer notamment par le fait que la technologie permet de travailler en tout temps et en tout lieu.

Objectif et méthode

Cette étude a évalué la direction de la relation entre la dépendance au travail (DT) et le stress technologique (ST). Les auteurs ont testé deux hypothèses à savoir si le stress technologique, dû à une utilisation intensive des TIC, conduit à une dépendance au travail chez les employés ou si c’est l’inverse. Pour ce faire, une enquête en ligne a été menée en Italie durant la pandémie, auprès de 113 employés (78,8 % étaient des employés de bureau, 11,5 % des travailleurs temporaires, 6,2 % des pigistes et 3,5 % occupaient des postes de direction). Ces derniers ont rempli un questionnaire à deux reprises à trois mois d’intervalle durant le pic de la troisième vague du SRAS-CoV-2 en Italie (avril-juillet 2021). L’analyse a permis de tester, entre le temps 1 et 2, quatre modèles de relations entre la dépendance au travail et le stress technologique (modèle 1 : DT et ST sont deux phénomènes indépendants ; modèle 2 : liens croisés DT-T1 et ST-T2 ; modèle 3 : liens croisés DT-T1 et DT-T2 ; modèle 4 : liens croisés entre DT et ST).

Ce que l’on y apprend

Les résultats indiquent que la dépendance au travail au temps 1 prédit significativement le stress technologique au temps 2, alors que la relation inverse n’est pas significative. Seule l’hypothèse du modèle 2 a été validée. Ce résultat est cohérent avec la littérature et les caractéristiques des personnes dépendantes au travail. En effet, les personnes dépendantes au travail qui se caractérisent par un investissement excessif dans leur travail utiliseraient de façon accrue la technologie afin de mieux faire face aux exigences du travail, par exemple en prolongeant le temps de travail.

Au vu des résultats, les auteurs soulignent également que le contexte de travail demeure crucial dans l’apparition de ces deux phénomènes. Ainsi, pour prévenir leur apparition, les organisations peuvent, par l’intermédiaire de politiques, diminuer les contextes de travail qui encouragent des attitudes de travail excessif (ex. : fortes contraintes de temps ou surcharge de travail), favoriser une culture de récupération et encourager l’équilibre travail et vie personnelle par le respect d’horaires spécifiques.

Conclusion

Si les résultats de l’étude révèlent que la dépendance au travail favorise le stress technologique, l’échantillon demeure trop petit pour prétendre à la représentativité des résultats. De plus, les mesures comportent un biais de désirabilité sociale, celles-ci étant autodéclarées. Explorer davantage la relation entre la dépendance au travail et le stress technologique demeure alors pertinent, dans la mesure où les résultats de ces études permettraient d’aider les gestionnaires et les organisations à développer des environnements de travail plus sains et d’améliorer les expériences des employés avec les TIC.

* « La dépendance au travail n’est pas une condition formellement définie comme un trouble mental, mais elle partage un certain nombre de caractéristiques avec d’autres formes de dépendance » OQLF, 2019.

Buono, C., Farnese, M L., Spagnoli, P., (2023). The Workaholism—Technostress Interplay: Initial Evidence on Their Mutual Relationship. Behav. Sci. 2023, 13(7), 599. https://www.mdpi.com/2076-328X/13/7/599

Nouvelles publications INSPQ

Rédaction

Yan Ferguson, conseiller scientifique
Fanny Lemétayer, conseillère scientifique

Andréane Melançon, conseillère scientifique spécialisée
Unité Santé et bien-être des populations
Direction du développement des individus et des communautés

Avec la collaboration de

Marie-Claude Roberge, conseillère scientifique
Coordonnatrice de l’équipe écrans/santé mentale/suicide

Révision

Julie Laforest, cheffe d’unité scientifique
Unité santé et bien-être des populations
Direction du développement des individus et des communautés

Révision linguistique

Sophie Michel, agente administrative
Direction du développement des individus et des communautés

 

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