15 juin 2006

Étude des îlots de chaleur montréalais dans une perspective de santé publique

Article
Auteur(s)
Geneviève Lachance
Université du Québec à Montréal
Yves Baudouin
Université du Québec à Montréal
Frédéric Guay
Consortium Ouranos

En cette période estivale, une promenade dans les rues de Montréal est tout indiquée pour se rendre compte que certains secteurs ont des températures élevées alors que d’autres présentent des températures plus fraîches. Ce phénomène, appelé îlot de chaleur urbain, est étudié depuis plusieurs décennies sous de multiples points de vue. Plusieurs grandes villes d’Amérique du Nord (ex. Atlanta, Chicago, Houston, Toronto) s’y sont intéressées au moment de l’industrialisation au XIXe siècle puis lors de périodes de chaleur accablante estivales, survenues au début des années 1990. Dans une perspective globale de changements climatiques, une augmentation de la fréquence (nombre accru de journées de chaleur accablante) et de l’amplitude (intensité et longueur) des vagues de chaleur estivale est anticipée1,2, accordant ainsi une importance nouvelle aux îlots de chaleur.

Le phénomène des îlots de chaleur peut affecter la santé des populations. Les périodes de chaleur intense coïncident avec une augmentation de la morbidité et de la mortalité chez certains groupes plus vulnérables3,4,5,6. Sont concernées plus spécifiquement, les personnes âgées, seules, défavorisées d’un point de vue socio-économique et atteintes de maladies chroniques. En présence d’îlots de chaleur, l’impact des chaleurs intenses sur ces populations est accru2,6,7. Il est donc nécessaire d’intensifier les activités de sensibilisation au phénomène des îlots de chaleur en milieu urbain dans une perspective de santé publique. Pour ce faire, l’article traite d’abord du système relationnel dans lequel se développent les îlots de chaleur, définit la notion d’îlot de chaleur et souligne les études entreprises à ce sujet à l’échelle montréalaise.

Modèle relationnel des îlots de chaleur

L’étude des îlots de chaleur présentée ici s’appuie sur l’existence de relations et d’interactions recensées entre les populations, les composantes du tissu urbain et les îlots thermiques. L’expression «tissu urbain» réfère ici à la combinaison d’éléments physiques formant une ville, dont le type d’occupation du sol (ex. résidentiel, industriel, espace vert), les matériaux de surface (ex. brique, béton, pierre, asphalte) et le réseau routier.

Les populations modifient constamment le tissu urbain au moyen de pratiques d’aménagement mises de l’avant par des décisions politiques et économiques. Les composantes du tissu urbain ainsi créées, par leurs capacités diverses à emmagasiner et à libérer de la chaleur, influent sur le climat local et favorisent la formation ou l’aggravation de l’effet d’îlot de chaleur. Or, l’effet d’îlot thermique augmente la vulnérabilité des populations urbaines aux chaleurs accablantes en période estivale, comparativement à celles vivant en banlieue ou en milieu rural. Il arrive que les écarts de température enregistrés à l’intérieur du milieu urbain soient même plus prononcés que ceux observés entre le milieu urbain et le milieu rural8.

Qu’est-ce qu’un îlot de chaleur?

Les îlots de chaleur sont des secteurs urbanisés caractérisés par des températures de l’air ou du sol plus élevées de 5 à 10 oC que l’environnement immédiat du point de prise de mesure9,10,11. La formation, l’intensité et la variabilité spatio-temporelle des îlots de chaleur sont associées à six principaux facteurs, de nature :

  • climatique (ciel clair, absence de vent, pollution atmosphérique);
  • énergétique (rejet de chaleur provenant de la consommation énergétique);
  • géographique (emplacement de la ville);
  • morphologique (densité des bâtiments, concentration et taux de croissance des végétaux);
  • politique (pratiques d’aménagement du territoire);
  • structurelle (taille de la ville, rapport de surface minéralisée/végétalisée, occupation du sol).

À titre d’exemple, le secteur localisé de part et d’autre de l’avenue du Parc à l’intersection de la rue Bernard illustre ces propos (voir figure 1). À l’ouest de l’avenue du Parc, les températures fraîches (»25 oC) sont situées dans un secteur résidentiel avec présence de végétation. À l’est de l’avenue du Parc, les températures plus élevées (»30 oC) sont également situées dans un secteur résidentiel, mais ayant peu de végétation.

Figure 1. Variation des températures selon le couvert végétal

 

Depuis une trentaine d’années, la communauté scientifique reconnaît l’existence de trois grandes catégories d’îlot de chaleur: «urban boundary layer», «urban canopy layer» et «ground surface». À l’échelle journalière, les îlots de chaleur de type «boundary layer» et «canopy layer», caractérisés par des températures de l’air élevées, sont à leur maximum d’intensité la nuit12. Par opposition, les îlots de chaleur de type «ground surface» ont habituellement une plus forte intensité et une plus grande variation spatiale en cours d’après-midi. Ce type d’îlot se développe sous forme d’archipel (petits îlots de tailles et de formes différentes) et est davantage représentatif des écarts thermiques intra-urbains8. Pour cette raison, la présente étude s’attarde à ce type d’îlot.

Études des îlots de chaleur montréalais

Considérant les problèmes de santé liés à la problématique des chaleurs accablantes, un projet de recherche(a) financé en majeure partie par le Fonds d’actions pour les changements climatiques ainsi que par Ouranos et Environnement Canada, vise le développement d’une approche souple et économique ayant pour but d’identifier, sur une base récurrente, les secteurs montréalais à risque lors de chaleurs accablantes. Ce projet d’étude s’intègre dans un programme de protection de la population contre la chaleur intense estivale. Il servira de modèle pour d’autres villes canadiennes qui initient leurs propres programmes d’adaptation et de protection aux changements climatiques. Des rapprochements avec la ville de Toronto sont d’ailleurs en cours présentement.

Pour la réalisation de ce projet, la méthodologie privilégiée se base sur le croisement de données spatio-temporelles, socio-économiques (recensement et rôle d’évaluation foncière), sanitaires, thermiques et du tissu urbain au moyen d’un système d’information géographique (SIG). Le Département de géographie de l’Université du Québec à Montréal analyse spécifiquement l’évolution spatio-temporelle au sol des îlots thermiques montréalais sur une période minimale de vingt ans. Pour ce faire, des images satellites sont utilisées (Landsat 5 et 7). Le Département participe à l’élaboration du SIG en évaluant les relations entre les îlots thermiques, les profils socio-économiques de la population et le milieu environnant (données contextuelles). Les résultats obtenus orienteront les études portant sur l’identification des pratiques d’aménagement appropriées pour réduire l’effet d’îlot de chaleur à Montréal.

Deux prototypes ont préalablement été développés afin d’approfondir les relations entre l’intensité thermique au sol et l’occupation du sol à Montréal, de même que sur la dynamique entre l’intensité thermique au sol, le profil socio-économique de la population et les composantes du tissu urbain dans les secteurs résidentiels de Montréal. Les deux prototypes sont basés sur l’utilisation d’un SIG et d’une image thermique de surface acquise par télédétection (Landsat 7 ETM+ bande 6.1) le 11 août 2001 en avant-midi.

Résultats des prototypes

Les résultats du premier prototype développé indiquent que les taxons (types d’occupation du sol définis par l’ancienne Communauté urbaine de Montréal), que l’on qualifie de fortement minéralisés (centre de détails, centre commercial, service d’utilité publique et industrie), sont associés à des températures élevées variant de 31 oC à 37 oC13. Quant aux taxons plus végétalisés (espace vert, golf, cimetière, espace rural et espace vacant), ils sont associés à des températures plus fraîches, variant de 19 oC à 28 oC.

Les résultats du second prototype confirment par ailleurs qu’il est possible, mais complexe, d’associer des données à caractère social et environnemental14. Une relation statistiquement significative entre les éléments thermiques, sociaux et urbains est difficile à établir puisque l’îlot de chaleur est largement influencé par des éléments contextuels situés à proximité. Ainsi, les valeurs thermiques les plus fraîches à l’échelle montréalaise sont situées près de plans d’eau comme le lac Saint-Louis, le lac des Deux-Montagnes et la rivière des Prairies, de même qu’aux abords de zones au couvert végétal dense (ex. Parc du Mont-Royal). Au contraire, les secteurs résidentiels ayant une intensité thermique élevée sont fréquemment situés au centre-est de l’Île, près de secteurs commerciaux, industriels et de services d’utilité publique. À titre d’exemple, deux secteurs de densité résidentielle moyenne, situés dans Mercier/Hochelaga-Maisonneuve, présentent des températures moyennes très différentes (35 oC et 29 oC) (figure 2). Le secteur le plus chaud est situé à proximité d’une zone industrielle (Emballages Paperboard inc.- surface bétonnée) alors que le plus frais côtoie une zone de verdure (parc Dickson/Monsabré).

Figure 2. Influence de l’occupation du sol dans Mercier/Hochelaga-Maisonneuve

De plus, certaines relations entre l’intensité thermique au sol, le profil socio-économique de la population et les composantes du tissu urbain ont été mises en évidence au moyen d’une analyse factorielle. Les résultats suggèrent que la densité du tissu urbain (définie en fonction de l’intensité thermique, de la densité résidentielle et de la valeur foncière des immeubles au mètre carré - m2) représente le principal facteur structurant le territoire. Cela signifie que les secteurs ayant une intensité thermique et une densité résidentielle élevées (arrondissements centraux) s’opposent à ceux dont la valeur foncière des immeubles/m2 est élevée (arrondissements à l’ouest de l’Île et au pourtour du Mont-Royal). Par contre, aucun facteur regroupant l’intensité thermique et des variables socio-économiques n’a été généré.

Les prototypes développés concernant les îlots de chaleur fournissent des renseignements qui orientent le développement du projet de recherche en cours pour l’identification des secteurs montréalais à risque lors de chaleurs accablantes.

CONCLUSION

Au Québec, les îlots de chaleur représentent une nouvelle source de préoccupation de santé publique en milieu urbain. En présence d’îlots thermiques les populations sont plus sensibles aux chaleurs accablantes, ce qui se traduit par des hausses de mortalité et de morbidité. Or, dans une perspective de changements climatiques, une augmentation de l’intensité et de la fréquence des vagues de chaleur accablante est envisagée.

L’approche méthodologique privilégiée dans l’étude des îlots de chaleur montréalais génère des données thermiques réalistes. En effet, les données thermiques ont été validées avec celles obtenues aux stations météorologiques d’Environnement Canada. De plus, l’approche proposée s’avère économique et applicable à d’autres villes canadiennes. En effet, le coût d’achat d’une image satellite représentant la chaleur à la surface du territoire est abordable pour les municipalités et/ou les organismes publics.

Enfin, les conséquences sanitaires de la canicule survenue en France à l’été 2003 ont démontré aux autorités publiques l’importance d’anticiper les complications reliées aux vagues de chaleur. Elles ont aussi confirmé la nécessité de développer des dispositifs visant à réduire l’impact négatif des chaleurs intenses sur les populations vulnérables. Depuis cet événement, diverses sphères d’interventions montréalaises ont été progressivement sensibilisées au phénomène des îlots de chaleur, que ce soit dans une perspective de santé publique ou de qualité de vie globale.

Références

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  14. Lachance, G., 2005. Prototype d’évaluation de la dynamique entre l’intensité thermiques estivale, la population et les composantes du tissu urbain en milieu résidentiel à Montréal. Mémoire de maîtrise, Institut des sciences de l’environnement, Université du Québec à Montréal, Montréal. 87 p.

(a) Partenariat entre l'Université du Québec à Montréal, la Direction de santé publique de Montréal, Environnement Canada, l'Institut national de santé publique du Québec, l'Université de Montréal, Ouranos et la Ville de Montréal.