Écrans et hyperconnectivité - Veille analytique, printemps 2024

Résumés d’articles

Accès à un écran dans la chambre à coucher et difficultés scolaires et sociales

Contexte

L’exposition et l’utilisation des écrans chez les jeunes ont augmenté dans les dernières années. Or, l’usage intensif des écrans est associé à des effets négatifs sur la santé et le développement des jeunes. En conséquence, différentes associations professionnelles ont émis des lignes directrices sur l’utilisation des écrans chez les jeunes dans les dernières années. Ces lignes recommandent entre autres de limiter le temps passé devant un écran, et invitent à limiter leur présence dans les espaces privés, notamment dans les chambres à coucher. À cet effet, différentes études rapportent une association significative entre la présence d’écrans dans la chambre à coucher et une augmentation du temps d’écran global chez les jeunes. Toutefois, peu d’études se sont penchées sur l’association entre l’accès et l’utilisation des écrans dans la chambre à coucher et le fonctionnement social et scolaire.

Objectif et méthode

Cette étude vise à évaluer de façon prospective l’association entre l’accès à un écran (télévision ou ordinateur) dans la chambre à coucher au début de l’adolescence (12 ans) et la présence de difficultés scolaires et sociales à la fin de l’adolescence (17 ans).

Pour ce faire, les auteurs ont analysé les données de la cohorte de l’Étude longitudinale du développement des enfants du Québec (ELDEQ) composée de 1 347 individus (661 filles et 686 garçons). Les variables étudiées étaient la présence d’une télévision ou d’un ordinateur dans la chambre à coucher à 12 ans (évaluée en 2010) et divers indicateurs de réussite scolaire (notes globales, risque de décrochage scolaire) et de relations positives (comportement prosocial et relation amoureuse récente) mesurés à 17 ans (évaluée en 2015). Cette association a été mesurée à l’aide d’une analyse de régression linéaire multivariée en contrôlant différentes caractéristiques individuelles (problèmes de tempérament, habiletés neurocognitives et temps d’écran autodéclaré) et familiales (scolarité de la mère, symptômes dépressifs de la mère, comportements antisociaux des parents, dysfonctionnement familial, configuration familiale et revenu familial) évaluées à différents moments durant l’enfance. Les analyses ont également été stratifiées selon le sexe des individus.

Ce que l’on y apprend

Les résultats indiquent que la présence d’une télévision ou d’un ordinateur dans la chambre à coucher au début de l’adolescence est significativement associée à de plus faibles résultats scolaires, un plus grand risque de décrochage scolaire et une plus faible probabilité d’avoir vécu une relation amoureuse au cours des 12 derniers mois à 17 ans comparativement aux adolescents qui n’avaient pas d’écrans dans leur chambre à coucher à 12 ans et ce, tant chez les filles que les garçons. Les résultats soulignent également que la présence d’un écran dans la chambre à coucher au début de l’adolescence est significativement associée à un niveau de comportement prosocial inférieur à 17 ans chez les garçons uniquement. Enfin, les auteurs relèvent l’absence d’associations significatives entre le temps d’écran autodéclaré à 12 ans et les résultats sur les sphères sociales et scolaires évalués à 17 ans. Cela suggère que la nature non supervisée associée à l’utilisation des écrans dans un cadre privé serait potentiellement plus indicative de l’effet subséquent sur les résultats scolaires et sociaux que la mesure du temps d’écran au début de l’adolescence. 

Conclusion

Les résultats de cette étude laissent présager des effets délétères de l’accessibilité aux écrans dans les espaces privés, nommément la chambre à coucher, des jeunes adolescents. Plus précisément, l’accès facilité aux écrans et leur utilisation sans supervision dans les espaces privés occasionneraient un déplacement du temps qui pourrait autrement être utilisé pour participer à des activités sociales permettant d’acquérir des compétences sociales utiles à l’âge adulte. Il est à noter que les données d’enquête analysées dans le cadre de cette étude ne contiennent pas de questions quant à l’utilisation de nombreux type d’appareils mobiles tels que les tablettes et téléphones cellulaires qui ont émergé dans les dernières années. Malgré cela, ces résultats valident et appuient l’importance de renforcer les recommandations existantes recommandant de garder les écrans hors de la chambre à coucher et limiter l’accès à ceux-ci dans les espaces privés.

Gauthier, B. et Pagani, L. S. (2024). Accès aux écrans dans les espaces privés au début de l’adolescence et difficultés scolaires et sociales à la fin des études secondaires chez les garçons et les filles. Promotion de la santé et prévention des maladies chroniques au Canada, 44 (2), 41‑49.


L’usage des écrans chez les parents et le développement global de leurs jeunes enfants

Contexte

La petite enfance représente une période propice au développement et à l’acquisition de compétences cognitives, motrices et sociales. Bien que de nombreuses recherches aient examiné l’influence des habitudes et attitudes des parents envers les médias numériques sur celles de leurs enfants, peu ont porté sur les habitudes numériques des parents et leurs possibles influences sur l’acquisition des compétences développementales des enfants.

Objectif et méthode

Cette étude longitudinale vise à mieux comprendre l’association entre l’usage parental des écrans et le développement global de l’enfant d’âge préscolaire.

Un total de 315 parents et leurs enfants âgés de 2 à 5 ans, vivant en Nouvelle-Écosse, ont été interrogés en deux temps. En 2020, lors de la première vague de la pandémie de COVID-19, ils ont répondu en ligne au Media Assessment Questionnaire (MAQ) alors que leur enfant avait 3,5 ans. Ce questionnaire avait pour but de mesurer leur temps d’écran et celui de leur enfant. Un an plus tard, ils ont répondu à un questionnaire évaluant le développement global de l’enfant alors qu’il avait atteint l’âge de 4,5 ans (the Ages and Stages Questionnaire). Ce questionnaire examine cinq domaines de développement de l’enfant incluant : la communication, la motricité fine, la motricité globale, la résolution de problèmes et le développement personnel et social.

Les auteurs ont réalisé des analyses de régression linéaire multivariée et ont contrôlé le temps d’écran, le sexe et la scolarité des parents. 

Ce que l’on y apprend

Les résultats montrent que les parents ont passé en moyenne 6,35 h par jour devant les écrans, et 3,43 h par jour pour les enfants. Le nombre d’heures de temps d’écran des parents est associé à des scores de développement global de l’enfant plus faibles un an plus tard. Plus précisément, le temps d’écran des parents est corrélé négativement avec certains sous-domaines du développement global tels que la communication de l’enfant, le développement de la motricité globale et la résolution de problèmes.

De plus, les auteurs observent une association linéaire où chaque heure de temps d’écran quotidien chez les parents fait diminuer de 1,25 point les scores obtenus sur l’échelle de développement global de l’enfant. Ces résultats confirment l’hypothèse du déplacement, selon laquelle le temps d’écran remplace des activités parent-enfant susceptibles de favoriser le développement global de l’enfant dans les domaines physique, cognitif et social.

Conclusion

Les conclusions de cette étude suggèrent que l’augmentation du temps que les parents passent devant les écrans peut influencer le développement optimal des enfants d’âge préscolaire. Bien que l’étude repose sur un échantillon de convenance relativement homogène et à faible risque, les résultats suggèrent l’importance de : 1) sensibiliser davantage les parents à leurs propres usages des écrans et à leurs effets potentiels sur le développement des enfants et, 2) les encourager à favoriser des activités sans écran avec leur enfant telles que les jeux imaginaires, les activités physiques ou la lecture partagée de livres.

Fitzpatrick, C., Johnson, A. Laurent, A., Begin, M. Harvey, E. (2024). Do parent media habits contribute to child global development? Sec. Developmental Psychology Volume 14 – 2023


Temps d’écran et sommeil des adolescents canadiens durant la pandémie de COVID-19

Contexte

En raison des mesures de confinement liées à la pandémie, l’utilisation des écrans s’est intensifiée dans la population. Or, cette habitude de vie est associée à plusieurs répercussions sur la santé physique et mentale. En l’occurrence, la durée et la qualité du sommeil, qui sont essentielles au bon développement, à la santé et au bien-être des adolescents, peuvent être affectées par cette activité sédentaire. D’une part, à cause d’une exposition à un écran dans l’heure précédant le coucher, et d’autre part, en raison d’une exposition prolongée à un écran durant la journée.

Objectif et méthode

Afin d’observer les changements dans les habitudes de vie des jeunes durant la pandémie de COVID-19, cette étude examine l’évolution conjointe de la durée du sommeil et du temps passé devant un écran, entre 2018 et 2022 chez des adolescents vivant au Québec. Les analyses statistiques ont été réalisées à partir de l’étude longitudinale COMPASS menée auprès d’adolescents fréquentant 63 écoles secondaires au Québec.

À l’aide d’une modélisation par équation structurelle, l’évolution conjointe de la durée du sommeil et du temps passé devant un écran ont été analysés en considérant le niveau de bien-être, le sexe, l’âge et le niveau familial de défavorisation matérielle. 

Ce que l’on y apprend

Les analyses ont été réalisées sur un total de 28 307 adolescents, âgés en moyenne de 14,9 ans qui ont répondu aux questionnaires entre mars 2018 et mai 2022.

Entre 2019 et 2022, la durée du sommeil a légèrement augmenté (+10 min) atteignant en moyenne 8,4 h/jour en 2022. Durant la même période, le temps passé devant un écran a subi une augmentation notable (+129 min soit +2,2 h/jour). 

Le temps d’écran moyen a varié d’une année à l’autre dans l’échantillon, passant de 364 minutes (6,1 heures) par jour en 2018 à 460 minutes par jour (7,7 heures) en 2022. Au fil du temps, les filles ont rattrapé leur écart avec les garçons en matière de temps d’écran (écart de 21 min en 2019, 6 min en 2022).

Par conséquent, en 2022, les adolescents ont passé presque autant de temps à dormir qu’à utiliser des écrans. Les adolescents ayant un niveau de bien-être plus faible avaient tendance à avoir une durée de sommeil plus courte et un temps d’écran plus long que ceux ayant un niveau de bien-être élevé. 

L’analyse de l’évolution conjointe de la durée du sommeil et de l’exposition aux écrans montre qu’en 2019, 2021 et 2022, une augmentation de 30 minutes du temps passé devant un écran était corrélée à une diminution d’environ deux minutes de la durée du sommeil. Aussi, la durée du sommeil de l’année précédente était positivement liée à la durée du sommeil de l’année en cours. Une tendance comparable a été observée pour le temps d’écran. En 2022, les adolescents passaient 7,5 heures devant un écran et avaient perdu en moyenne 30 minutes de sommeil par jour soit 15 heures par mois. 

Conclusion

Les résultats de cette analyse suggèrent l’importance de porter un regard simultané sur les habitudes de sommeil et d’usage des écrans des adolescents, autant pour la surveillance de leur évolution que pour les activités de promotion/prévention. Par ailleurs, des interventions visant l’amélioration du bien-être des adolescents tout en faisant la promotion des lignes directrices canadiennes en matière de mouvement sur 24 h, par exemple dans le milieu scolaire, constituent une priorité selon les auteurs.

Poirier, K., Gauvin, L., Haddad, S., Bélanger, R. E., Leatherdale, S. T., Turcotte-Tremblay, A-M. Evolution of Sleep Duration and Screen Time Between 2018 and 2022 Among Canadian Adolescents: Evidence of Drifts Accompanying the COVID-19 Pandemic. Journal of Adolescent Health, 02- 2024.


Effet prédicteur de l’usage des écrans durant la petite enfance sur le développement du vocabulaire : une étude longitudinale

Contexte

Les premières années de l’enfant sont fondamentales pour le développement de son langage, et c’est principalement par la stimulation que lui procurent ses parents et les interactions avec eux que ses compétences langagières se construisent. Cependant, la présence de plus en plus importante des écrans dans le quotidien des familles et des enfants pourrait être nuisible, entre autres à cause des interruptions qui résultent de leur utilisation. D’un autre côté, certaines recherches ont souligné des associations positives entre l’usage de la technologie et l’acquisition du vocabulaire des tout-petits. Les études longitudinales qui permettent d’examiner dans le temps les effets qui découlent de l’usage des écrans sur le développement du langage sont à ce jour encore peu nombreuses.

Objectif et méthode

Cette étude avait pour objectif d’étudier l’association prospective entre les habitudes d’usage des écrans chez les enfants, de l’âge de 10 mois à cinq ans, et le développement de leur vocabulaire. Pour y parvenir, les chercheurs ont utilisé un devis longitudinal avec trois temps de mesure auprès d’enfants suédois. L’échantillon final comprenait 72 enfants ayant un développement typique. La majorité des familles était de statut socioéconomique aisé (revenu familial et scolarité).

Lors des deux premiers temps de mesure, à 10 mois et à deux ans, les parents ont rempli des questionnaires standardisés évaluant la compréhension et la production langagière de l’enfant. Le troisième temps de mesure a eu lieu aux cinq ans de l’enfant, et sa compréhension a été évaluée par des professionnels formés à l’aide d’une tâche standardisée. Les parents ont également rapporté le temps d’usage du téléphone, de la tablette ou de la télévision de leur enfant à chacun des trois temps de mesure. Pour les analyses statistiques, les chercheurs ont évalué les associations bivariées entre les variables « langage » et « écrans » à chacun des temps de mesure. Un modèle d’équation structurelle a également été construit afin de rendre compte de l’effet des différentes variables de façon transversale, mais également longitudinale.

Ce que l’on y apprend

L’usage quotidien des écrans augmente avec l’âge de l’enfant, et les durées des trois temps de mesure sont significativement corrélées. Effectivement, les enfants qui font un usage plus élevé des écrans à 10 mois le feront également davantage à 2 ans et à 5 ans. Autrement dit, les résultats soulignent qu’il existe des patrons prévisibles d’usage des écrans chez l’enfant, entre 10 mois et cinq ans. En moyenne, l’utilisation est de 31 minutes à 10 mois, 78 minutes à deux ans, et 115 minutes à cinq ans.

Les analyses corrélationnelles démontrent une relation négative significative entre l’usage des écrans à 10 mois, deux ans et cinq ans, et la mesure du vocabulaire à cinq ans. De plus, le modèle structurel révèle un effet prédicteur de l’usage des écrans à partir de deux ans sur le vocabulaire au même âge et à cinq ans. En d’autres termes, le temps que passe l’enfant à utiliser les écrans à deux ans est un meilleur prédicteur de son niveau de compétence langagière subséquent, que le niveau de compétence évalué antérieurement.

Conclusion

Les premières années sont primordiales dans le développement du langage. Selon les auteurs de l’étude, il est important de se préoccuper de l’usage des écrans chez les tout-petits, dans la mesure où l’augmentation de la durée d’utilisation est négativement associée à l’acquisition de leur développement langagier, et ce, dès les premiers mois. Relativement à la composition majoritairement aisée de leur échantillon, les auteurs soulignent également la nécessité d’étudier d’autres groupes de la population au regard de leurs caractéristiques socioéconomiques. Finalement, ils mentionnent l’importance de poursuivre la recherche longitudinale afin de dégager les patrons d’utilisation et leur effet sur le développement langagier.

Sundqvist, A., Barr, R., Heimann, M., Birberg-Thornberg, U. et Koch, F.-S. (2024). A longitudinal study of the relationship between children’s exposure to screen media and vocabulary development. Acta Paediatrica, 113(3), 517‑522.

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Rédaction

Yan Ferguson, conseiller scientifique 
Fanny Lemétayer, conseillère scientifique 
Andréane Melançon, conseillère scientifique spécialisée
Unité Santé et bien-être des populations
Direction du développement des individus et des communautés

Avec la collaboration de

Marie-Claude Roberge, conseillère scientifique
Coordonnatrice de l’équipe Écrans/Santé mentale/Suicide

Révision

Julie Laforest, cheffe d’unité scientifique
Unité Santé et bien-être des populations
Direction du développement des individus et des communautés

Révision linguistique

Marie-Cloé Lépine, agente administrative
Direction du développement des individus et des communautés