Écrans et hyperconnectivité - Veille analytique, automne 2022

Voici le tout premier bulletin de la veille scientifique de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) présentant les plus récentes connaissances sur l’utilisation des écrans, l’hyperconnectivité et les risques pour la santé des populations.

Dans ce numéro


Associations entre le binge-watching et cinq préoccupations liées à la santé mentale

Contexte

Les auteurs de cette étude expliquent que le phénomène relativement nouveau du binge-watching ou du visionnement en rafale[1] consiste à regarder des vidéos en ligne ou du contenu diffusé en continu (y compris des séries télévisées).

La pratique du visionnement en rafale, un loisir pour certaines personnes, semble entraîner, entre autres, l’adoption de comportements sédentaires, un dérèglement du sommeil ou une négligence des relations sociales. Il peut s’en suivre des risques pour la santé physique et mentale, tels que la dépression, la solitude, les problèmes de sommeil, l’anxiété et le stress.

Durant la pandémie de COVID-19, plusieurs études rapportent que les restrictions sanitaires, la détresse psychologique et la promotion faite par les chaînes de diffusion en continu (streaming) pourraient avoir favorisé les comportements de visionnement en rafale.

Objectifs et méthode

La présente revue systématique avec une méta-analyse examine l’association entre la pratique du visionnement en rafale et cinq préoccupations liées à la santé mentale (la dépression, la solitude, les problèmes de sommeil, l’anxiété et le stress). Elle accorde également une attention à vérifier si des différences sont observables avant et pendant la pandémie de la COVID-19, ainsi qu’entre les pays en voie de développement et les pays développés.

Pour ce faire, seize études transversales impliquant 8077 individus âgés de 18 à 68 ans inclusivement ont été analysées.

Qu’est-ce qu’on y apprend?

Dans l’ensemble, les associations entre le visionnement en rafale et les cinq préoccupations liées à la santé mentale abordés dans cette étude sont positives et significatives. Les associations les plus robustes sont entre le visionnement en rafale et, respectivement, le stress et l’anxiété.

En ce qui concerne leur évolution depuis le début de la pandémie de COVID-19, les associations entre le visionnement en rafale et la dépression, la solitude et les problèmes de sommeil sont apparues plus fortes pendant la pandémie par rapport à avant. Cela dit, des études supplémentaires sont nécessaires considérant que seulement cinq études incluses dans cette méta-analyse abordent la période pandémique.

Pour terminer, des associations plus fortes sont globalement observées entre le visionnement en rafale et, respectivement, le stress et les problèmes de sommeil dans les pays en développement par rapport aux pays développés.

Les auteurs soulignent plusieurs limites à leur étude. D’abord, les études incluses dans la méta-analyse sont toutes transversales et exclusivement rédigées en anglais. Certaines études présentent des méthodologies de faible qualité. Aussi, bien que valides et fiables, les instruments pour mesurer le visionnement en rafale et les problèmes de santé mentale varient d’une étude à l’autre. Il existe donc un risque qu’ils aient mesuré des construits différents.

Conclusion

Ces résultats suggèrent de porter attention aux comportements de visionnement en rafale des individus considérant leurs associations avec le stress, la solitude, la dépression, l’anxiété et les problèmes de sommeil. Une meilleure compréhension des causes ou des conséquences du visionnage en rafale en lien avec les difficultés psychologiques serait pertinente en vue de réduire les risques pour la santé.

Alimoradi, Z., Jafari, E., Potenza, M.N., Lin, C.-Y., Wu, C.-Y., & Pakpour, A.H. (2022). Binge-watching and mental health problems: A systematic review and meta-analysis. International Journal of Environmental Research and Public Health, 19, 9707.


Progression de la myopie chez les jeunes durant la pandémie de COVID-19 : temps d’écran et activités en plein air

Contexte

Pour contrer la propagation de COVID-19, de nombreux pays ont adopté des mesures de restrictions comme le confinement et l’école en ligne. Ces restrictions ont eu une incidence sur le temps passé devant les écrans et celui consacré à des activités extérieures, qui sont deux facteurs de la progression de la myopie selon les auteurs.

Objectifs et méthode

Cette revue systématique avec méta-analyse compare la progression de la myopie chez les jeunes avant la pandémie de COVID-19 et pendant le confinement. Elle explore également le temps passé devant un écran et le temps consacré aux activités extérieures, et leurs liens avec la progression de la myopie.

Dix articles au total ont été inclus dans cette méta-analyse ce qui représente un total de 404 177 jeunes (enfants et adolescents de moins de 19 ans).

Qu’est-ce qu’on y apprend?

Cette revue montre que le confinement a eu des effets sur la progression de la myopie chez les enfants. Plus précisément, deux facteurs ont aggravé la progression de la myopie chez les enfants pendant la pandémie de COVID-19 soit : l’augmentation du temps passé devant un écran et la diminution du temps d’activité en plein air.

L’analyse par sous-groupe a montré une progression de la myopie chez les enfants de 5 à 7 ans et ceux de 8 à 10 ans, mais pas de différences significatives avant et durant la pandémie pour les adolescents de 11 à 18 ans. Au regard de la littérature, les auteurs font l’hypothèse qu’en plus de se trouver à un stade critique du développement de la myopie, les jeunes enfants ont possiblement été plus sensibles aux changements de mode de vie entraînés par le confinement.

Toutes les études incluses dans cette méta-analyse ont obtenu un score élevé de qualité. Par ailleurs, les auteurs relèvent des limites. Premièrement, la taille de l’échantillon de cette méta-analyse demeure faible, rendant impossible l’analyse par pays pour considérer les variations dans les choix de mesures de restrictions. De plus, l’ensemble des études étaient observationnelles, la taille des échantillons très variables et les études provenaient de différents pays causant une forte hétérogénéité et un biais de publication.

Conclusion

Ces résultats suggèrent la mise en place d’actions venant des décideurs politiques, des professionnels de la vue, des éducateurs et des parents pour diminuer le temps d’écran et augmenter le temps passé à l’extérieur afin que les enfants conservent des modes de vie plus sains. Il est également recommandé de privilégier l’utilisation de projecteurs ou de téléviseurs qui ont une incidence moins grande sur la santé des yeux que les petits appareils tels que les cellulaires ou les tablettes maintenus plus près des yeux.

Yang Z., Wang X, Zhang S., Ye H, Chen Y. and Xia Y. (2022). Pediatric Myopia Progression During the COVID-19 Pandemic Home Quarantine and the Risk Factors: A Systematic Review and Meta-Analysis.
Front Public Health.


Le sommeil des adolescents canadiens et l’usage des écrans durant la pandémie de COVID-19

Contexte

Les auteurs rapportent que la majorité des adolescents canadiens ne rencontrent pas les Directives canadiennes en matière de mouvement sur 24 heures[2]; ils passent plus de deux heures par jour devant un écran et dorment moins de neuf heures par nuit. Sachant que les habitudes de vie liées aux écrans et au sommeil ont été mises à mal au début de la pandémie de COVID-19, l’étude vise d’abord à documenter l’usage récréatif des écrans et la qualité du sommeil des adolescents pendant la troisième vague de la pandémie (avril et mai 2021). L’étude cherche également à vérifier si cet usage des écrans a influencé la qualité du sommeil des adolescents.

Méthode

258 élèves âgés de 14 à 18 ans (66,3 % de filles) provenant de quatre écoles secondaires québécoises ont répondu à un questionnaire évaluant à la fois l’usage des écrans à des fins récréatives et la qualité de sommeil. Les items mesurant l’usage des écrans s’intéressent au temps d’écran (télévision, jeux vidéo et Internet) et à la fréquence d’utilisation de plusieurs écrans à la fois (multitâche numérique).

Qu’est-ce qu’on y apprend?

Durant la troisième vague de la pandémie de COVID-19, très peu d’adolescents ont respecté les recommandations canadiennes concernant le temps d’écran récréatif. En effet, seulement 4,7 % de l’échantillon a passé deux heures et moins par jour devant un écran, et cette proportion est composée de deux fois plus de filles que de garçons. Aussi, bien que la différence ne soit pas statistiquement significative, les résultats ont indiqué que le temps d’écran récréatif des garçons est en moyenne supérieur à celui des filles (7 h versus 5 h), notamment parce qu’ils jouent davantage à des jeux vidéo. L’étude fait également ressortir l’importance du multitâche numérique en chiffrant autour de 75 %, la proportion d’adolescents utilisant plusieurs écrans en même temps.

Quant à l’impact sur le sommeil, tant le temps d’écran récréatif que la fréquence du multitâche numérique ont été négativement corrélés à la qualité du sommeil. Toutefois, il serait faux de conclure que le temps d’écran récréatif plus élevé chez les garçons prédit une plus faible qualité de leur sommeil. Les résultats de l’étude indiquent en fait que les garçons dorment mieux que les filles, notamment parce qu’ils s’endorment et se rendorment — à la suite d’un réveil nocturne — plus rapidement. Les auteurs avancent une explication biologique pour expliquer leurs résultats. Comme plusieurs études l’ont documenté, les filles présenteraient un sommeil de moindre qualité à cause notamment des fluctuations hormonales liées au cycle menstruel. Toutefois, comme le rapportent les auteurs, la limite principale de l’étude concerne le fait qu’elle n’a pas évalué d’autres facteurs pouvant affecter la qualité du sommeil comme la consommation de caféinées et l’usage des écrans avant de dormir.

Conclusion

Afin d’améliorer le sommeil des adolescents, il est recommandé que les instances de santé publique se penchent sur des stratégies qui encouragent une diminution du temps consacré aux écrans et du multitâche numérique.

Vézina-Im, L. A., Beaulieu, D., Turcotte, S., Roussel-Ouellet, J., Labbé, V., & Bouchard, D. (2022). Association between Recreational Screen Time and Sleep Quality among Adolescents during the Third Wave of the COVID-19 Pandemic in Canada. International Journal of Environmental Research and Public Health. 19(15), 9019


Efficacité des interventions visant la promotion des saines habitudes d’utilisation des écrans et la réduction des comportements sédentaires

Contexte

Les auteurs rapportent que l’utilisation des écrans — un comportement sédentaire — influence le développement physique des jeunes d’âge scolaire. Les comportements sédentaires ont aussi une influence négative sur le développement cognitif et socioémotionnel des jeunes qui peut perdurer jusqu’à l’âge adulte.

En ce sens, le développement d’interventions faisant la promotion de saines habitudes d’utilisation des écrans pourrait permettre la réduction des risques associés à leur utilisation. À cet effet, de nombreuses interventions ont été développées à travers le monde. Toutefois leur efficacité sur l’utilisation des écrans ainsi que sur les comportements sédentaires a été évaluée de façon hétérogène dans la littérature.

Objectifs et méthode

La présente revue systématique avec méta-analyses visait à évaluer l’efficacité d’interventions ayant pour objectif la réduction de l’utilisation des écrans et la réduction des comportements sédentaires chez les jeunes d’âge scolaire. Pour ce faire, 51 études (146 articles) représentant 16 418 jeunes dont l’âge variait de 5 à 20 ans ont été analysées. Des méta-analyses ont été menées pour chacune des variables d’intérêt, soit : le temps d’écran (tous appareils, télévision, et jeux vidéo), le temps consacré aux comportements sédentaires ainsi que le temps consacré aux activités physiques d’intensité modérée à élevée.

Qu’est-ce qu’on y apprend?

Les résultats de cette revue systématique confirment l’efficacité des interventions visant la promotion des saines habitudes d’utilisation des écrans sur le temps d’écran et sur les comportements sédentaires. En effet, l’analyse des interventions répertoriées dans les essais randomisés contrôlés indique une réduction faible, mais significative du temps d’écran (en minutes par jour), tous appareils confondus (réduction moyenne : - 11,45 minutes/jour) ainsi que pour le temps passé devant la télévision (réduction moyenne : - 12,46 minutes/jour). Toutefois, aucune réduction significative du temps d’écran n’a été notée en ce qui a trait à l’utilisation des jeux vidéo.

Quant aux comportements sédentaires, les auteurs rapportent une réduction faible, mais significative du temps consacré quotidiennement aux comportements sédentaires (réduction moyenne : - 3,86 minutes/jour) chez les jeunes exposés à une intervention comparativement aux jeunes n’ayant pas bénéficié d’une intervention. Aucun changement significatif n’a été noté en ce qui a trait au temps consacré aux activités physiques d’intensité modérée à élevée.

Enfin, il est à noter qu’à l’instar d’autres revues systématiques publiées sur le sujet, cette revue est limitée par l’hétérogénéité des sources de données, une absence de standardisation dans la manière d’évaluer le temps d’écran et les comportements sédentaires. Enfin, les auteurs soulignent également que la qualité variable des études répertoriées ainsi que la présence de différents biais dans de nombreuses études (absence d’utilisation de devis simple aveugle, biais d’attrition et biais de rapport) font en sorte que les résultats devraient être interprétés avec prudence.

Conclusion

Cette revue démontre que les interventions efficaces de promotion de saines habitudes d’utilisation des écrans peuvent réduire le temps d’écran et les comportements sédentaires chez les jeunes d’âge scolaire. De ce fait, le développement et la diffusion de ce type d’interventions représentent des pistes d’action concrète pour réduire les risques liés à ces enjeux de santé publique. Davantage de recherches devront être menées afin d’identifier les caractéristiques ainsi que les composantes clés de ces interventions afin d’en maximiser leur effet et leur diffusion.

Oh, C., Carducci, B., Vaivada, T. et Bhutta, Z. A. (2022). Interventions to Promote Physical Activity and Healthy Digital Media Use in Children and Adolescents: A Systematic Review. Pediatrics, 149(Supplement 6), e2021053852I.


Rédaction

Yan Ferguson, conseiller scientifique
Fanny Lemétayer, conseillère scientifique
Émilie Lépine, conseillère scientifique
Tania Tremblay, conseillère scientifique

Sous la coordination de

Julie Laforest, cheffe d’unité scientifique

Révision

Sophie Michel, agente administrative

Équipe Écrans et hyperconnectivité
Unité Santé et bien-être des populations
Direction du développement des individus et des communautés

Pour toute question, vous pouvez contacter notre équipe à l’adresse courriel suivante : [email protected]

L’inclusion des articles présentés dans ce bulletin de veille ne signifie pas leur endossement par l’Institut. Le jugement professionnel demeure essentiel pour évaluer la valeur de ces articles pour votre pratique. Vous pouvez également consulter la méthodologie de cette veille scientifique.

[1] L’Office québécois de la langue française propose d’employer les termes « visionnage en rafale », « visionnement en rafale » ou « écoute en rafale » (OQLF, 2015).
[2] Pour plus de détails sur ces directives : https://csepguidelines.ca/language/fr/

 

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