Le stévia, un édulcorant naturel

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Auteur(s)
Pierre-André Dubé
B. Pharm., Pharm. D., M. Sc., C. Clin. Tox., Pharmacien-toxicologue, Institut national de santé publique du Québec

Introduction

Selon la définition de Santé Canada, un additif alimentaire est « toute substance chimique qui est ajoutée aux aliments durant leur préparation ou en vue de leur entreposage et dont l'emploi est tel que cette substance est intégrée à un aliment ou en modifie les caractéristiques pour obtenir un effet technique désiré ».

Les édulcorants sont considérés comme des additifs alimentaires et sont donc assujettis à la Loi et règlements sur les aliments et drogues. Il faut donc les différencier des suppléments alimentaires, qui ne sont pas régis par cette même loi. Les principaux édulcorants actuellement autorisés comme additifs alimentaires au Canada sont l'aspartame, l'acésulfame potassium, le néotame, le sucralose, la thaumatine, ainsi que les polyalcools (polyols), comme le sorbitol, l'isomalt, le lactitol, le maltitol, le mannitol, et le xylitol (1).

Le Stevia rebaudiana, du nom commun stévia, est une plante originaire d’Amérique du Sud qui contient 10 composés dont les plus importants sont le stévioside et le rébaudioside A, soit des stéviolglycosides. Ces composés ont un pouvoir sucrant 200 à 300 fois celui du sucre et ne produisent aucune calorie. Il est également reconnu que le rébaudioside A aurait un meilleur goût sucré que le stévioside, possédant moins d’arrière-goût métallique ou de réglisse.

Le rébiana est le nom commun utilisé pour indiquer un produit à forte concentration en rébaudioside A. Un comité d’expert a également établi un standard international pour les édulcorants dérivés du stévia, qui devront contenir plus de 95 % de stévioside ou de rébaudioside A (2).

Historique

Depuis 2006, l’utilisation du stévia et de ses extraits est autorisée au Canada, mais uniquement comme supplément alimentaire (produit naturel) (3). Actuellement, au Canada, plus de 70 produits naturels contenant du stévia comme ingrédient sont répertoriés dans la base de données des produits de santé naturels homologués (4).

Au Japon, le stévia est utilisé depuis plus de 30 ans comme principal édulcorant alimentaire naturel, à la suite du retrait dans ce pays des édulcorants synthétiques comme l’aspartame (5). D’autres pays autorisent également l’utilisation de stéviolglycosides depuis plusieurs années (Tableau 1, voir version pdf).

Le comité mixte FAO/OMS d’experts des additifs alimentaires (JECFA), comité scientifique international administré conjointement par l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) et par l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), a révisé en juin 2008 la dose journalière admissible (DJA) de stéviolglycosides qui est passée de 0-2 mg/kg/j d’équivalent stéviol à 0-4 mg/kg/j (2).

En effet, le JECFA avait autorisé, en 2004, une DJA de deux fois le facteur sécuritaire habituel, en attendant de meilleures données sur l’innocuité du produit, malgré un profil déjà favorable (6). La DJA est calculée en divisant la dose sans effet observé (DSEO) par un facteur de sécurité (habituellement 100). La DSEO avait été établie à 383 mg/kg/j d’équivalent stéviol, à suite d’une étude de 2 ans chez le rat qui n’avait démontré aucun effet cancérigène du stévioside (2,7).

En août 2008, l’Australie et la Nouvelle-Zélande l’ont autorisé comme additif alimentaire (8). Puis, en décembre 2008, la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis a permis l’utilisation de deux extraits purifiés du stévia comme additif alimentaire, soit le « Truvia » par Coca-cola et le « PureVia » par PepsiCo, les deux produits étant des extraits de rébiana (9,10).

Jusqu’à présent, aucune décision finale n’a été prise par l’Union Européenne (UE). L’Union Européenne ne tient pas compte des recommandations du JECFA, mais attend l’avis de son propre comité, le SCF (Scientific Committee on Food) (11).

Toxicocinétique

Les stéviolglycosides sont métabolisés au niveau du colon par retrait successif de groupements de glucose (Schéma 1, voir version pdf) par une glucosidase bactérienne (Bacteroides sp.). Les enzymes bactériennes seraient incapables de cliver la structure du stéviol. Ainsi, seul le stéviol est absorbé par le système portal hépatique. Seules des traces de rébaudioside A et de stévioside seraient absorbées. Il y a par la suite formation d’un complexe stéviol-glucuronide, rendant la molécule beaucoup plus stable, hydrosoluble et non toxique. Le complexe est ensuite rapidement éliminé par les reins (5).

Puisque les stéviolglycosides ont tous comme métabolite final le stéviol et que seul celui-ci semble être absorbé chez l’humain, il est valable d’utiliser les études de toxicité effectuées sur les stéviolglycosides en utilisant un facteur de conversion pour le stéviol (5).

Innocuité

Suite à l’établissement d’une DJA temporaire, plusieurs études ont été publiées dans le but de répondre aux demandes du JECFA. Les principales études d’intérêt clinique sont brièvement présentées cidessous.

Toxicité subchronique

Une étude de 13 semaines chez le rat avec une dose sans effet indésirable observé (DESIO) de plus de 4000 mg/kg/j de stéviolglycosides ne démontre aucune évidence de toxicité systémique (15).

Génotoxicité

Certains effets mutagènes qui avaient été d’abord rapportés in vitro avec le stéviol n’ont pu être démontrés in vivo par les stéviolglycosides. Il n’y aurait donc pas eu d’altérations des chromosomes, de mutations ou de ruptures d’ADN (16).

Reprotoxicité

Suite à des rapports sur l’utilisation du stévia comme contraceptif oral chez certaines femmes de tribus du Paraguay, plusieurs études se sont penchées sur la question. Les études réalisées avec des doses allant jusqu’à 3000 mg/kg/j chez les animaux mâles et femelles n’ont démontré aucun impact des stéviolglycosides sur la reproduction et le développement de la progéniture (17).

Cardiotoxicité

Trois études chez l’humain, publiées en 2008, ont montré que des doses orales allant jusqu’à 11 mg/kg/j de stéviolglycosides sont bien tolérées et n’ont aucun impact significatif sur l’homéostasie du glucose, la tension artérielle et le bilan lipidique (18-20). Dans une étude randomisée d’une durée totale de 6 semaines, 100 patients normotendus (tension artérielle < 120/80) ont été répartis au hasard en deux groupes. Le premier groupe recevait un placebo pendant 6 semaines, tandis que le deuxième groupe recevait un placebo pour 2 semaines puis 1000 mg/j de rébaudioside A pendant 4 semaines. Comparativement au placebo, le groupe recevant du rébaudioside A ne présentait aucune différence significative au niveau de la tension artérielle (systolique, diastolique, moyenne), de la fréquence cardiaque et du MAPA-24 h (monitoring ambulatoire de la pression artérielle sur 24 h) (18). Dans une étude aléatoire à double insu, parallèle, contrôlée par placebo, d’une durée de trois mois, 76 patients ont été séparés en 3 groupes. Le premier groupe comprenait des patients diabétiques de type 1, le deuxième groupe des patients diabétiques de type 2 et le troisième groupe des patients non diabétiques et hypo ou normotendus. Les patients ayant reçu 750 mg/j de stéviolglycosides (extrait exact non mentionné) n’ont démontré aucune différence significative comparativement au placebo au niveau de la tension artérielle, de l’HbA1C et du bilan lipidique (cholestérol total, HDL, LDL, TG) (19). Dans une étude d’une durée totale de 18 semaines, 122 patients diabétiques de types 2 ont été répartis au hasard en deux groupes. Le premier groupe recevait un placebo pendant 18 semaines, tandis que le deuxième groupe recevait un placebo pour 2 semaines puis 1000 mg/j de rébaudioside A pendant 16 semaines. Les résultats n’ont démontré aucune différence sur l’HbA1C, la tension artérielle, ni sur le bilan lipidique (20).

Conclusion

Étant donné le profil d’innocuité des plus favorables des stéviolglycosides, ils pourraient éventuellement remplacer les édulcorants synthétiques actuellement disponibles sur le marché. Si on estime de façon réaliste que les stéviolglycosides remplacent un jour 30 % du marché des édulcorants, le groupe le plus à risque d’exposition (les enfants âgés de 2 à 6 ans, soit le 90ième percentile) serait exposé à 55 % de la DJA maximale (8). Il semble donc que le Stévia soit un édulcorant naturel sécuritaire qui pourrait être ajouté aux édulcorants déjà disponibles sur le marché canadien.

Pour toute correspondance

Pierre-André Dubé
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Références

  1. Santé Canada. Dictionnaire sur les additifs alimentaires. Version 2006. Sur internet : http://www.hc-sc.gc.ca/fn-an/alt_formats/hpfb-dgpsa/pdf/securit/dict_add-fra.pdf. Consulté le 6 juillet 2009.
  2. JECFA, 2008. Steviol glycosides. In: Summary and conclusions. 69th meeting of the Joint FAO/WHO Expert Committee on Food Additives. Sur internet : http://www.fao.org/ag/agn/agns/files/jecfa69_final.pdf. Consulté le 6 juillet 2009.
  3. Communiqué mensuel de la DPSN. Directives sur l’utilisation du stévia dans les produits de santé naturels. Vol 2, No 1. Septembre 2006. Sur internet : http://www.hc-sc.gc.ca/dhp-mps/alt_formats/hpfb-dgpsa/pdf/prodnatur/communique_sep06-fra.pdf. Consulté le 6 juillet 2009.
  4. Base de données des produits de santé naturels homologués. Santé Canada. Sur internet : http://webprod.hc-sc.gc.ca/lnhpd-bdpsnh/start-debuter.do?lang=fra. Consulté le 2 juillet 2009.
  5. Carakostas MC, Curry LL, Boileau AC, Brusick DJ. Overview: the history, technical function and safety of rebaudioside A, a naturally occurring steviol glycoside, for use in food and beverages. Food Chem Toxicol. 2008 Jul;46 Suppl 7:S1-S10. Epub 2008 May 16. Review.
  6. JECFA, 2004. 63rd Meeting of the Joint FAO/WHO Expert Committee on Food Additives. Sur internet : ftp://ftp.fao.org/es/esn/jecfa/jecfa63_summary.pdf. Consulté le 6 juillet 2009.
  7. Toyoda K, Matsui H, Shoda T, Uneyama C, Takada K, Takahashi M. Assessment of the carcinogenicity of stevioside in F344 rats. Food Chem Toxicol. 1997 Jun;35(6):597-603. PMID: 9225018.
  8. FSANZ (Food standard Australia New Zealand). Application A540 - Steviol glycosides as intense sweeteners. Final assessment report - 6 August 2008. Sur internet : http://www.foodstandards.gov.au/_srcfiles/FAR_A540_Steviol_glycosides.pdf. Consulté le 6 juillet 2009
  9. FDA (Food and Drug Administration), 2008. Agency response letter. GRAS Notice No. GRN 000252. Sur internet : http://www.fda.gov/Food/FoodIngredientsPackaging/GenerallyRecognizedasSafeGRAS/GRASListings/ucm154988.htm. Consulté le 6 juillet 2009.
  10. FDA (Food and Drug Administration), 2008. Agency response letter. GRAS Notice No. GRN 000253. Sur internet : http://www.fda.gov/Food/FoodIngredientsPackaging/GenerallyRecognizedasSafeGRAS/GRASListings/ucm154989.htm. Consulté le 6 juillet 2009.
  11. Novel Foods – Legislation. EUROPA. Sur internet : http://ec.europa.eu/food/food/biotechnology/novelfood/legisl_en.htm. Consulté le 6 juillet 2009.
  12. PubChem substances: Rebaudioside A. SID : 50355945. Sur internet : http://pubchem.ncbi.nlm.nih.gov/summary/summary.cgi?sid=50355945&loc=ec_rcs. Consulté le 6 juillet 2009.
  13. PubChem substances: Stevioside. SID : 12015455. Sur internet : http://pubchem.ncbi.nlm.nih.gov/summary/summary.cgi?sid=12015455&loc=ec_rcs. Consulté le 6 juillet 2009.
  14. PubChem substances: Steviol. SID : 598381. Sur internet : http://pubchem.ncbi.nlm.nih.gov/summary/summary.cgi?sid=598381. Consulté le 6 juillet 2009.
  15. Curry LL, Roberts A. Subchronic toxicity of rebaudioside A. Food Chem Toxicol. 2008 Jul;46 Suppl 7:S11-20. Epub 2008 May 16.
  16. Brusick DJ. A critical review of the genetic toxicity of steviol and steviol glycosides. Food Chem Toxicol. 2008 Jul;46 Suppl 7:S83-91. Epub 2008 May 16. Review.
  17. Curry LL, Roberts A, Brown N. Rebaudioside A: two-generation reproductive toxicity study in rats.Food Chem Toxicol. 2008 Jul;46 Suppl 7:S21-30. Epub 2008 May 16.
  18. Maki KC, Curry LL, Carakostas MC, Tarka SM, Reeves MS, Farmer MV, McKenney JM, Toth PD, Schwartz SL, Lubin BC, Dicklin MR, Boileau AC, Bisognano JD. The hemodynamic effects of rebaudioside A in healthy adults with normal and low-normal blood pressure. Food Chem Toxicol. 2008 Jul;46 Suppl 7:S40-6. Epub 2008 May 16.
  19. Barriocanal LA, Palacios M, Benitez G, Benitez S, Jimenez JT, Jimenez N, Rojas V. Apparent lack of pharmacological effect of steviol glycosides used as sweeteners in humans. A pilot study of repeated exposures in some normotensive and hypotensive individuals and in type 1 and type 2 diabetics. Regul Toxicol Pharmacol. 2008 Jun;51(1):37-41. Epub 2008 Mar 5.
  20. Maki KC, Curry LL, Reeves MS, Toth PD, McKenney JM, Farmer MV, Schwartz SL, Lubin BC, Boileau AC, Dicklin MR, Carakostas MC, Tarka SM. Chronic consumption of rebaudioside A, a steviol glycoside, in men and women with type 2 diabetes mellitus. Food Chem Toxicol. 2008 Jul;46 Suppl 7:S47-53. 

Dubé PA. Le stévia, un édulcorant naturel. Bulletin d’information toxicologique 2009;25(1):4-7. [En ligne] https://www.inspq.qc.ca/toxicologie-clinique/le-stevia-un-edulcorant-na…

Numéro complet (BIT)

Bulletin d'information toxicologique, Volume 25, Numéro 1, août 2009