L'accessibilité et la continuité des services de santé : une étude sur la première ligne au Québec : rapport de recherche
Résumé
À travers le monde, les services de santé de première ligne font l'objet de réformes importantes. Au Canada, plusieurs comités provinciaux et fédéraux ont souligné les problèmes relatifs à l'organisation des services médicaux de première ligne. Ainsi, depuis une dizaine d'années, les systèmes de santé canadien et québécois connaissent d'importantes transformations qui touchent particulièrement la première ligne. Au Québec, ces changements organisationnels se sont notamment traduits par l'implantation de groupes de médecine de famille (GMF) et de cliniques-réseau (CR) ainsi que par la création de centres de santé et de services sociaux (CSSS).
C'est dans ce contexte que le projet «nbsp;L'accessibilité et la continuité des services de santé : une étude sur la première ligne au Québecnbsp;» a été réalisé. Cette étude, menée dans deux régions sociosanitaires du Québec, Montréal et la Montérégie, porte sur les modèles d'organisation des services médicaux de première ligne et leur influence sur l'accessibilité et l'utilisation des services de santé par la population, ainsi que sur l'expérience de soins des utilisateurs des services. Le principal but de l'étude est d'identifier les modèles d'organisation des services médicaux de première ligne les mieux adaptés et les plus prometteurs pour répondre aux besoins et aux attentes de la population. Cette recherche a comporté trois volets :
- une enquête menée auprès de la population qui vise à mesurer l'utilisation des services de santé des personnes, ainsi que leur perception de l'accessibilité, la continuité, la globalité, la réactivité et les résultats des services reçus (Levesque, Pineault et al., 2007a);
- une enquête menée auprès des cliniques médicales de première ligne qui vise à dresser un portrait de l'organisation des services médicaux de première ligne, à caractériser cette organisation et à identifier les modèles d'organisation des services médicaux de première ligne prévalant dans les régions étudiées (Hamel, Pineault et al., 2007);
- une analyse contextuelle, qui vise à décrire les territoires de Centres de santé et de services sociaux CSSS (Roberge, Pineault et al., 2007).
Les résultats de cette étude intéressent tout particulièrement les intervenants du domaine de la santé : les décideurs régionaux et locaux, les cliniciens, les représentants d'organismes communautaires, ainsi que toute personne intéressée à mieux comprendre l'expérience de soins de première ligne de la population, en interface avec l'organisation des services de santé. Par l'apport de données probantes et inédites, cette étude offre aussi une chance unique d'informer les décideurs, gestionnaires et cliniciens sur la performance des organisations de prestation de services de santé de première ligne.
Des rapports descriptifs et méthodologiques, des cahiers thématiques et des articles ont déjà, ou feront sous peu, l'objet de publications spécifiques. Nous invitons les lecteurs intéressés à consulter ces publications pour s'approprier toutes les connaissances générées par ce projet.
Faits saillants
- Dans l'ensemble, les individus évaluent favorablement leur expérience de soins auprès de leur source habituelle de première ligne. Ces observations vont dans le même sens que les résultats des études internationales sur la satisfaction des usagers des services de santé. L'accessibilité géographique et organisationnelle est toutefois nettement moins bien appréciée de la part de la population.
- Il subsiste une grande variation dans l'appréciation de l'expérience de soins entre les territoires des centres de santé et de services sociaux (CSSS) des deux régions à l'étude. La perception de la population de l'expérience de soins de première ligne est généralement meilleure en Montérégie qu'à Montréal.
- Les contrastes caractérisant l'expérience de soins de la population se révèlent lorsque les territoires de CSSS sont regroupés par contexte. Les territoires urbains qu'on qualifie d'affluent commerçant et qui se caractérisent par la densité de leur population et la grande diversité et quantité de ressources de santé obtiennent les scores les plus bas, tant pour l'indice global d'expérience de soins que pour la majorité des indices spécifiques. C'est également le contexte où la population a le moins d'affiliation avec un médecin de famille. Les territoires ruraux, regroupés dans la catégorie équilibré coordonné, se comportent fort différemment, obtenant les meilleurs scores pour la quasi totalité des indices d'expérience de soins. L'affiliation à un médecin de famille dans la population y est aussi très élevée, atteignant en moyenne 80 %.
- Les territoires urbains dits affluent commerçant demeurent de loin les mieux nantis en ressources médicales de première ligne. Même en tenant compte du fait que les ressources des territoires urbains desservent une proportion non négligeable de personnes résidant sur d'autres territoires, ce constat suggère que c'est moins la quantité de ressources que l'organisation des services de première ligne qui détermine une expérience de soins favorable.
- Les organisations de première ligne ont été classées en cinq modèles distincts – quatre modèles professionnels et un modèle communautaire. Cette taxonomie s'avère un outil utile pour une meilleure compréhension du secteur des services de première ligne. Un de ses avantages réside dans la distinction qu'elle fait entre les cabinets privés de médecins, les classant en quatre différentes catégories.
- Ces modèles présentent des profils variables selon différentes dimensions de la performance, telles la réponse aux clientèles vulnérables, la couverture de la population, la productivité dans la prestation de services, la conformité à un idéal-type organisationnel et l'expérience de soins des personnes.
- Le modèle professionnel à prestataire unique – caractérisé par une vision de clientèle, une faible intégration au réseau, une faible quantité de ressource, une étendue restreinte de services et des modalités de consultation majoritairement sur rendez-vous – se distingue favorablement à l'égard de certaines dimensions de la performance, particulièrement l'expérience de soins de la population et la réponse aux personnes vulnérables. Cependant, ce modèle présente peu de potentiel à l'égard de la couverture populationnelle et une faible conformité à l'idéal-type organisationnel de première ligne. Bien que ce modèle puisse difficilement représenter une option pour les réformes, sa performance concernant la réponse aux besoins et aux attentes des personnes souligne la nécessité de préserver une bonne relation patient-médecin dans les autres modèles d'organisation plus complexes.
- Le modèle professionnel de contact – caractérisé par une responsabilité centrée sur les patients individuellement, une intégration moyenne aux activités du réseau, une quantité moyenne de ressources, une étendue restreinte de services et des modalités de consultation majoritairement sans-rendez-vous – est le modèle présentant la moins bonne performance, se démarquant défavorablement comparativement aux autres modèles d'organisation de première ligne. De surcroît, contrairement aux objectifs qu'il adopte, ce modèle présente une accessibilité des services moindre que les autres modèles.
- Le modèle professionnel de coordination – caractérisé par une responsabilité de clientèle, une intégration moyenne aux activités du réseau de la santé, un niveau moyen de ressources, une étendue moyenne de services et une modalité d'offre de service principalement sur rendez-vous – se démarque favorablement à l'égard de la productivité, de l'expérience de soins et de la couverture populationnelle. Par ailleurs, ce modèle présente des caractéristiques organisationnelles moins conformes à l'idéal-type organisationnel.
- Le modèle professionnel de coordination intégré – caractérisé par une responsabilité populationnelle, une forte intégration aux activités de l'ensemble du réseau de la santé, un nombre important de ressources, une grande étendue de services offerts et une mixité dans les modalités d'offre de services avec et sans-rendez-vous – se démarque favorablement des autres modèles sur l'ensemble des aspects de la performance. Ce modèle comprend, pour une large part, les «nbsp;Groupe de médecine de famillenbsp;» (GMF) implantés dans les deux régions au moment de l'étude. Les résultats convergent pour démontrer que les organisations associées aux GMF sont les plus performantes.
- Le modèle communautaire – caractérisé par une approche populationnelle, une gouverne publique, une grande quantité de ressources, une grande étendue de services offerts et une mixité dans les modalités de consultation sur et sans-rendez-vous – se distingue quant à sa conformité à l'idéal-type des organisations de première ligne et à l'expérience de soins des personnes. Sa faible productivité et sa couverture populationnelle limitée réduisent cependant l'évaluation globale de sa performance. Ces organisations sont intégrées dans des établissements publics qui dépassent le contexte de la prestation de services médicaux généraux. Une analyse de leur potentiel dans les réformes devrait tenir compte de leurs missions complémentaires.
- Le profil configurationnel de l'offre de services de première ligne s'avère fort différent d'un contexte à l'autre. Le contexte rural se caractérise par la prédominance d'organisations appartenant au modèle professionnel de coordination intégré et l'absence de modèle professionnel de contact. Le modèle communautaire y est faiblement représenté. Dans les contextes urbains, le modèle à prestataire unique demeure privilégié, bien que chacun des modèles soit représenté.
Sur la base des résultats de cette étude, on peut avancer qu'il existe très certainement un potentiel d'amélioration au sein de la première ligne. Dans le contexte actuel de croissance des coûts de santé, la question de la performance revêt une importance capitale pour les décideurs. Aussi, les modèles d'organisation des services de santé de première ligne à privilégier doivent-ils être non seulement performants mais équitables pour la population. De plus, les réorganisations doivent s'appuyer sur des réalités organisationnelles forts différentes selon les contextes, et ce, d'autant plus que nos résultats tendent à démontrer que les contextes peuvent interagir différemment avec certains modèles d'organisation. Aussi, les changements doivent s'appuyer sur les profils configurationnels propres à chaque territoire et les caractéristiques des utilisateurs.