Traitement des convulsions d'origine toxique

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Auteur(s)
René Blais
M.D., FRCPC, ABMT, Directeur médical, Centre antipoison du Québec
Pierre-André Dubé
B. Pharm., Pharm. D., M. Sc., C. Clin. Tox., Pharmacien-toxicologue, Institut national de santé publique du Québec

Introduction

Les convulsions font partie de la symptomatologie d’un bon nombre de conditions pathologiques. Il existe différents algorithmes de traitement en rapport avec le status epilepticus. Cependant, ceux-ci ne sont pas nécessairement applicables aux convulsions de toutes étiologies. Par exemple, lorsqu’un patient présente des convulsions d’origine indéterminée, il est impératif d’éliminer rapidement et le cas échéant, de corriger un problème métabolique relié au glucose (hypoglycémie) ou aux électrolytes, particulièrement le sodium, le calcium et le magnésium. Dans un contexte d’intoxication, l’apparition de convulsions est souvent un marqueur de sévérité. Par conséquent, il est important de connaître les principaux mécanismes physiopathologiques des convulsions afin de les traiter de façon appropriée.

Physiopathologie

Les convulsions d’origine toxique ont quatre mécanismes principaux. En premier lieu, la plupart des convulsions surviennent à cause d’une activité anormale des récepteurs du neurotransmetteur excitateur, la N-méthyl-D-aspartate (NMDA), et des récepteurs du neurotransmetteur inhibiteur, l'acide γ-aminobutyrique (GABA). Si l’excitation l’emporte sur l’inhibition, des convulsions peuvent se manifester. Une telle situation peut se présenter lorsqu’il y a libération accrue d’acides aminés excitateurs, c’est-à-dire lors d’une ischémie, d’une hypoglycémie, d’une intoxication par un stimulant du système nerveux central (SNC). Une diminution de la synthèse du GABA (p. ex., intoxication à l’isoniazide) sera à l’origine de convulsions rebelles si l’équilibre n’est pas restauré. Par contre, si les récepteurs GABA sont trop stimulés (p. ex., intoxication par une benzodiazépine), une dépression du SNC pourrait apparaître. Le deuxième mécanisme se manifeste par une anomalie du flux ionique, impliquant généralement des ouvreurs ou des bloqueurs des canaux sodiques (p. ex., la ciguatoxine, les pyréthroïdes, le camphre, la quinidine) ou potassiques (p. ex., le baryum, la 4-aminopyridine). La cellule nerveuse sera ainsi dépolarisée ou hyperpolarisée, donc prête à déclencher des convulsions. Le troisième mécanisme est l’effet antagoniste de l’adénosine, un neurotransmetteur qui a pour rôle de favoriser la période postictale. Lors d’une intoxication par un inhibiteur de l’adénosine (p. ex., l’intoxication à la théophylline ou à la caféine), les convulsions seront particulièrement difficiles à contrôler. Le quatrième mécanisme est l’altération de la concentration ou de l’activité d’amines biogènes et de l’acétylcholine, comme la présence de convulsions dans les toxidromes cholinergique et anticholinergique.

Conduite à tenir en présence de convulsions d’origine imprécise ou toxique

  1. Assurer l’ABC, vérifier la glycémie, les électrolytes (particulièrement le sodium, le calcium et le magnésium) et corriger les anomalies s’il y a lieu.
  2. Administrer une benzodiazépine (tableau 1) : cette classe de médicament agit en augmentant la fréquence d’ouverture du canal chlorure du récepteur GABAA.
  3. Pendant qu’on applique ces modalités de traitement, vérifier la possibilité que les convulsions soient causées par une intoxication ou un sevrage.
  4. S’il s’agit d’une intoxication et que le diagnostic est évident à l’histoire et cliniquement (p. ex., intoxication au cyanure, à un agent cholinergique, etc.), traiter de façon spécifique.
  5. Si suspicion d’intoxication à l’isoniazide ou à un dérivé hydrazine (p. ex., champignon gyromitre), administrer de la pyridoxine (tableau 2).
  6. Si convulsions rebelles et intoxication à l’isoniazide ou à un dérivé hydrazine éliminée :
  • Propofol : Effet stimulant au niveau du complexe de récepteurs GABA et effet inhibiteur des récepteurs NMDA, donc effet anticonvulsivant par deux mécanismes. Le propofol peut donc être particulièrement utile lorsque les récepteurs GABA sont très inhibés ou lorsque les récepteurs NMDA sont très stimulés, comme dans le sevrage d’un hypnosédatif. Effet à début très rapide et de courte durée. Risque de dépression respiratoire et d’hypotension, surtout aux doses utilisées pour traiter le status (2 à 5 mg/kg en bolus, à répéter jusqu’à réponse). Par conséquent, il faudra généralement intuber le patient. Il n’y a pas de consensus quant à l’utilisation du propofol chez l’enfant, surtout en traitement prolongé.
  • Barbituriques :Augmentent la durée d’ouverture du canal chlorure du récepteur GABA; synergie avec les benzodiazépines, donc risque de dépression respiratoire. On utilise souvent le phénobarbital, mais le pentobarbital aurait l’avantage de moins dépendre d’une quantité normale de GABA et d’agir plus rapidement, ce qui risque toutefois de causer davantage de dépression respiratoire et d’hypotension qu’avec le phénobarbital. Les barbituriques à effet rapide (thiopental, pentobarbital) sont de moins en moins disponibles sur le marché.
    • Phénobarbital, adulte : 20 mg/kg dans 100 ml de D5 % ou NaCl 0,9 %, perfuser IV en 20 à 30 minutes (maximum 60 mg/min). Répéter une dose 10 mg/kg 20 minutes plus tard si besoin, si la tension artérielle et la respiration le permettent, ou considérer le propofol.
    • Phénobarbital, enfant : 15 à 20 mg/kg IV dans 50 à 100 ml de D5 % ou NaCl 0,9 %, perfuser IV en 20 à 30 minutes (maximum 30 mg/min). Répéter une dose de 5 à 10 mg/kg 20 minutes plus tard si besoin, si la tension artérielle et la respiration le permettent.
    • Pentobarbital, adulte et enfant : 5 à 15 mg/kg IV en 15 minutes, puis perfusion de 0,5 à 3 mg/kg/h.
  • Perfusion d’anticonvulsivant et anesthésie générale : Si les bolus de barbituriques et de propofol sont inefficaces, on recommande de passer à une perfusion d’anticonvulsivant. Le pentobarbital (maintenant peu disponible), le midazolam et le diazépam sont souvent utilisés à cette fin. Le lorazépam n’est généralement pas recommandé à cause du risque d’accumulation de propylène glycol, un solvant qui peut causer une acidose d-lactique en présence d’une fonction rénale diminuée. Le propofol peut quant à lui causer un ensemble d’anomalies à potentiel létal, soit le syndrome de perfusion du propofol, caractérisé entre autres par de l’acidose métabolique et des arythmies cardiaques malignes. Il faut donc surveiller l’équilibre acide-base et l’activité cardiaque chez les patients sous propofol. Quant à l’anesthésie générale avec des gaz anesthésiques, elle est rarement utilisée, car très peu de données supportent cette modalité thérapeutique. Il est à noter qu’un patient chez qui on utilise la paralysie neuromusculaire devrait avoir un monitorage continu de l'EEG pour déterminer si l’activité convulsive persiste.
Tableau 1 – Posologie des benzodiazépines en présence de convulsions

Benzodiazépine

Dose adulte

Dose pédiatrique

Commentaires

Lorazépam

1er choix pour plusieurs

0,05- 0,5 mg/kg IV (maximum 4 mg/dose), répétable 10 à 15 minutes plus tard si besoin. Dose maximale de 8 mg/12 h.

0,05-0,1 mg/kg IV (maximum 4 mg/dose), répétable 10 à 15 minutes plus tard si besoin. Dose maximale de 8 mg/12 h.

Rediluer dans un volume égal de D5 % ou de NaCl 0,9 %. Administrer à une vitesse maximale de 0,05 mg/kg/min ou 2 mg/min.

Début d’action moins rapide, mais durée plus longue que celle du diazépam. Peut être administré par voie intramusculaire, mais effet moins rapide.

Diazépam

5 à 10 mg IV toutes les 5 à 15 minutes jusqu'à un maximum de 30 mg, répétable toutes les 2 à 4 heures si besoin. Maximum 100 mg/24 h.

Moins de 5 ans : 0,2-0,5 mg/kg IV toutes les 2 à 5 minutes jusqu'à une dose totale maximale de 5 mg.

5 ans et plus: 1 à 2 mg IV toutes les 2 à 5 minutes jusqu'à une dose totale maximale de 10 mg.

Administrer à une vitesse maximale de 5 mg/min chez l’adulte et de 2 mg/min (mais sur plus de 3 minutes) chez l’enfant.

Attention, la solution pour injection contient de l’alcool benzylique et du propylène glycol.

Peut être administré par voie rectale.

Midazolam

0,2 mg/kg IV en bolus lent, suivi d’une perfusion continue de 0,75 à 10 μg/kg/min.

2 mois et plus : 0,15 mg/kg IV en bolus lent, suivi d’une perfusion continue de 1 μg/kg/min en titrant la dose toutes les 5 minutes jusqu’au contrôle des convulsions. Dose moyenne de 2,3 μg/kg/min.

Des convulsions résistantes à tous les autres traitements ont cédé avec des doses importantes de midazolam.

Peut être administré par voie sous-cutanée, intramusculaire ou par instillation nasale.

Tableau 2 – Posologie de la pyridoxine (vitamines B6) selon le type d’intoxication

Indications de la pyridoxine

Doses adultes

Doses pédiatriques

Intoxication à l’isoniazide

Administrer 1 g de pyridoxine pour chaque gramme d’isoniazide ingéré (maximum 5 g). Administrer cette dose IV en 10 minutes ou jusqu’à l’arrêt des convulsions. Les convulsions cesseront probablement pendant l’injection, et le reste de la dose pourra alors être administré pendant les 4 heures suivantes.

 

Si la dose ingérée est inconnue, administrer 5 g par voie IV de la même façon.

 

La dose de 5 g peut être répétée une fois si récidive des convulsions.

Administrer 1 g de pyridoxine pour chaque gramme d’isoniazide ingéré (maximum 5 g). Administrer cette dose IV en 10 minutes ou jusqu’à l’arrêt des convulsions. Les convulsions cesseront probablement pendant l’injection, et le reste de la dose pourra alors être administré pendant les 4 heures suivantes.

 

Si la dose ingérée est inconnue, administrer 70 mg/kg IV (maximum 5 g) de la même façon.

 

La dose initiale peut être répétée une fois si récidive des convulsions.

Intoxication avec un gyromitre

Administrer 25 mg/kg IV en 10 minutes. La dose peut être répétée si récidive des convulsions, jusqu’à un maximum de 15 à 20 g chez l’adulte.

Idem à l’adulte. La dose maximale n’a toutefois pas été déterminée.

Intoxication à l’hydrazine

La dose de pyridoxine n’est pas établie. Administrer 5 g par voie IV en 10 minutes ou jusqu’à l’arrêt des convulsions. Les convulsions cesseront probablement pendant l’injection, et le reste de la dose pourra alors être administré pendant les 4 h suivantes. La dose de 5 g peut être répétée une fois si récidive des convulsions.

La dose de pyridoxine n’est pas établie. Administrer 70 mg/kg IV (maximum 5 g), en 10 minutes ou jusqu’à l’arrêt des convulsions. Les convulsions cesseront probablement pendant l’injection, et le reste de la dose pourra alors être administré pendant les 4 h suivantes. Cette dose initiale peut être répétée une fois si récidive des convulsions.

Points à retenir

  • La phénytoïne n’a pas sa place dans le traitement des convulsions d’origine non épileptique;
  • La majorité des convulsions d’origine toxique répondent aux benzodiazépines;
  • La pyridoxine devrait être considérée dans le traitement du status epilepticus d’étiologie indéterminée;
  • Le midazolam est bien absorbé par plusieurs voies;
  • Le propofol est très efficace, mais il comporte son lot d’effets indésirables;
  • L’étape la plus importante du traitement des convulsions est la correction de leur cause.

Conclusion

En présence de convulsions non épileptiques, il y a lieu de tenter de déterminer lequel des quatre mécanismes physiopathologiques en est la cause. Si on le connaît, le traitement pourra être ciblé et le contrôle de l’activité convulsive devrait être assuré plus rapidement. Si les convulsions persistent, il faudra penser à la possibilité d’intoxication à l’isoniazide ou à un blocage des récepteurs de l’adénosine.

Pour toute correspondance

René Blais
Directeur médical
Centre antipoison du Québec
1270, chemin Sainte-Foy, Pavillon Jeffery-Hale, 4e étage
Québec (Québec)  G1S 2M4
Téléphone : 418 654-2731
Télécopieur : 418 654-2747
Courriel : Rene.Blais@csssvc.qc.ca

Références

Bailey B, Blais R, Gaudreault P, Gosselin S, Laliberté M. Les antidotes en toxicologie d’urgence, 3e éd. Centre antipoison du Québec. 2009 : 135-8.

Sharma AN, Hoffman RJ. Toxin-related seizures. Emerg Med Clin North Am. 2011 Feb;29(1) : 125-39.

Wallace K.L. Chapter 20 –Toxin-induced seizures. Critical care toxicology 2005, pp 225-39.


Blais R, Dubé PA. Traitement des convulsions d'origine toxique. Bulletin d’information toxicologique 2012;28(1):14-19. [En ligne] https://www.inspq.qc.ca/toxicologie-clinique/traitement-des-convulsions…

Numéro complet (BIT)

Bulletin d'information toxicologique, Volume 28, Numéro 1, janvier 2012