Produits de santé naturels : pas nécessairement sécuritaires

Auteur(s)
Marie-Pier Ferland
B. Sc. inf., CSPI, Infirmière clinicienne, Centre antipoison du Québec
Olivier Jacques-Gagnon
B. Sc. inf., CSPI, Infirmier clinicien, Centre antipoison du Québec

Résumé

Pour plusieurs personnes, les produits de santé naturels sont inoffensifs, alors que, pour d’autres, ils semblent simplement inefficaces. Diverses raisons motivent des individus à avoir recours à ces produits, entre autres, pour perdre du poids, améliorer les performances sexuelles, traiter une dépression, etc. Comme il est facile de s’en procurer sans devoir consulter un médecin ou un pharmacien, les risques reliés à leur consommation demeurent méconnus. En effet, les produits de santé naturels peuvent non seulement entrer en interaction avec des médicaments, mais ils peuvent aussi être dangereux dans la mesure où leur qualité est peu contrôlée et réglementée. La littérature scientifique décrit d’ailleurs de nombreux cas où les consommateurs de ces produits ont présenté des effets néfastes.

Introduction

La population est de plus en plus attirée par les méthodes de santé non traditionnelles et les produits naturels [1]. Les gens ont tendance à poser leur propre diagnostic et à vouloir traiter eux-mêmes divers problèmes de santé à l’aide de ces produits. Ceux-ci sont à la portée de tous dans les pharmacies et les boutiques spécialisées de même que sur Internet. Les personnes qui utilisent ces produits les croient inoffensifs, car ils sont dits « naturels ». Toutefois, ces produits peuvent engendrer différents effets néfastes sur la santé et potentiellement interagir avec la médication habituelle d’une personne [2,3]. Dans ce texte, trois cas de patients ayant présenté des effets indésirables importants suivant la consommation de produits de santé naturels sont rapportés. Le premier cas concerne une dame qui a souffert d’argyrisme après avoir consommé une solution d’argent, alors que le deuxième cas fait état d’un produit naturel contaminé avec des glycosides cardiaques. Quant au troisième cas, il décrit le développement d’une hépatotoxicité après la prise d’extraits de thé vert.

Description de cas

Cas 1

Une dame de 36 ans, sans antécédent médical, consulte un médecin parce que sa peau prend progressivement une teinte bleutée. Apparemment, son problème s’est aggravé après une exposition au soleil. Elle consomme depuis environ 3 à 5 ans une solution d’argent qu’elle s’est procurée dans un magasin de produits de santé naturels. Elle ingère quotidiennement 10 ml de ce produit, ce qui correspondrait aux recommandations indiquées sur le contenant. Quand bien même le médecin n’a pas la bouteille en sa possession, il croit qu’il s’agit d’une concentration de 5 ppm. Afin de prendre la meilleure décision relativement au traitement à utiliser, le médecin traitant discute de ce cas avec le personnel infirmier du Centre antipoison du Québec (CAPQ). Le personnel infirmier recommande de cesser l’utilisation du produit, d’éviter l’exposition au soleil, d’appliquer un écran solaire total et de s’assurer que le bilan hépatique et la formule sanguine complète (FSC) sont normaux. Par la suite, le laboratoire de toxicologie de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) réalise un dosage d’argent sanguin, et le résultat de ce dosage est de 140 nmol/L, alors que la normale se situe entre 1,4 et 5 nmol/L. Le médecin traitant et le personnel infirmier du CAPQ ont également discuté de l’emploi d’un traitement par laser pour corriger la pigmentation bleutée de la peau. Malheureusement, il n’a pas été possible d’obtenir de détails supplémentaires sur le produit ou sur l’évolution clinique de la patiente.

Cas 2

Un homme de 50 ans, prenant quotidiennement de la sertraline et de la quétiapine, se présente à l’hôpital en raison d’une faiblesse généralisée. À son arrivée, sa fréquence cardiaque (FC) varie de 48 à 54 battements par minute (bpm), alors que sa pression artérielle systolique (PAS) varie de 70 à 80 mmHg. Le patient mentionne au médecin traitant prendre un produit naturel nommé Divya Swasari Ras. Selon l’information obtenue, il aurait consommé dix fois la dose thérapeutique recommandée sur l’emballage du produit. Le médecin traitant décide alors de contacter le CAPQ pour discuter des risques toxicologiques de ce produit. Celui-ci semble vendu sur plusieurs sites Internet comme traitement des infections des voies respiratoires supérieures (IVRS). Malgré la revue d’une liste d’ingrédients de ce produit naturel trouvée sur l’un des sites de vente, le personnel du CAPQ n’a pas été en mesure d’identifier un agent causal particulier. Les recommandations du toxicologue de garde au CAPQ sont donc de réaliser un bilan sanguin complet et un électrocardiogramme (ECG), de prévoir une consultation en cardiologie, de revoir l’histoire complète de la maladie avec le patient afin de déterminer d’autres causes possibles et de traiter les symptômes en attendant les résultats. Le toxicologue a également recommandé un dosage plasmatique de la digoxine, puisque certains produits naturels peuvent être contaminés par des glycosides cardiaques. L’obtention d’une digoxinémie de 0,4 nmol/L l’a conduit à recommander l’administration d’anticorps spécifiques de la digoxine. Après l’administration de l’antidote, la fréquence cardiaque et la PAS du patient se sont maintenues respectivement à des niveaux > 60 bpm et > 100 mmHg. L’homme se disant complètement asymptomatique, il reçoit son congé du centre hospitalier après être resté en observation plus de 6 heures.

Cas 3

Une dame de 36 ans en bonne santé, prenant pour seul médicament un anovulant, se présente à un centre hospitalier en raison d’une fatigue généralisée, d’une douleur abdominale et d’une perte d’appétit. Les bilans montrent une aspartate aminotransférase (AST) de 767 unités internationales (u.i.)/L, une alanine aminotransférase (ALT) de 1 535 u.i./L et un rapport normalisé international (RNI) de 1,0. Il semble que cette femme aurait pris un seul comprimé d’un produit naturel facilitant la perte de poids, soit le Perdiplus, qui contient 300 mg de Camellia sinensis (thé vert). D’ailleurs, 5 mois auparavant, elle aurait souffert d’une hépatite suivant la consommation de ce même produit naturel qu’elle consommait depuis plusieurs mois, à raison de quatre fois par jour. À ce moment-là, elle a cessé sa consommation fréquente du produit. L’échographie du foie, le bilan infectieux et l’investigation auto-immune se sont révélés non concluants. Par la suite, la patiente a été prise en charge par l’équipe de gastroentérologie.

Discussion

Les produits de santé naturels sont parfois fortement publicisés en raison de leurs possibles effets positifs, mais les consommateurs ne sont pas nécessairement informés des effets néfastes notés à leur propos. Ces effets peuvent survenir de diverses manières. Par exemple, les produits peuvent avoir été mal étiquetés, mal fabriqués ou encore contaminés. De même, ils peuvent interagir avec les médicaments du patient ou tout simplement causer des problèmes de santé de par leur nature. Par ailleurs, certaines personnes vont augmenter leur fréquence d’usage du produit par rapport à l’usage recommandé en croyant en accroître l’effet. La littérature scientifique recense certes d’innombrables autres cas outre ceux présentés ici où des effets néfastes similaires sont observés lors de l’usage de centaines de produits différents [4]. Les cas présentés ici permettent toutefois de fournir un bref aperçu des effets de certains produits de santé naturels sur la santé de ceux qui les consomment et des risques engendrés par le faible contrôle de ces produits. Dans les paragraphes suivants, ces trois cas sont examinés de plus près.

Tout d’abord, le premier cas mentionné ici concerne la prise d’argent colloïdal, produit utilisé principalement pour ses propriétés antimicrobiennes et parfois dans le traitement de divers maux [5]. Cependant, l’ingestion de solutions d’argent colloïdal est la cause la plus fréquente de l’argyrisme généralisé [6]. Chez l’humain, environ 18 % des particules d’argent prises oralement sont absorbées et distribuées dans tous les organes. La peau de même que les autres régions atteintes prennent alors une teinte bleutée permanente. L’exposition au soleil accentue cette coloration cutanée, possiblement par la photoréduction des particules d’argent à l’intérieur de la peau [6,7]. Pour l’instant, excepté lors d’ingestions massives, il n’y a pas d’autre effet connu sur l’organisme que cette coloration de la peau et des organes, mais peu de recherches ont été menées sur le sujet [8,9]. En 2009, la U.S. Food and Drug Administration (FDA) a d’ailleurs émis un avertissement destiné aux consommateurs sur les risques d’argyrisme suivant la consommation de produits naturels contenant de l’argent [10].

Le deuxième cas discuté dans le présent article fait quant à lui état d’une surdose engendrée par la prise du produit de santé ayurvédique nommé Divya Swasari Ras. Ce produit, recommandé pour le traitement de problèmes respiratoires, semble bien connu, et il est facile de s’en procurer sur Internet. Il s’agit d’un mélange d’une vingtaine d’extraits de plantes et de minéraux se vendant en poudre dans un sachet qui ne contient aucune méthode de quantification pour le dosage. Sur l’emballage du produit, les indications précisent que le produit se prend de deux à trois fois par jour à des doses de 500 mg à 1 g. Dans le présent cas, le patient aurait accidentellement consommé dix fois cette dose. Cette consommation excessive a amené le médecin traitant à contacter le CAPQ qui a recommandé le dosage de la digoxine. Le dosage réalisé a permis de déceler une contamination par des glycosides cardiaques. Plusieurs plantes en contiennent, mais ils varient grandement en termes de quantité et de composition moléculaire [11,12,13]. Le dosage plasmatique de la digoxine lorsqu’il y a ingestion d’une plante est utilisé de façon qualitative seulement parce que les glycosides cardiaques ne se dosent pas, mais causent souvent un faux positif à la digoxine [14]. Par contre, l’antidote de la digoxine peut être efficace et est normalement recommandé lorsque le dosage est positif et que le patient présente une symptomatologie compatible justifiant son utilisation, peu importe le résultat de la digoxinémie [12].

Enfin, le dernier cas mentionné traite de l’utilisation d’un produit contenant des extraits de thé vert. Le thé vert, ou Camellia sinensis, est connu depuis des millénaires en Occident. Cette plante est habituellement consommée sous forme d’infusion, mais différentes formulations à base d’extraits de celle-ci ont été récemment mises en marché. Ces formulations sont utilisées en raison de leurs bénéfices potentiels sur le système cardiovasculaire ainsi que de leurs possibles propriétés amaigrissantes. Néanmoins, plusieurs cas d’hépatotoxicité reliés à la consommation de produits naturels contenant des extraits de thé vert ont été rapportés [15,16,17,18]. L’atteinte hépatique semble idiosyncrasique et parfois possiblement reliée à des interactions avec d’autres substances [16]. Comme les produits naturels contenant des extraits de thé vert ne sont pas soumis à des évaluations relativement à leur sécurité et à leur efficacité, leurs effets nocifs ne sont constatés qu’après leur mise en marché. Par ailleurs, il ne faut pas exclure la possibilité d’une contamination (que ce soit par extraction ou d’une autre façon), les erreurs d’identification et le manque de qualité. Néanmoins, la plupart des personnes dont le cas a été rapporté ont vu leur santé s’améliorer lorsqu’elles ont arrêté de prendre ce produit et reçu des soins de soutien, mais quelques-unes d’entre elles ont malgré tout dû subir une transplantation hépatique [16]. 

Conclusion

Les produits de santé naturels peuvent causer une toxicité, parfois par falsification ou par contamination, ou encore en raison d’un mauvais étiquetage, d’une utilisation inadéquate, ou simplement d’interactions avec d’autres médicaments. Malheureusement, ces produits sont peu contrôlés et souvent retirés du marché tardivement, alors que des effets toxiques sont déjà notés. De plus, vu que le public peut se les procurer aisément et qu’il y a peu d’informations à leur sujet, l’évaluation des risques pour la santé comparativement aux bénéfices réels n’est pas prise en considération. Toutefois, plusieurs fabricants font montre d’ouverture en ce qui a trait à de nouvelles mesures de contrôle de la qualité [19].

Remerciements

Les auteurs souhaitent exprimer leur gratitude envers la Dre Maude St-Onge pour la révision du présent document ainsi que pour ses précieux commentaires.

Toxiquiz

Quel est le nom de la pathologie engendrée par l’ingestion de composés d’argent?

A. Saturnisme.

B. Argyrisme.

C. Bérylliose.

D. Argentose.

*Vous voulez connaître la réponse? Voir la section Réponses située à la fin du bulletin en version PDF.

Pour toute correspondance

Olivier Jacques-Gagnon
Pavillon Jeffery-Hale
Centre antipoison du Québec
1270, chemin Sainte-Foy, 4e étage
Québec (Québec)  G1S 2M4
Courriel : [email protected]

Références

  1. Natural Products Association [En ligne]. Washington, DC : Natural Products Association; s.d. About the Natural Products Association [consulté le 3 mai 2017]. Disponible : http://www.npainfo.org/NPA/AboutNPA/AbouttheNaturalProductsAssociation.aspx
  2. Santé Canada [En ligne]. Santé Canada; s.d. Au sujet des produits de santé naturels [consulté le 3 mai 2017]. Disponible : http://www.hc-sc.gc.ca/dhp-mps/prodnatur/about-apropos/cons-eng.php
  3. Agbabiaka T, Wider B, Watson LK, Goodman C. Concurrent use of prescription drugs and herbal medicinal products in older adults: a systematic review protocol. Syst Rev. 2016;5:65.
  4. Zeng ZP, Jiang JG. Analysis of the adverse reactions induced by natural product-derived drugs. British Br J Pharmacol. 2010;159(7):1374-91.
  5. Maillard JY, Hartemann P. Silver as an antimicrobial: facts and gaps in knowledge. Crit Rev Microbiol. 2013;39(4):373-83.
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  7. Sterling JP. Silver-resistance, allergy, and blue skin: truth or urban legend? Burns. 2014;40 Suppl 1:
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  8. Silver. Dans : Micromedex [base de données en ligne]. Ann Arbour (MI) : Truven Health Analytics [cité le 3 mai 2017]. Disponible : http://www.micromedexsolutions.com. Inscription nécessaire pour consulter l’information.
  9. Saluja SS, Bowen AR, Hull CM. Resident rounds: Part III - Case report: Argyria – A case of blue-gray skin. J Drugs Dermatol. 2015;14(7):760-1.
  10. U.S. Food and Drug Administration [En ligne]. Silver Spring, MD : U.S. Food and Drug Administration; c2014. Consumer advisory: dietary supplements containing silver may cause permanent discoloration of skin and mucous membranes (argyria) [consulté le 3 mai 2017]. Disponible: https://www.fda.gov/Food/RecallsOutbreaksEmergencies/SafetyAlertsAdvisories/ucm184087.htm
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  14. Dasgupta A. Herbal supplements and therapeutic drug monitoring: focus on digoxin immunoassays and interactions with St. John’s wort. Ther Drug Monit. 2008;30(2):212-7.
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Ferland M-P, Jacques-Gagnon O. Produits de santé naturels : pas nécessairement sécuritaires. Bulletin d’information toxicologique 2017;33(2):4-7. [En ligne] https://www.inspq.qc.ca/toxicologie-clinique/produits-de-sante-naturels…

Numéro complet (BIT)

Bulletin d'information toxicologique, Volume 33, Numéro 2, juin 2017