Manifestations cardiovasculaires de l'intoxication au monoxyde de carbone

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Auteur(s)
Martin Laliberté
M.D., M. Sc, FRCPC, FACMT, Urgentologue, Centre universitaire de Santé McGill, Consultant en toxicologie clinique, Centre antipoison du Québec, Président, Association canadienne des centres antipoison

Introduction

Le monoxyde de carbone (CO) est un gaz incolore, inodore, insipide et sans propriétés irritatives, ce qui permet l’inhalation de concentrations importantes et potentiellement létales sans que la victime ne puisse en détecter le danger.

L’intoxication par le monoxyde de carbone représente chaque année l’une des principales causes de mortalité par intoxication dans les pays industrialisés; de 1000 à 2000 décès sont reliés au CO chaque année aux États-Unis. La fréquence des intoxications non létales est probablement beaucoup plus importante, mais elle est difficile à évaluer avec précision en raison de la nature non spécifique des symptômes et signes cliniques de l’intoxication. Aux États-Unis, on estime annuellement à plus de 42 000 visites dans les départements d’urgence pour des intoxications reliées au CO, avec un taux annuel de visite à l’urgence de 16,5 par 100 000 habitants (1).

En 2007, 528 intoxications par le CO ont été rapportées au Centre Anti-Poison du Québec. Plus de 60 % de ces intoxications ont dû être évaluées ou traitées en milieu hospitalier (2).

Le monoxyde de carbone est produit lors de la combustion incomplète de matériel organique. La quantité produite dépend de plusieurs facteurs tels que l’efficacité de la combustion, la disponibilité d’oxygène lors de la combustion et la présence d’impuretés dans le matériel.

Les sources possibles de monoxyde de carbone sont multiples, les principales étant : appareils de chauffage défectueux, tuyaux d'échappement d'automobile, charriots élévateurs et autres équipements industriels, exposition à la fumée d'incendie.

Physiopathologie

L’intoxication au monoxyde de carbone se caractérise principalement par une hypoxie tissulaire. Il est bien connu que le CO se lie de façon compétitive à l’hémoglobine (Hb) pour former la carboxyhémoglobine (COHb), une hémoglobine anormale qui ne peut servir au transport de l’oxygène. L’affinité du CO pour l’hémoglobine est de 200 à 250 fois plus importante que celle de l’oxygène. Le monoxyde de carbone entraîne ainsi une modification et un déplacement vers la gauche de la courbe de dissociation de l’oxyhémoglobine, limitant la libération d’oxygène au niveau tissulaire (3). L’hypoxie cellulaire résultant de la formation de COHb a comme effet néfaste une augmentation réflexe de la ventilation-minute, ce qui augmente l’absorption pulmonaire de CO dans le contexte d’une exposition persistante et peut conduire rapidement au décès.

Manifestations cliniques de l'intoxication

Les manifestations cliniques d’une exposition aiguë au CO sont multiples et non spécifiques. Le diagnostic sera donc souvent difficile à effectuer et un haut niveau de suspicion devra être maintenu en tout temps. À cet effet, la présence de symptômes non spécifiques chez plus d’une personne dans un même lieu physique devrait faire songer à une intoxication au CO. Les manifestations cliniques non spécifiques les plus fréquentes sont : céphalées, nausées, vomissements, faiblesse généralisée, syndrome pseudogrippal. Les manifestations cliniques neurologiques sont : étourdissements, irritabilité, ataxie, troubles de la mémoire, altération du jugement, diminution de la concentration, convulsions, coma. 

La sévérité de l’intoxication au CO dépend de plusieurs facteurs : la concentration ambiante en CO, la durée de l’exposition, la susceptibilité de l’individu aux effets du CO et l’état de santé général de l’individu exposé. En présence de manifestations cliniques caractéristiques, le diagnostic clinique de l’intoxication au CO devra être évoqué dans le contexte d’une exposition identifiable au CO. Même si elle ne constitue pas un marqueur fiable de sévérité de l’exposition, une élévation significative de la COHb chez un non-fumeur permet de confirmer la suspicion clinique d’une exposition. Un niveau supérieur à 3 % chez un non-fumeur ou à 10 % chez un fumeur doit être considéré comme anormal. 

Une exposition significative au CO peut entraîner des séquelles neurologiques qui peuvent persister pendant une période plus ou moins prolongée. Les séquelles neurologiques décrites sont : apathie, troubles de la mémoire, dépression, anxiété, ataxie, apraxie, agnosie, déficits moteurs focaux, altération de la vision, syndrome parkinsonien, changements de personnalité, psychose, démence, neuropathie périphérique. Ces effets neurotoxiques peuvent parfois être subtils et, de par leur nature non spécifique, ne pourront être mis en évidence que par une évaluation neurologique complète à l’aide de tests psychométriques.

Toxicité cardiovasculaire

Même si l'accent est habituellement mis sur les complications neurologiques, il est également essentiel de considérer avec attention les manifestations cliniques cardiovasculaires de l'intoxication au CO. La formation de COHb, comme discuté précédemment, ne constitue pas le seul mécanisme impliqué dans l’intoxication au CO et d'autres mécanismes physiopathologiques ont été proposés. Le monoxyde de carbone se lie à la myoglobine cardiaque à partir d'un niveau de COHb de l’ordre de 2 %. La liaison avec la myoglobine pourrait jouer un rôle majeur dans la dépression myocardique associée à une intoxication au CO, étant donné le rôle important que possède cette protéine dans la diffusion intracellulaire de l’oxygène. L'altération de la fonction de la myoglobine est associée à une diminution de la captation et de la diffusion de l’oxygène ainsi que de la phosphorylation oxydative au niveau du myocarde (4,5). Le monoxyde de carbone peut également se lier à la cytochrome oxydase, une enzyme qui représente une étape cruciale de la chaîne de transport d’électron au niveau mitochondrial (respiration cellulaire). Cette liaison a comme conséquence une altération dans la production d'énergie et une acidose intracellulaire (6). L’exposition au monoxyde de carbone entraîne également une libération d’oxyde nitrique à partir des plaquettes et des cellules endothéliales vasculaires avec diffusion dans les tissus périvasculaires. L’oxyde nitrique est un médiateur physiologique majeur et un radical libre de très courte durée de vie qui possède un potentiel cytotoxique (7). La dépression myocardique combinée avec une vasodilatation périphérique secondaire à l’augmentation des concentrations d'oxyde nitrique au niveau de l’endothélium vasculaire peut avoir comme conséquence une hypotension artérielle avec réduction de la perfusion cérébrale pouvant conduire à une perte de conscience et, subséquemment, à l'apparition des manifestations neurologiques de l'intoxication. Dans le contexte d’une intoxication au CO, une perte de conscience transitoire est généralement considérée comme un facteur de mauvais pronostic. Les manifestations cardiovasculaires possibles de l'intoxication au monoxyde de carbone comprennent la syncope et les arythmies comme le  flutter et la fibrillation auriculaire, la tachycardie ventriculaire et la fibrillation ventriculaire. De plus, il semble que l'ischémie myocardique soit une manifestation fréquente de l'intoxication au monoxyde de carbone.

Dans une étude publiée en 2005, Satran et coll. suggèrent que l'ischémie myocardique est fréquente à la suite d’une intoxication significative au CO (8). Les auteurs ont évalué de façon prospective 230 patients traités par oxygénothérapie hyperbare pour une intoxication au CO jugée modérée ou sévère. Les patients ont reçu une évaluation cardiaque systématique dès l'admission avec mesure de la COHb, électrocardiogramme et mesure sériée des enzymes cardiaques. L’âge moyen des patients était de 47 ans. La plupart des patients étaient en bonne santé et seulement 7 % d’entre eux avaient une histoire de maladie coronarienne antérieure. Dans cette étude, 30 % des patients ont présenté de l'ischémie à l'électrocardiogramme et 44 % des patients ont présenté une élévation des enzymes cardiaques. L'intoxication au CO peut entraîner une ischémie myocardique chez les jeunes patients sans facteurs de risque cardiovasculaire lors d'une intoxication sévère avec manifestations neurologiques majeures. De plus, le CO peut causer une ischémie myocardique chez les patients plus âgés avec facteurs de risque cardiovasculaire en démasquant une maladie coronarienne silencieuse sous-jacente.

Dans une étude publiée en 2006, les mêmes auteurs rapportent le suivi de la même cohorte de 230 cas sur une période médiane de 7,6 ans (9). Dans cette cohorte, la présence d'une ischémie myocardique consécutive à une intoxication au CO prédit un excès de mortalité à long terme. Parmi les patients ayant présenté une ischémie myocardique à la suite de l'intoxication au CO, 38 % sont décédés pendant la période d'observation, soit une mortalité trois fois supérieure à celle attendue dans ce groupe d'âge, environ la moitié de ces décès étant attribuables à des causes cardiovasculaires. Cet excès de mortalité à long terme est similaire à ce qui est rapporté avec l'ischémie myocardique associée à d'autres conditions cliniques comme le choc septique, l'embolie pulmonaire et l'accident vasculaire cérébral.

L’exposition au monoxyde de carbone est donc associée à une dépression myocardique explicable en partie par le stress hypoxique, par sa liaison avec la myoglobine au niveau myocardique et par sa liaison avec la cytochrome oxydase au niveau mitochondrial. Les manifestations cardiovasculaires possibles de l'intoxication au CO comprennent la syncope et les arythmies comme le flutter et la fibrillation auriculaire, la tachycardie ventriculaire et la fibrillation ventriculaire. De plus, il semble que l'ischémie myocardique soit une manifestation fréquente de l'intoxication au CO.

Conclusion

L’intoxication au monoxyde de carbone représente un problème de santé publique majeur et constitue l’une des principales causes d’intoxication environnementale et professionnelle partout dans le monde. Les manifestations cardiovasculaires de l'intoxication au CO jouent un rôle majeur dans le développement des complications neurologiques. À la suite d’une intoxication au CO significative, l'ischémie myocardique est fréquemment rencontrée. Il semble que l'ischémie myocardique associée à l'intoxication au CO pourrait être associée à long terme à un excès de mortalité cardiovasculaire.

Références

  1. Hampson NB. Emergency department visits for carbon monoxide poisoning in the Pacific Northwest. J Emerg Med. 1998 Sep-Oct;16(5):695-8.
  2. Centre Anti-Poison du Québec. Statistiques d’intoxications par le monoxyde de carbone. Non publié.
  3. Roughton FJW. The effect of carbon monoxide on the oxyhemoglobin dissociation curve. Am J Physiol. 1944;141:17–31.
  4. Coburn RF, Ploegmakers F, Gondrie P, Abboud R. Myocardial myoglobin oxygen tension. Am J Physiol. 1973 Apr;224(4):870-6.
  5. Gandini C, Castoldi AF, Candura SM, Locatelli C, Butera R, Priori S, Manzo L. Carbon monoxide cardiotoxicity. J Toxicol Clin Toxicol. 2001;39(1):35-44.
  6. Miró O, Casademont J, Barrientos A, Urbano-Márquez A, Cardellach F. Mitochondrial cytochrome c oxidase inhibition during acute carbon monoxide poisoning. Pharmacol Toxicol. 1998 Apr;82(4):199-202.
  7. Thom SR, Ohnishi ST, Ischiropoulos H. Nitric oxide released by platelets inhibits neutrophil B2 integrin function following acute carbon monoxide poisoning. Toxicol Appl Pharmacol. 1994 Sep;128(1):105-10.
  8. Satran D, Henry CR, Adkinson C, Nicholson CI, Bracha Y, Henry TD. Cardiovascular manifestations of moderate to severe carbon monoxide poisoning. J Am Coll Cardiol. 2005 May 3;45(9):1513-6.
  9. Henry CR, Satran D, Lindgren B, Adkinson C, Nicholson CI, Henry TD. Myocardial injury and long-term mortality following moderate to severe carbon monoxide poisoning. JAMA. 2006 Jan 25;295(4):398-402.

Laliberté M. Manifestations cardiovasculaires de l'intoxication au monoxyde de carbone. Bulletin d’information toxicologique 2009;25(1):1-3. [En ligne] https://www.inspq.qc.ca/toxicologie-clinique/manifestations-cardiovascu…

Numéro complet (BIT)

Bulletin d'information toxicologique, Volume 25, Numéro 1, août 2009