Insuline/glucose dans le traitement de l'intoxication par les bloqueurs du canal calcique

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Auteur(s)
Lyse Lefebvre
B. Pharm., Pharmacienne, Institut national de santé publique du Québec

Introduction

Les intoxications par les médicaments cardiotoxiques, dont les bêtabloquants et les bloqueurs du canal calcique (BCC), sont associées à une morbidité et à une mortalité importantes.

Au Québec, le nombre d’intoxications par des bloqueurs du canal calcique progresse constamment depuis plus de 15 ans, étant passé d’une centaine de cas rapportés en 1991 à 315 en 2006, dont plus de 60 % ont nécessité des soins médicaux en milieu hospitalier. Plusieurs des patients intoxiqués ont présenté une symptomatologie sévère, et plusieurs décès consécutifs à ces intoxications ont été rapportés annuellement, soit 25 au total. (1)

Physiopathologie

Les bloqueurs du canal calcique sont utilisés depuis la fin des années 70 pour le traitement de l’hypertension, des arythmies, de l’angine stable, de l’hémorragie sous-arachnoïdienne, de l’œdème pulmonaire d’altitude, de la migraine et de la maladie de Raynaud. (2)

Ces médicaments empêchent l’entrée du calcium dans les cellules par blocage des canaux calciques lents (type L), qui se trouvent dans les cellules du myocarde, les cellules des muscles lisses vasculaires et les cellules bêta des îlots pancréatiques. Les BCC empêchent l’ouverture des canaux calciques, qui dépendent d’un potentiel d’action, et diminuent l’entrée de calcium dans les cellules pendant la phase 2 de la dépolarisation. (3, 4)

Les différents BCC peuvent être plus ou moins sélectifs et influer sur les récepteurs alpha, bêta1  ou bêta2 et ce, à des degrés différents. Ainsi, les dihydropyridines comme l’amlodipine, la félodipine, la nifédipine ou la nimodipine exercent principalement leur action au niveau vasculaire et sont des vasodilatateurs périphériques. Le diltiazem (benzothiazépine) et le vérapamil (phénylalkylamine), moins sélectifs, exercent leur action tant au niveau cardiaque que périphérique. (2, 3, 5, 6) Le vérapamil et, à un moindre degré, le diltiazem, dépriment la conduction sino-auriculaire et auriculo-ventriculaire ainsi que la contractilité cardiaque et la résistance vasculaire périphérique. Il en résulte des effets inotrope, chronotrope, bathmotrope et dromotrope négatifs. (6)

Le blocage excessif des canaux calciques lors d’un surdosage entraîne principalement de l’hypotension ou un état de choc dû à un dysfonctionnement cardiaque (bradycardie, délai de conduction et effet inotrope négatif) ainsi qu’une vasodilatation périphérique. (4)

Au niveau pancréatique, le blocage des canaux calciques de type L diminue la libération d’insuline par les cellules bêta des îlots de Langerhans et l’utilisation du glucose par les tissus en altérant la sensibilité à l’insuline. Il peut en découler une hyperglycémie. (2, 6)

Présentation clinique

L’hypotension est le signe cardiovasculaire le plus fréquemment rencontré lors d’un surdosage par les BCC. Elle est principalement consécutive à la vasodilatation périphérique et, avec l’augmentation de la concentration du médicament, à la diminution de la contractilité cardiaque. Le bloc cardiaque progresse typiquement de la bradycardie sinusale au bloc du 1 er degré, à la bradycardie jonctionnelle jusqu’à un rythme idioventriculaire lent et à l’asystolie. Ce tableau peut survenir lors d’intoxication par n’importe lequel des BCC mais le bloc cardiaque est généralement plus important et plus précoce lors d’un surdosage par le vérapamil ou le diltiazem. (7)

Les autres effets rapportés lors de l’intoxication par les BCC incluent la somnolence, la confusion et, rarement, des convulsions. Le coma, lorsqu’il survient, est généralement secondaire à l’hypoperfusion cérébrale. Au niveau gastro-intestinal, nausées et vomissements ont été rapportés. Les effets métaboliques comprennent entre autres l’hyperglycémie et l’acidose lactique. (7)

Traitement conventionnel

En plus du traitement de support, de la décontamination et de l’administration de soluté salin intraveineux pour le remplissage vasculaire, plusieurs traitements peuvent être entrepris  chez un patient intoxiqué par les BCC. Traditionnellement, ils incluent l’atropine, les vasopresseurs et les cardiotoniques (dopamine, épinéphrine, dobutamine et norépinéphrine) ainsi que l’assistance circulatoire mécanique (stimulateur cardiaque externe ou transveineux, circulation extracorporelle). (8-11)

Le traitement antidotique de l’intoxication par les BCC vise à accroître le flot transmembranaire de calcium. Ce but peut être atteint en augmentant la concentration extracellulaire de calcium par l’administration intraveineuse de chlorure ou de gluconate de calcium. (4, 8, 10)

Le glucagon, même s’il n’est pas le premier choix, peut aussi être utile dans le traitement de l’intoxication par les BCC. (10) En effet, le glucagon pourrait augmenter les niveaux d’AMPc, favorisant ainsi l’influx de calcium intracellulaire. Il en résulte des effets cardiaques chronotrope et inotrope positifs.

Justification de l'hyperinsulinémie-euglycémie 

L’insuline a été utilisée avec succès au cours des dernières années comme antidote dans l’intoxication par les BCC.

En effet, l’hyperglycémie est une manifestation fréquente de l’intoxication aiguë par les BCC. Ainsi, les effets directs du blocage des canaux calciques, l’hypo-insulinémie et la résistance à l’insuline résultant de ce blocage au niveau pancréatique peuvent s’avérer la pierre angulaire dans la physiopathologie de la toxicité cardiovasculaire de ces médicaments. (4, 8)

Cet état d’hypo-insulinémie et d’hyperglycémie peut être renversé par l’administration de fortes doses d’insuline. L’administration concomitante de glucose permet d’éviter l’hypoglycémie.

Les premières données scientifiques supportant l’utilisation de l’insuline-glucose dans l’intoxication par les BCC sont issues de l’expérimentation animale. Dans des études effectuées sur des chiens sévèrement intoxiqués au vérapamil, Kline et al ont démontré que l’administration d’insuline et de glucose améliore de façon significative la condition cardiaque et augmente le taux de survie. (12, 13)

Plusieurs cas d’intoxication par les BCC où l’administration d’insuline-glucose a entraîné une amélioration de la condition des patients ont par la suite été rapportés dans la littérature médicale.

En 1999, Yuan et al ont signalé une série de 5 cas d’intoxication, dont quatre par vérapamil et un par amlodipine-aténolol. Tous les patients présentaient un choc circulatoire hypodynamique (hypotension, bradycardie et/ou acidose) qui ne répondait pas adéquatement au traitement conventionnel. Après administration d’insuline-glucose, leur statut hémodynamique s’est stabilisé et tous ont survécu sans séquelles.

Bien qu’aucune étude contrôlée n’ait jusqu’à présent démontré l’efficacité de l’hyperinsulinémie-euglycémie dans le traitement de l’intoxication par les BCC, plusieurs auteurs ont fait mention de cas cliniques survenus chez des adultes. Ce traitement, utilisé concurremment au traitement conventionnel par solutés IV, catécholamines, atropine, stimulateur cardiaque, sels de calcium et glucagon, s’est avéré efficace. (2, 8, 1522)

Quelques cas d’intoxications pédiatriques par les BCC traités avec succès par insuline-glucose ont aussi été rapportés. (14, 19, 23, 24)

Enfin, quelques cas au cours desquels le traitement avec insuline-glucose, introduit tardivement, n’a pas réussi à améliorer la condition du patient ont également été mentionnés. (25-27).

Ces observations démontrent les effets bénéfiques de l’hyperinsulinémie-euglycémie dans le traitement des patients intoxiqués par les BCC et dont la circulation est compromise. Selon certains auteurs, il semble que, dans plusieurs cas d’échec, l’administration d’insuline-glucose ait été débutée tardivement. Ils suggèrent donc que ce traitement soit envisagé plus tôt lors d’une intoxication et non pas uniquement en dernier recours. (4, 28)

Puisque l’insuline est à la fois un puissant agent inotrope et un vasodilatateur, mais qu’elle n’exerce aucun effet chronotrope ou dromotrope, son action dans l’intoxication par les BCC consiste principalement en une amélioration de l’hypotension et de l’acidose. Ses effets se manifestent 30 à 45 minutes après le début de l’administration. L’effet de l’insuline sur la bradycardie et la conduction cardiaque est variable et peut difficilement être différencié de ceux reliés à l’amélioration de l’état hémodynamique. (4, 9)

Principe d'administration de l'insuline-glucose

Même si aucun consensus n’a été établi à ce jour concernant un protocole d’administration de l’insuline-glucose, plusieurs auteurs ont formulé des recommandations. (4, 6, 9, 10, 17, 18, 29, 30)

Le CAPQ préconise d’administrer un bolus d’insuline de 1 U/kg IV, suivi d’une perfusion de 0,5 – 1 U/kg/h. Afin d’assurer l’euglycémie, il faut administrer simultanément un bolus de 25 g de glucose IV, suivi d’une perfusion de 15 à 30 g/h, à ajuster en fonction de la glycémie. (31)

L’objectif du traitement est d’augmenter la tension artérielle systolique à au moins 100 mg Hg et la fréquence cardiaque à au moins 50 battements par minute. (29)

Le monitorage étroit de la glycémie est essentiel afin de la maintenir dans les limites supérieures de la normale. On conseille de surveiller la glycémie au chevet aux 30 minutes pendant les 4 premières heures au moins et d’ajuster la perfusion de glucose au besoin. (31)

Comme l’insuline fait entrer le potassium dans la cellule en même temps que le glucose, une surveillance étroite de la kaliémie est recommandée. (31) Cette dernière devrait être évaluée aux heures et maintenue à entre 2,8 et 3,2 mmol/L. (29)

La durée de la perfusion d’insuline-glucose est dictée principalement par la sévérité des signes, soit l’hypotension avec ou sans bradycardie. Un besoin accru en glucose en cours de traitement peut être un indice de l’efficacité du traitement . On pourra alors diminuer la perfusion d’insuline en fonction de la réponse cardio-vasculaire. (31)

En raison de sa longue durée d’action, l’insuline pourra être diminuée progressivement, puis cessée lorsque les signes vitaux seront redevenus acceptables. (29, 31)

Conclusion

Les preuves expérimentales et cliniques de la valeur et de l’innocuité de l’hyperinsulinémie-euglycémie dans le traitement des intoxications graves par les BCC sont de plus en plus nombreuses.

Bien que le mécanisme de son action bénéfique ne soit pas encore complètement élucidé, l’hyperinsulinémie-euglycémie devrait être envisagée chez les patients dont l’équilibre hémodynamique est compromis à la suite d’un surdosage par les BCC. En effet, même si l’administration d’insuline-glucose n’est pas efficace dans tous les cas, elle peut souvent permettre de renverser l’état de choc en améliorant la tension artérielle et la contractilité cardiaque et en corrigeant l’acidose lactique.

L’administration d’insuline-glucose ne doit pas remplacer les autres approches thérapeutiques lors d’une intoxication par les BCC; elle doit cependant être considérée comme un ajout valable permettant de renverser la symptomatologie de ces intoxications trop souvent fatales.

Références

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Lefebvre L.  Insuline/glucose dans le traitement de l'intoxication par les bloqueurs du canal calcique. Bulletin d’information toxicologique 2007;23(1):1-5. [En ligne]  https://www.inspq.qc.ca/toxicologie-clinique/insulineglucose-dans-le-tr…

Numéro complet (BIT)

Bulletin d'information toxicologique, Volume 23, Numéro 1, juin 2007