Ritalin® : pour ou contre?

Volume 12, Numéro 1

Auteur(s)
Lyse Lefebvre
B. Pharm., Pharmacienne, Institut national de santé publique du Québec

Introduction

Le méthylphénidate, un stimulant bien connu et le plus souvent désigné par son nom commercial soit Ritalin® est devenu depuis quelques temps un sujet d'actualité tant dans les revues médicales que dans les médias destinés au grand public.

Le méthylphénidate est depuis longtemps utilisé pour le traitement de l'hyperactivité chez l'enfant mais l'augmentation rapide du nombre d'ordonnances de méthylphénidate laisse songeur. Qu'en est-il réellement ? Ce traitement pharmacologique est-il efficace ? Le méthylphénidate est-il prescrit de façon rationnelle ? Quels sont les effets secondaires à court et à long terme de son utilisation ? Le Ritalin® possède-t-il un réel potentiel de dépendance et son utilisation à des fins non médicales représente-t-elle un problème sérieux ?

Aux États-Unis, on estime que plus d'un million d'enfants prennent quotidiennement du Ritalin® afin de diminuer les problèmes d'apprentissage associés au trouble déficitaire de l'attention (TDA). Ce nombre représente une augmentation de 250% depuis 1990. Au Québec, bien que nous ne disposions pas de statistiques récentes sur ce sujet, on remarque une croissance rapide du nombre d'enfants qui prennent quotidiennement des stimulants, particulièrement, du méthylphénidate.

Le TDA et le trouble déficitaire de l'attention avec hyperactivité motrice (TDA-H) touchent de 1.2 à 20 % des enfants d'âge scolaire, selon les différents auteurs consultés. Les garçons seraient affectés 8 à 10 fois plus souvent que les filles.

Selon le DSM-IV (Diagnostic and Statistic Manual, 4e édition, de l'Association américaine de psychiatrie), le TDA ou TDA-H consiste en une inattention anormale pour l'âge réel et une impulsivité avec ou sans hyperactivité motrice.

Au cours des années 50, on qualifiait ces enfants d'hyperkinétiques. Le terme "trouble déficitaire de l'attention" a été suggéré en 1980. En 1987, on ajoutait "hyperactivité" pour désigner la grande majorité des enfants qui en plus des troubles d'apprentissage et de comportement, ont une hyperactivité motrice.

Le TDA-H est un problème qui se manifeste au cours de l'enfance bien que le diagnostic puisse être retardé jusqu'à l'adolescence et parfois même l'âge adulte. D'ailleurs, même si on a longtemps cru que le TDA/TDA-H se résorbait au cours de l'adolescence, on sait maintenant que l'hyperactivité ne disparaît pas nécessairement avec le temps et qu'un à deux tiers des patients continuent à en démontrer les symptômes pendant l'adolescence et à l'âge adulte.

Les signes principaux du TDA avec ou sans hyperactivité sont caractérisés par l'inattention, l'impulsivité et l'hyperactivité. Cependant, jusqu'à un certain point, tous les enfants peuvent présenter ces caractéristiques. En effet, la plupart des enfants sont distraits à certains moments de la journée, agissent occasionnellement de façon impulsive et s'amusent à courir et sauter parfois imprudemment. Le diagnostic du TDA sera basé essentiellement sur la présence concurrente de plusieurs des symptômes de chaque groupe. L'inattention est caractérisée par les symptômes suivants : l'enfant accorde peu d'attention aux détails et fait des erreurs par négligence; il est incapable d'être attentif pendant une longue période; il ne semble pas écouter lorsqu'on s'adresse à lui; il ne suit pas les directives et n'achève pas les tâches entreprises; il organise difficilement son travail; il évite les activités qui requièrent un effort mental prolongé; il perd souvent des objets; il est facilement distrait de son travail par des stimuli extérieurs; il oublie fréquemment ce qu'il doit faire quotidiennement. L'impulsivité et l'hyperactivité sont souvent difficiles à distinguer l'une de l'autre. L'hyperactif tripote et agite les mains et les pieds ou se tortille sur son siège sans arrêt; il ne peut rester assis quand on le lui demande; il court et grimpe partout de manière excessive; il a de la difficulté à jouer calmement; il se comporte comme s'il était actionné par un moteur et il parle excessivement, interrompant fréquemment les autres. L'enfant impulsif agit avant de réfléchir; ainsi il gaffe souvent et répond avant de connaître la question.

Il est évident que des enfants qui présentent plusieurs de ces symptômes exigent une quantité disproportionnée d'attention de la part des parents, professeurs et autres adultes qui en ont la responsabilité. C'est d'ailleurs très souvent, suite à des pressions des professeurs et des parents que le médecin établira un diagnostic de TDA, ce qui a pour conséquence, dans la plupart des cas, d'entraîner la prescription d'un stimulant, généralement, le méthylphénidate.

L'épineuse question du Ritalin® confond les médecins, les éducateurs, les parents et parfois même les enfants. En effet, si la plupart des médecins reconnaissent l'utilité du méthylphénidate dans certains cas, plusieurs n'en sont pas moins convaincus que la prescription de Ritalin® est excessive. Même s'il faut reconnaître que pour certains élèves, le méthylphénidate peut représenter la différence cruciale entre échouer un examen ou être en mesure de rester assis suffisamment longtemps pour le réussir, il faut admettre que pour ceux qui n'en ont pas vraiment besoin, les stimulants ne sont pas seulement inutiles mais qu'ils peuvent être très dommageables.

L'utilisation rationnelle du Ritalin® repose donc essentiellement sur la qualité du diagnostic et sur une bonne compréhension du TDA-H. L'augmentation du nombre d'enfants qui prennent régulièrement du Ritalin® est-elle justifiée ? Est-elle simplement due au fait que les médecins, mieux informés, reconnaissent plus facilement le TDA ou TDA-H lorsqu'ils sont en présence d'un enfantqui en démontre les symptômes ? Ou bien la vie dans notre société est-elle devenue tellement infernale que les adultes n'ont plus la patience nécessaire pour supporter les exigences souvent astreignantes des enfants ? Le TDA-H souffre-t-il du syndrome de la "maladie de la décennie" ? C'est un fait connu que les professeurs, parfois même au niveau préscolaire, poussent les parents d'enfants actifs à leur faire prescrire du Ritalin®. De la même façon, les psychologues scolaires, surchargés par le nombre d'enfants qui leur sont envoyés, se sentent pressés de recommander le recours aux médicaments avant même d'avoir le temps de commencer une évaluation. Aux États-Unis, on estime que près de la moitié des enfants qui sont envoyés en consultation psychiatrique pour TDA-H souffrent de toutes sortes d'autres problèmes tels que troubles d'apprentissage, dépression ou anxiété, dont les manifestations ressemblent au TDA-H mais qui ne nécessitent pas de Ritalin®.

Il ne s'agit donc pas ici de déterminer si le TDA-H existe et si les stimulants peuvent améliorer les performances scolaires et le comportement social de ceux qui en souffrent mais plutôt de déterminer les conséquences, pour l'avenir, de l'enfant hyperactif non traité et les effets secondaires de la médication.

En effet, on a constaté que les enfants ayant un TDA-H présentent un risque augmenté de toxicomanie, alcoolisme, personnalité antisociale, troubles de somatisation et délinquance. Heureusement, il semble qu'un traitement précoce soit bénéfique et diminue le risque de problèmes à l'adolescence ou à l'âge adulte.

Le traitement du TDA-H est encore un sujet de recherche d'intérêt majeur. La pharmacothérapie est le traitement dont les effets sont les plus rapides. Cependant, bien que l'on connaisse les effets à court terme des médicaments sur le comportement, leurs effets à long terme sur l'apprentissage et la réussite sont moins bien définis. Les traitements non médicamenteux doivent constituer une partie importante du plan de traitement et inclure une thérapie cognitivo-comportementale, une formation corrective au besoin, l'apprentissage au comportement social adapté ainsi qu'une éducation des parents et autres membres de la famille concernant les techniques de prise en charge de l'enfant ayant un TDA-H. Ainsi, même si les stimulants peuvent avoir un effet bénéfique sur l'inattention et sur l'hyperactivité/impulsivité et permettre une amélioration du comportement et des résultats scolaires chez 60 à 80% des enfants ayant un TDA-H, ils ne devraient jamais constituer la seule thérapie entreprise pour aider l'enfant.

Le méthylphénidate est le stimulant le plus souvent prescrit pour le contrôle du TDA-H mais d'autres stimulants tels que la dextroamphétamine et la pémoline peuvent aussi être prescrits lorsque le méthylphénidate n'est pas efficace. Bien que certains enfants puissent bénéficier du traitement par le méthylphénidate, les effets secondaires de cette médication soulèvent beaucoup d'inquiétude.

Les effets secondaires les plus fréquents du méthylphénidate sont: insomnie, irritabilité, douleurs abdominales, diminution de l'appétit et perte de poids, augmentation du rythme cardiaque et de la tension artérielle. Ces effets secondaires sont généralement bénins et peuvent être contrôlés en ajustant la dose et l'horaire d'administration. Cependant, si l'on connaît les effets secondaires à court terme du méthylphénidate, ses effets à long terme soulèvent beaucoup d'inquiétude chez les parents des enfants ayant un TDA-H. Le potentiel d'abus des stimulants est bien connu et il existe un important marché noir pour le Ritalin®. Il est donc naturel de s'interroger sur le risque de dépendance physique ou psychologique qu'il peut entraîner chez l'enfant qui en consomme quotidiennement. La dépendance aux stimulants est surtout psychologique et est due à l'euphorie intense qu'ils produisent. Les symptômes physiques lors du sevrage sont beaucoup moins importants que les symptômes psychologiques. Aux doses utilisées pour le traitement du TDA-H, le Ritalin® ne causerait pas suffisamment d'euphorie pour entraîner le développement de la dépendance. D'autres effets à long terme tels que les tics faciaux et le retard de croissance sont aussi observés. Ces symptômes peuvent nécessiter l'arrêt du traitement si les inconvénients sont plus importants que les bénéfices du traitement.

Un aspect qui est souvent négligé concerne les conséquences psychosociales du traitement pharmacologique du TDA-H. Outre les effets recherchés sur le comportement de l'enfant, la prescription de Ritalin® peut modifier la perception que l'enfant a de sa propre efficacité et de son sens des responsabilités. Le fait de prendre ces médicaments peut renforcer l'idée de l'enfant qu'il est différent des autres et lui laisser croire qu'on n'attend pas de lui qu'il se comporte de façon appropriée pour son âge. De plus, la famille et les professeurs renforcent souvent cette notion en traitant différemment l'enfant hyperactif. Par exemple, lorsqu'un enfant commet une faute mineure, il est fréquent que l'adulte demande à l'enfant hyperactif : "As-tu pris tes médicaments ce matin ?" alors que la même faute commise par un frère ou un camarade entraînera généralement un commentaire l'incitant à se conduire correctement, impliquant une certaine capacité de se contrôler alors que dans le cas de l'hyperactif, on recherche un correctif externe sous forme de médication.

Un autre effet du Ritalin® est la perception que les autres enfants ont de ceux qui sont traités par ce médicament. Les relations entre les enfants hyperactifs et les autres enfants sont souvent difficiles et la perception négative dont ils sont victimes n'est sans doute pas seulement due au fait qu'ils prennent un médicament. Leur impulsivité et leurs comportements souvent inacceptables sont probablement responsables de leurs difficultés d'intégration. Enfin, bien qu'on ne constate pas de risque important de dépendance au Ritalin® chez les enfants ayant un TDA-H, le méthylphénidate est reconnu comme une drogue d'abus et il existe un marché noir qui atteint même la cour d'école exposant les enfants qui prennent du Ritalin® à toutes sortes d'agressions et de chantage de la part de ceux qui en abusent.

Les inconvénients et les avantages du traitement pharmacologique duTDA-H sont multiples. L'important est donc de limiter l'usage de stimulants aux enfants qui en ont un réel besoin pour assurer un fonctionnement social adéquat. Le diagnostic du TDA-H doit comprendre plusieurs évaluations. Plusieurs étapes sont nécessaires pour poser un diagnostic aussi lourd de conséquences. Le médecin devrait tenir compte des observations des parents et des professeurs, d'un psychologue scolaire, si possible, et effectuer un examen physique complet. Il devrait consulter un spécialiste, psychiatre ou neurologue qui évaluera les problèmes émotionnels et la situation familiale de l'enfant et écartera la possibilité d'autres problèmes tels que dépression ou anxiété sévère. Des tests permettant d'évaluer les problèmes d'apprentissage devraient aussi être effectués.

Dans le cas d'un diagnostic de TDA-H, la prescription de méthylphénidate doit toujours être accompagnée d'un programme de modification du comportement et le médecin doit surveiller continuellement les progrès de l'enfant.

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Numéro complet (BIT)

Bulletin d'information toxicologique, Volume 12, Numéro 1, avril 1996