Ingestion pédiatrique de détergent à lessive ensaché
Volume 32, Numéro 3
Résumé
Depuis l’arrivée sur le marché des détergents à lessive ensachés, plusieurs enfants se sont intoxiqués en les manipulant. D’ailleurs, l’incidence de ce type d’intoxication est à la hausse en Amérique du Nord. Apparemment, certains enfants développent des symptômes mineurs digestifs ou irritatifs, alors que d’autres développent des symptômes importants pouvant même nécessiter une intubation. Étant donné que le mécanisme d’action menant à des effets graves suivant une ingestion n’est pas encore complètement compris, il est nécessaire d’axer les efforts sur la prévention auprès des fabricants de ce type de détergent, mais aussi auprès des familles qui achètent ces produits.
Introduction
Pour publiciser leurs produits et en favoriser la diversité, l’attrait ainsi que la commodité, les compagnies de détergent à lessive ont commencé à produire des petits formats de détergents à lessive ensachés (DLE) individuellement. Le phénomène s’est propagé à la grande majorité des fabricants de détergents à lessive dès 2001 en Europe, puis à compter de 2011 en Amérique du Nord(1). Avec la variété de produits offerts, le nombre d’intoxications par les détergents à lessive des deux côtés de la frontière nord-américaine a augmenté de manière importante(3,4). Faciles à prendre dans une petite main et conçus dans des couleurs vives et stimulantes, les DLE sont très attrayants pour les enfants âgés de 6 ans et moins(2). Ils sont pris à tort pour des bonbons autant que pour des jouets. Et il ne faut pas oublier que les enfants de 2 ans et moins portent facilement, voire instinctivement, tout ce qu’ils prennent dans leurs mains à leur bouche. D’ailleurs, les trois cas présentés ici reflètent bien les risques que courent les enfants.
Description de cas
Cas 1
Une enfant de 18 mois, sans antécédent médical, aurait croqué un DLE. À son arrivée au centre hospitalier, elle présente une respiration agonale et une altération de son état de conscience. Le gaz sanguin démontre une acidose métabolique avec un pH de 7,28, une pCO2 de 34 mmHg et des bicarbonates à 15 mmol/L. L’ingestion d’une petite quantité de DLE aurait causé une diminution marquée de l’état de conscience, et cet état de conscience altéré rend nécessaire l’intubation. Lors de l’appel initial au Centre antipoison du Québec (CAPQ), environ 3 heures après l’ingestion, la fillette est déjà intubée et transférée dans un centre hospitalier spécialisé en pédiatrie. À ce moment, son état est stable et ses signes vitaux dans les limites de la normale. Le toxicologue de garde du CAPQ est contacté et recommande de continuer les traitements en considérant les symptômes de la patiente. L’enfant est extubée 6 heures après l’ingestion du produit, puisque son état de conscience de même que sa respiration demeurent normaux et qu’elle est sur le point d’obtenir son congé.
Cas 2
Un enfant de 15 mois, sans antécédent médical, croque un DLE, et le liquide contenu dans la capsule se répand alors un peu partout sur ses vêtements et sur le sol. La quantité ingérée ne semble pas être importante étant donné la quantité observée sur les vêtements et le sol. Initialement, les parents ont appelé le CAPQ environ 15 minutes après l’ingestion du produit et, à ce moment, l’enfant est asymptomatique. Le CAPQ recommande donc aux parents de surveiller l’état neurologique et respiratoire de leur enfant à la maison au cours des prochaines heures et de se rendre dans un centre hospitalier si son état se détériore. Environ 2 heures plus tard, la mère recontacte le CAPQ pour lui mentionner que l’enfant a vomi à trois reprises, qu’il présente une somnolence anormale pour l’heure et qu’il a le teint grisâtre. Le CAPQ recommande donc à la mère de se rendre au centre hospitalier le plus rapidement possible, incluant la recommandation de demander une ambulance pour le transport. Lorsque le médecin traitant en centre hospitalier rappelle le CAPQ, le garçon va déjà mieux, il est bien éveillé et son teint est revenu à la normale. Le CAPQ recommande alors de réaliser un gaz sanguin et une radiographie pulmonaire. L’évaluation respiratoire montre une saturation artérielle en oxygène à 98 % sans supplément d’oxygène, des bruits normaux à l’auscultation, aucun râle et une radiographie pulmonaire normale. L'analyse du gaz sanguin veineux initial démontre une acidose métabolique avec un pH de 7,27, une pCO2 à 36 mmHg et des bicarbonates à 16 mmol/L. L’état neurologique du petit garçon semble aussi normal selon le médecin traitant, et aucune hyperthermie n’est notée. En conséquence, le toxicologue de garde du CAPQ recommande de continuer l’observation et de refaire un contrôle des examens de laboratoire environ 10 heures après l’ingestion, puis il demande de faire un gaz capillaire au lieu de veineux pour une meilleure analyse de l'oxygénation. Par la suite, l’enfant est transféré dans un centre hospitalier qui comprend une unité de pédiatrie. Environ 9 heures après l’ingestion du produit, le médecin du centre hospitalier qui reçoit l’enfant recontacte le CAPQ et il mentionne que l’enfant aurait vomi 4 fois en tout et qu’il a présenté une légère somnolence depuis l’évènement. Le médecin a noté la présence d’un écoulement nasal, mais l’enfant ne présente aucune hyperthermie, aucune diarrhée, aucune irritation cutanée et aucun œdème buccal. Lors de la répétition du gaz, l’enfant pleure et hurle, et les résultats attestent de la présence d’une acidose métabolique (pH à 7,29, pCO2 à 35 mmHg et bicarbonates à 17 mmol/L). Par contre, le médecin indique que la fréquence respiratoire, la fréquence cardiaque et la saturation artérielle en oxygène sont dans les limites de la normale. Une revalidation du gaz effectuée 9,5 heures après l’ingestion montre des valeurs similaires mais une pCO2 encore plus basse. L’enfant est resté en observation un peu plus longtemps en raison de l’acidose métabolique, malgré un état clinique normal. Lors du suivi effectué par l'équipe du CAPQ, l’enfant avait reçu son congé médical.
Cas 3
Une enfant de 2 ans, sans antécédent médical, croque une quantité indéterminée d’un DLE, puisqu’il y a présence d’une bonne quantité de ce produit sur ses vêtements. Au moment où les parents appellent le CAPQ, soit 20 minutes après l’ingestion, ils mentionnent que l’enfant dort, a le teint pâle et a vomi 3-4 fois. Le CAPQ leur recommande donc de se rendre au centre hospitalier dans les plus brefs délais. Près de 30 minutes après l’ingestion, le CAPQ contacte le centre hospitalier afin d’annoncer l’arrivée de l’enfant et d’exposer au personnel traitant les risques liés aux DLE. L'équipe du CAPQ suggère de procéder à une évaluation neurologique et respiratoire ainsi qu’à un traitement usuel des symptômes. Le toxicologue de garde du CAPQ est mis au courant de la situation, sans qu’il y ait émission de recommandation plus particulière. Lorsque le médecin évaluant la jeune patiente au centre hospitalier rappelle le CAPQ, il souligne qu’elle est asymptomatique. L’infirmière du CAPQ qui a pris l’appel conseille de réaliser un examen clinique de la gorge et de s’assurer que la fonction respiratoire reste normale.
Discussion
Aux États-Unis, il y a une progression non négligeable des cas d’intoxication par les DLE. En 2012, il y a eu 6 343 intoxications chez les enfants de 5 ans et moins, 10 395 en 2013, 11 714 en 2014, 12 595 en 2015 et 7 887 en 2016 – nombre de cas répertoriés au 31 août 2016(3). Du côté du Québec, le CAPQ recense, chez les enfants de 6 ans et moins, 104 intoxications par les DLE en 2012, 149 en 2013, 156 en 2014 et 160 en 2015(4).
Les personnes exposées peuvent s’intoxiquer par l'intermédiaire des voies cutanées, oculaires, orales et pulmonaires. Il faut noter que lors d’une exposition cutanée et oculaire, une irritation plus ou moins importante peut apparaître. Cependant, les expositions orales et pulmonaires sont souvent plus inquiétantes. Dans le cas par exemple d’une exposition par ingestion, les symptômes les plus communs en ordre d’importance sont d’abord les vomissements, suivis de la toux, des nausées, de la somnolence et d’une éruption cutanée(5).
Mais que peut contenir un DLE pour entraîner une intoxication? Son enveloppe externe est constituée principalement d’une membrane d’alcool polyvinylique se dissolvant très facilement lorsqu’elle entre en contact avec un liquide. L’alcool polyvinylique est normalement considéré comme non toxique et est même utilisé dans l’industrie alimentaire(6). Malgré cela, des enfants s’intoxiquent après avoir croqué un sachet contenant ce produit. Lorsque les enfants portent un DLE à leur bouche, il risque de se dissoudre rapidement lors du contact avec leur salive. Cette dissolution rapide s’explique en partie par le fait que les DLE peuvent se dissoudre en eau froide aussi bien qu’en eau tiède ou chaude par comparaison avec les détergents à lave-vaisselle ensachés (DLVE) qui se dissolvent dans de l’eau très chaude seulement. Cette membrane est aussi très mince; elle est portée à se déchirer lorsqu’elle est croquée. Dans certains cas, la rupture de l’enveloppe peut projeter le détergent concentré loin dans les voies respiratoires. De fait, aux États-Unis, Swain et collab. ont rapporté que les enfants risquent 4 fois plus souvent d’être hospitalisés après avoir croqué dans un sachet de DLE plutôt que dans un sachet de DLVE(7).
Lorsque surviennent des cas plus graves d’intoxication, les enfants présentent une rapide altération de leur état de conscience, et cet état requiert parfois une intubation. Le mécanisme qui mène à l’altération de l’état de conscience demeure inconnu(8), car les hypothèses émises n’expliquent pas complètement cette réaction. Plusieurs autres complications liées à une intoxication grave ont été rapportées telles qu’un coma, un arrêt respiratoire, un œdème pulmonaire et un arrêt cardiaque(9).
Il faut noter que les DLE contiennent un savon très concentré mais non corrosif, et leur pH est plus neutre que les formulations liquides non ensachées(10). Il est impossible de prédire l’importance des dommages aux muqueuses oropharyngiennes en se basant uniquement sur les signes et les symptômes. Par contre, la nécessité de faire une endoscopie pour évaluer les dommages aux voies aériennes supérieures dépend de la persistance des symptômes gastro-intestinaux initiaux(10,11).
Le traitement suggéré en cas d’intoxication demeure un traitement de soutien. Les examens tels qu’une radiographie pulmonaire et une endoscopie sont à considérer lors de la prise en charge d’un patient symptomatique. Toutefois, la prévention reste un élément indispensable, et plusieurs avis de santé sur les dangers des DLE ont déjà été émis aux États-Unis (3,12) et au Canada(13). Par ailleurs, certains fabricants en Amérique du Nord se sont engagés à apporter des modifications afin d’augmenter la sécurité de leurs produits(5,14,15,16). De surcroît, des compagnies ont promis d’apporter des modifications à l’emballage des DLE afin de les rendre moins attrayants pour les enfants(5). Les fabricants de contenants destinés aux DLE ont également tendance à les changer pour des contenants opaques à double loquet, plus difficiles à ouvrir pour des enfants(14). Puisque ce sont des changements volontaires de la part des fabricants, leur application se fait de façon progressive.
Conclusion
Étant donné l’augmentation appréciable des cas rapportés d’intoxication par les DLE, la conscientisation tant des parents que des professionnels de la santé est primordiale. Les personnes les plus vulnérables demeurent les enfants de moins de 6 ans. Ainsi, des mesures de prévention telles que produire des contenants plus sécuritaires et des sachets moins attrayants pour les enfants ainsi que placer les contenants dans un endroit hors de leur portée sont nécessaires.
Remerciements
Les auteurs souhaitent exprimer leur gratitude envers la Dre Maude St-Onge pour la révision du présent document ainsi que pour ses précieux commentaires.
Toxiquiz
Quel est le symptôme le plus commun après l’ingestion de DLE?
A. Toux
B. Vomissements
C. Somnolence
D. Éruption cutanée
*Vous voulez connaître la réponse? Voir la section Réponses dans le bulletin en version PDF.
Pour toute correspondance
Olivier Jacques-Gagnon
Pavillon Jeffery Hale
Centre antipoison du Québec
1270, chemin Sainte-Foy, 4e étage
Québec (Québec) G1S 2M4
Courriel : [email protected]
Références
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Jacques-Gagnon O, Lavertu V. Ingestion pédiatrique de détergent à lessive ensaché. Bulletin d’information toxicologique 2016;32(3):4-7. [En ligne] https://www.inspq.qc.ca/toxicologie-clinique/ingestion-pediatrique-de-d…
Bulletin d'information toxicologique, Volume 32, Numéro 3, décembre 2016
Le Bulletin d’information toxicologique (BIT) est une publication conjointe de l’équipe de toxicologie clinique de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) et du Centre antipoison du Québec (CAPQ). La reproduction est autorisée à condition d'en mentionner la source. Toute utilisation à des fins commerciales ou publicitaires est cependant strictement interdite. Les articles publiés dans ce bulletin d'information n'engagent que la responsabilité de leurs auteurs et non celle de l'INSPQ ou du CAPQ.
ISSN : 1927-0801