Épidémiologie et caractéristiques des intoxications par le monoxyde de carbone chez les plaisanciers

Auteur(s)
Sophie Gosselin
M.D., CSPQ, FRCPC, FAACT, Urgentologue et toxicologue médicale, CUSM, Consultante en toxicologie médicale, Centre antipoison du Québec, Consultante en toxicologie médicale, Poison & Drug Information Service, Alberta

Résumé

Dans un article publié en 2015, les auteurs discutent des intoxications par le monoxyde de carbone s’étant produites chez des plaisanciers aux États-Unis de 2002 à 2011, soit des intoxications ayant été répertoriées dans la banque de données de la garde côtière américaine. Le nombre annuel moyen d’intoxications est de 14,5, dont 6 sont mortelles, et l’incidence serait stable dans le temps. La majorité des intoxications ont lieu sur des bateaux comportant des cabines plutôt que sur des bateaux de type ouvert. L’étude dont traite cet article sensibilise davantage à la survenue possible de cette grave intoxication chez les plaisanciers. 

Introduction

L’intoxication par le monoxyde de carbone (CO) est un problème environnemental significatif, puisque plus de 11 538 cas ont été rapportés aux centres antipoison américains en 2012(1). En 2011, la garde côtière américaine recensait plus de 83 millions de personnes pratiquant la navigation de plaisance. Le risque d’intoxication par le CO lors de l’utilisation d’embarcations de plaisance a été mentionné pour la première fois dans la littérature scientifique au milieu des années 1990(2). D’ailleurs, le site Internet de Transports Canada(3) ainsi que le Portail santé mieux-être(4) du gouvernement du Québec contiennent des textes mettant en garde la population contre les dangers de l’intoxication par le CO dans les embarcations. Le but de du présent article est de discuter de l’article de Lasala et collab.(1) portant sur cette problématique aux États-Unis.

Méthode

Lasala et collab.(1) ont obtenu, pour réaliser leur étude, le consentement du bureau d’éthique de l’Université Drexel afin d’analyser la banque de données des incidents de la garde côtière américaine(1). Cette banque de données peut être consultée par le public sur le site Internet de la garde côtière (www.uscgboating.org). Elle est le résultat d’une collecte de données provenant de plusieurs agences nationales et de tous les États ayant l’obligation de déclarer annuellement à la garde côtière les accidents de bateaux s’étant produits sur leur territoire en vertu d’un décret fédéral. Et ce décret n’a pas changé au cours des années visées par l’étude. Les auteurs ont manuellement révisé la banque de données pour la période de 2002 à 2011 et ont noté le nombre d’accidents, le nombre de blessures ou le nombre de décès par type d’embarcation pour lesquels le CO était le facteur contributif principal. Le type d’embarcation est défini par le National Association of State Boating Law Administrators (NASBLA). Pour que le CO soit considéré comme le premier facteur contributif de l’incident : le résultat de la carboxyhémoglobine sérique devait être anormal chez un individu, il devait y avoir présence de CO dans différentes parties de l’embarcation après la prise de mesures ou la présentation clinique d’un individu devait être compatible avec une intoxication par le CO.

Le logiciel de statistiques SPSS version 20 a été employé pour calculer les moyennes et les intervalles de confiance des incidents reliés au CO. Une analyse par régression linéaire a été effectuée afin de déterminer la probabilité statistique de trouver une tendance. Les accidents, les blessures ou les décès ont été catégorisés par type d’embarcation.

Résultats

De 2002 à 2011, le nombre moyen annuel d’incidents sur des bateaux (rapportés), qui sont attribuables au CO, était de 14,5 (IC à 95 % 12,1-16,9) dans le cas des accidents, de 30,9 (IC à 95 % 22,4-39,4) dans le cas des blessures et de 6,7 (IC 95 % 4,5-9,0) dans le cas des décès. Quant au nombre total d’incidents sur les bateaux reliés au CO s’étant produits durant cette décennie (2002-2011), il s’élève à 5 000 pour ce qui est des accidents, à 3 420 pour ce qui est des blessures et à 710 pour ce qui est des décès. Le nombre de décès imputables au CO représente 0,9 % de la somme de toutes les blessures et de tous les décès répertoriés dans l’industrie de la navigation récréative américaine. Plus d’incidents reliés au CO s’étaient produits sur des embarcations comportant une cabine que sur des embarcations de type ouvert ou des bateaux-maisons. Le tableau 1 récapitule le nombre d’incidents par type d’embarcation (voir le tableau 1 dans la version PDF du bulletin complet).

Discussion

La problématique des intoxications par le CO chez les plaisanciers a déjà été soulignée(2). Il n’est pas surprenant de voir que la majorité des incidents rapportés se produit sur des embarcations comportant une cabine plutôt que sur des embarcations de type ouvert. Comme les auteurs de l’article le mentionnent, il est impossible de distinguer les embarcations à moteur des embarcations à voile. Cependant, il est peu important de distinguer le type d’embarcation. Par ailleurs, il se peut que le nombre de décès soit inférieur à celui qui est rapporté étant donné qu’il n’est pas obligatoire pour la majorité des États d’avoir recours à une mesure de carboxyhémoglobine pour tous les décès constatés à bord d’embarcations. De plus, il n’est pas indiqué dans les statistiques disponibles quelle serait la cause des incidents, c’est-à-dire la présence d’une machinerie défectueuse à bord des embarcations ou le comportement imprudent des plaisanciers. Cette information pourrait faciliter le ciblage des interventions de prévention soit au moyen d’une campagne d’information accrue visant les plaisanciers, soit par un plus grand contrôle de la qualité des appareils de combustion à bord des embarcations elles-mêmes. Enfin, le nombre d’embarcations ainsi que l’existence de règlements locaux ou nationaux exigeant la présence de détecteurs de CO à bord des embarcations ne sont pas précisés.

Au Canada, le ministère des Transports discute des dangers reliés au CO dans son Guide de sécurité nautique(3). Sur son site Internet, ce ministère fait aussi mention, sous l’onglet Maritime, de mesures de prévention et de reconnaissance du danger associé au CO(5). La recommandation d’installer un détecteur dans les embarcations y est soulignée. Au moment d’écrire ces lignes, l’installation de ces détecteurs ne semblait pas obligatoire.

Par ailleurs, compte tenu de la distance géographique séparant les plaisanciers des centres hospitaliers, il est aussi possible que les risques d’intoxications graves soient plus grands dans les embarcations, à moins que les individus à bord se rendent compte rapidement qu’ils sont peut-être victimes d’une intoxication et sortent de l’espace fermé si cela est le cas, ou s’éloignent de la source. De même, les données de l’étude ne présentent pas les circonstances des décès, le moment de la journée où ils se sont produits ou si le laps de temps s’étant écoulé entre le début des symptômes et l’administration d’oxygène différait de celui s’étant écoulé lors du traitement d’intoxications par le CO se produisant sur la terre ferme. La gravité des intoxications n’a pas été notée non plus.

Conclusion

En conclusion, l’intoxication par le CO est un danger réel pour les plaisanciers québécois. Une mesure de prévention telle que l’installation obligatoire de détecteurs de CO devrait être encouragée. Les campagnes d’information et d’éducation devraient être reconduites au début de chaque saison de navigation de plaisance, alors qu’un rappel concernant la façon de reconnaître les symptômes d’une intoxication par le CO et les premiers gestes de secours à poser devrait être fait en vue de prévenir les situations à risque.

Toxiquiz

Lequel des énoncés suivants est vrai?

A.  Les intoxications par le CO dans les embarcations sont plus graves que celles se produisant sur terre.

B.  Les embarcations comportant une cabine sont davantage représentées dans les décès.

C.  Les détecteurs de CO sont obligatoires à bord des embarcations.

D.  Les décès attribuables à une intoxication par le CO dans les embarcations sont majoritairement le résultat d’un bris de moteur.

* Vous voulez connaître la réponse? Voir la section Réponses<> du bulletin complet en version PDF.

Pour toute correspondance

Sophie Gosselin
Département d’urgence, Hôpital Royal Victoria
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Courriel : [email protected]

Références

  1. LaSala G, McKeever R, Okaneku J, Jacobs D, Vearrier D. The epidemiology and characteristics of carbon monoxide poisoning among recreational boaters. Clin Toxicol (Phila). 2015;53(2):127-30.
  2. Silvers SM, Hamspon NB. Carbon monoxide poisoning among recreational boaters. JAMA. 1995;274(20):1614-6.
  3. Bureau de la sécurité nautique. Guide de la sécurité nautique. Conseils et règles à suivre pour les plaisanciers [En ligne]. Transports Canada; 2014 [cité le 6 juillet 2015]. Disponible : http://www.tc.gc.ca/fra/securitemaritime/desn-bsn-menu-1362.htm
  4. Portail Santé Mieux-être [En ligne]. Gouvernement du Québec; c2015. Prévenir les intoxications au monoxyde de carbone - Conseils et prévention [cité en juillet 2015]. Disponible : http://sante.gouv.qc.ca/conseils-et-prevention/prevenir-les-intoxications-au-monoxyde-de-carbone/
  5. Transports Canada. Chapitre 6 - Prévention et préparation aux situations d'urgence. Dans : Transports Canada. Guide de sécurité des petits bâtiments commerciaux - TP 14070 F. [En ligne]. Ottawa : Transports Canada; 2010 [cité le 1er juillet 2015]. Disponible : https://www.tc.gc.ca/fra/securitemaritime/tp-tp14070-3584.htm

Gosselin S. Épidémiologie et caractéristiques des intoxications par le monoxyde de carbone chez les plaisanciers. Bulletin d’information toxicologique 2015;31(3):9-11. [En ligne] https://www.inspq.qc.ca/toxicologie-clinique/epidemiologie-et-caracteri…

Numéro complet (BIT)

Bulletin d'information toxicologique, Volume 31, Numéro 3, septembre 2015