Déversement de mercure métallique : cas d'une polyvalente dans l'Estrie

Volume 13, Numéro 4

Auteur(s)
Jean-Guy Guillot
M.Sc. Chimiste, Centre de toxicologie du Québec

Résumé

En octobre 1996, les directions de la santé publique de l'Estrie (DSP-Estrie) et d'une polyvalente de ce secteur ont demandé la collaboration du Centre de toxicologie du Québec (CTQ) pour faire la gestion d'un déversement de mercure métallique dans une classe-laboratoire de chimie. Lors de notre première intervention, nous avons trouvé que toute la surface du plancher de cette classe (˜ 100 m2) était recouverte de fines gouttelettes de mercure. Les drains d'évier, les rebords des murs et des tables du laboratoire ainsi que certaines armoires étaient fortement contaminés par le mercure. En poursuivant notre investigation, nous avons trouvé que les classes de physique et de biologie, les locaux du technicien des sciences et de l'apparitrice, le corridor donnant accès à ces locaux, le système de ventilation de la polyvalente, certains casiers d'élèves et deux résidences étaient aussi contaminés. En travaillant en étroite collaboration avec la direction, le service santé, le service d'entretien ménager, le technicien des sciences et l'apparitrice de la polyvalente, les médecins de famille, la DSP-Estrie et le Centre Anti-Poison du Québec (CAPQ), le CTQ a fait la gestion de la décontamination et d'une partie du suivi de l'événement. En combinant les mesures du mercure total en milieu biologique (urine, sang et cheveux), du mercure métallique dans l'air et du mercure total dans les poussières aéroportées, nous avons rapidement évalué la gravité des cas. Le point tournant de notre intervention a été la rapidité d'exécution de la décontamination primaire et secondaire des classes problématiques, du corridor menant à ces classes ainsi que de certains casiers d'élèves. Ce travail accompli en moins de deux jours, combiné à la rapidité du Laboratoire de toxicologie du Québec à fournir les résultats en milieu biologique ont circonscrit toute panique chez les personnes concernées (parents, professeurs, adolescents, direction de l'enseignement, etc.).

Introduction

Utilisation du mercure dans les écoles secondaires

Le mercure ciblé dans cet article est celui que l'on retrouve dans les armoires de produits chimiques (parfois plusieurs kg) et dans les instruments de précision (thermomètre, manomètre et psychromètre).

Les expériences typiques faites avec le mercure visent à évaluer sa densité, à fabriquer des manomètres, ou encore à évaluer la température ou le pourcentage d'humidité relative. Notre système scolaire montre, dans plusieurs cas, les déficiences suivantes :

  • Manque de connaissance à propos des dangers reliés à l'exposition aux vapeurs de mercure
  • Manque d'information sur la quantité de mercure entreposé dans les armoires à produits chimiques
  • Ignorance de la quantité de mercure perdue durant une année scolaire
  • Sécurité inadéquate pour l'entreposage du mercure
  • Procédures inadéquates pour la gestion d'un déversement de mercure

De plus, le mercure étant un métal fascinant, il n'est pas rare de constater que certains élèves en subtilisent pour poursuivre certaines expériences à la maison. Ce geste peut amener la contamination de la maison des parents et surexposer des jeunes enfants ou des femmes enceintes à des vapeurs de mercure.

Cas d'une polyvalente en Estrie

Élément déclencheur

À la fin du mois de septembre 1996, une étudiante du secondaire V de la polyvalente consulte son médecin pour des problèmes cutanés et lui avoue avoir joué avec du mercure métallique lors d'une expérience pratique au laboratoire de chimie. La concentration du mercure dans son sang est élevée (255 nmol/l). Le mercure étant un toxique à déclaration obligatoire, la Direction de la santé publique de l'Estrie est alertée. Une enquête est amorcée à la polyvalente et les parents des élèves concernés sont informés de la situation. Le CAPQ et le CTQ sont aussi consultés.

Évaluation de la situation

Pour cette évaluation, nous avons combiné les éléments suivants :

  • Résultats de l'enquête interne effectuée à la polyvalente
  • Résultats du monitorage biologique
  • Résultats des observations faites lors de l'inspection minutieuse des classes et autres locaux concernés
  • Résultats des mesures des concentrations du mercure métallique dans l'air (taux de base, avec activités normales et maximales)
  • Résultats des mesures de la concentration de mercure total dans les poussières aéroportées (suivi environnemental d'avril 1997)

Résultats de l'évaluation préliminaire

Enquête à la polyvalente

Suite à l'enquête effectuée par la direction et le service-santé de la polyvalente, les informations suivantes sont ressorties :

  • L'expérience en question avait eu lieu au cours de la deuxième semaine de septembre.
  • Le professeur, les élèves, le technicien des sciences, l'apparitrice, la direction et le service-santé de la polyvalente n'étaient pas suffisamment informés des dangers reliés à l'utilisation du mercure.
  • Certains élèves ont manipulé du mercure dans des conditions non sécuritaires. D'autres n'ont pas suivi les consignes. Une dizaine d'élèves ont terminé leurs expériences à leur domicile.
  • Il y a eu un manque de surveillance de la part des responsables de la classe lors de cette expérience.
  • La gestion du mercure à cette polyvalente était inadéquate.

Monitorage biologique

Immédiatement après une première visite de la DSP-Estrie, la classe de chimie a été fermée et nous avons demandé d'effectuer des prélèvements biologiques (première urine du matin) pour effectuer le dosage du mercure total. Les résultats de ces dosages sont présentés au tableau I.

Tableau I : Résultats des dosages du mercure dans les urines des élèves, du personnel de la polyvalente et des membres de certaines familles d'élèves (octobre 1996)
Population étudiée (nombre de cas) Évaluation du type d'exposition (nombre de cas) Remarques
  *N F M E  
Élèves fréquentant les classes problématiques (46) 14 19 11 2  
Personnel de la polyvalente ne fréquentant pas les lieux contaminés (13) - - - - on exposés (mercure urinaire < 25 nmol/l)
Personnel des sciences (3) - 2 - -

1 prélèvement inadéquat

(densité urinaire < 1,012)

Personnel affecté à l'entretien de la polyvalente (5) 1 1 - - 3 prélèvements inadéquats
Famille d'élèves de la polyvalente (9) - 3 5 1  

* Type d'exposition : N : négligeable (25 - 50)

(concentration de mercure urinaire en nmol/l)F : faible ( 50 - 100))

M : modérée (100 - 250)

E : élevée (> 250)

Note 1 : Les taux urinaires sont corrigés pour une densité de 1,024

Note 2 : Dans certains cas, on a obtenu des urines de 24 heures

Ces premiers résultats de surveillance biologique combinés à l'approche de la direction de la polyvalente, qui s'est voulue non punitive, ont permis d'apporter les améliorations suivantes à la situation existante :

  • Ramener à la polyvalente, le mercure qui avait été subtilisé lors de l'expérience.
  • Diminuer de façon importante l'exposition aux vapeurs de mercure pour les personnes devant travailler dans le local de chimie (personnel pour l'entretien journalier, professeur de chimie, technicien des sciences et élèves).
  • Mettre fin à la contamination du système de ventilation de la polyvalente. On notera que les plans de ce laboratoire ont été conçus pour des expériences avec des produits non toxiques.
  • Sécuriser les parents. Toutes les actions de la direction de la polyvalente ont été jugées très professionnelles.

Première expertise du CTQ à la polyvalente

Suite aux premières observations que nous avons faites et qui sont décrites dans le résumé de l'article, le secteur des classes de chimie, physique et de biologie ainsi que le corridor y donnant accès ont été fermés et les actions suivantes ont été entreprises :

  • Isoler les grilles de sortie d'air vicié de la classe de chimie, du système de ventilation de la polyvalente.
  • Enlever un verre thermos (» 3 m2) dans la classe de chimie et y installer une fenêtre provisoire.
  • Ventiler le local en permanence.
  • Effectuer une première décontamination primaire à l'aide d'un aspirateur modifié qui a été ultérieurement sacrifié. Ce travail a été fait sous respirateur autonome.

Ces actions n'ont pas permis la décontamination de la classe de chimie, mais elles ont eu les résultats suivants :

  • Nous avons pu travailler dans la classe sans qu'il soit nécessaire de porter de l'équipement de protection encombrant.
  • Nous avons arrêté complètement la contamination du système de ventilation et ramené l'exposition des personnes aux vapeurs de mercure à des concentrations négligeables.

Décontamination des classes, du local du technicien des sciences et du corridor menant à ces locaux

Matériel et procédures

Lors de l'ensemble des opérations, les concentrations de mercure dans l'air ont été mesurées en continu à l'aide d'un moniteur Pharmacia ayant comme principe l'absorption atomique du mercure métallique à 254 nm dans une cellule ayant un parcours optique de 30 cm. À certaines occasions, nous avons utilisé en parallèle un moniteur de type Jerome 431-X dont le principe est l'amalgamation du mercure sur l'or. En résumé, les étapes pour la décontamination ont été les suivantes :

  • Ramener les gouttelettes de mercure à un endroit précis à l'aide d'un support solide et de vadrouilles (classe de chimie (2X), local du technicien des sciences et une partie du local de physique). Le tout a été récupéré par l'aspirateur.
  • Récupérer le mercure visible, à l'intérieur d'un barboteur de 1 litre contenant environ 300 ml d'eau distillée en générant un vide à l'entrée du barboteur au moyen d'une pompe à haut débit. Ce miniaspirateur de laboratoire a été utilisé pour récupérer les fines gouttelettes de mercure localisées dans des endroits peu accessibles (portiques d'entrée des classes, rebords des murs des classes et du corridor, corridor, rebords des tables de laboratoire, armoires du laboratoire de chimie).
  • Neutraliser le mercure résiduel avec du soufre sublimé (rebords des plinthes murales, des tables et armoires de laboratoire ainsi que certains casiers d'élèves). Comme je l'ai déjà mentionné, dans un précédent article publié dans le Bulletin d'information toxicologique(1), la réaction du soufre avec le mercure est lente et on doit utiliser un moniteur pour évaluer les concentrations de mercure métallique dans l'environnement immédiat du travail, autant pour repérer le mercure résiduel que pour suivre la bonne marche de la réaction de neutralisation.

Tests de décontamination fine avec une fenêtre ouverte (classe de chimie)

Pour ce travail, on utilise un compresseur qui délivre une pression de sortie d'air de 100 psi ou plus et on souffle de l'air sur le plancher, les rebords des murs, etc. pendant une période d'au moins 5 minutes. Si la concentration de mercure dans l'air de la classe (à 1,5 m du sol) demeure inférieure à 0,005 mg/m3, on considère que ce test est réussi.

Tests de décontamination fine avec les fenêtres fermées (classe de chimie et autres locaux)

On procède comme pour le test précédent. Si la concentration de mercure dans l'air demeure inférieure à 0,005 mg/m3, le local est considéré décontaminé. Un suivi ultérieur est recommandé. Lors de notre intervention, le seul local qui a échoué le dernier test de décontamination fine a été celui du technicien des sciences. Étant très encombré, une nouvelle décontamination a été prévue à l'été 1997.

Évaluation des autres locaux de la polyvalente

En parallèle, les concentrations de mercure dans l'air des autres locaux de la polyvalente ont été évaluées à l'aide du moniteur de type Jerome 431-X qui peut détecter 0,003 mg/m3 de mercure dans l'air. Les concentrations ont varié de < 0,003 à 0,012 mg/m3. La pire situation a été évaluée à la cafétéria sur l'heure du midi alors que les élèves prenaient leur dîner. Aucune décontamination n'a été faite aux endroits où on retrouvait du mercure résiduel. De même, le système de ventilation de la polyvalente avait été faiblement contaminé par le mercure. La concentration de mercure à la sortie des diffuseurs étant de < 0,003 à 0,005 mg/m3, le 16 octobre 1996, il n'a pas été jugé nécessaire de le décontaminer.

Suivi des cas où l'exposition était modérée à élevée

Dosages en milieu biologique

En plus des tests médicaux faits dans les hôpitaux de la région, le laboratoire du CTQ a effectué des dosages du mercure en milieu biologique chez les personnes dont la concentration de mercure dans l'urine était supérieure à 100 nmol/l (19 cas), le 5 octobre 1996. Ces dosages ont été effectués les 3 et 17 décembre 1996 ainsi que les 8 janvier, 26 février et 2 mars 1997. En résumé, la situation était la suivante :

  • Les dosages du mercure dans l'urine du 3 décembre, nous ont indiqué que 15 des 19 personnes, ayant un taux de mercure supérieur à 100 nmol/l, le 5 octobre 1996, éliminaient normalement le mercure de leur organisme. Quarante-huit jours après que la polyvalente ait été déclarée décontaminée, les taux urinaires de mercure total de ces personnes avaient diminué en moyenne de 49,5%. Par contre, 4 cas demeuraient problématiques, leurs taux urinaires ayant augmenté durant cette période de temps. Plus encore, le mercure urinaire mesuré chez deux étudiantes et chez la mère de l'une d'elles avait pratiquement doublé après 48 jours au lieu de diminuer de moitié. Des nouveaux prélèvements d'urine du matin, effectués le 17 décembre, ont confirmé cette situation.
  • Entre le 18 décembre 1996 et le 10 janvier 1997, les mesures du mercure métallique dans l'air des résidences des cas problématiques (4), effectuées par la DSP-Estrie et le CTQ, avec la collaboration soutenue de la directrice de la polyvalente, ont montré que deux résidences avaient été contaminées par le mercure. Cependant, il n'y avait pas de mercure dans le logement de la mère de l'adolescente la plus problématique (taux maximal de mercure dans l'air inférieur à 0,001 mg/m3 dans toutes les pièces du logement) et les taux de mercure résiduel à la maison de son père étaient de < 0,003 à 0,004 mg/m3.
  • Suite aux interventions effectuées dans les résidences des parents durant la période des fêtes de Noël, nous avons décidé de faire à nouveau des prélèvements des urines pour tous les membres des familles problématiques. Ceux-ci ont été faits au retour de vacances, le 8 janvier 1997 et les dosages du mercure total dans ce milieu biologique ont montré les faits suivants :

Famille #1 (le cas le plus problématique)

La mère

La concentration de mercure dans l'urine de la mère n'a pas diminué au cours de la période du 17 décembre 1996 au 10 janvier 1997. La mère et sa fille ne consomment pas de poisson ni de fruit de mer. Elles n'utilisent pas de cosmétique à base de mercure. Il n'y a pas de mercure au logement de la mère. Celle-ci n'a aucun symptôme d'intoxication au mercure. Son écriture est normale. Les animaux domestiques (un chien, un chat et un oiseau) vivant dans ce logement sont en bonne forme. Les analyses séquentielles du mercure total dans les cheveux de la mère (prélèvements du 30 janvier 1997) ne montrent pas d'exposition au mercure sous forme inorganique ou organique (taux étant < 1 à 2 nmol/g). Il n'y a pas de mercure métallique dans le prélèvement d'urine du 10 janvier 1997. Dans les mois suivants, nous n'avons pas eu l'autorisation de procéder à des mesures dans son logement et son automobile avec le moniteur de type Jerome 431-X. Un dépistage des métaux dans son urine le 8 janvier par ICP-MS (Induced Coupled Plasma-Mass Spectrometry) confirme le taux urinaire mesuré par notre méthode de routine (absorption atomique des vapeurs froides de mercure suite à la réduction du mercure ionique en mercure métallique par le dichlorure d'étain en milieu basique). Ce dépistage des métaux ne montre rien d'anormal sauf un taux d'iodure à 1 m mol/l et une concentration élevée de magnésium provenant d'un supplément alimentaire.

L'adolescente

La concentration de mercure total dans l'urine du 8 janvier 1997 était trois fois plus élevée que dans l'urine du 17 décembre 1996. Ici encore, il n'y a aucune explication à cette hausse soudaine dans l'excrétion du mercure (ni alimentaire, ni résidentielle, etc.). À nouveau, la concentration élevée de mercure dans l'urine a été confirmée par ICP-MS. Le dépistage des métaux dans l'urine de l'adolescente nous a montré qu'elle prenait des suppléments alimentaires de calcium, magnésium et de zinc. Elle avait aussi un taux élevé d'iodure dans l'urine, son taux étant de 2 m mol/l.

L'analyse de ses cheveux par segment de 1 cm nous a montré qu'il y aurait eu une forte exposition au mercure pendant le mois de septembre en supposant que le cheveu ait poussé de 1,5 cm/mois. La concentration de mercure la plus élevée dans les cheveux de l'adolescente a été de 23 nmol/g pour le segment de 5 à 6 cm. Dans les trois premiers segments de 1 cm chacun (exposition théorique du 30 novembre 1996 au 30 janvier 1997), les concentrations de mercure total ont été respectivement de < 1; 1,5 et 3,0 nmol/g, n'indiquant aucune exposition qui aurait pu faire tripler son taux urinaire de mercure.

De plus, le dosage du mercure dans les segments de cheveux supérieurs à 6 cm (exposition au mercure avant le début de l'année scolaire 1996) semble nous indiquer qu'il y aurait possiblement eu d'autres expositions au mercure avant le début de l'année scolaire. La concentration de mercure dans les cheveux de l'adolescente pour les segments (6-7 jusqu'à 10-11) étant respectivement de 18,5; 11,8; 8,4; 6,3 et 4,5 nmol/g.

Par la suite, l'adolescente a été hospitalisée durant une semaine et elle a subi un traitement avec un chélateur.

Famille #2

À la résidence de l'adolescente, on a retrouvé du mercure métallique derrière la plinthe électrique de sa chambre. Dans la semaine du 15 décembre 1996, le mercure a été récupéré. Le 23 décembre 1996, lors de notre expertise à cette résidence, nous avons constaté que la situation était normale dans la chambre de l'adolescente. Cependant, l'aspirateur central ainsi que ses tuyaux et conduits de PVC avaient été contaminés par le mercure. Le dosage du mercure dans l'urine de l'adolescente, le 8 janvier 1997, nous a montré que le mercure n'avait pas encore commencé à diminuer étant à 210 nmol/l à cette date comparativement à 175 nmol/l le 17 décembre 1996.

La concentration de mercure dans les cheveux de l'adolescente a montré une exposition faible à modérée avec une concentration maximale à 7,0 nmol/g (segments 5-6). Les taux urinaires chez les autres membres de cette famille étaient tous inférieurs à 25 nmol/l. Le 6 février 1997, une seconde expertise environnementale effectuée à cette résidence par la DSP-Estrie a montré une situation normale dans toutes les pièces de la maison. Par contre, l'aspirateur central était encore contaminé. Les concentrations de mercure mesurées étant de 0,005 mg/m3 (boyau de l'aspirateur) et de 0,006 mg/m3 dans le bac de réception de l'aspirateur.

Famille #3

L'expertise environnementale effectuée à cette résidence le 23 décembre 1996, nous a indiqué que l'aspirateur central de la maison était fortement contaminé par le mercure. Lors de son fonctionnement, la concentration de mercure dans l'air du sous-sol augmentait de façon constante et dépassait la norme en milieu industriel fixée à 0,05 mg/m3.

En janvier 1997, l'appareil a été modifié pour expulser à l'extérieur l'air vicié de l'aspirateur. Le 6 février 1997, une nouvelle expertise a été faite à cette résidence par la DSP-Estrie. Elle a montré que le sous-sol de la résidence et l'aspirateur central de la maison étaient encore contaminés par le mercure. Le taux de base de mercure métallique dans l'air du sous-sol était de 0,006 mg/m3. Dans le tuyau de l'aspirateur, la concentration de base du mercure variait de 0,044 à 0,066 mg/m3. Dans la cuisine-salon de la maison et la chambre de l'adolescente, la concentration de mercure était inférieure à 0,003 mg/m3.

Le suivi en milieu biologique de cette famille (urine et cheveux) a indiqué des expositions faibles à modérées au mercure métallique de deux adolescentes de la famille; les concentrations de mercure dans les cheveux (segments 5-6 cm) étant de 2,0 et 5,0 ng/g. Par contre, le suivi dans la première urine du matin du 26 février était à 120 et 160 nmol/l et semble nous indiquer qu'il y avait encore une exposition aux vapeurs de mercure.

Famille #4

L'intervention environnementale à cette résidence, effectuée le 6 février 1997, nous a montré que cette maison n'était pas contaminée. La concentration de mercure dans l'air des différentes pièces de la résidence était inférieure à 0,003 mg/m3. Le suivi en milieu biologique du 26 février 1997 nous a indiqué que les deux adolescents éliminaient lentement le mercure de leur organisme; les taux urinaires étant de 40 et 55 nmol/l.

Suivi de la polyvalente

Évaluation des taux de mercure dans l'air

Le 6 février 1997, la DSP-Estrie est à nouveau intervenue à la polyvalente. Les concentrations de mercure dans l'air des locaux décontaminés en octobre 1996 (classes de chimie, physique, biologie; local du technicien des sciences et corridor menant à ces classes) ainsi qu'au secrétariat et à la place publique étaient de < 0,003 à 0,006 mg/m3(sauf pour le local du technicien des sciences qui était encore contaminé). Ces mesures effectuées dans des conditions normales et en faisant des actions pour remettre du mercure en circulation dans l'air nous indiquaient que la décontamination avait été réussie.

Évaluation des concentrations de mercure total dans les poussières aéroportées

En janvier 1997, j'avais demandé d'installer des feuilles d'aluminium sur des surfaces peu accessibles dans divers endroits de la polyvalente pour étudier le comportement du mercure résiduel. Les sites ciblés ont été les classes de chimie, physique et biologie; le local du technicien des sciences et de l'apparitrice; le secrétariat; la cafétéria; le salon des professeurs; le local du service d'entretien ménager; le local de l'infirmière; la salle commune et quatre classes-témoins. Le 29 avril 1997, les poussières ont été prélevées et une inspection a été effectuée dans la classe de chimie, le local du technicien des sciences et celui de l'apparitrice. Les résultats de l'inspection ont été les suivants :

  • Dans la classe de chimie, de très fines gouttelettes de mercure ont été repérées près du portique d'entrée de la classe. Environ 5 g de mercure ont été amalgamés.
  • Au local du technicien des sciences, on a de nouveau retrouvé du mercure sur les manomètres-maisons et le dessus des tablettes où ils étaient rangés. Les manomètres contaminés ont été placés dans des récipients en plastique. Le mercure visible à ces endroits a été ramassé par des jets d'eau qui ont été par la suite récupérés dans un bassin en plastique.
  • Au local de l'apparitrice, la décontamination avait été partiellement réussie. Il restait une faible quantité de mercure qui a été récupérée ultérieurement par le personnel de la polyvalente.

Les résultats des analyses de mercure total dans les poussières aéroportées, après normalisation pour une période de 30 jours, nous ont indiqué la situation suivante à la polyvalente :

  • Aucune contamination dans les classes-contrôles et la classe d'écologie du secteur I de la polyvalente. Les concentrations de mercure dans les poussières étant de 0,8 à 4,9 m g/g et de 4,5 à 13,5 ng/1000 cm2.
  • Une contamination faible au local des casiers d'étudiants, à la cafétéria et au local de l'apparitrice. Les concentrations de mercure variant de 1,5 à 6,5 m g/g et de 15 à 55 ng/1000 cm2
  • Une contamination modérée au local des concierges, au bureau de l'infirmière, au secrétariat, au bureau de la directrice, au salon des professeurs et aux classes de biologie et de chimie. Les concentrations de mercure dans les poussières étaient de 3,4 à 5,5 m g/g et de 20 à 255 ng/1000 cm2.
  • Une contamination élevée au local du technicien des sciences et dans la classe de physique. Les concentrations de mercure dans les poussières étaient de 200 à 300 m g/g et de 430 à 1665 ng/1000 cm2.

Après la fin des classes, le personnel de la polyvalente a effectué un grand ménage aux endroits problématiques. Un suivi de la contamination de ces locaux sera fait en octobre 1997.

Discussion

La stratégie que nous avons utilisée pour la gestion de ce déversement a consisté à combiner les résultats de la surveillance biologique et de la surveillance environnementale avec les taux de mercure dans l'air (mesurés selon différentes stratégies) et les taux de mercure dans les poussières aéroportées. Tous ces paramètres combinés avec les résultats des tests médicaux permettent de faire une bonne évaluation de la situation actuelle et du risque potentiel pour les personnes ayant à séjourner dans ces locaux.

Nous avons de nouveau constaté qu'il était possible de mesurer des concentrations négligeables de mercure dans l'air et d'obtenir des concentrations de mercure élevées dans les poussières aéroportées. Ce dernier test nous montre qu'il reste du mercure dissimulé dans des endroits peu accessibles et qu'il est remis en circulation dans l'air selon les activités qui ont lieu dans le local encore contaminé. Lors de ces activités, la concentration de mercure dans l'air augmente et il est possible de dépasser la norme en milieu de travail de 0,05 mg/m3. Après la fin des activités, le mercure se redépose, s'oxyde en surface, s'immobilise temporairement et nous indique une situation normale (taux de mercure dans l'air inférieur à 0,005 mg/m3) alors qu'il y a encore un risque potentiel pour les personnes fréquentant le local contaminé. Même si le dosage de mercure dans l'urine s'avère un paramètre important pour évaluer l'exposition de ces personnes aux vapeurs de mercure, il s'avère que nous pouvons sous-estimer une exposition qui n'est pas constante. C'est justement ce qui arrive dans le cas du mercure. La plupart du temps, ce dernier est localisé sur les rebords des murs et il est inactif même à proximité d'une source de chaleur. Lorsqu'il est remis en circulation, la situation est parfois alarmante surtout si le local contaminé est empoussiéré, la concentration de mercure dans l'air redescendant alors beaucoup moins rapidement. Lors de cette intervention, certaines personnes nous ont rapporté des symptômes d'exposition élevée aux vapeurs de mercure (tremblements, pertes de mémoire, etc.) alors que leurs taux urinaires de mercure semblaient nous indiquer une exposition faible (< 100 nmol/l). Par contre, dans le cas d'une famille, nous n'avons pas d'explication ni pour le cas de la mère (mercure urinaire élevé et aucun symptôme d'exposition au mercure) ni pour celui de l'adolescente dont le taux de mercure augmente sans qu'il n'y ait d'exposition apparente.

Pour nous, les points positifs dans ce dossier sont les suivants :

  • L'accident a été traité avec beaucoup de sérieux par la directrice de la polyvalente. On a laissé de côté les excuses traditionnelles comme "j'ai joué avec ça quand j'étais jeune..."
  • Le mercure ne sera plus utilisé à cette polyvalente.
  • La DSP-Estrie a entrepris une vérification des autres polyvalentes sur son territoire.

Conclusion

On doit conclure que dans une polyvalente, il y a un risque élevé à conserver du mercure métallique et des instruments qui en contiennent. D'une part, la gestion d'un déversement de mercure dans ce type d'établissement est complexe, car plusieurs locaux n'ont pas de fenêtre et bien souvent le système de ventilation du laboratoire n'est pas adéquat pour faire des expériences avec des produits dangereux. D'autre part, il existe des instruments sans mercure aussi précis et sécuritaires pour effectuer les expériences de laboratoire. À cette polyvalente, personne ne pensait que le mercure était un produit dangereux. Ceci a eu comme conséquence, un cas d'intoxication élevée au mercure, une situation qui commençait déjà à devenir alarmante à cette polyvalente en octobre 1996 et la contamination d'au moins deux résidences. Sachant que le mercure s'élimine très difficilement par la ventilation, pour être plutôt dispersé en gouttelettes de plus en plus fines, on doit se demander si le cas de cette polyvalente est unique. Nous croyons qu'il serait important d'évaluer la situation dans les autres polyvalentes et Cégep du Québec.

Références

Guillot JG (1996) Déversement de mercure métallique : les étapes à suivre pour réussir une décontamination. Bulletin d'information toxicologique 12(2):8-11.

 

Numéro complet (BIT)

Bulletin d'information toxicologique, Volume 13, Numéro 4, octobre 1997