La xylazine, surnommée « la drogue du zombie »

Contexte : des États-Unis jusqu’au Québec

En 2015 apparaissent aux États-Unis les premiers rapports d’usage de la xylazine comme adultérant dans les drogues, principalement en Pennsylvanie et au Connecticut. Au cours des années suivantes, son utilisation s’est rapidement répandue à travers les autres États américains1. Selon les données des Centers for Disease Control and Prevention (CDC), le nombre de décès annuel par intoxication impliquant la xylazine aux États-Unis est passé de 260 à 3 480 entre 2018 et 2021. Cette augmentation préoccupante en fait un important enjeu de santé publique, considérant les risques associés à la consommation de cette substance2. En effet, la xylazine peut rendre amorphe pendant plusieurs heures, causer une démarche lente et entraîner une nécrose tissulaire. De plus, lorsqu’elle est combinée à d’autres substances sédatives, la xylazine augmente le risque de surdoses3.

Cet analgésique devient également un sujet de préoccupation au Canada. En 2023, Santé Canada a publié un rapport sur l’émergence de la xylazine au pays. Ce rapport fait état d’une augmentation des cas détectés par le Service d’analyse des drogues (5 cas en 2018 comparativement à 1 350 cas en 2022, détectés parmi les échantillons transmis par les corps policiers à la suite de saisies), et la majorité des cas rapportés provenaient de l’Ontario4. Au Québec, bien que le nombre de cas détectés soit plus faible, on a observé tout de même une augmentation du nombre d’identifications de xylazine entre 2020 et 2022, passant de 2 à 36 cas4. Pour ce qui est de l’année 2023, parmi les saisies réalisées au Québec, il y a eu 36 détections de xylazine mais seulement 14 pour les 6 premiers mois de 2024. L’avenir permettra de confirmer si la tendance se stabilise au Québec ou si une diminution pourra être observée6.

Outre les données du Service d’analyse de drogues, celles du Projet suprarégional d’analyse de drogues dans l’urine de personnes qui consomment au Québec (PSADUQ) confirment également la présence de xylazine dans la province. En 2023, parmi les 1 129 échantillons d’urine analysés, la xylazine a été identifiée dans 14 d’entre eux, soit 1,2 %. La majorité de ces participants provenaient de la région de Montréal. Quoique la fréquence de détection soit relativement faible, ceci représente une hausse des détections par rapport à 2021 où cette substance a été détectée chez 5 des 655 participants, soit chez 0,76 % d’entre eux6.  

On trouve principalement la xylazine mélangée au fentanyl, à des benzodiazépines de synthèse ou à des agents de coupe. Par ailleurs, elle est fréquemment utilisée comme adultérant, puisqu’elle est facilement accessible et de faible coût7. Quand bien même certaines personnes peuvent consommer volontairement cette substance, la plupart la consomme à leur insu2,8.

Substance en cause

La xylazine est un médicament à usage vétérinaire. Elle est utilisée en tant que tranquillisant pour les chevaux et les bovins. À ce jour, son emploi chez l’humain n’a pas été approuvé.

La xylazine est un agoniste alpha-2 adrénergique au même titre que la clonidine, un médicament utilisé chez l’humain. Son action sur les récepteurs alpha adrénergiques expliquerait ses effets indésirables sur le système cardiovasculaire (ex. : basse pression artérielle, rythme cardiaque anormalement lent). La xylazine entraînerait également une diminution de la noradrénaline et de la dopamine dans le  système nerveux central, causant alors un effet sédatif9,10.

La xylazine peut être administrée par voie orale, pulmonaire, intramusculaire, sous-cutanée ou intraveineuse. Bien qu’on ait peu de données pharmacocinétiques et toxicocinétiques chez l’humain pour cet anesthésique, certaines caractéristiques peuvent être extrapolées d’études animales. De nature lipophile, la xylazine traverse facilement la barrière hématoencéphalique pour atteindre le système nerveux central. Son absorption est rapide et son effet peut durer plusieurs heures suivant la consommation2,11.

Il existe des bandelettes urinaires conçues spécialement pour détecter la xylazine par immunoessai. Ces bandelettes ne permettent pas toujours la détection de ce produit, soit en raison de la sensibilité des méthodes de détection, soit parce que la xylazine consommée est déjà éliminée de l’organisme au moment du test vu que la substance s’élimine assez rapidement de l’organisme. De plus, il y a probablement une sous-détection des cas d’intoxication à la xylazine, puisque cette substance n’est pas détectée dans les fluides biologiques avec les méthodes d’analyse usuelles employées par les centres hospitaliers. Néanmoins, les laboratoires de référence spécialisés en toxicologie sont en mesure d’identifier la substance sur demande.

Signes et symptômes cliniques

La xylazine est un dépresseur du système nerveux central. Elle peut causer de l’euphorie, de la sédation, de l’amnésie, de l’analgésie, une relaxation musculaire et de l’anesthésie.

Plusieurs autres effets indésirables sont rapportés, notamment une diminution du rythme cardiaque et de la pression sanguine, de l’hyperglycémie, une vision brouillée, de l’ataxie, une désorientation, des étourdissements, des difficultés d’élocution et même une dépression respiratoire4,9,12. Cette substance peut causer des lésions nécrotiques sévères, sans égard à la voie d’administration ou au site d’injection. La cause de ces plaies n’est pas entièrement connue, mais elle est probablement multifactorielle. L’effet de la xylazine sur les récepteurs alpha 2b engendre une diminution de la perfusion sanguine aux tissus et pourrait donc nuire à la guérison des plaies et, à l’inverse, contribuer aux surinfections1.

La consommation chronique de cette substance peut causer une dépendance physique et des symptômes de sevrage, notamment de l’irritabilité, de l’anxiété et de la dysphorie2. Prise seule, la xylazine peut entraîner des décès et d’autres complications médicales. Ces conséquences augmentent lorsque la substance est utilisée en combinaison avec d’autres drogues ayant des effets dépresseurs additifs comme le fentanyl, certaines benzodiazépines non commercialisées ainsi que l’alcool ou d’autres sédatifs.

Mesures de prévention

La présence de la xylazine parmi les substances détectées dans les drogues au Québec est un enjeu d’actualité. Le risque auquel s’exposent les consommateurs est réel et doit être pris au sérieux pour plusieurs raisons, notamment :

  • La consommation de xylazine se fait principalement à l’insu des personnes qui consomment des drogues, puisque la drogue achetée n’est pas identifiée comme telle.
  • Les tests d’urine ne permettent pas toujours de détecter la présence de la xylazine.
  • Des bandelettes urinaires sont disponibles en ligne à un coût d’environ 3,50 $ l'unité et peuvent indiquer la présence ou l’absence de xylazine selon la limite de détection, mais elles n’en précisent pas la quantité. 
  • En cas de surdose liée à la consommation de xylazine, la naloxone peut être moins efficace pour cette substance que pour les opioïdes. En cas de doute, il ne faut pas hésiter à administrer de la naloxone à une personne inconsciente ayant consommé présumément de la xylazine, puisqu’une polyintoxication mettant aussi en cause un opioïde est probable. De plus, des données récentes montrent que, dans certains cas isolés, la naloxone serait efficace pour inverser une intoxication à la xylazine, même lorsqu’il s’agit de la seule substance consommée. Le mécanisme d’action de la naloxone dans ce contexte ne serait pas entièrement élucidé14.
  • Les plaies cutanées sévères nécessitent une prise en charge médicale.
  • Des symptômes de sevrage sont possibles suivant la consommation de xylazine, notamment de l’anxiété, de la dysphorie et de l’irritabilité.

Références

  1. Papudesi BN, Malayala SV, Regina AC. Xylazine Toxicity. StatPearls, Treasure Island (FL): StatPearls Publishing; 2023.
  2. Gupta R, Holtgrave DR, Ashburn MA. Xylazine — Medical and Public Health Imperatives. New England Journal of Medicine 2023;388:2209–12. .
  3. Toward the Heart, BCCDC harm reduction services. Xylazine, 2022. n.d.
  4. L’émergence de la xylazine au Canada, 2023.
  5. Gouvernement du Canada. (2024). Service d’analyse des drogues de Santé Canada. n.d.
  6. Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). Projet suprarégional d’analyse de drogues dans l’urine de personnes qui consomment au Québec, 2024.
  7. Ruiz-Colón K, Chavez-Arias C, Díaz-Alcalá JE, Martínez MA. Xylazine intoxication in humans and its importance as an emerging adulterant in abused drugs: A comprehensive review of the literature. Forensic Science International 2014;240:1–8.
  8. Thibodeau M. Drogues illicites contaminées: Présence « préoccupante » de xylazine à Montréal. La Presse 2023.
  9. Drug Enforcement Administration. The Growing Threat of Xylazine and its Mixture with Illicit Drugs 2021.
  10. Rubin R. Here’s What to Know About Xylazine, aka Tranq, the Animal Tranquilizer Increasingly Found in Illicit Fentanyl Samples. JAMA 2023;329:1904–6.
  11. Ruiz-Colon K, Chavez-Arias C, Diaz-Alcala JE, Martinez MA. Xylazine intoxication in humans and its importance as an emerging adulterant in abused drugs: A comprehensive review of the literature. Forensic Sci Int 2014;240:1–8.
  12. Amanda L.A. Mohr, MS; Thom Browne, MA; David M. Martin, PhD and Barry K. Logan, PhD. Xylazine: A Toxic Adulterant Found in Illicit Street Drugs. 2020.
  13. Jones S, Bailey S. Xylazine Test Strips for Drug Checking: CADTH Horizon Scan. Ottawa (ON): Canadian Agency for Drugs and Technologies in Health; 2023.
  14. Morris J, Hoang D, Morris J, Hoang DV. The Management of Xylazine Overdose With Naloxone. Cureus 2024;16.

Autrice

Isabelle Bilodeau, pharmacienne
Institut national de santé publique du Québec