Veille scientifique en promotion de la santé mentale et prévention des troubles mentaux et du suicide, automne 2024
Voici le bulletin de l’automne 2024 de la veille scientifique de l’Institut national de santé publique du Québec présentant les plus récents articles scientifiques sur la promotion de la santé mentale, la prévention des troubles mentaux et la prévention du suicide.
Dans ce numéro :
- Résumés d’articles :
- Une analyse longitudinale de l’effet de l’insécurité en matière de logement sur la santé mentale, le sommeil et l’hypertension au Royaume-Uni
- Les liens entre conscience critique et santé mentale : une enquête longitudinale sur les effets positifs et négatifs concomitants de la conscience critique chez les minorités sexuelles
- Contagion suicidaire et utilisation des médias sociaux
- Nouvelles publications de l’Institut national de santé publique du Québec
- Autres publications d’intérêts
Une analyse longitudinale de l’effet de l’insécurité en matière de logement sur la santé mentale, le sommeil et l’hypertension au Royaume-Uni
Contexte
L’insécurité du logement est une problématique grandissante dans plusieurs pays. Au Royaume Uni, à la suite d’une récession, les années 2010 ont été caractérisées par une période d’austérité économique dont les effets se sont fait ressentir dans plusieurs sphères, particulièrement celle du logement. Plusieurs études ont mesuré les effets des reprises de possession ou saisies d’hypothèques sur la santé. Cependant, les études sont moins nombreuses à s’attarder à l’effet des retards ou des difficultés de paiement sur la santé, et celles qui le font sont, par ailleurs, centrées sur le contexte étatsunien.
Objectif et méthode
Dans l’objectif de mieux comprendre l’effet de l’insécurité du logement au Royaume-Uni sur la santé dans un contexte d’austérité économique, les auteurs ont analysé des données de 11 125 personnes participantes (de 25 à 64 ans) à neuf cycles de l’enquête UK Household Longitudinal Study, soit de 2009 à 2019. L’étude visait à répondre aux questions suivantes : 1) Les difficultés de paiement (hypothèque ou logement) entraînent-elles plus de symptômes de troubles mentaux courants, des problèmes de sommeil ou de l’hypertension? 2) Ces relations varient-elles en fonction des caractéristiques sociodémographiques des personnes? et 3) Ces relations sont-elles plus fortes dans les régions où les mesures d’austérité ont été plus importantes? Seuls les résultats sur la santé mentale sont rapportés dans ce résumé. Dans cette étude, la santé mentale renvoie à la présence de symptômes de troubles mentaux courants qui ont été évalués à l’aide du General Health Questionnaire (GHQ-12). L’insécurité du logement a été mesurée par une question spécifique concernant des difficultés à payer son loyer ou son hypothèque dans les 12 derniers mois. Les résultats ont été analysés à l’aide de modèles structuraux marginaux permettant de tenir compte des facteurs de confusion, incluant ceux qui changent dans le temps, comme l’âge, et qui sont liés à la santé mentale.
Ce que l’on y apprend
Globalement, les résultats concernant la santé mentale indiquent que le fait d’avoir vécu des difficultés à payer son loyer ou son hypothèque dans les 12 derniers mois est associé à un risque accru de développer des symptômes de troubles mentaux courants (différence absolue de 2,5 % entre les personnes ayant vécu des difficultés à payer et celles qui n’en ont pas vécu). Cet effet est plus prononcé chez certains groupes. Entre autres, chez les plus jeunes (de 25 à 34 ans), les locataires de logements privés ou sociaux (comparativement aux propriétaires avec une hypothèque), les personnes avec enfant (comparativement à ceux sans enfant) et les personnes sans diplôme universitaire (comparativement à ceux ayant un diplôme universitaire). Chez les personnes de 55 à 64 ans, les difficultés à payer n’étaient pas associées à un risque accru de présenter des symptômes. Enfin, le risque de développer des symptômes est augmenté de 4,4 % pour les personnes résidant dans des régions où les mesures d’austérité (précisément des coupures budgétaires dans les services en logement) étaient supérieures à la moyenne nationale.
Conclusion
L’étude met en lumière l’effet néfaste de l’insécurité du logement sur la santé mentale. Les auteurs notent quelques limites à leurs analyses, entre autres un biais de sélection potentiel où les personnes avec des difficultés à payer le loyer ou l’hypothèque et les personnes avec des symptômes de troubles mentaux sont sous-représentées. L’étude illustre le rôle de l’insécurité du logement dans la perpétuation des inégalités de santé mentale. Les auteurs suggèrent d’apporter davantage de soutien aux personnes et aux familles risquant de se retrouver en retard ou en difficulté de paiement du loyer, en particulier dans les régions où les services en logement ont été réduits, ainsi que d’investir dans les services de santé mentale.
Mason KE, Alexiou A, Li A, Taylor-Robinson D. The impact of housing insecurity on mental health, sleep and hypertension: Analysis of the UK Household Longitudinal Study and linked data, 2009–2019. Social Science & Medicine. 2024;351:116939.
Les liens entre conscience critique et santé mentale : une enquête longitudinale sur les effets positifs et négatifs concomitants de la conscience critique chez les minorités sexuelles
Contexte
Face à une oppression systémique, les individus en situation de marginalisation peuvent interpréter la stigmatisation qu’ils subissent comme le résultat de leurs propres insuffisances personnelles (oppression internalisée). Or, la conscience critique (Paolo Freire) offre un regard différent en mettant en lumière le rôle majeur des systèmes de pouvoir et de privilège dans les défis qu’ils rencontrent. Elle peut également renforcer leur agentivité, leur voix et leur pouvoir. La conscience critique peut améliorer certains aspects liés à la santé mentale, comme l’acceptation de soi et la gestion de la détresse émotionnelle engendrée par l’oppression. Ces liens demeurent toutefois peu explorés empiriquement.
Objectifs et méthode
Cette recherche longitudinale explore l’association entre la conscience critique et la santé mentale, ainsi que le rôle de l’oppression internalisée, de la connexion communautaire et de l’âge dans cette association. La population étudiée est constituée de personnes issues des minorités sexuelles âgées de 16 ans et plus demeurant à Hong Kong (n = 636). Les variables suivantes ont été mesurées à l’aide d’échelles validées une première fois, puis un an plus tard : la conscience critique, l’oppression internalisée, la connexion communautaire, la détresse émotionnelle, l’anxiété et le bien-être émotionnel, psychologique et social.
Ce que l’on y apprend
Les résultats soutiennent l’effet libérateur de la conscience critique. Celle-ci est associée à une réduction de l’oppression internalisée, laquelle est liée à des niveaux plus faibles de détresse émotionnelle. L’auteur explique que, en confrontant de manière critique les causes profondes de l’injustice, les individus issus de minorités sexuelles sont plus disposés à rejeter le sentiment d’infériorité associé à leur identité. La conscience critique est également associée à un plus grand degré de connexion communautaire, ce qui contribue à l’augmentation du bien-être. L’engagement dans des actions collectives critiques peut, par ailleurs, susciter des sentiments d’appartenance et d’attachement communautaire, favorisant également le bien-être. Cependant, l’étude révèle aussi une association positive directe entre la conscience critique et la détresse émotionnelle, même en tenant compte de l’oppression internalisée et la connexion communautaire. Ce résultat pourrait indiquer que, pour certaines personnes, en particulier les jeunes de 16 à 25 ans, adopter une perspective critique peut exacerber la détresse émotionnelle. Cela peut s’expliquer par divers mécanismes, notamment le risque d’isolement social ou le stress accru lié à une prise de conscience plus profonde des injustices, à un moment de leur vie où la validation et l’acceptation par les pairs sont particulièrement importantes.
Conclusion
En se basant sur les bénéfices sur la santé mentale de la conscience critique observés dans l’étude, l’auteur recommande de créer des espaces inclusifs en vue d’engager des discussions critiques dans les milieux éducatifs et cliniques. Cela peut permettre, notamment, de canaliser les préoccupations liées à l’oppression et de mieux la comprendre. Étant donné que la conscience critique peut entraîner des effets négatifs chez les jeunes de 16 à 25 ans, notamment par une focalisation excessive sur les injustices, un sentiment de désespoir face à la lenteur des changements ou un sentiment d’isolement, l’auteur propose plusieurs stratégies. Il recommande d’équilibrer cette conscience critique avec des pratiques de soin de soi (self-care), de reconnaître les progrès réalisés et de célébrer les victoires, ainsi que d’établir des limites en matière de consommation d’information et d’engagement. En outre, il s’agit de créer et de maintenir des liens avec des communautés LGBTQ+, y compris via des plateformes en ligne, afin de trouver validation, soutien émotionnel et sentiment d’appartenance. L’auteur note deux limites principales. Tout d’abord, la conscience critique a été mesurée comme un construit unidimensionnel, alors que des résultats différents pourraient être obtenus en examinant plusieurs composantes de la conscience critique. Ensuite, il est important de prendre en compte que les perturbations émotionnelles peuvent être particulièrement marquées dans les sociétés où le changement systémique est ardu et difficile. Il apparaît donc pertinent de prendre en compte le contexte de Hong Kong en vue de transférer les résultats dans un autre contexte.
Chan, Randolph C.H. « The Mental Health Benefits and Costs of Critical Consciousness: A Longitudinal Investigation of the Co-Occurring Positive and Negative Effects of Critical Consciousness among Sexual Minorities ». Social Science & Medicine 348 (mai 2024) : 116 840.
Contagion suicidaire et utilisation des médias sociaux : une revue systématique
Contexte
L’effet de contagion suicidaire, également appelé effet Werther, est le phénomène par lequel un individu adopte des comportements suicidaires (p. ex. : idées suicidaires, tentatives de suicide) suivant l’exposition et l’identification à une autre personne qui s’est enlevée la vie. Ce phénomène est largement documenté en ce qui a trait à l’influence des médias et, dans une moindre mesure, dans les œuvres de fiction, notamment télévisuelles. Les médias sociaux sont utilisés par les individus de tout âge pour interagir, socialiser et s’informer. Ils représentent donc une plateforme médiatique pouvant être utilisée afin d’exprimer et de partager du contenu suicidaire. Ce faisant, les médias sociaux représentent une source potentielle de contagion suicidaire. Pourtant, à ce jour, peu de revues de littérature se sont attardées à analyser l’influence des médias sociaux sur le phénomène de contagion suicidaire.
Objectif et méthode
Cette revue systématique vise à vérifier si le phénomène de contagion suicidaire existe en contexte d’exposition et d’utilisation des médias sociaux. Pour ce faire, les auteurs ont procédé à l’analyse narrative de 25 articles scientifiques (études quantitatives et qualitatives) portant sur l’association entre l’exposition à du contenu suicidaire publié sur les médias sociaux et les comportements suicidaires (idées suicidaires, tentatives de suicide et décès par suicide). Les plateformes de médias sociaux les plus souvent rapportées dans les études repérées sont Twitter (n = 9), plusieurs plateformes ou non spécifié (n = 6), Instagram (n = 3) Facebook (n = 2), YouTube (n = 2), Reddit (n = 1), Mixi (n = 1), et Weibo (n = 1).
Ce que l’on y apprend
Les résultats de la revue indiquent que les médias sociaux peuvent agir comme une source de contagion suicidaire. Parallèlement, certains résultats indiquent que les médias sociaux peuvent également avoir un effet protecteur. Ce serait le cas lorsque le contenu partagé sur les médias sociaux est soutenant et fait la promotion de la demande d’aide. L’effet de contagion suicidaire observé serait influencé par certaines caractéristiques des individus, de l’interaction avec la publication et de la personne qui a publié ou partagé le contenu. Relativement aux caractéristiques de la personne, la probabilité de contagion suicidaire serait plus élevée si la personne exposée présente des troubles mentaux ou est en situation de vulnérabilité (p. ex. : jeune âge), si elle recherche activement ce type de contenu, et si elle publie du contenu ou interagit avec une publication plutôt que de simplement lire le contenu publié sur les médias sociaux. Quant aux caractéristiques de l’interaction avec le contenu publié sur les médias sociaux, la contagion augmenterait avec un plus grand nombre de publications, des publications plus visuelles (p. ex. : images ou vidéos), ainsi qu’avec un contenu qui propose un pacte de suicide, est viral ou qui fait la promotion des comportements suicidaires. À l’inverse, si le contenu et les interactions qui en découlent sont soutenantes et porteuses d’espoir, cela peut diminuer les comportements suicidaires. Enfin, les caractéristiques de la personne qui publie le contenu suicidaire influenceraient également la probabilité de contagion suicidaire. En effet, si cette personne est une figure publique ou connue, ou est une personne à qui l’utilisateur s’identifie fortement, la probabilité de contagion suicidaire serait augmentée.
Conclusion
Malgré une forte hétérogénéité des devis d’études, les résultats de la revue indiquent qu’à l’instar des médias d’information et des œuvres de fiction télévisuelles, les médias sociaux représentent une source de contagion suicidaire potentielle. Dans le contexte de l’omniprésence de ces derniers, il apparaît pertinent de rester vigilant face au contenu partagé sur ces plateformes, et de travailler à maximiser les bénéfices qu’elles peuvent offrir en matière de prévention du suicide.
Calvo, S., Carrasco, J. P., Conde-Pumpido, C., Esteve, J. et Aguilar, E. J. (2024). Does suicide contagion (Werther effect) take place in response to social media? A systematic review. Spanish Journal of Psychiatry and Mental Health, S2950285324000322.
Nouvelles publications de l’Institut national de santé publique du Québec
- Un nouveau dossier sur la violence sexuelle
- Mieux vivre avec les écrans – réflexions pour une régulation favorable à la santé publique
- Usage des écrans, santé mentale et symptômes de troubles mentaux chez les jeunes de 12 à 17 ans
- Santé des familles migrantes à statut précaire au Québec et au Canada pendant la période de la périnatalité et de la petite enfance
- L’aménagement des services de garde éducatifs pour favoriser les apprentissages et le bien-être des tout-petits
Autres publications d’intérêts
Nouvelles données canadiennes
- Enquête canadienne sur la santé des enfants et des jeunes de 2023 — Changements en matière de santé mentale des répondants à l’enquête de 2019
Statistique Canada | septembre 2024 | Le Quotidien - Indicateurs de la qualité de vie de l’Enquête sociale canadienne, deuxième trimestre de 2024
Statistique Canada | août 2024 | Le Quotidien - Autoévaluation de la santé mentale des Premières Nations vivant hors réserve, Métis et Inuit selon le groupe d’âge et le genre
Statistique Canada | août 2024 | Nouveau tableau de données de l’Enquête auprès des peuples autochtones, 2022 - Santé mentale chez les femmes et les filles de divers milieux, au Canada, avant et pendant la pandémie de COVID-19 : analyse intersectionnelle
Statistique Canada | juillet 2024 | Données de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes, 2019 et 2020
Publication d’intérêt au Canada et à l’international
- Creating an impactful and sustainable Wellbeing Economy for better public health
EuroHealthNet, Institute of Public Health | juin 2024 - Child and Youth Mental Well-Being Resources
BC Health Communities | 2024 - Suicide Prevention: a Competency Framework for Universities. E-learning package
Universitites Australia | 2024 - Inégalités en matière de santé mentale, de bien-être et de mieux-être au Canada
Agence de la santé publique du Canada | 2024
Rédaction
Caroline Braën-Boucher, conseillère scientifique
Yan Ferguson, conseiller scientifique
Félix Lebrun-Paré, conseiller scientifique
Marie-Claude Roberge, conseillère scientifique et coordonnatrice de l'équipe Écrans/Santé mentale/Suicide
Unité santé et bien-être des populations
Direction du développement des individus et des communautés
Révision
Julie Laforest, cheffe d’unité scientifique
Santé et bien-être des populations
Direction du développement des individus et des communautés
Révision linguistique
Sarah Mei Lapierre, agente administrative
Direction du développement des individus et des communautés
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