Caractérisation de l'exposition aux pesticides utilisés en milieu résidentiel chez des enfants québécois âgés de 3 à 7 ans

L'exposition des enfants aux pesticides utilisés en milieu résidentiel est une problématique qui préoccupe de plus en plus la population et les autorités de santé publique. Au Québec, il en résulte la mise en place d'un nombre croissant de projets réglementaires sur l'usage résidentiel de ces produits. Cependant, peu de données existent sur les niveaux réels d'exposition des enfants québécois aux pesticides, entre autres aux insecticides organophosphorés (OP) et aux herbicides chlorophénoxys (CPH) utilisés pour l'entretien de pelouses. Les objectifs de cette étude étaient d'améliorer le niveau de connaissances quant à l'exposition résidentielle des enfants québécois à ces substances et d'explorer l'effet de la réglementation municipale sur les niveaux d'exposition.

89 enfants âgés de 3 à 7 ans ont été répartis en 3 groupes distincts. Les enfants du Groupe I (témoins) ont été sélectionnés dans des secteurs fortement réglementés où les parents n'utilisaient pas de pesticides. Les sujets du Groupe II ont été sélectionnés dans des secteurs où la réglementation était faible ou absente, et où les parents prévoyaient appliquer des CPH pour l'entretien des pelouses. Le troisième groupe a été sélectionné dans un secteur similaire au Groupe II, où les parents affirmaient pouvoir utiliser occasionnellement des insecticides sur leur propriété, sans toutefois faire usage de CPH. Tôt au printemps, chaque participant devait fournir un échantillon de la première urine du matin en guise d'échantillon contrôle. Les expositions aux OP et au CPH ont été évaluées par la mesure des métabolites urinaires d'alkylphosphates (AP) et des CPH inchangées, respectivement. L'exposition aux OP des Groupes I et III durant la saison potentielle d'application de pesticides en milieu extérieur a aussi été évaluée au moyen de 5 échantillons urinaires supplémentaires obtenus sur une période de 12 jours en juillet/août. Finalement, le Groupe II a été échantillonné pour l'exposition aux CPH les jours 1 et 2 suivant une application sur la pelouse de CPH, et pour l'exposition aux OP au moyen de 3 échantillonnages ponctuels supplémentaires en juillet/août. Un questionnaire relatant les habitudes et les comportements de l'enfant ainsi que l'usage de pesticides par les parents, durant la période d'échantillonnage, a également été administré aux parents. Une évaluation sommaire des risques à la santé posés par les niveaux d'exposition observés a été faite pour les CPH et les OP. Dans ce dernier cas, les estimations ont été faites à l'aide de modèles pharmacocinétiques.

Pour l'ensemble des mesures effectuées, 6 des 123 échantillons analysés pour la présence de CPH ont présenté des niveaux détectables de CPH, avec des valeurs maximales de 128 μg/g de créatinine pour le mécoprop et 40 μg/g de créatinine pour le 2,4-D. Quatre des échantillons positifs provenaient de 3 enfants dont les parents avaient utilisé des CPH, ce qui indique que 15 % de ces enfants d'utilisateurs ont été exposés à ces substances. Les métabolites méthylphosphates ont été détectés dans 98,7 % des 442 échantillons analysés pour les OP, et la concentration moyenne d'AP totaux de 117 μg/g de créatinine était relativement élevée en comparaison d'études similaires faites dans d'autres pays industrialisés. Cependant, cette moyenne résulte fortement de l'influence de 11 échantillons présentant des concentrations supérieures à 500 μg/g de créatinine. Des investigations spécifiques n'ont pas permis de déterminer quels événements auraient pu expliquer ces niveaux d'exposition élevés. Aucune différence significative ne fut observée entre les concentrations urinaires en AP totaux d'avant et durant la saison d'application extérieure de pesticides, pas plus qu'entre les différents groupes. Les questionnaires rapportaient rarement des usages résidentiels de pesticides, mais la présence d'un animal de compagnie semble être un facteur augmentant l'exposition, particulièrement en zone non réglementée. Aucune corrélation ne fut observée entre les niveaux urinaires d'AP totaux et le temps passé à l'extérieur les 2 jours précédant l'échantillonnage. Toutefois, les niveaux d'exposition mesurés chez les sujets de même famille, au même moment, étaient fortement corrélés. Sauf dans un cas, les concentrations en AP urinaires ne dépassaient pas les valeurs de référence de risque déterminées à l'aide de modèles pharmacocinétiques. Par ailleurs, les concentrations urinaires de CPH mesurées chez certains enfants étaient sensiblement plus basses que celles observées chez des utilisateurs professionnels et quelque peu supérieures à celles rapportées pour des enfants américains un peu plus âgés.

L'étude a l'avantage de fournir pour la première fois des données descriptives sur l'exposition aux OP et aux CPH d'enfants québécois, ce qui constitue en soi un travail intéressant. De plus, il a été possible d'explorer l'effet de la réglementation, principalement pour les non utilisateurs. Cependant, l'objectif de caractérisation de l'exposition potentielle découlant de l'utilisation résidentielle de pesticides OP n'a pas été complètement atteint puisque très peu d'usages étaient rapportés dans les questionnaires. De manière générale, les risques à la santé semblent faibles. Toutefois, la prudence demeure de mise et justifie la promotion des mesures de rationalisation de l'usage de pesticides et de diminution de l'exposition, d'autant plus que les concentrations observées d'AP urinaires sont plutôt élevées par rapport à celles observées dans d'autres pays et que toutes sources d'exposition supplémentaire pourraient favoriser l'atteinte de niveaux d'exposition préoccupants. Ces résultats indiquent une source d'exposition autre que l'usage extérieur pour des activités horticoles et des hypothèses à ce sujet sont soulevées. Les limites de l'étude et les perspectives futures sont aussi discutées.

Auteur(-trice)s
Mathieu Valcke
Ph. D., conseiller scientifique spécialisé, Direction de la santé environnementale et de la toxicologie, Institut national de santé publique du Québec
Onil Samuel
B. Sc., expert et conseiller scientifique, Institut national de santé publique du Québec
Denis Belleville
Institut national de santé publique du Québec
Pierre Dumas
M. Sc., Chimiste, Institut national de santé publique du Québec
Michèle Bouchard
Ph. D., toxicologue, professeure agrégée, Université de Montréal
Claude Tremblay
Direction de la santé publique de la Montérégie
ISBN (imprimé)
2-550-43305-X
Notice Santécom
Date de publication