Demande complémentaire pour l’avis Stratégie de vaccination contre la COVID-19 : report de la 2e dose en contexte de pénurie

Récemment, diverses stratégies ont été recommandées dans certaines juridictions en ce qui concerne l’intervalle de temps entre les deux doses des vaccins contre la COVID-19. Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a demandé au Comité sur l’immunisation du Québec (CIQ) d’expliquer sur quelles bases ces différents intervalles étaient fondés. Le MSSS voulait également savoir si le CIQ maintenait ses recommandations formulées dans un avis scientifique récent (1), notamment d’offrir une 1re dose de vaccin au plus grand nombre de personnes appartenant aux six premiers groupes prioritaires1 avant d’entreprendre l’administration des 2es doses de vaccin.

Réponse

Informations sur certains vaccins autorisés

Les études de Phase 3 portant sur les vaccins contre la COVID-19 ont été réalisées dans un contexte où l'objectif était d’obtenir très rapidement une protection qui satisfasse le critère d’autorisation imposé par la Food and Drug Administration et l’Organisation mondiale de la santé (OMS), à savoir une efficacité d’au moins 50 % pour prévenir les cas de COVID-19 confirmés par tests d’amplification des acides nucléiques (TAAN) avec une limite inférieure de l’intervalle de confiance à 95 % supérieure à 30 % (2). De ce fait, des calendriers à plus d’une dose avec des intervalles courts ont été systématiquement utilisés par les principaux fabricants avec une seule exception, soit celle de Johnson & Johnson/Janssens, où une seule dose est prévue (3).

Dans l’étude de Phase 3 du vaccin à ARN messager BNT162b2 de Pfizer/BioNTech présentement autorisé, l’intervalle préconisé entre les deux doses était de 21 jours (4) et, dans les faits, les deuxièmes doses ont été administrées avec un intervalle compris entre 19 et 42 jours. Nous ne savons pas combien parmi les 19 965 participants ont reçu leur deuxième dose de BNT162b2 avec un intervalle de 42 jours, mais il doit s’agir d’une petite proportion, l’intervalle spécifié étant de 19-23 jours.

Dans l’étude de Phase 3 portant sur le vaccin à ARN messager mRNA-1273 de Moderna, l’intervalle préconisé entre les deux doses était de 28 jours (5) et les deuxièmes doses ont été administrées dans un intervalle compris entre 21 et 42 jours (4). Comme dans l’étude précédente, nous ne savons pas combien de personnes ont effectivement reçu la deuxième dose 42 jours après la première, mais il doit également s’agir d’une petite proportion des 14 134 participants du groupe mRNA-1273 inclus dans l’analyse « per protocol ».

Un troisième vaccin d’AstraZeneca (AZD1222), basé sur une technologie différente de vecteur viral, a été autorisé au Royaume-Uni, mais ne l’est pas encore au Canada. Nous ne possédons pas encore tout le détail des études d’efficacité le concernant. Dans les quatre essais cliniques de ce vaccin portant sur un total de 23 848 participants, l’intervalle préconisé entre les deux doses était de 28 jours (6). Pour des raisons logistiques, une partie des participants dans l’étude réalisée au Brésil (n = 1 459) a reçu la deuxième dose d’AZD1222 douze semaines après la première. L’efficacité à partir de 21 jours suivant une seule dose de vaccin (suivi maximal de 12 semaines) était semblable à l’efficacité de deux doses de vaccin (7). Des données concernant la réponse immunitaire après la deuxième dose en fonction du délai entre les 2 doses ont aussi été publiées et sont reprises dans le tableau 1 (8). Il apparaît clairement que les titres d’anticorps sont d’autant plus élevés que la deuxième dose est donnée plus tardivement, ce qui peut suggérer une protection à plus long terme.

Tableau 1 - Réponse sérologique avec le vaccin ADZ1222

Population

Avant la vaccination

28 jours après la 1re dose

28 jours après la 2dose

TMG

(95 % IC)

TMG

(95 % IC)

TMG

(95 % IC)

Totale

(N = 882)

57,2

(52,8; 62,0)

(N = 817)

8 386,5

(7 758,6; 9 065,1)

(N = 819)

29 034,7

(27 118,2; 31 086,7)

Intervalle entre les doses

< 6 semaines

 

 

6-8 semaines

(N = 481)

60,51

(54,1; 67,7)

(N = 137)

58,02

(46,3; 72,6)

(N = 479)

8 734,08

(7 883,1; 9 676,9)

(N = 99)

7 295,54

(5 857,4; 9 086,7)

(N = 443)

22 222,73

(20 360,50; 24 255,3)

(N = 116)

24 363,10

(20 088,5; 29547,3)

9-11 semaines

(N = 110)

48,79

(39,6; 60,1)

(N = 87)

7 492,98

(5 885,1; 9 540,2)

(N = 106)

34 754,10

(30 287,2; 39 879,8)

≥ 12 semaines

(N = 154)

52,98

(44,4; 63,2)

(N = 152)

8 618,17

(7 195,4; 10 322,3)

(N = 154)

63 181,59

(55 180,1; 7 343,4)

N = Nombre de sujets par groupe; TMG = Titres moyens géométriques; IC = Intervalle de confiance.
Source : https://assets.publishing.service.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/950250/Information_for_UK_healthcare_professionals_on_COVID-19_Vaccine_AstraZeneca.pdf

De manière générale, des intervalles rapprochés pour des vaccins nécessitant plus d’une dose ne génèrent pas une réponse immunitaire optimale et un allongement de l’intervalle entre la première et la deuxième dose permet d’obtenir des taux d’anticorps sériques plus élevés, une protection plus grande et surtout de plus longue durée (9,10). Un tel phénomène a été constaté avec un vaccin expérimental à ARN messager dirigé contre les virus aviaires H10N8 et H7N9. Un intervalle de 6 mois entre la première et la deuxième dose a permis de multiplier par 2,6 à 10,1 les titres moyens géométriques d’anticorps sériques par rapport à un intervalle de 21 jours (11).

Recommandations dans certaines juridictions sur l’intervalle entre les doses et arguments qui les sous-tendent

Dans un avis du 18 décembre 2020, le CIQ a recommandé l’offre d’une 1re dose à un maximum de personnes appartenant aux six premiers groupes prioritaires ciblés avant d’offrir la deuxième dose (1). Cette recommandation se base notamment sur :

  • L’efficacité élevée, soit 92 %, des vaccins BNT162b2 et m-RNA 1273 14 jours après la première dose.
  • La forte probabilité que le déclin de l’immunité vaccinale soit graduel et lent, tel que démontré pour plusieurs vaccins, malgré les incertitudes sur la durée de l’efficacité après la 1re dose.
  • L’incidence élevée de la COVID-19 où tout retard à vacciner certains groupes très vulnérables entraînera de nombreux décès et hospitalisations et où une stratégie offrant une 1re dose de vaccin à deux fois plus de personnes très vulnérables paraît essentielle en vertu de l’objectif de prévention des maladies graves poursuivi par le Programme d’immunisation contre la COVID-19 au Québec et des valeurs éthiques qui le sous-tendent.
  • L’immunité généralement meilleure avec un intervalle plus étendu entre les doses de vaccin (9,10).
  • Des données de modélisation qui suggèrent que de retarder l’administration de la 2e dose est une stratégie avantageuse pour la prévention de la COVID-19, même dans des scénarios pessimistes où l’efficacité de la 1re dose diminuerait rapidement (12,13).

Depuis l’avis du CIQ, d’autres organisations ont proposé des intervalles plus longs que ceux recommandés par les fabricants des vaccins autorisés. En fonction des données disponibles, le Joint Committee on Vaccination and Immunisation au Royaume-Uni a recommandé un intervalle de 3 à 12 semaines pour le vaccin BNT162b2 et de 4 à 12 semaines pour l’ADZ1222, afin d’assurer rapidement la protection contre la COVID-19 du plus grand nombre de personnes possible avec une première dose (13). Le choix de l’intervalle possible de 12 semaines semble provenir de l’analyse montrant une protection qui perdure pendant au moins 12 semaines pour le vaccin ADZ1222. L’objectif était aussi d’harmoniser les recommandations concernant les deux vaccins précédents puisqu’il n’y a pas de données robustes qui suggèrent une durée d’efficacité différente dans le cas des vaccins à ARN messager.

En fonction des mêmes données, le Comité consultatif national de l’immunisation (CCNI) a recommandé un intervalle de 21 ou 28 jours pour le vaccin de BNT162b2 et de 28 jours pour le m-RNA 1273 en indiquant, toutefois, qu’une province peut décider de maximiser le nombre de personnes bénéficiant d’une 1re dose en retardant l’administration de la 2e dose, de préférence sans dépasser 42 jours (6 semaines) après l’administration de la 1re dose (4). Aucun intervalle maximal entre les doses n’est spécifié. Le CCNI a rappelé que certains participants aux essais cliniques ont reçu la 2e dose 42 jours après la 1re. La proposition de ne pas dépasser 42 jours n’est donc pas basée sur des données de baisse d’efficacité après cette période de temps.

De façon analogue, l’OMS recommande un intervalle de 21-28 jours entre les deux doses du vaccin BNT162b2, le seul autorisé par cet organisme à l’heure actuelle. Il est toutefois mentionné que cet intervalle pourrait être étendu à 42 jours (6 semaines) en fonction de la situation épidémiologique (14) puisque les données des essais de Phase 3 incluent des personnes ayant reçu une deuxième dose avec un intervalle de 42 jours. Il est aussi précisé que cet intervalle maximum proposé pourrait être revu en fonction de la disponibilité des données sur des intervalles plus longs entre les doses. Dans d’autres pays comme le Danemark, un intervalle de 6 semaines entre les 2 doses a aussi été permis. Encore une fois, ces recommandations d’un intervalle maximum de 42 jours ne sont pas basées sur la baisse d’efficacité après cet intervalle, mais plutôt sur l’absence de données disponibles au-delà de cette période avec les deux vaccins homologués actuellement au Canada.

Recommandations du CIQ

En lien avec les données présentées, le CIQ maintient sa recommandation que la stratégie de vaccination contre la COVID-19 au Québec, en contexte de pénurie de vaccins et de circulation du virus à un niveau élevé, soit d’offrir une 1re dose de vaccin au plus grand nombre de personnes appartenant aux six premiers groupes prioritaires.

Le CIQ rappelle que l’administration d’une 2e dose est importante pour assurer une protection à long terme et devra être offerte. L’administration de la deuxième dose pourrait être devancée si les études d’efficacité montraient un déclin rapide de la protection après la 1re dose. Si ces études montrent au contraire une protection élevée et durable, cette 2e dose pourrait éventuellement être reportée davantage pour permettre la vaccination d’autres groupes prioritaires. À titre d’exemple, les personnes âgées de 60 à 69 ans seraient un groupe à vacciner rapidement considérant qu’ils représentent au Québec 16 % des hospitalisations, 28 % des admissions aux soins intensifs et 6 % des décès de septembre à décembre 2020. Finalement, le CIQ réitère la recommandation de mener une surveillance étroite, en temps quasi réel et continue de l’efficacité du vaccin tout au long de l’année 2021 pour permettre de faire rapidement et si besoin les ajustements à la stratégie de vaccination préconisée ici.


1 Résidents en CHSLD, travailleurs de la santé, personnes vivant en résidence privée pour aînés, résidents des communautés isolées et éloignées, personnes de 80 ans et plus dans la communauté et personnes de 70-79 ans dans la communauté.

Références

  1. De Serres G, De Wals P. Stratégie de vaccination contre la COVID-19 : report de la 2e dose en contexte de pénurie [Internet]. Disponible sur : https://www.inspq.qc.ca/publications/3098-strategie-vaccination-2e-dose-covid
  2. Food and Drug Administration. Development and Licensure of Vaccines to Prevent COVID-19 - Guidance for Industry [Internet]. Disponible sur : https://www.fda.gov/media/139638/download
  3. De Wals P, Brousseau N, Bui Y. Caractéristiques des vaccins candidats contre la COVID-19 et enjeux relatifs à leur utilisation au Québec [Internet]. Disponible su r: https://www.inspq.qc.ca/publications/3069-caracteristiques-vaccins-candidats-enjeux-covid19
  4. Government of Canada. Recommendations on the use of COVID-19 vaccines [Internet]. Disponible sur : https://www.canada.ca/en/public-health/services/immunization/national-advisory-committee-on-immunization-naci/recommendations-use-covid-19-vaccines.html
  5. Baden LR, El Sahly HM, Essink B, Kotloff K, Frey S, Novak R, et al. Efficacy and Safety of the mRNA-1273 SARS-CoV-2 Vaccine. N Engl J Med [Internet]. 30 déc 2020; Disponible sur : https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa2035389
  6. Voysey M, Clemens SAC, Madhi SA, Weckx LY, Folegatti PM, Aley PK, et al. Safety and efficacy of the ChAdOx1 nCoV-19 vaccine (AZD1222) against SARS-CoV-2: an interim analysis of four randomised controlled trials in Brazil, South Africa, and the UK. Lancet. 9 janv 2021;397(10269):99‑111.
  7. Public Health England. Annex A: Report to JCVI on estimated efficacy of a single dose of Pfizer BioNTech (BNT162b2 mRNA) vaccine and of a single dose of ChAdOx1 vaccine (AZD1222) [Internet]. Disponible sur : https://assets.publishing.service.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/949505/annex-a-phe-report-to-jcvi-on-estimated-efficacy-of-single-vaccine-dose.pdf
  8. Government of the United Kingdom. Reg 174 information for UK healthcare professionals [Internet]. Disponible sur : https://assets.publishing.service.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/950250/Information_for_UK_healthcare_professionals_on_COVID-19_Vaccine_AstraZeneca.pdf
  9. Gilca V, Sauvageau C, Panicker G, De Serres G, Schiller J, Ouakki M, et al. Long intervals between two doses of HPV vaccines and magnitude of the immune response: a post hoc analysis of two clinical trials. Hum Vaccin Immunother. 2019;15(7‑8):1980‑5.
  10. Gilca V, Dionne M, Boulianne N, Murphy D, De Serres G. Long-term immunogenicity of two pediatric doses of combined hepatitis A and B or monovalent hepatitis B vaccine in 8 to 10-year-old children and the effect of a challenge dose given seven years later. Pediatr Infect Dis J. 2009;28(10):916‑8.
  11. Feldman RA, Fuhr R, Smolenov I, Mick Ribeiro A, Panther L, Watson M, et al. mRNA vaccines against H10N8 and H7N9 influenza viruses of pandemic potential are immunogenic and well tolerated in healthy adults in phase 1 randomized clinical trials. Vaccine. 2019;37(25):3326‑34.
  12. Bollyky TJ. U.S. COVID-19 Vaccination Challenges Go Beyond Supply. Ann Intern Med. 5 janv 2021; Disponible sur : https://www.acpjournals.org/doi/10.7326/M20-8280
  13. Government of the United Kingdom. Optimising the COVID-19 vaccination programme for maximum short-term impact [Internet]. Disponible sur : https://www.gov.uk/government/publications/prioritising-the-first-covid-19-vaccine-dose-jcvi-statement/optimising-the-covid-19-vaccination-programme-for-maximum-short-term-impact
  14. World Health Organization. Interim recommendations for use of the Pfizer–BioNTech COVID-19 vaccine, BNT162b2, under Emergency Use Listing [Internet]. Disponible sur : https://www.who.int/publications/i/item/WHO-2019-nCoV-vaccines-SAGE_recommendation-BNT162b2-2021.1
Demande complémentaire pour l’avis Stratégie de vaccination contre la COVID-19 : report de la 2e dose en contexte de pénurie
Collection
Type de publication
Date de publication