État des connaissances sur la relation entre les activités liées au gaz de schiste et la santé publique : mise à jour

En 2010, l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) avait produit une recension des écrits afin de documenter la relation entre les activités liées au gaz de schiste et la santé publique (Brisson et al., 2010). Le présent document constitue une mise à jour de ce rapport. Cette démarche a été motivée par plusieurs événements dont la tenue d'une évaluation environnementale stratégique (ÉES) commandée par le gouvernement québécois1, l'annonce de projets d'exploration pétrolière au Québec faisant appel à des techniques semblables, de nouveaux incidents aux États-Unis et au Québec associés à l'industrie gazière et la publication continue de données scientifiques sur le sujet. Cette mise à jour met en évidence les nouvelles connaissances publiées depuis 2010 sur les enjeux sanitaires reliés à l'industrie du gaz de schiste, confirme ou nuance certains éléments ou facteurs de risque soulevés en 2010 et identifie des lacunes dans les connaissances scientifiques reliées à divers facteurs de risque pour l'humain. Les thématiques abordées dans ce document sont les mêmes que dans le rapport de 2010.

Plusieurs équipes scientifiques de l'unité Santé environnementale de l'INSPQ ont contribué à la réalisation de ce mandat, lequel s'inspire des approches de recension systématique des écrits. À l'aide de mots-clés spécifiques, plusieurs bases de données documentaires ont été consultées et divers moteurs de recherche ont été interrogés. Par la suite, les titres et les documents obtenus ont été évalués en regard de leur pertinence et de leur qualité scientifique, puis les textes retenus ont fait l'objet d'une synthèse critique.

Mise à jour des connaissances sur les risques à la santé

Les résultats de la recension d'écrits sont présentés selon différentes thématiques soit : les risques technologiques, les risques reliés à la pollution de l'air, les risques reliés à la contamination de l'eau et les risques d'effets sur la qualité de vie.

Risques technologiques

L'examen de la littérature depuis 2010 amène à constater qu'il n'y a pas eu beaucoup de données scientifiques nouvelles portant sur l'impact sur la santé humaine des activités d'exploration et d'exploitation des gaz de schiste. En lien avec la thématique, dix-huit études ont été retenues pour cette mise à jour. Les documents consultés permettent de tirer les constats suivants :

  • Les explosions, les incendies, les fuites et les déversements de matières dangereuses sont les types d'incidents aux États-Unis et au Canada susceptibles de menacer la santé de la population. En termes d'ampleur, une recension aux États-Unis dénombre par exemple plus de 825 incidents environnementaux différents.
  • La grande majorité des accidents survenus tout au long du processus d'exploration et de production du gaz sont associés à des erreurs humaines, à de la négligence, à des défaillances matérielles et à la complétion inadéquate des puits de forage.
  • Lors de déversements et de fuites de substances chimiques, les travailleurs, la population avoisinante et les premiers répondants sont les sujets les plus à risques de subir des préjudices sérieux.
  • Le transport de matières dangereuses comporte des risques particuliers aux différentes phases du transport.

Les documents recensés soulèvent aussi des constats pour la gestion de ces risques :

  • Un encadrement de l'industrie et un resserrement de la législation paraissent des mesures efficaces pour réduire la fréquence des événements environnementaux.
  • Les mesures d'urgence et la surveillance demeurent des aspects de la gestion du risque à bien considérer, un des défis étant de favoriser la collaboration entre l'industrie gazière et les principaux organismes publics concernés.

Par ailleurs, les constats issus de la littérature permettent de constater que les connaissances de la nature, des quantités, des procédures de manipulation et de transport des substances chimiques utilisées par l'industrie gazière demeurent encore incomplètes. Ce manque de connaissances fait en sorte qu'il n'est pas encore possible d'évaluer le niveau potentiel d'exposition tant des travailleurs que de la population environnante à ces substances et de faire l'évaluation des risques.

Risques reliés à la pollution de l'air

L'exposition aux polluants de l'air est associée à plusieurs effets sur la santé, notamment à des effets cardiorespiratoires. La mise à jour quant aux risques sanitaires reliés à la pollution de l'air se fonde sur quatorze nouveaux écrits. Ces documents permettent de constater les éléments suivants :

  • Diverses modélisations et mesures effectuées depuis 2010, à proximité de sites d'activités liés au gaz de schiste, permettent de prévoir des augmentations locales des concentrations de certains polluants de l'air et en particulier, celles des particules fines et de l'ozone et de ses précurseurs (c.-à-d. COV).
  • Très peu d'études ont porté sur les risques à la santé associés à l'exposition aux polluants de l'air émis lors des activités associées à l'exploration et à l'exploitation du gaz de schiste. Quelques évaluations estiment que les risques sont plus importants pour les individus habitant à proximité de puits (p. ex., < 1 km) ou dans les comtés américains où les activités sont le plus concentrées.

Dans une perspective de gestion des risques, la littérature scientifique colligée et les règles de l'art suggèrent des approches d'estimation de risques à la santé, notamment quant à l'effet cumulé des composés émis dans l'air et quant aux mesures de polluants de l'air préalables à toutes activités d'exploration. De plus, les principes de gestion de risque appliqués en santé publique (Ricard, 2003) mènent à penser que le risque serait mieux géré en tenant compte de distances séparatrices entre des sites d'exploration et d'exploitation du gaz de schiste et les zones habitées.

Finalement, les constats issus de la littérature montrent que la prise en compte des effets indirects à la santé associés à l'émission de gaz à effets de serre par les activités liées à l'exploration et à l'exploitation du gaz de schiste est requise pour documenter les risques de façon cohérente avec les modalités préconisées en santé publique.

Risques reliés à la contamination de l'eau

La littérature recensée pour cette mise à jour comporte dix-huit nouveaux textes. Ceux-ci montrent que les possibilités de contamination des eaux souterraines sont réelles. Notamment :

  • Des contaminations sont survenues à la suite d'un accident, par exemple : lors d'une défaillance technique au moment de la fracturation avec rejet dans l'environnement des boues et produits de la fracturation; lors d'une fuite de gaz due à une défaillance des infrastructures des voies d'extraction; pendant les opérations normales d'extraction des gaz de schiste.
  • Il a été démontré que des problèmes d'étanchéité des coffrages des puits d'extraction étaient à l'origine de cas de contamination survenus dans des conditions normales d'opération.
  • Une hypothèse controversée suggère la migration accélérée des contaminants contenus dans la roche-mère vers la surface à travers des failles ou fissures causées ou accentuées par la fracturation hydraulique. Elle reste à confirmer ou à infirmer par de nouvelles recherches. Si cette hypothèse était confirmée, le risque de contamination des nappes phréatiques persisterait même si des solutions techniques définitives étaient apportées aux problèmes d'étanchéité.

Enfin, tout comme dans la recension de l'INSPQ en 2010 (Brisson et al., 2010), l'exercice de recension montre que plusieurs connaissances restent à acquérir.

Risques d'effets sur la qualité de vie

La mise à jour de la littérature sur les effets à la qualité de vie et aux dimensions psychologiques et sociales a permis de colliger 22 nouveaux textes. Les nouveaux documents mis au jour ont confirmé les résultats présentés en 2010 (Brisson et al., 2010). Les activités reliées à l'exploration et l'exploitation du gaz de schiste sont susceptibles de causer des impacts sur la qualité de vie et la santé sociale et psychologique, notamment quant aux aspects suivants :

  • L'augmentation de la circulation, le bruit, la luminosité intense et les vibrations causées par ces activités industrielles occasionnent des nuisances pour la population avoisinante, particulièrement chez les résidents vivant à proximité d'un site de forage ou d'une route empruntée par les travailleurs.
  • Le phénomène boomtown a été observé à maintes reprises dans les communautés étatsuniennes exploitant le gaz de schiste. Lorsqu'il est présent, il entraîne des effets socioéconomiques, culturels et psychologiques. Ces impacts varient selon le profil de la communauté d'accueil, les infrastructures et les services offerts et le niveau de préparation des autorités.
  • La pénurie de logements, l'augmentation du prix des biens et des services et l'augmentation des tensions et des conflits ont été constatées dans plusieurs cas étudiés.
  • À leur tour, les nuisances et les effets sociaux ont causé chez certaines personnes du stress, de l'anxiété, de l'angoisse, des sentiments de perte de confiance et de perte de contrôle.

Les résultats issus de la littérature amènent à réfléchir notamment au moment où il convient d'investiguer et de caractériser chaque population concernée. Selon les règles de l'art en évaluation des impacts, réaliser ces activités avant l'arrivée de l'industrie permet habituellement de prévenir certains de ces effets sociaux et psychologiques.

Perspectives de réflexion pour la gestion du risque

La perspective de gestion des risques mise de l'avant par le réseau de la santé publique québécoise préconise des principes directeurs dans les dossiers de ce type, dont la transparence, la participation, l'équité, l'appropriation des pouvoirs, la prudence et la rigueur scientifique. En ce sens, des avancées scientifiques ont été réalisées et se poursuivent afin d'identifier les problèmes et de considérer les solutions permettant de réduire les impacts sanitaires de cette industrie. En revanche, de nouvelles questions scientifiques sont soulevées au sujet de plusieurs facteurs de risque dont l'impact à long terme sur la santé demeure préoccupant pour les communautés où se développe l'industrie gazière.

Par ailleurs, les résultats de cette recension démontrent l'importance de poursuivre des travaux de recherche dans la perspective d'orienter la démarche des instances concernées en matière d'exploration et d'exploitation du gaz de schiste au Québec. Les constats de cette recension réitèrent aussi les paramètres jugés incontournables en gestion des risques, qui contribuent à prendre des décisions éclairées. Entre autres, les étapes suivantes sont importantes :

  • Suivre l'évolution des recherches scientifiques.
  • Documenter et rendre accessible les données associées à l'exposition aux divers facteurs de risque.
  • Documenter et mesurer les paramètres présents avant toute opération.
  • Établir des mesures de prévention et de protection pour limiter les risques à la santé.

1Dont les résultats étaient attendus à l'automne 2013.

Auteur(-trice)s
Geneviève Brisson
experte et chercheure d’établissement, Institut national de santé publique du Québec
Marie-Christine Gervais
M. Sc., conseillère scientifique, Institut national de santé publique du Québec
Rollande Allard
M.D., médecin-conseil, Institut national de santé publique du Québec
Leylâ Deger
M. Sc., conseillère scientifique, Institut national de santé publique du Québec
Lise Laplante
M.D., médecin-conseil, Institut national de santé publique du Québec
Audrey Smargiassi
Institut national de santé publique du Québec, Direction de santé publique de Montréal et Centre de recherche Léa-Roback
Céline Campagna
chercheure d’établissement, Institut national de santé publique du Québec
Gaétan Carrier
Université de Montréal
Pierre Chevalier
Ph. D., conseiller scientifique, Institut national de santé publique du Québec
Patrick Levallois
M. D., M. Sc. FRCPC, médecin spécialiste. Institut national de santé publique du Québec
Patrick Poulin
Ph. D., conseiller scientifique spécialisé, Direction de la santé environnementale et de la toxicologie, Institut national de santé publique du Québec
Emmanuelle Bouchard-Bastien
M. Env., conseillère scientifique, Direction de la santé environnementale et de la toxicologie, Institut national de santé publique du Québec
Type de publication
ISBN (électronique)
978-2-550-69666-7
Notice Santécom
Date de publication