Étude exploratoire d'approches de gestion de risque lors des dépassements des normes chimiques dans l'eau potable

La gestion de l’eau potable est un élément vital pour la protection de la santé publique. Pour cette raison, il existe un grand nombre de normes régissant sa qualité. Les procédures à suivre lorsque la contamination microbiologique excède les normes sont généralement bien établies. Toutefois, dans le cas des normes chimiques, il existe peu d’indications sur les règles à suivre. En effet le Règlement sur la qualité de l’eau potable du ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs (MDDEP) prévoit que dans de tels cas, l’exploitant doit voir à rétablir la situation et doit aviser la direction régionale du MDDEP et la direction de la santé publique (DSP) concernée. Celle-ci a bien sûr un devoir de protection du public, mais le règlement est silencieux quant aux décisions à prendre en attendant le retour au respect de la norme, comme l’émission ou non d’avis de non consommation.

L’approche la plus connue traitant de ces situations consiste en la méthodologie américaine des drinking water health advisories. Ceux-ci se définissent comme étant des critères non coercitifs, établis pour divers contaminants de l’eau potable afin d’indiquer les concentrations maximales, parfois supérieures aux normes, à ne pas dépasser durant une période variable afin de préserver la santé des consommateurs. Cependant, l’utilisation simple et directe de ces critères pourrait donner l’impression que le dépassement des normes est permis pour une certaine période de temps et variable selon le niveau de dépassement. Or, en regard du rôle des autorités de santé publique, cette situation n’est pas souhaitable même si d’un point de vue strictement de santé publique, un dépassement temporaire peut ne pas poser de problème particulier. En effet, il est de l’avis des auteurs de la présente réflexion que malgré les incertitudes et les imperfections qu’elles peuvent présenter, les normes doivent être respectées et il importe d’orienter la gestion de leur dépassement avec cette parcimonie. Dans la même veine, tel qu’adopté comme principe en Australie, l’établissement d’une norme n’est pas une caution pour dégrader la qualité de l’eau jusqu’au niveau de la norme, dans le cas où la qualité de l’eau initiale est supérieure à ce que prescrit la norme.

On sait toutefois qu’assez régulièrement, un dépassement de normes est observé. Cette situation est évidemment non souhaitable, mais doit être gérée. L’approche explorée dans le présent document s’articule donc autour de la nécessité de prendre position quant à la recommandation ou non d’avis de non-consommation de l’eau, en attendant que la situation soit réglée. En effet, la grande majorité des normes chimiques est établie sur la base de risques à la santé découlant d’une exposition chronique durant toute la vie. Il est donc concevable qu’une exposition plus élevée découlant du dépassement d’une norme soit tolérée à condition que cela ne se produise que pour une période de temps limitée. D’ailleurs, il appert que cette situation est assez couramment rencontrée dans la pratique. Toutefois, en l’absence de balises pour ce faire, il y a un manque au niveau de l’harmonisation de la gestion de ces situations, que ce soit entre les diverses instances faisant face à un problème similaire ou encore d’une fois à l’autre pour les mêmes intervenants. Ainsi, encore aujourd’hui, ces situations sont gérées au cas par cas. Le présent document a comme objectif d’explorer de nouveaux éléments de gestion comme outils supplémentaires d’aide à l’harmonisation du processus de prises de décisions par les autorités lorsque des situations de dépassement des normes chimiques surviennent dans l’eau potable. Pour ce faire, les balises scientifiques ainsi que les principes directeurs de gestion du risque sur lesquels une telle décision devrait se baser seront considérés. Rappelons brièvement que ces principes directeurs sont :

  • l’appropriation des pouvoirs par les individus et la collectivité;
  • l’équité dans les bénéfices et les risques à l’intérieur de la communauté;
  • l’ouverture à toutes les parties touchées;
  • la primauté de la protection de la santé humaine;
  • la prudence face aux éléments inconnus;
  • la rigueur scientifique;
  • la transparence au niveau de l’information à donner aux diverses parties impliquées.

Il existe une panoplie de variantes à la méthodologie des health advisories, selon les pays ou institutions. Chacune d’elles peut dans certains cas être pertinente selon les situations de gestion de diverses teneurs de contaminants chimiques de l’eau potable. Toutefois, comme cette méthode est actuellement adoptée par de nombreuses instances, c’est à celle-ci que l’on s’est référé pour réaliser cet exercice. En tout temps, il importe de se rappeler que l’approche préconisée est exploratoire. Elle vise à guider la gestion des dépassements de normes vers une approche qui est fondée sur la science et qui est moins vulnérable aux interprétations subjectives que ces situations peuvent générer. En aucun cas, elle ne devrait se substituer au jugement professionnel. Une erreur dans l’élaboration de critères découlant de l’application inconsidérée de cette méthode théorique ne saurait lui être imputable. Le jugement professionnel devrait être omniprésent dans la réflexion et toutes les décisions en regard des cas de contamination chimique de l’eau potable. Ceci justifie donc l’incorporation éventuelle d’éléments issus d’autres méthodes de gestion de contamination de l’eau potable, mais qui n’auraient pas été considérés dans l’élaboration de la présente étude. À l’inverse, le retrait d’un élément proposé ici mais qui devait s’avérer inapplicable pourrait être requis, selon les particularités que commandera chaque situation.

En tout temps, la protection de la santé publique devrait avoir préséance sur toute autre considération, qu’elle soit pratique, économique ou autre, et ce, même si les conséquences des décisions peuvent être importantes. Cependant, cela ne signifie pas pour autant que ces dernières ne devraient en aucun cas être considérées dans le processus de décision de recommander ou non des avis de non-consommation. Toutefois, dans un tel cas, cela devrait toujours se faire dans une perspective de ce qui est le plus souhaitable pour le bien-être de la population. On parle ici de bien-être au sens général, et cela inclut prioritairement (mais ne se limite pas à) l’état de santé physiologique des individus et de la population en général. Ainsi, on devrait retenir tout au cours du processus décisionnel que l’eau est une ressource essentielle à la vie et que limiter son accès ne devrait se faire que quand cela est vraiment nécessaire pour protéger la population des risques qu’elle représente si elle est contaminée. Les critères définissant cette action sont nombreux, et l’approche développée permet en partie de répondre à la question de savoir quand cela est vraiment nécessaire justement, mais ne la résout pas dans son entièreté.

L’objet du présent travail concernait uniquement les dépassements de normes et leur gestion à court terme. Toutefois, il a permis d’identifier des besoins qui dépassent le cadre de cette étude, mais qui devraient absolument être traités dans le futur pour éventuellement pouvoir faire une gestion complète des situations impliquant des contaminations ponctuelles ou prolongées de l’eau potable par une ou plusieurs substances, en dépassement de normes ou non. Ainsi, il serait fortement souhaitable de définir des critères permettant de gérer les situations de contamination de l’eau par des produits non normés. Également, la façon de considérer une situation de contamination de l’eau impliquant un mélange de substances qui, prises individuellement, respectent leur norme respective, mais qui lorsque considérées en groupe, peuvent représenter un risque à cause d’une action toxicologique commune (ex. : effet additif), devrait faire l’objet d’un examen subséquent. De plus, des critères d’utilisation de l’eau devraient éventuellement être définis pour la gestion du dépassement des normes pour les substances volatiles afin de tenir compte des usages de l’eau pouvant générer une exposition significative pour les usagers. Notons enfin à cet effet qu’une méthode devrait être parallèlement développée afin de permettre de définir les critères selon lesquels une substance serait considérée volatile ou non, et bioaccumulable ou non. En effet selon ces dernières propriétés, la méthode présentée dans le présent document pour définir des critères de 1 an attribue des facteurs d’incertitude supplémentaires. Pour conclure, mentionnons que la présente démarche étant souple, la procédure devrait, au besoin, être modifiée et mise à jour au fur et à mesure que les connaissances évoluent et en fonction de l’expérience de terrain acquise par les principaux intervenants.

En terminant, mentionnons que s’il peut paraître prématuré de recommander la mise en application telle quelle de l’approche proposée ici dans un avenir rapproché, il apparaît nécessaire de poursuivre la réflexion sur celle-ci pour éventuellement être en position de l’implanter. Ainsi, il est toujours pertinent de s’interroger sur la manière dont les approches de gestion des dépassements de normes chimiques dans l’eau potable pourrait être harmonisées et ce, à partir de balises établies sur des fondements scientifiques et sur les principes directeurs de gestion du risque. Le présent travail se veut une première étape vers l’atteinte de cet objectif et il apparaît raisonnable de croire qu’il est possible qu’il n’ait pas à être modifié de manière tellement importante pour pouvoir l’atteindre adéquatement. 

Auteur(-trice)s
Mathieu Valcke
Ph. D., conseiller scientifique spécialisé, Direction de la santé environnementale et de la toxicologie, Institut national de santé publique du Québec
ISBN (électronique)
978-2-550-49307-5
ISBN (imprimé)
978-2-550-49306-8
Notice Santécom
Date de publication