Étude sur la qualité de l'eau potable dans sept bassins versants en surplus de fumier et impacts potentiels sur la santé - Évaluation du risque à la santé pour la population exposée aux nitrates présents dans l'eau potable

Le présent rapport présente les résultats de l'évaluation du risque à la santé pouvant être associé à la présence de nitrates dans l'eau souterraine. Cette évaluation du risque fait partie du vaste projet intitulé «nbsp;Étude sur la qualité de l'eau potable dans sept bassins versants en surplus de fumier et impacts potentiels sur la santénbsp;». L'intérêt pour les nitrates dans ce projet découle du fait qu'ils représentent la contamination chimique la plus susceptible de se trouver dans les eaux souterraines lorsqu'un surplus de fertilisant, comme les fumiers, est épandu sur la terre. De plus, leur présence est associée à certains problèmes de santé (méthémoglobinémie et cancer).

La toxicité des nitrates résulte de leur réduction en nitrites. Les nitrites peuvent réagir avec le fer de l'hémoglobine des globules rouges et entraîner la formation subséquente de méthémoglobine. Les nitrites sont également soupçonnés de réagir dans l'organisme avec certains composés aminés (ex. : amines, amides, etc.) pour former des composés N-nitrosés dont certains pourraient être cancérigènes. Le lien entre la présence de nitrates dans l'eau et l'apparition de méthémoglobinémie chez le nourrisson a bien été démontré par les études épidémiologiques, tout au moins pour des concentrations dans l'eau potable supérieures à 20 mg-N/l. Pour ce qui est du risque de cancer, la preuve par les études épidémiologiques reste toujours à faire.

Dans le cadre de ce projet, les nitrates ont donc été recherchés dans les eaux souterraines des zones en surplus de fumier et les concentrations mesurées ont été comparées à celles mesurées dans les puits se situant dans des zones témoins. En général, les concentrations de nitrates mesurées sont faibles et bien en deçà de la norme de 10 mg-N/l fixée pour l'eau potable. Lorsque l'on considère l'ensemble de tous les puits dans lesquels les nitrates ont été recherchés, la moyenne arithmétique des concentrations retrouvées a une valeur de 1,40 mg-N/l (± 3,67 mg-N/l) dans la zone en surplus et de 0,90 mg-N/l (±1,80 mg-N/l) dans la zone témoin. Les concentrations les plus élevées ont été trouvées dans les puits de surface et de captage, et les moyennes arithmétiques ont des valeurs de 2,59 mg-N/l (±4,55 mg-N/l) pour la zone en surplus et de 1,33 mg-N/l (± 2,48 mg-N/l) pour la zone témoin. La différence entre la zone en surplus et la zone témoin est surtout mise en évidence par une proportion plus importante dans la zone en surplus de puits ayant des concentrations de nitrates élevées. Ainsi, 12,3 % de l'ensemble des puits auront une concentration en nitrates > 3 mg-N/l (seuil définissant une influence très nette des activités humaines sur les eaux souterraines) dans la zone en surplus, comparativement à 5 % dans la zone témoin, et ces proportions passent à 25 % (surplus) et 9,4 % (témoins) si l'on ne considère que les puits de surface et de captage.

Pour évaluer, chez les nourrissons, le risque de méthémoglobinémie pouvant découler de la consommation d'eau de puits se trouvant sur le territoire en surplus de fumier, un modèle toxicocinétique unicompartimental a été élaboré. Ce modèle permet de prédire les niveaux de méthémoglobine pouvant être produite à partir des concentrations de nitrates trouvées dans l'eau potable. Ce modèle tient compte de la proportion de nitrates transformés en nitrites, du taux de formation de méthémoglobine à partir des nitrites et du taux de réparation de la méthémoglobine. Une distribution de valeurs probables a été utilisée pour chaque paramètre toxicocinétique ainsi que pour les différents paramètres physiologiques (concentration sanguine d'hémoglobine et volume sanguin) utilisés dans le modèle. En utilisant par la suite les simulations Monte Carlo, nous avons obtenu une distribution de concentrations de méthémoglobine pouvant être formée par les nitrates, aux concentrations trouvées dans les puits de l'étude. Un des points forts de cette modélisation est le fait qu'elle est basée sur des données représentatives de la population à l'étude. En effet, en plus des concentrations de nitrates, les volumes d'eau consommée par les nourrissons proviennent d'un autre volet de cette étude soit l' «nbsp;Étude de consommation d'eau chez les nourrissonsnbsp;».

Les simulations ont été réalisées pour les nourrissons vivant dans la zone en surplus et ceux de la zone témoin, et ce, pour les concentrations de nitrates trouvées dans l'ensemble des puits, les puits profonds et les puits de surface et de captage. Les 50e percentiles des distributions des niveaux de méthémoglobine obtenus par les simulations ne démontrent aucune augmentation cliniquement significative des niveaux de méthémoglobine, car elles sont toujours inférieures à 0,1 %. Il faut regarder le 97,5e percentile des distributions pour avoir la possibilité d'une augmentation de 2 % de la méthémoglobine pour le groupe en surplus de fumier, et l'augmentation équivalente pour le groupe témoin sera alors de 1 %. À la lumière de ces résultats, il s'avère qu'aux concentrations de nitrates mesurés dans les territoires étudiés il est peu probable d'observer une augmentation des niveaux de méthémoglobine chez les nourrissons. À un niveau individuel cependant, la prudence reste de mise puisqu'un faible pourcentage de puits dépassent la norme des nitrates dans l'eau potable (10 mg-N/l) et que, parmi ceux-ci, il y en a qui présentent des concentrations supérieures à 20 mg-N/l. Les études épidémiologiques et le modèle toxicocinétique développé ici nous montrent que ces concentrations peuvent être associées à un risque de développer une méthémoglobinémie.

L'évaluation du risque cancérigène s'est avérée beaucoup plus complexe. Bien que l'on soupçonne depuis quelques décennies le pouvoir cancérigène des nitrates à la suite de leur transformation en nitrites et de leur réaction avec des précurseurs aminés, très peu d'évaluations du risque ont été réalisées à leur sujet. L'évaluation du risque cancérigène réalisée dans le cadre de la présente étude est surtout qualitative et utilise la méthodologie décrite par Shephard et al., (1987). Une estimation des apports en précurseurs aminés a tout d'abord été réalisée pour permettre par la suite une estimation des quantités de composés Nnitrosés formés in vivo aux concentrations de nitrates trouvés dans les puits. En attribuant un indice de potentiel cancérigène à chaque composé N-nitrosés formé, on peut par la suite les comparer au risque cancérigène d'une dose de N-nitrosodiméthylamine (NDMA) préformée habituellement ingérée par les aliments (estimée à 10 nmole/j). Cette évaluation qualitative du risque a été complétée par une évaluation quantitative pour trois composés N-nitrosés : la NDMA, la nitrosodiéthylamine (NDEA) et la nitrosopyrrolidine (NPYR). Une fois que l'on a réalisé l'estimation des quantités formées de ces trois composés N-nitrosés, la multiplication par un estimateur de risque (q* de USEPA) donne une estimation d'excès de cancer pour les populations exposées aux concentrations de nitrates mesurées dans les territoires à l'étude. Pour l'évaluation quantitative du risque, une distribution de valeurs a été attribuée à chaque paramètre et, à l'aide des simulations Monte Carlo, des distributions de risque cancérigène pour la NDMA, la NDEA et la NPYR ont pu ainsi être obtenues. Les volumes d'eau utilisés sont représentatifs de la population à l'étude puisqu'ils proviennent de l' «nbsp;Étude de la consommation d'eau dans la population adultenbsp;».

L'évaluation qualitative du risque nous a permis de constater que les concentrations de nitrates mesurées au moment de la campagne d'échantillonnage des puits n'apportent pas de risque de cancer plus important que celui pouvant être lié à la consommation de NDMA déjà présente dans les aliments. En ce qui concerne l'estimation quantitative, il nous est permis de constater que l'excès de risque de cancer associé à la formation dans l'estomac de NDMA, NDEA et NPYR est très faible et peut être considéré comme négligeable (< 10-6), et ce, même lorsque le 97,5e percentile de la distribution est considéré.

Comme il fallait s'y attendre, étant donné les faibles concentrations de nitrates mesurées dans les puits des territoires étudiés, les différentes évaluations du risque effectuées nous montrent que les dangers courus par les populations vivant dans un territoire en surplus de fumier sont faibles tant en ce qui concerne la méthémoglobinémie que le cancer. Ces études ont cependant permis de constater qu'il existe beaucoup de lacunes et d'inconnus. Il faudrait tout d'abord documenter davantage le taux de transformation de nitrates en nitrites in vivo, en particulier pour les nourrissons, de même que les taux de réparation de la méthémoglobine chez le nourrisson. Il faudrait également documenter davantage l'exposition aux précurseurs aminés présents dans les aliments, les données étant vraiment très limitées. Enfin, il faudrait aussi mieux comprendre le rôle joué par certains composés ayant un effet protecteur comme la vitamine C et d'autres antioxydants.

Auteur(-trice)s
Denise Phaneuf
M. Sc., pharmacienne, Institut national de santé publique du Québec
Karine Chaussé
M. Sc., conseillère scientifique, Institut national de santé publique du Québec
Patrick Levallois
M. D., M. Sc. FRCPC, médecin spécialiste. Institut national de santé publique du Québec
ISBN (imprimé)
2-550-43515-X
Notice Santécom
Date de publication