Importance de l'exposition à l'acrylamide par l'alimentation chez une population potentiellement vulnérable

L'acrylamide est une substance probablement cancérogène pour l'humain, qui a été classée hautement prioritaire par les ministres canadiens de la Santé et de l'Environnement. Il a été détecté dans les aliments pour la première fois en 2002. Depuis, quelques études de surveillance biologique de l'exposition ont été réalisées principalement à partir de mesures d'adduits à l'hémoglobine et, dans quelques cas, de mesures de biomarqueurs urinaires. Toutefois, aucune étude n'a été publiée à ce jour sur l'importance de l'exposition à l'acrylamide par l'alimentation dans la population canadienne. L'objectif général de ce projet était d'acquérir des données d'exposition à l'acrylamide auprès d'un groupe d'adolescents montréalais à partir de mesures de biomarqueurs, de vérifier le lien avec la consommation d'aliments contenant de l'acrylamide et de réaliser une évaluation préliminaire du lien potentiel avec les effets génotoxiques précoces.

Deux cents adolescents non-fumeurs, âgés de 10 à 17 ans, ont été recrutés aléatoirement au sein de la population générale de l'île de Montréal. À partir de collectes urinaires nocturnes, des mesures des biomarqueurs urinaires suivants ont été réalisées : l'acrylamide (AA), le glycidamide (GA), le N–acétylcystéine-S-propionamide (NACP), le NACP sulfoxyde, la N-acétyl-S-(1-carbamoyl-2-hydroxyéthyl) cystéine (GAMA 2), la N-acétyl-S-(3-amino-2-hydroxy-3-oxopropyl) cystéine (GAMA 3) et la cystéine-S-propionamide. De même, les adduits de l'acrylamide et du glycidamide à l'hémoglobine ont été mesurés. En parallèle, la consommation d'aliments contenant de l'acrylamide a été documentée au moyen d'un questionnaire rempli durant les deux jours précédant le prélèvement biologique et d'un autre questionnaire qui couvrait la fréquence de consommation des aliments au cours du mois précédant le prélèvement. Les concentrations d'acrylamide dans les aliments consommés et documentés par l'entremise de ces questionnaires ont également été mesurées. À partir de ces données, un apport alimentaire en acrylamide a été estimé. Les résultats montrent que l'estimation de l'apport alimentaire moyen en acrylamide chez les adolescents était de 0,59 μg/kg p.c./j avec une valeur de 97,5e centile de 2,85 μg/kg p.c./j. Les frites cuites dans l'huile et les croustilles de pommes de terre étaient les deux catégories d'aliments contribuant le plus à l'apport alimentaire en acrylamide avec respectivement des teneurs moyennes de 1 053 ng/g et de 524 ng/g.

Au niveau de la surveillance biologique de l'exposition, les principaux métabolites urinaires mesurés étaient le NACP et le NACP sulfoxyde dont les concentrations médianes étaient respectivement de 77,0 μg/l et de 41,0 μg/l (ou de 20,6 et de 9,8 μmol/mol de créatinine), et l'étendue de valeurs était respectivement de 12,0 à 1 100,0 μg/l et de 11,0 à 690 μg/l (de 8,5 à 354,1 et de 4,8 à 207,9 μmol/mol créatinine). Les concentrations des autres métabolites suivaient l'ordre suivant : GAMA 3 > cystéine-S-propionamide ≈ acrylamide ≈ glycidamide ≈ GAMA 2. Une corrélation positive a été notée entre l'estimation d'apport alimentaire en acrylamide durant les deux jours précédant la collecte urinaire et les niveaux de biomarqueurs urinaires de NACP, de NACP sulfoxyde, de cystéine-S-propionamide et de GAMA 3 (rs = 0,172-0,364; p < 0,05). Les adduits de l'acrylamide et du glycidamide à l'hémoglobine n'étaient pas corrélés significativement à l'apport alimentaire des deux jours précédant le prélèvement (p ≥ 0,05). Une corrélation positive a été observée entre l'apport en acrylamide provenant de la consommation de frites cuites dans l'huile ou de croustilles de pommes de terre durant les deux jours précédant le prélèvement et les concentrations des différents métabolites urinaires de l'acrylamide (rs = 0,142-0,514; p < 0,05), alors que la corrélation n'était pas systématiquement significative pour les autres catégories d'aliments. Toutefois, une corrélation positive a été obtenue entre la fréquence de consommation de frites cuites dans l'huile ou de croustilles de pommes de terre durant le mois précédant le prélèvement et les concentrations d'adduits de l'acrylamide et du glycidamide à l'hémoglobine (rs = 0,183-0,308; p < 0,05). Par ailleurs, tous les métabolites urinaires de l'acrylamide étaient positivement corrélés entre eux, en particulier le NACP et le NACP sulfoxyde (r = 0,902; p < 0,05). Enfin, une forte corrélation positive a aussi été constatée entre les niveaux d'adduits de l'acrylamide et du glycidamide (r = 0,747; p < 0,05).

Les analyses multivariées ont confirmé la contribution significative de la consommation de frites cuites dans l'huile à l'exposition à l'acrylamide, comme le montre la somme des adduits de l'acrylamide et du glycidamide à l'hémoglobine (bêta = 0,024, IC 95 % = 0,009-0,039, p < 0,05). Une contribution significative du tabagisme passif, comme cela a été documenté par la concentration urinaire de cotinine (bêta = 0,248, IC 95 % = 0,076-0,421, p < 0,05), a été notée.

Cette étude confirme que la consommation d'aliments pouvant contenir de l'acrylamide chez les adolescents participants augmentait significativement les niveaux de biomarqueurs d'exposition à l'acrylamide. La consommation de frites cuites dans l'huile semble contribuer principalement à cette augmentation. Toutefois, l'apport alimentaire en acrylamide chez les adolescents à l'étude se situait dans le même ordre de grandeur que celui indiqué dans d'autres études réalisées ailleurs dans le monde. Les concentrations d'adduits à l'hémoglobine chez les participants étaient également similaires à celles mesurées chez des Américains d'un groupe d'âge comparable. Finalement, aucune relation entre les biomarqueurs d'exposition à l'acrylamide et le dommage à l'ADN lymphocytaire des participants n'a été relevée.

Auteur(-trice)s
Louise Normandin
Ph. D., chercheuse d’établissement, Institut national de santé publique du Québec
Michèle Bouchard
Ph. D., toxicologue, professeure agrégée, Université de Montréal
Pierre Ayotte
Ph. D., toxicologue, chercheur, professeur titulaire, Institut national de santé publique du Québec, Université Laval
ISBN (électronique)
978-2-550-71393-7
ISBN (imprimé)
978-2-550-71392-0
Notice Santécom
Date de publication