Opinion et formation des sages-femmes québécoises sur la vaccination
Les sages-femmes jouent un rôle important dans la prévention de la maladie et la promotion de la santé des nourrissons. La politique de périnatalité du MSSS, 2008-2018, prévoit que les sages-femmes assurent le suivi périnatal et assistent l'accouchement de 10 % des femmes enceintes d'ici 2018. Au Québec, la pratique des sages-femmes a officiellement été reconnue en 1999. Les sages-femmes réalisent le suivi prénatal des grossesses qui se déroulent normalement, l'accouchement et le suivi du nouveau-né et de la mère pendant six semaines en post-partum. Depuis 2008, elles peuvent administrer deux vaccins lorsque la situation le requiert (hépatite B au nouveau-né et rubéole à la mère). Cependant, l'acceptabilité de la vaccination par les sages-femmes du Québec est peu décrite. L'objectif de cette étude était de décrire les connaissances, croyances et pratiques en vaccination des sages-femmes québécoises et des étudiantes en pratique sage-femme, ainsi que la formation reçue sur ce thème.
Afin de réaliser cette étude, un devis mixte a été privilégié (qualitatif/quantitatif). Le volet qualitatif avait pour objectif de nous fournir une meilleure compréhension de la pratique sage-femme et de décrire de façon détaillée leurs connaissances, croyances et opinions à l'égard de la vaccination. Dans une optique de complémentarité, le volet quantitatif a été construit en se basant sur les résultats du volet qualitatif avec objectif de pouvoir inférer les résultats à l'ensemble des sages-femmes.
Le premier volet de l'étude a été basé sur 25 entrevues en profondeur réalisées en 2010 (17 sages-femmes et 8 étudiantes en pratique sage-femme). Toutes les entrevues ont été enregistrées sur support audio et retranscrites. Les verbatims ont été soumis à une analyse de contenu thématique à l'aide du logiciel N'Vivo 8.0.
Les résultats de l'analyse qualitative ont révélé que la pratique sage-femme était encadrée par une législation, mais qu'elle était aussi guidée par la philosophie sage-femme. Le choix éclairé constitue un des principes fondamentaux de cette philosophie. Pour respecter ce principe, les sages-femmes présentent le pour et le contre de la vaccination en s'appuyant sur la documentation gouvernementale, par exemple le guide Mieux vivre avec notre enfant de la grossesse à 2 ans et la documentation alternative, par exemple les ouvrages de Céline Arsenault. La plupart des sages-femmes reconnaissent des avantages aux vaccins tels que leur efficacité à prévenir des maladies et leur gratuité. Le vaccin contre la rubéole était particulièrement perçu comme très utile et important par la quasi-totalité des sages-femmes interrogées. Il est apparu que la majorité des participantes considéraient que le fait de contracter certaines maladies infantiles était important pour le développement du système immunitaire. Elles ont également souligné plusieurs arguments contre la vaccination, notamment en lien avec le calendrier de vaccination (débutant trop tôt), les vaccins combinés (difficulté d'en choisir seulement certains) et les craintes liées aux manifestations cliniques inhabituelles ou indésirables (douleur). La majorité des participantes considéraient que la vaccination faisait partie des sujets à aborder avec les parents, sans être considérée comme un sujet primordial, particulièrement parce que le suivi offert se termine six semaines en post-partum. Enfin, plusieurs ont mentionné qu'il était difficile de trouver de l'information nuancée sur la vaccination et certaines ont exprimé le besoin de formations sur ce sujet.
En se basant sur ces résultats et sur des questionnaires utilisés auprès d'autres professionnels de la santé, un questionnaire a été développé et pré-testé auprès de 6 sages-femmes et étudiantes. En juin 2011, le questionnaire en ligne a été envoyé à 131 sages-femmes et 50 étudiantes. Une relance a été réalisée auprès des sages-femmes seulement.
Au total, 46 (39 %) questionnaires ont été retournés par des sages-femmes et 35 ont été retenus pour l'analyse. Le questionnaire a suscité plusieurs commentaires/réactions et certaines participantes se sont arrêtées après quelques questions. Le faible taux de réponse des étudiantes (17/50) n'a permis qu'une analyse sommaire de leurs questionnaires.
Malgré le peu de questionnaires reçus, ce volet de l'étude corrobore plusieurs des résultats obtenus lors de la phase qualitative. Par exemple, une question ouverte a permis de constater que les sages-femmes disaient discuter de la vaccination sous l'angle du choix éclairé et affirmaient que leur pratique n'était pas teintée par leur opinion personnelle. De plus, pour les participantes, l'importance qu'un enfant reçoive tous les vaccins recommandés variait selon certaines circonstances de l'enfant : a fait un voyage dans le Sud (33 étaient plutôt en accord, en accord ou fortement en accord)/35), fréquente un CPE (25/35), est allaité (19/35) et est en très bonne santé (18/35). La majorité des sages-femmes considéraient que le calendrier de vaccination débute trop tôt (31/35) et que les parents devraient pouvoir choisir une seule composante des vaccins combinés (31/34). La perception de sécurité, d'efficacité et d'utilité variait selon les vaccins (coqueluche, varicelle, rubéole). Pour la vaccination en générale, 21/34 considéraient la vaccination sécuritaire, 28/34 la considéraient efficace et 23/34 la considéraient utile. Enfin, il convient de noter que 5 participantes mentionnaient qu'elles n'avaient reçu aucune formation sur la vaccination et 16 disaient en avoir reçu entre 1 et 5 heures.
Cette étude met en évidence l'importance de la philosophie sage-femme, notamment le choix éclairé qui guide l'ensemble de la pratique, incluant le volet de la vaccination. L'étude a également mis en relief que les sages-femmes accordent de l'importance aux approches nuancées et une volonté d'être critique par rapport aux soins proposés. C'est pourquoi elles utilisent différentes sources d'information pour se forger une opinion. Elle souligne également que les femmes utilisant les services des sages-femmes peuvent se distinguer de la clientèle générale qui désire un suivi de grossesse. Selon les participantes, la clientèle des sages-femmes aurait de bonnes habitudes de vie et serait très informée. Cette clientèle pourrait être plus encline à privilégier une approche naturelle. Il est donc possible que les femmes choisissant d'être suivies par des sages-femmes soient déjà hésitantes par rapport à la vaccination, et ce, avant même de rencontrer la sage-femme. Il serait intéressant d'explorer le processus de prise de décision par rapport à la vaccination des familles suivies par les sages-femmes.
Le taux de réponse obtenu lors de la phase quantitative ne nous permet pas de généraliser les résultats à l'ensemble des sages-femmes. Cela nous invite à nous questionner sur la faisabilité d'une stratégie par questionnaire pour des thématiques considérées à débat au sein d'un groupe. Un bon nombre de participantes a évoqué le besoin de formation sur le sujet de la vaccination. Les sources d'information utilisées par les sages-femmes pour se tenir à jour sur la vaccination telles que les revues scientifiques destinées aux sages-femmes abordent peu le thème de la vaccination. Cette étude met en évidence l'importance d'inclure les sages-femmes dans les interventions et activités de formation qui visent l'ensemble des vaccinateurs québécois.