Recherche de cas de maltraitance envers des personnes aînées par des professionnels de la santé et des services sociaux en première ligne
La maltraitance commise envers des personnes aînées est de plus en plus reconnue au Québec comme un problème social et de santé dont il faut se préoccuper (Ministère de la Famille et des Aînés, 2010). La prévalence de la maltraitance et ses conséquences sur le bien-être physique et mental des aînés en font un important problème de santé qui doit être détecté précocement. À cet effet, comme les personnes aînées sont fréquemment en contact avec le réseau de la santé et des services sociaux, il est nécessaire d'en impliquer les intervenants de première ligne (médecins, infirmières, travailleurs sociaux, etc.).
Afin de soutenir le réseau de la santé et des services sociaux dans une offre de services visant à déceler précocement les premiers signes de maltraitance envers des aînés, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a confié à l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) le mandat de réaliser une synthèse de connaissances sur le sujet.
L'objectif général poursuivi dans cette synthèse est donc de faire état des connaissances scientifiques concernant la recherche par des professionnels de la santé et des services sociaux oeuvrant en première ligne des cas de maltraitance envers des aînés vivant à domicile. Pour atteindre cet objectif, les quatre questions de recherche suivantes sont examinées :
- Quelles sont les recommandations émises par les organisations et les experts concernant la recherche de cas?
- Quels sont les facteurs qui influencent la recherche de cas par des professionnels de la santé et des services sociaux?
- Quels sont les outils existants destinés aux professionnels de la santé et des services sociaux pour faciliter la détection des cas de maltraitance envers les personnes aînées et quelle est la validité de ces outils?
- Quelle est l'efficacité des interventions visant à augmenter la recherche de cas de maltraitance envers des aînés par des professionnels de la santé et des services sociaux?
Pour répondre à ces questions, la stratégie de recherche documentaire a été organisée à partir de trois composantes principales du sujet à l'étude soit la population aînée, la maltraitance et la recherche de cas. Des bases de données dans le domaine de la santé et des sciences sociales ont été interrogées pour la période entre 2000 et 2011. Les articles pertinents ont été sélectionnés à partir de critères d'inclusion et d'exclusion prédéterminés. Un total de 114 articles contribuant à répondre à une ou plusieurs des questions énumérées ci-dessus ont été retenus.
Une synthèse narrative des articles sélectionnés a été réalisée en prenant appui sur un cadre d'analyse comprenant quatre catégories de facteurs susceptibles d'influencer la recherche de cas. Il s'agit du contexte sociolégal, des facteurs organisationnels, des facteurs professionnels et des facteurs liés à l'aîné et à son entourage.
Recommandations en vigueur
Bien que les connaissances scientifiques en matière de maltraitance demeurent partielles, la nécessité que les professionnels de la santé et des services sociaux en contact avec des aînés recherchent et détectent les cas de maltraitance dans leur clientèle ressort des recommandations en vigueur, et ce, dans une variété de milieux cliniques (clinique ambulatoire, milieu hospitalier, à domicile). Cependant, la clientèle à cibler (tous les aînés, uniquement ceux présentant des signes et symptômes ou des facteurs de risque, les proches ou uniquement les aidants) et l'approche à préconiser pour détecter les situations de maltraitance font moins l'unanimité.
Facteurs influençant la recherche de cas
Plusieurs facteurs sont susceptibles d'affecter la recherche de cas de maltraitance commise envers des aînés. Parmi les facteurs professionnels, la méconnaissance de la problématique, l'influence de leur formation, certaines pratiques (par exemple ne pas poser systématiquement des questions sur la maltraitance à l'aîné) et les attitudes (par exemple la non-reconnaissance d'un rôle ou d'une responsabilité quant à la détection) apparaissent comme les principales barrières. Bien que les facteurs liés aux professionnels soient les plus étudiés, il semble aussi important de considérer certaines caractéristiques des aînés et de leur entourage (par exemple les difficultés à dévoiler, les troubles cognitifs et la nature de la relation entre l'aîné et un proche aidant) qui peuvent complexifier la recherche de cas. Enfin, le contexte clinique dans lequel le professionnel évolue et la présence de conditions organisationnelles facilitant la détection et la prise en charge des aînés qui subissent de la maltraitance (outils, protocoles, offre de formation, etc.) sont des facteurs également importants à considérer.
Outils de détection
Quinze outils de détection et d'évaluation de la maltraitance ont été repérés et analysés. Le principal critère d'inclusion des outils était la validation de leurs propriétés psychométriques.
Cinq outils repérés proviennent des États-Unis, où le cadre législatif rend obligatoire le signalement aux autorités des cas de maltraitance à l'endroit de personnes âgées. Quatre ont été développés ou validés au Québec, tandis que les autres proviennent d'Israël, de l'Australie, de l'Espagne, du Mexique et de Taiwan.
En ce qui concerne la méthode de collecte de l'information privilégiée dans les instruments, sept examinent la possibilité de maltraitance directement auprès des aînés, six s'attardent à la situation de maltraitance, mais évaluent aussi l'environnement et les relations de l'aîné avec l'entourage, tandis que les deux derniers visent à détecter les aidants maltraitants en les questionnant directement. Les outils ont été conçus pour être utilisés à domicile, à l'urgence, en clinique ambulatoire par des médecins, des infirmières ou des travailleurs sociaux.
Malgré les nombreux outils recensés et le caractère prometteur de certains, il s'avère qu'aucun ne répond aux exigences de l'ensemble des contextes cliniques. Même si certaines propriétés psychométriques sont connues, on remarque une variabilité dans les types de validité documentés et dans les résultats obtenus. En attendant d'autres validations à plus grande échelle, les outils de détection de la maltraitance envers les aînés doivent donc être utilisés avec prudence et être considérés essentiellement comme des aides à l'évaluation clinique. En aucun cas, ils ne peuvent remplacer une démarche fondée sur un jugement clinique global et une évaluation plus approfondie de la situation de l'aîné.
Interventions visant à augmenter la recherche de cas
Seulement six études évaluant l'efficacité d'une intervention ont été recensées. Toutes portaient sur des interventions éducationnelles. Ces études démontrent que ce type d'intervention permet d'améliorer les connaissances et de modifier les attitudes des professionnels quant à la maltraitance des aînés et la prise en charge (détection, signalement, suivi). Il importe cependant de souligner qu'il n'a pas été démontré que l'acquisition de connaissances se traduit par une augmentation de la pratique de recherche de cas. En ce qui a trait aux habiletés nécessaires, il semble qu'une dimension pratique à la formation initiale des professionnels puisse les améliorer. D'autres évaluations sont cependant nécessaires.
Discussion et conclusion
Il apparaît clairement que les connaissances scientifiques sur la recherche de cas de maltraitance envers des personnes aînées demeurent à parfaire et à approfondir. Malgré les limites relevées concernant les interventions éducationnelles et les outils de détection, un consensus se dégage en faveur d'une nécessité d'impliquer le milieu clinique pour contrer le problème de maltraitance vécue par les personnes aînées. En ce sens, la formation adéquate et continue des professionnels de la santé et des services sociaux appelés à côtoyer des aînés s'avère essentielle pour les sensibiliser au phénomène de la maltraitance ainsi que pour améliorer leurs connaissances et leur capacité à repérer et à intervenir auprès des personnes qui vivent de telles situations. Les résultats de la synthèse ont cependant mis en lumière que la formation ou le seul recours à un outil n'entraînent pas nécessairement des changements de pratique et que des mesures organisationnelles sont essentielles pour soutenir la recherche de cas. En ce qui a trait aux outils de détection, même si la promotion de leur utilisation est susceptible de contribuer à la détection des aînés qui vivent de la maltraitance, notamment en sensibilisant les professionnels, aucun ne permet de détecter la maltraitance hors de tout doute. Ils doivent donc être utilisés avec prudence.
Au Québec, trois milieux cliniques de première ligne sont névralgiques pour rejoindre les aînés et devraient par conséquent être ciblés : les cliniques ambulatoires, les services de soutien et de soins à domicile et les urgences des hôpitaux. Ces milieux constituent les principaux points de contact des aînés avec le système de soins de première ligne. La synthèse démontre qu'il n'existe pas de formule unique convenant à tous les types de professionnels et à tous les milieux cliniques. La stratégie la plus prometteuse est donc basée sur l'adaptation des outils et autres mesures de soutien des professionnels tout en optimisant les propriétés psychométriques des outils de détection.