La vaccination des pré-adolescents contre les virus du papillome humain (VPH) au Québec : deux ou trois doses?

En 2007, le Comité sur l'immunisation du Québec (CIQ) a recommandé un calendrier allongé uniquement pour la vaccination contre les virus du papillome humain (VPH) débutant en 4e année du primaire (0, 6, 60 mois) en mentionnant que « la 3e dose devrait être administrée… si cela s'avérait nécessaire ». Depuis que le programme de vaccination contre les VPH a été implanté au Québec en 2008, des programmes analogues ont été implantés au Mexique et en Colombie-Britannique, soit l'administration de deux doses espacées de 6 mois avec la possibilité de reconsidérer la nécessité d'une 3e dose. En 2012, le comité d'experts en immunisation de la Suisse a, quant à lui, recommandé un calendrier à deux doses à six mois d'intervalle pour la vaccination des préadolescentes. Au cours des dernières années, des études ont été publiées sur l'immunogénicité des vaccins contre les VPH en utilisant des calendriers alternatifs et certaines sont en cours pour documenter l'efficacité après l'administration d'une, deux ou trois doses, selon différents intervalles de temps.

En suivant le cadre théorique proposé par Erickson et al., le présent avis résume les principales données disponibles en lien avec la décision à prendre quant à la pertinence de la 3e dose du vaccin contre les VPH prévue 60 mois après la première dose.

À notre connaissance, il n'existe pas à l'heure actuelle de bonnes données d'efficacité des calendriers homologués par les fabricants (0, 1, 6 ou 0, 2, 6 mois), lorsque administrés chez les préadolescents. Il n'existe pas non plus de données d'efficacité issues d'études ayant utilisé un calendrier à deux doses espacées de six mois (0, 6 mois) ou un calendrier allongé (0, 6, 60 mois).

Par contre, des résultats présentés lors du congrès international sur les VPH, tenu à San Juan, Puerto Rico en décembre 2012, sont résumés dans le présent avis dont les données d'efficacité (études observationnelles) démontrant qu'il n'y a pas d'échecs vaccinaux (breakthrough) pour une période allant jusqu'à près de 10 ans après la vaccination de jeunes femmes.

Les données d'immunogénicité des vaccins contre les VPH disponibles démontrent que la réponse immunitaire mesurée après la vaccination des pré-adolescents (9-13 ans), avec un calendrier à deux doses espacées de six mois est non inférieure (et même généralement supérieure) à celle obtenue après la vaccination de personnes âgées de 16 ans et plus, groupe dans lequel une excellente efficacité est observée jusqu'à au moins 10 ans de suivi.

Chez des jeunes filles de 9-13 ans, les niveaux d'anticorps observés un mois après avoir reçu soit 2 doses (0, 6 mois) ou trois doses (0, 2, 6 mois) sont comparables, et ce, pour les quatre types de VPH. Trente-six mois plus tard, les niveaux sont toujours comparables pour les types 16 et 11. Par contre, pour les types 18 et 6, les niveaux d'anticorps observés sont plus bas chez les filles ayant reçu deux doses comparativement à celles du même âge (9-13 ans) en ayant reçu trois selon un calendrier 0, 2, 6 mois (mais les titres d'anticorps demeurent toujours supérieurs à ceux observés chez les femmes de 16-23 ans ayant reçu 3 doses).

Des données préliminaires québécoises chez des jeunes filles vaccinées à l'âge de 9-10 ans indiquent que la première dose du vaccin quadrivalent produit des anticorps détectables chez 93 à 100 % des filles, selon le type de VPH, et témoignent d'une réponse immunitaire de type priming après la première dose administrée à cet âge. Ces données indiquent également que la 2e dose augmente considérablement les titres d'anticorps. En effet, une augmentation des titres moyens géométriques (TMG) de 56 à 109 fois (juste avant et un mois après la 2e dose) est observée et indique une réponse anamnestique. Toujours selon ces données, les TMG sont légèrement plus élevés un mois après la 3e dose en comparaison avec ceux obtenus après la 2e dose (de 1,1 à 1,8 fois).

Les vaccins contre les VPH administrés aux filles de 9-11 ans sont bien tolérés. Cependant, un calendrier à deux doses pourrait éviter des manifestations cliniques inhabituelles (MCI) à la suite de la vaccination, comparativement à un calendrier comportant trois doses.

Au coût actuel du vaccin obtenu dans le cadre du programme public, il en coûterait environ trois millions de dollars par an pour offrir une dose de rappel en troisième secondaire aux filles québécoises.

Une évaluation du rapport coût-efficacité de différentes stratégies de vaccination à deux ou trois doses, incluant également la vaccination des garçons, a été effectuée.

Selon les prédictions de la modélisation mathématique avec le modèle HPV-ADVISE Québec, la vaccination des filles avec un calendrier à deux doses est une stratégie hautement coût-efficace et, de toutes les stratégies examinées dans cette modélisation, elle présente le meilleur ratio coût-efficacité. Toujours selon ce modèle, l'ajout de la troisième dose du vaccin pourrait être une stratégie coût-efficace si l'une de ces conditions est rencontrée 1) la durée de protection conférée par deux doses du vaccin est inférieure à 30 ans ou 2) la troisième dose prolonge la durée de protection lorsque la durée de protection conférée par deux doses est de 30 ans ou plus. Selon ces mêmes prédictions mathématiques, la vaccination des filles et des garçons à deux ou trois doses ne serait vraisemblablement pas une alternative coût-efficace (au seuil de 40 000 $/Quality ajusted life-year (QALY)) à la vaccination des filles seulement, si le coût du vaccin est supérieur à 40 $ par dose (incluant les frais d'administration) pour les garçons.

Avec près de 80 % des filles vaccinées contre les VPH et l'impact indirect sur la prévention des VPH chez les garçons, le programme de vaccination actuel des jeunes filles apparaît très efficient (< 15 000 $ par QALY). Par contre, au coût actuel du vaccin, l'ajout d'une offre de vaccination à l'ensemble des garçons pré-adolescents pourrait produire des bénéfices mais, selon les analyses économiques réalisées au Québec et ailleurs, ces gains santé ne seraient pas à la hauteur des coûts supplémentaires consentis, à l'échelle de la population, même avec un calendrier à deux doses. Au coût actuel du vaccin, l'implantation d'un programme gratuit de vaccination de tous les garçons pourrait être justifiée par des considérations politiques ou d'équité, principalement envers les hommes ayant des relations sexuelles avec d'autres hommes (HARSAH). La faisabilité, l'efficacité et l'efficience d'une approche « ciblée » qui viserait à offrir la vaccination aux jeunes hommes qui ont ou auront des relations sexuelles avec d'autres hommes à un moment où le vaccin est le plus efficace, soit avant les relations sexuelles, restent à démontrer. Pour la protection des hommes qui auront des relations sexuelles avec d'autres hommes (HARSAH), une offre de vaccination à tous les jeunes garçons préadolescents semble être l'approche à privilégier.

L'acceptabilité auprès de la population et des professionnels de la santé de calendriers contenant moins de doses est généralement bonne, mais aucune étude québécoise n'a été réalisée pour décrire l'acceptabilité des deux calendriers de vaccination contre les VPH analysés dans le présent avis.

Dans le contexte de l'administration d'une dose de rappel de dcaT et de l'introduction en 2013-2014 d'une dose de rappel de vaccin méningococcique conjugué en troisième année du secondaire, on peut anticiper des impacts négatifs sur l'acceptabilité et les taux de couverture vaccinale si une troisième injection (VPH) était administrée en une seule séance aux filles de 14 ans (dcaT + méningocoque + VPH).

Dans la plupart des pays et des autres provinces canadiennes, des calendriers comportant trois doses de vaccin contre les VPH ont été implantés. La Suisse a retenu un calendrier à deux doses et, advenant une décision similaire, le Québec ne serait pas le premier à préconiser une telle stratégie basée sur des données scientifiques.

Par ailleurs, des études australiennes démontrent que seulement quelques années après le début du programme de vaccination contre les VPH chez les filles et les femmes (vaccination offerte gratuitement jusqu'à l'âge de 26 ans lors des deux premières années du programme, puis jusqu'à l'âge de 18 ans), une immunité de groupe s'est installée et a pour effet de protéger de manière progressive la grande majorité des garçons et des filles vaccinés et non vaccinés. Les bons niveaux de couverture vaccinale obtenus au Québec où la vaccination de routine et de rattrapage contre les VPH est offerte gratuitement jusqu'à l'âge de 18 ans depuis 2008 contribuent à créer une telle immunité de groupe. Si une minorité des personnes vaccinées devait perdre son immunité au fil des ans, elle resterait encore indirectement protégée du fait de la rareté des expositions aux virus. De plus, les activités de dépistage du cancer du col utérin ajoutent un filet de sécurité, du moins, pour la prévention de ce problème de santé.

Recommandations

Après avoir évalué les données scientifiques disponibles et consulté des experts, les membres du Comité sur l'immunisation du Québec se sont ralliés par consensus à la recommandation de ne pas offrir de dose de rappel en troisième année du secondaire aux filles vaccinées avec deux doses en quatrième année du primaire.

Cette recommandation est conditionnelle à la mise en place et à la poursuite de mécanismes efficaces pour étudier l'évolution de l'épidémiologie du VPH et détecter rapidement tout signal pouvant remettre en question le bien-fondé de cette décision. Les principales mesures à mettre en place sont les suivantes :

  • Le maintien d'une vigie scientifique portant sur les résultats des calendriers alternatifs de vaccination contre les VPH, particulièrement ceux comportant deux doses. Il est présentement impossible d'exclure la nécessité éventuelle d'une dose de rappel plus tard dans la vie, qu'un calendrier initial avec deux ou trois doses soit utilisé.
  • Le suivi des niveaux d'anticorps chez les premières cohortes de filles vaccinées avec deux doses à 9 ans en comparant celles ayant reçu une dose de rappel à celles qui n'en auraient pas reçu.
  • La mesure de l'efficacité comparative des deux calendriers (0, 6 mois et 0, 6, 60 mois) par la mise en place et la poursuite pour plusieurs années de l'étude ICI-VPH qui mesurera les infections persistantes aux VPH chez les femmes ayant reçu l'un ou l'autre des deux calendriers.
  • Le suivi de la prévalence de l'infection aux VPH chez des cohortes successives (par des études transversales) de jeunes femmes n'ayant pas été vaccinées, ayant reçu trois doses lors du rattrapage, ayant reçu trois doses en 3e secondaire ou ayant reçu deux doses en 4e année du primaire, apparaît important. Une étude en démarrage permettra de réaliser une première mesure et sa répétition dans le temps sera essentielle.
  • Le suivi dans le temps des types de VPH détectés dans les précurseurs et les cancers du col apparaît un autre volet important à évaluer. Il pourrait être réalisé grâce aux zones de démonstration mises en place en 2008 dans les régions de l'Estrie et de la Capitale- Nationale. Les types de VPH identifiés dans les cancers survenus dans ces régions de 2006-2009 représentent une ligne de base obtenue à l'ère prévaccination. La répétition dans le temps de ces mesures sera utile pour suivre l'évolution des types de VPH retrouvés dans les cancers au fur et à mesure que les cohortes de filles vaccinées avanceront en âge.
  • L'inclusion prochaine des précurseurs des cancers du col dans le registre du cancer permettra également de suivre dans le temps la fréquence de ces lésions.
  • La mesure et le suivi dans le temps de l'incidence des lésions observées aux tests de dépistage, aux examens diagnostiques et de suivi représenteraient un autre élément pour l'évaluation. Par contre, la mise en place des zones de démonstration au Québec a montré la complexité et la difficulté (collecte manuelle, dénominateurs imprécis, impossibilité de savoir combien de femmes des zones de démonstrations vont à l'extérieur de la région pour les services, difficulté à suivre la trajectoire de soins, car différents identifiants dans différents centres, etc.) de recueillir des informations fiables sur les activités de dépistage, de diagnostic et de suivi des tests effectuées en l'absence d'un registre provincial, afin de mesurer l'incidence des précurseurs du cancer.

Les données de vaccination réalisée en milieu scolaire sont colligées dans les systèmes locaux (I-CLSC) des centres de santé de services sociaux (CSSS) ou dans les fichiers régionaux (VAXIN et LOGIVAC) permettant l'identification des personnes vaccinées (et du nombre de doses reçues). La loi encadrant la mise en place du registre provincial de vaccination prévoit la récupération de l'ensemble des données vaccinales historiques contenues dans les différents fichiers de vaccination locaux ou régionaux. Ainsi, les données relatives aux filles vaccinées depuis l'introduction du programme en 2008 seront versées dans ce registre, ce qui en facilitera le suivi.

Il faut également poursuivre les efforts pour atteindre et maintenir des couvertures vaccinales à la hauteur des objectifs provinciaux (90 % en 4e année du primaire). Une attention particulière doit être apportée à la vérification du statut vaccinal en 3e secondaire et à l'offre, idéalement dans le milieu scolaire, de la vaccination contre les VPH à toutes les filles qui n'auraient pas de preuves de vaccination.

À court terme, il faudra planifier un plan de communication pour bien expliquer aux différents groupes impliqués et intéressés par le programme de vaccination contre les VPH au Québec, les raisons justifiant la recommandation de ne pas administrer la 3e dose du calendrier allongé initialement prévue. Il sera également important de rappeler que cette recommandation ne s'applique qu'à la vaccination des préadolescents et que le calendrier comportant trois doses (0, 2, 6 mois) doit être offert aux autres groupes d'âge.

Les membres du CIQ tiennent également à rappeler que les vaccins contre les VPH ne protègent pas contre tous les types de VPH et ils recommandent que les activités de dépistage du cancer du col utérin se poursuivent pour toutes les femmes, vaccinées ou non. De plus, la vaccination contre les VPH ne protégeant pas contre toutes les infections transmissibles sexuellement, l'adoption et le maintien de comportements sexuels sécuritaires sont recommandés pour toutes les personnes, peu importe leur statut vaccinal contre les VPH.

Type de publication
ISBN (électronique)
978-2-550-68492-3
ISBN (imprimé)
978-2-550-68491-6
Notice Santécom
Date de publication