Statistiques sur les services relatifs aux programmes de prévention du virus de l'immunodéficience humaine (VIH) et des hépatites B et C auprès des personnes utilisatrices de drogues par injection au Québec : avril 2010 à mars 2011
Les centres d'accès au matériel d'injection (CAMI), mis en place au Québec à la fin des années 1980, sont des lieux où les personnes utilisatrices de drogues par injection (UDI) peuvent se rendre pour obtenir du matériel d'injection stérile (seringues stériles, contenants de chauffage/dissolution et filtres (Stéricup), ampoules d'eau et tampons). Ils peuvent aussi y remettre leurs seringues usagées et obtenir des conseils de prévention ainsi que d'autres services psychosociaux. Les statistiques compilées par les responsables des CAMI permettent d'établir un portrait des interventions réalisées sur une période de 12 mois et de suivre l'évolution de la situation au fil des ans grâce à des indicateurs standardisés. Le présent rapport fournit une analyse des statistiques pour la période d'avril 2010 à mars 2011.
Depuis l’année 2009, la mise à jour de la liste des CAMI se fait directement dans le Répertoire des ressources en santé et de services sociaux par les répondants de chacune des régions. Après quelques ajustements entre 2009 et 2010, il est maintenant possible de retracer le nombre de CAMI dans les données du répertoire et de les extraire selon le type. Par ailleurs, la précision de ces données dépend de la vigilance des responsables validateurs régionaux pour la mise à jour des données dans le RRSS (Tremblay, 2011). L’augmentation du nombre de CAMI entre 2010 et 2011 est relativement faible et le nombre de partenaires dans la distribution du matériel d’injection stérile semble stable. Soulignons qu’en 2011, seul le nombre d’organismes communautaires a augmenté pour remonter au niveau de 2007.
Au cours de la période à l’étude, une baisse de la distribution du matériel d’injection a été observée sans que l’on puisse identifier de manière précise les raisons de ce recul. On peut mentionner le fait que la diminution a été observée de manière plus importante dans les organismes communautaires et qu’elle a touché les sites fixes en 2009-2010 alors que les interventions de milieu connaissaient une augmentation de la distribution. Par la suite, en 2010-2011, la distribution reprend dans les sites fixes et diminue dans les interventions de milieu. Il convient aussi de noter que les centres-villes de Montréal et de la ville de Québec ont connu des transformations importantes au cours des dernières années. Sachant que l’embourgeoisement des quartiers centraux exerce généralement des pressions sur les populations les plus marginalisées en les repoussant vers d’autres secteurs de la ville, ce phénomène ne serait peut-être pas étranger à la baisse de la demande pour du matériel d’injection dans certains sites. Les consommateurs qui se retrouvent dans des secteurs plus éloignés pourraient diminuer leur fréquentation dans les CSP et les OCCVM localisés dans les centres-villes. Si tel était le cas, il faudra exercer une plus grande vigilance afin d’identifier des nouvelles enclaves de consommation par injection et rejoindre les consommateurs là où ils sont. À cet égard, le travail de proximité est tout à fait désigné pour aider à rétablir les réseaux de consommateurs et les mobiliser pour la prévention des ITSS (Winkelstein, 2010; Strike et collab., 2006; WHO, 1998). Par contre, les données nationales ne permettent pas une analyse fine de la situation dans les régions de Montréal et Québec et, à cet égard, les analyses régionales s’avèrent plus appropriées pour documenter la situation de chacune de ces régions.
L’accès aux seringues doit donc être encore amélioré au Québec. À titre d’exemple, la Colombie-Britannique, une province dont le nombre d’UDI est semblable à celui du Québec (estimé à 23 000 - Rémis et collab., 1999), distribue autour de 5,5 millions de seringues annuellement (De Vasson, 2009), l’Ontario en distribue 3 millions, la région Qu’Appelle de Régina, 2 millions, Saskatoon 1,5 million, l’Alberta 650 000 et l’État de New York, 5 millions (Birkhead et collab., 2007).
Les données de surveillance du réseau SurvUDI/I-TRACK indiquent quant à elles une transformation de la consommation par voie intraveineuse au cours des dernières années. Alors que la proportion de consommateurs d’opioïdes se situait autour de 54 % entre 2003 et 2007, elle est soudainement passée à 65 % en 2008 (Parent et collab., 2011). Cette hausse de l’injection de certains médicaments opioïdes est aussi accompagnée d’une baisse d’environ 4 % de la consommation de cocaïne entre 2007 et 2008.
Ces données de surveillance, recueillies auprès de personnes UDI qui fréquentent les programmes d’accès au matériel d’injection, mettent sur la piste de transformations dans les modes de consommation. Par exemple, la consommation de médicaments opioïdes est un phénomène qui demeure encore mal connu et qu’il faudra documenter (Bruneau et collab., 2012). Il convient donc de rechercher des explications sur le terrain par des approches ethnographiques et, idéalement, de se doter d’un système de surveillance plus large reposant sur plusieurs indicateurs, comme la mortalité par surdoses, les taux d’infection au VIH et au VHC chez les personnes UDI dépistées par le biais des services intégrés de dépistage et de prévention, les admissions en traitement de la dépendance, les prescriptions de médicaments de substitution aux opioïdes, les admissions en centres hospitaliers pour endocardites, etc. (MSSS, 2010).
Malgré le fait que l’incidence du VIH ait baissé de manière significative dans le réseau SurvUDI/I-TRACK entre 1995 et 2007 (Parent et collab., 2011), il convient de noter que l’incidence du VHC demeure élevée (35,6 par 100 PA.) et augmente de manière significative depuis 1998. Cette situation milite en faveur d’actions concertées entre les acteurs au niveau local, régional et supra régional.
Des actions interministérielles entre le ministère de la Santé et des Services sociaux et le ministère de la Sécurité publique en vue de favoriser l’adoption de politiques plus favorables à la santé des personnes UDI sont actuellement en cours. Les résultats d’une consultation menée en 2011 auprès de différents acteurs sur le terrain mettent en évidence une volonté de concertation de tous les partenaires en vue d’harmoniser les interactions entre les activités policières et celles des programmes d’échange de seringues (Noël et collab., 2012).
Au Québec, la présence des programmes d’échange de seringues (les centres spécialisés dans la prévention des ITSS auprès des personnes UDI et certains OCCVM sont nés sous ce vocable et ils sont toujours désignés ainsi par les personnes UDI) est apparue avec l’émergence du VIH au sein des communautés de consommateurs de drogues par injection. Après plus de 20 ans de lutte avec, par et pour les personnes UDI, ils sont devenus des incontournables dans la gamme des services offerts aux personnes toxicomanes qui s’injectent des drogues.
Avec la transformation du réseau de la santé et des services sociaux suite à la réforme de 2003 (MSSS, 2004), le contexte de collaboration entre le réseau de la santé et les organismes communautaires a été modifié (Bilodeau et collab., 2011). Ainsi, pour accomplir les mandats liés à la responsabilité populationnelle, les CSSS doivent innover et établir des collaborations avec tous les organismes de leur territoire qui assurent des soins et des services sociaux à la population. À cet égard, les CSP et les OCCVM, en association avec les CSSS, assurent un rôle dans la prestation de services. L’offre de services aux personnes UDI peut prendre diverses formes telles que des services de dépistage des ITSS, de traitement des infections au VIH et au VHC ou de traitement de la dépendance ou autres problèmes de santé. Les services peuvent être dispensés dans les locaux des CSP et des OCCVM ou être disponibles sur référence ou en accompagnement.
Toutefois, les statistiques sur les services relatifs aux programmes de prévention des ITSS auprès des personnes UDI ne tiennent pas compte de l’ensemble de ces services offerts aux usagers des CAMI. L’estimation du nombre de visiteurs ayant reçu des services autres que l’accès au matériel d’injection est obtenue grâce à la fiche complétée à chaque visite par les usagers, mais elle ne rend pas compte de l’ensemble de la réalité des consultations dans les CAMI en général et encore moins dans les CSP et les OCCVM. Par ailleurs, les données de fréquentation pour les CAMI de la région de Montréal indiquent que moins de 50 % des visites dans les CAMI sont effectuées pour l’accès à du matériel d’injection (communication personnelle Pascale Leclerc). Ces données suggèrent qu’une proportion importante des visites dans les CAMI, le sont pour l’accès à d’autres services que la distribution de matériel.
Une recherche récente a montré que les centres spécialisés de prévention des ITSS auprès des personnes UDI, comme le sont Cactus à Montréal et Point de Repères dans la Capitale-Nationale, offrent beaucoup plus que de l’accès à du matériel d’injection (Bellot et collab., en préparation). Ce sont de véritables centres d’action en réduction des méfaits auprès des usagers de drogues et, à cet égard, il sera nécessaire de reconnaître ce rôle afin de leur permettre de l’exercer de manière optimale.
Après 20 ans de présence auprès des personnes UDI, ces centres ont acquis la crédibilité nécessaire pour mobiliser les membres de la communauté des utilisateurs de drogues et soutenir des actions préventives au regard des ITSS par des pairs UDI au sein de leurs réseaux sociaux. Les études menées ailleurs dans le monde sur les interventions par des pairs UDI (Booth et collab., 2009, 2011; Broadhead et collab., 1998, 2006; Latkin, 1998; Latkin et collab., 2003, 2009; Rietmeijer et collab., 1996; Sergeyev et collab., 1999) montrent des résultats intéressants qui pourraient être mis à profit par les CSP et certains OCCVM au Québec.
Plus près de nous, l’étude menée par Bellot et collaborateurs en 2008 autour du projet PLAIISIR de Cactus-Montréal a montré qu’il est possible de mobiliser des personnes UDI pour réaliser des actions de prévention dans le milieu. Cependant, l’implication des personnes UDI et leur contribution à la prévention des ITSS doit être soutenue par la présence d’un intervenant dont le rôle est d’assurer la continuité dans l’intervention et d’alimenter les groupes de pairs UDI pour optimiser la prévention des ITSS, et ce, au delà des projets de recherche subventionnés. Une des grandes difficultés que rencontrent les organismes communautaires dans un tel contexte, c’est d’assurer la pérennité des interventions au-delà des activités de recherche. Il conviendra donc de reconnaître et de consolider ce rôle de soutien et de mobilisation des usagers pour la prévention au sein de ces organisations.
Par ailleurs, l’Association québécoise pour la promotion de la santé des usagers de drogues (AQPSUD) joue un rôle primordial en prévention des ITSS ainsi que pour l’amélioration des conditions de vie des personnes UDI. Cet organisme peut soutenir la collaboration des personnes UDI dans les régions et contribuer aux efforts de promotions de la santé de ces personnes.