Maintien en emploi, retraite et santé
Le vieillissement de la population québécoise est une préoccupation gouvernementale grandissante. Pour soutenir le ministre de la Santé et des Services sociaux, dans son rôle de conseiller du gouvernement en matière de politiques publiques favorables à la santé, rôle confirmé par l'article 54 de la Loi sur la santé publique, l'Institut national de la santé publique du Québec (INSPQ) a confié à l'Institut national de la recherche scientifique (INRS) le mandat de documenter l'impact sur la santé des travailleurs du maintien en emploi ou du retrait du marché du travail. Le présent rapport vise donc à répondre à la question suivante : quels sont les effets démontrés sur la santé physique et mentale de la retraite et du maintien en emploi, compte tenu des circonstances variées dans lesquelles ils se tiennent?
Afin de répondre à cette question, une recension de la littérature en sociologie, en psychologie et en santé a été effectuée. Les recherches sur cette question précise sont relativement rares, ce qui contraste avec la préoccupation sociale dont font l'objet la retraite et le maintien en emploi. Il est néanmoins possible de conclure, sur la base des travaux recensés, que, contrairement à une croyance populaire bien ancrée, rien n'indique qu'en lui-même le fait de prendre sa retraite ou de demeurer en emploi ait un effet identifiable sur la santé physique ou sur le bien-être psychologique. Toutefois, il apparaît tout à fait vraisemblable que les circonstances du maintien en emploi ou de la retraite ont une grande importance eu égard à la santé. Cette conclusion rejoint celle de Warr (1998) pour qui : «nbsp;la bonne santé mentale à l'âge avancé ne dépend pas du fait d'occuper ou non un emploi; la condition clef nécessaire est l'exposition à un ensemble de conditions bénéfiques, quelle qu'en soit la sourcenbsp;» (Warr, 1998, p. 253, traduction libre).
Pour encadrer cette collecte d'information en tenant compte de circonstances variées (interruption de l'emploi avant la retraite, retour au travail après la retraite, raisons du retour au travail, caractère volontaire ou non de la retraite), l'INSPQ a défini une série de scénarios de fins de carrière. Les données de recherche disponibles ne permettent pas de tirer des conclusions détaillées sur chacun d'entre eux, mais appuient quelques constats généraux concernant chacune des situations.
Certaines indications existent à l'effet que la prise de retraite à un âge qui diffère des normes sociales (scénarios de retraite précoce) peut entraîner des problèmes de santé. Toutefois, il faut immédiatement préciser que le scénario vraiment problématique est celui de la retraite précoce involontaire, d'ailleurs souvent associé à des pertes de revenus. En d'autres termes, si l'âge «nbsp;conventionnelnbsp;» de la retraite, variable selon les milieux et en baisse depuis quelques années, est susceptible de placer les individus dans une situation où ils sont «nbsp;hors normesnbsp;», c'est surtout lorsque cette situation n'est pas choisie qu'elle pose problème.
Concernant les différents statuts d'emploi à l'âge «nbsp;conventionnelnbsp;» de la retraite, on doit, encore une fois, les mettre en parallèle avec leur caractère choisi ou non, de même qu'avec les circonstances dans lesquelles ils se produisent. Le maintien en emploi n'est vraisemblablement pas un problème s'il est choisi, si les conditions de travail sont adéquates, si le travail n'est pas dommageable pour la santé et si le travailleur est en bonne santé. On peut en dire autant de la retraite, notamment lorsqu'elle n'entraîne pas de pertes de revenus et lorsque les individus sont en santé, état en partie déterminé par les conditions antérieures de travail. Toutefois, la réflexion sur les effets du maintien en emploi ou de la retraite sur la santé se fait, la plupart du temps, indépendamment de la réflexion sur les conditions de travail qui les précèdent.
En ce qui concerne les scénarios sur les raisons du retour en emploi, il est très peu probable que le fait de retourner au travail par attachement au travail ou pour des fins de «nbsp;réalisation personnellenbsp;» soit problématique, d'autant moins que l'on peut penser que de telles raisons sont associées au choix et à des contenus et des conditions de travail «nbsp;épanouissantsnbsp;». Toutefois, on sait très peu de choses sur sa fréquence réelle, même si on a tendance à l'idéaliser dans une situation où l'on craint, à tort ou à raison, des pénuries de main-d'oeuvre. On sait également peu de choses des retours en emploi pour besoins financiers. Ce sujet, moins séduisant que le précédent, mériterait d'autant plus d'être documenté qu'il est vraisemblable que ce type de retour est probablement assimilable à des situations de contrainte, dont il est prouvé qu'elles ont des effets négatifs sur la santé. Ceci est particulièrement plausible étant donnée la forte corrélation entre les revenus (ou le patrimoine) et la santé ainsi que dans le contexte actuel où prévalent de fortes aspirations à la retraite.
Enfin, il est bien connu que le chômage, particulièrement de longue durée, est une des situations fortement problématiques pour la santé, en plus d'affecter les revenus. Il reste encore à documenter plus précisément ses effets chez les 55 ans ou plus et à en établir les liens avec la retraite. À cela, il faudrait ajouter que les effets sur la santé des situations de précarité et d'instabilité professionnelle ne sont que très exceptionnellement tenus en considération. Or, l'instabilité est beaucoup plus répandue que par le passé, pratiques d'embauche obligent, et plusieurs futurs retraités y auront été exposés durant leur carrière.
Plus globalement, cette recherche indique que :
- Le choix du statut d'emploi est une variable clef : les statuts involontaires entraînent des problèmes de santé. À cet égard, la retraite a été davantage documentée, mais quelques auteurs font le même constat s'agissant du maintien en emploi. Le choix est donc un déterminant important des effets de la retraite ou du maintien en emploi. Toutefois, il demeure un privilège; certains groupes de travailleurs, ceux qui cumulent les mauvaises conditions sur le marché de l'emploi, sont également ceux qui sont les moins à même de choisir de prendre leur retraite ou de demeurer en emploi, alors que ceux qui cumulent les bonnes conditions de travail et d'emploi sont également ceux qui ont le plus de pouvoir pour prendre ce genre de décisions.
- Certaines conditions de travail sont néfastes pour la santé physique ou mentale, parmi les mieux documentées se retrouvent les suivantes : les trop grandes exigences physiques, les horaires alternants, le travail de nuit, la faible autonomie, les demandes psychologiques trop élevées ou trop faibles, l'absence de rétribution proportionnelle aux exigences, l'exposition à des contaminants, le travail répétitif (surtout sous contrainte de temps)
- Les inégalités sociales de santé sont fortement tributaires du travail, la morbidité et la mortalité allant toutes deux en diminuant du bas au sommet de l'échelle sociale (gradient de santé). Ce fait majeur est peu pris en considération dans les réflexions sur la retraite.
- La santé est une des plus importantes causes de la décision de retraite ou de maintien en emploi.
Par conséquent, les questions du maintien en emploi et de la retraite ne peuvent faire l'économie d'une réflexion sur les déterminants sociaux de la santé et, plus globalement, sur les inégalités sociales, qui devraient en constituer un axe essentiel. Dans cette perspective, il n'existe pas de «nbsp;travailleur âgénbsp;», car les travailleurs de tous âges ont une appartenance de classe, d'ethnie et de genre, toutes appartenances qui modèlent non seulement leurs parcours professionnels, mais également leurs fins de carrière et leurs retraites.