Exposition aux résidus miniers et évaluation préliminaire de l'état de santé de la population crie d'Oujé-Bougoumou : rapport d'enquête

La communauté crie d'Oujé-Bougoumou est située à environ 60 kilomètres à l'ouest de Chibougamau et compte 622 résidants. Il existe pour cette communauté une exposition potentielle à des substances toxiques résultant de la présence de résidus miniers laissés, au milieu des années 1950, par une activité minière importante.

Confronté à cette exposition potentielle, le Grand Conseil des Cris a commandé une étude portant sur la contamination environnementale, étude qui a été réalisée par Christopher L. Covel de CL COVEL PG LLC et Roger D. Master du Dartmouth College, Hanover, New Hampshire. Cette dernière a révélé la mobilisation d'éléments toxiques présents dans les résidus miniers et a suggéré la présence d'effets sur la santé humaine.

Le rapport produit dans le cadre de cette étude a par la suite été révisé par Evert Nieboer de l'Université McMaster qui soutient les conclusions environnementales mais non l'interprétation des données sur les contaminants dans les cheveux qui ont servi à porter un jugement sur le risque à la santé humaine. Un échantillonnage effectué en 2001 par le ministère de l'Environnement du Québec a confirmé la présence d'éléments toxiques dans les sédiments retrouvés près des sites de résidus miniers. Le Conseil d'Oujé-Bougoumou a par la suite accepté les recommandations de E. Nieboer à l'effet d'initier une évaluation du risque environnemental ainsi qu'une étude sur la santé humaine.

Afin de répondre aux besoins de la population d'Oujé-Bougoumou, le ministère de la Santé et des Services sociaux a confié à l'Institut national de santé publique du Québec le mandat de réaliser une étude visant à caractériser l'état d'imprégnation possible de la communauté crie d'Oujé-Bougoumou par certains toxiques d'origine environnementale. Ce rapport présente les résultats obtenus dans le cadre de cette étude réalisée au cours de l'automne 2002 dans les communautés cries d'Oujé-Bougoumou et de Nemaska.

Objectifs

L'objectif principal de cette étude était d'estimer l'exposition de la communauté crie d'Oujé-Bougoumou à divers éléments toxiques associés à la présence de résidus miniers. Parallèlement, l'étude visait à mesurer une série de paramètres biologiques ayant un intérêt clinique et pouvant être utilisés dans une évaluation de l'état de santé général de la population.

Trois objectifs spécifiques ont également été définis dans le cadre de cette étude. Le premier consistait à mesurer l'exposition de la population aux éléments inorganiques associés à la présence de résidus miniers (arsenic, cuivre, sélénium et zinc), aux habitudes de vie (plomb, cadmium) ou aux polluants persistants souvent liés à la consommation de poisson (p. ex. mercure et BPC). Le deuxième objectif spécifique visait à comparer les résultats de l'exposition biologique aux contaminants avec des données de référence obtenues simultanément dans une communauté crie contrôle (Nemaska), ainsi qu'avec les concentrations observées dans une population du sud du Québec étudiée précédemment et, finalement, avec des concentrations de références recommandées (et publiées). Un troisième objectif spécifique avait pour but de mesurer et d'interpréter un éventail de paramètres biochimiques ayant un intérêt clinique pour évaluer l'état de santé individuel et/ou général de la population.

Population étudiée

Un total de 225 résidants d'Oujé-Bougoumou (la communauté à l'étude) et de 100 résidants de Nemaska (la communauté contrôle) ont participé à l'étude. L'âge et le sexe ont été considérés lors du recrutement, les différents groupes étant respectivement composés d'enfants âgés de 0 à 14 ans, de femmes de 15 à 39 ans, d'hommes de 15 à 39 ans et finalement d'hommes et de femmes de 40 ans et plus. Le nombre de participants dans chacun des groupes d'âge était proportionnel à leur distribution dans la communauté à l'exception du deuxième groupe d'âge.

Méthodologie

Trois questionnaires ont été développés, testés et adaptés aux besoins de l'étude. Le questionnaire portant sur l'exposition et les habitudes de vie comprenait des questions sur les caractéristiques sociodémographiques et la résidence, des renseignements spécifiques sur la propriété, l'occupation, les activités extérieures et les loisirs, de même que des questions sur les habitudes de vie, le stress et le bien-être psychologique. Le questionnaire de fréquence alimentaire couvrait la consommation d'aliments traditionnels et commerciaux. Un questionnaire, administré par les participants eux-mêmes et portant sur les problèmes de santé a aussi été complété.

Des échantillons de sang, d'urine et de cheveux ont été prélevés et leur teneur en contaminants de même que certains paramètres biochimiques d'intérêt clinique ont été déterminés en utilisant des techniques de laboratoire reconnues.

Résultats

Les facteurs de risques de maladies cardiovasculaires tels que l'obésité, l'usage du tabac et le diabète demeurent fréquents dans les deux communautés. Seul le diabète était plus fréquent à Oujé-Bougoumou. La consommation de poisson a été associée à un niveau plus élevé d'acides gras oméga-3 et semble avoir des effets bénéfiques sur les facteurs de risques de maladies cardiovasculaires que représentent un faible niveau de cholestérol sanguin HDL, des niveaux élevés de cholestérol LDL et de cholestérol total.

Les niveaux d'acide folique, de vitamine B12, de thyréostimuline (TSH) et de thyroxine (T4) se situaient à l'intérieur des valeurs normales et n'étaient pas différents entre les deux communautés.

La consommation totale de poisson était comparable entre les deux communautés, mais les espèces prédatrices (piscivores) étaient plus consommées à Oujé-Bougoumou, et les espèces insectivores plus consommées à Nemaska. Les abats de gibier étaient consommés plus souvent à Oujé-Bougoumou.

Les concentrations d'arsenic inorganique et d'arsenic total dans l'urine étaient généralement plus élevées dans la population de Nemaska que dans celle d'Oujé-Bougoumou. Tel que prévu, le cuivre dans le plasma a excédé l'étendue des valeurs normales de référence chez les femmes enceintes ainsi que chez celles prenant des contraceptifs oraux. Quant aux niveaux de cuivre dans l'urine et dans les cheveux, ils étaient significativement plus élevés chez les femmes d'Oujé-Bougoumou en âge de procréer. Le sélénium dans le plasma était, pour sa part, plus élevé dans la population de Nemaska que dans celle d'Oujé-Bougoumou et cette situation reflète vraisemblablement des différences dans les habitudes alimentaires. Les niveaux de zinc dans le plasma étaient plus élevés dans la population d'Oujé-Bougoumou et peuvent aussi refléter des différences dans les habitudes alimentaires.

Le niveau de cadmium dans le sang total de l'ensemble des participants était de 2,5 à 3 fois plus élevé comparé au sud du Québec. L'usage du tabac est le facteur principal associé. L'exposition par l'entremise de la consommation de foie et de reins de gibier demeure une contribution plausible. Les concentrations de plomb dans le sang étaient quant à elles, plus basses dans les deux communautés cries comparativement à d'autres communautés autochtones. L'exposition demeure liée aux activités de chasse et de consommation de sauvagine et de gibier.

L'exposition au mercure des deux communautés cries peut être qualifiée de faible à modérée et les niveaux sont comparables à ceux retrouvés chez les communautés inuites canadiennes. Cette exposition a été associée à la consommation de poisson, de sauvagine et de gibier. Le ratio de mercure cheveux/sang était de 242:1. L'exposition aux BPC peut être qualifiée de modérée à élevée et a été attribuée à la consommation de poisson et de gibier. Les enzymes hépatiques et les niveaux de TSH étaient normaux même parmi les individus les plus exposés (> 100 μg/L de BPC totaux). Quant au niveau d'exposition au DDT et au p,p'DDE (un métabolite du DDT), il était élevé chez les individus de plus de 40 ans, particulièrement à Oujé-Bougoumou, et dépendait de la consommation de poisson et de gibier. Le ratio DDE/DDT de 57 ± 33, suggère une origine diffuse de l'exposition et non l'existence de sources locales de DDT. Les concentrations de polluants persistants étaient généralement plus élevées chez les 40 ans et plus et mettent en évidence le rôle des habitudes alimentaires comme source majeure d'exposition.

Conclusion

D'après les concentrations observées d'arsenic, de cuivre, de sélénium et de zinc dans les fluides corporels, on conclut que les résidants d'Oujé-Bougoumou ne sont pas à risque d'une exposition interne (systémique). Les niveaux d'éléments indicateurs de résidus miniers dans les cheveux de la population d'Oujé-Bougoumou étaient modérément élevés comparés à la population de Nemaska. Dans le cas de l'arsenic et du cuivre, une source indirecte, menant à une exposition chronique de faible niveau par contact direct, pourrait être explorée.

L'usage du tabac est la source majeure d'exposition au cadmium pour la population d'Oujé-Bougoumou et de Nemaska. Quant à l'exposition au plomb, elle est reliée aux activités de chasse et à la consommation de sauvagine et de gibier dans les deux communautés cries.

L'exposition au mercure et aux BPC était plus élevée dans la communauté d'Oujé-Bougoumou que dans celle de Nemaska; une plus grande consommation de poissons prédateurs (piscivores) tels que le doré et la truite serait une explication possible. Les concentrations observées de p,p'-DDE sont jugées relativement élevées parmi le groupe des 40 ans et plus, particulièrement à Oujé-Bougoumou.

Dans les deux communautés, les niveaux d'éléments essentiels tels que le cuivre, le sélénium et le zinc sont jugés normaux et adéquats pour maintenir la population en bonne santé. Le niveau de fer semble adéquat également.

Aucune nouvelle information concernant l'état de santé n'a été identifiée dans les deux communautés.

Recommandations

L'impact sur l'environnement des éléments associés à la présence de résidus miniers devrait être estimé dans le cadre d'une évaluation continue du risque environnemental et ce, même s'il n'existe pas d'indications d'une exposition inhabituelle pour l'être humain.

Les sources de BPC et de DDT/DDE devraient être investiguées dans le cadre d'une évaluation continue du risque environnemental.

Le remplacement des munitions à base de plomb devrait se poursuivre et être encouragé.

Il est recommandé de réviser les directives de consommation d'aliments traditionnels, de les mettre à jour et de poursuivre la promotion de leur utilisation auprès des communautés cries. Les facteurs tels que la surveillance systématique de la qualité des tissus et des reins des poissons locaux, du foie et des tissus gras de la sauvagine piscivore et du gibier, devraient être incorporés dans un programme plus formel de mise en place des directives. Les directives de consommation devraient être basées sur les résultats de biosurveillance obtenus pour le poisson pêché dans les lacs et les rivières au niveau local et pour la sauvagine et le gibier tués sur les territoires de chasse de la communauté. L'importance de consommer ces aliments traditionnels pour maintenir une bonne santé devrait continuer à être considéré dans la gestion du risque.

La consommation fréquente de foie et de reins de gibier n'est pas recommandée en raison de l'accumulation des polluants persistants dans les reins (particulièrement le cadmium) et le foie (p. ex. cadmium, mercure et BPC).

Des campagnes anti-tabac sont susceptibles de produire des effets bénéfiques pour la santé.

Auteur(-trice)s
Éric Dewailly
Unité de recherche en santé publique, Centre Hospitalier Universitaire de Québec et Institut national de santé publique du Québec
ISBN (électronique)
978-2-550-49750-9
ISBN (imprimé)
978-2-550-43861-8
Notice Santécom
Date de publication