Les rôles de la santé publique en matière de promotion de la santé mentale et du mieux-être mental des populations

Ce rapport constitue un document d’orientation au sujet des rôles de la santé publique en matière de promotion de la santé mentale et du mieux-être mental des populations (PSMMEMP) au Canada. Dans le contexte de la pandémie de COVID-19 actuelle, laquelle a mis la santé mentale à l’avant-plan des interventions de nombreux pays, le renforcement des capacités de la main-d’œuvre et des organisations de santé publique en matière de PSMMEMP devient plus que jamais pertinent.

Ce document a été élaboré par le Centre de collaboration nationale sur les politiques publiques et la santé (CCNPPS), et il s’appuie sur des conversations survenues dans le cadre du Forum sur la promotion de la santé mentale et du mieux-être mental des populations (le Forum), en février-mars 2018. Le Forum a été organisé par les six Centres de collaboration nationale en santé publique (CCN), en collaboration avec quatre organisations partenaires : l’Association canadienne pour la santé mentale (ACSM), le Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH, de l’anglais Centre for Addiction and Mental Health), la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC) et l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC). L’événement reposait sur un processus inspiré du concept de double regard, qui vise à mettre en relief l’importance de considérer l’intersection de la promotion de la santé mentale et de la promotion du mieux-être mental (la formulation favorisée par les partenaires autochtones). Il a été conçu comme une occasion de tirer des enseignements de spécialistes afin de guider les efforts de promotion de la santé mentale et du mieux-être mental des populations au Canada.

Les participants au Forum se sont vu poser deux questions essentielles, et leurs réponses forment la base empirique de ce document d’orientation.

  1. Du point de vue de votre propre milieu de pratique, de votre contexte géographique, de votre expérience ou de votre expertise, quels sont, selon vous, les principaux rôles, fonctions, ou actions précises que les acteurs de la santé publique de différents paliers doivent assumer ou mettre en œuvre pour intégrer des efforts de PSMMEMP à leur pratique?
  2. Que faut-il pour soutenir la santé publique en matière d’efforts de PSMMEMP relativement à quatre thèmes : 1) habiletés, connaissances et valeurs; 2) appuis systémiques et politiques; 3) structures d’implantation; 4) paradigmes scientifiques et de recherche?

Un logiciel d’analyse qualitative (NVivo) a servi à analyser et à classer les éléments de conversation recueillis sur des tableaux à feuilles volantes pendant l’événement. Sept référentiels de compétences ont soutenu l’analyse du matériel empirique, qui a été codé à l’aide de procédures tant ouvertes que fermées.

Certaines particularités de la PSMMEMP ont aussi été exprimées dans les conversations entre les spécialistes présents au Forum. Ces particularités ont été étayées par la littérature, brièvement survolée et également présentée dans ce rapport. Ces particularités ont influencé la manière dont les rôles ont été définis et décrits.

D’abord, les échanges ont mis en évidence plusieurs similitudes entre la promotion de la santé mentale et la promotion du mieux-être mental des populations. Les deux ont en commun des processus, des valeurs et des approches. Elles nécessitent de comprendre, de prendre en compte ou de chercher à modifier, en collaboration avec différentes parties prenantes, des facteurs historiques, culturels, sociaux, économiques, politiques, géographiques, biologiques, spirituels, génétiques et environnementaux complexes. Toutes deux ont recours à des composantes interreliées qui passent par une approche socioécologique, elles ont également recours à des initiatives communautaires, à des partenariats à long terme fondés sur la confiance, à des processus de participation et de renforcement des capacités, et à des approches axées sur l’amélioration des compétences.

La nature complexe de ces deux perspectives a été exprimée. Cette complexité suppose de comprendre les personnes et les communautés et de s’adresser à elles par des interventions holistiques, multifactorielles, non fragmentées et autonomisantes. Elle implique des systèmes de connaissances pluralistes, le respect des significations culturelles, des collaborations intersectorielles, une portée qui transcende les champs de compétence, ainsi que des programmes multipaliers, multivolets et participatifs. Afin de générer et d’appliquer des connaissances pertinentes à de telles interventions, tant les participants au Forum que la littérature soulignent l’importance d’une multiplicité de voix, du rôle des communautés et des personnes exécutant les interventions, et de la reconnaissance des interactions continues entre les contextes, les interventions et les mécanismes permettant de les étudier. Une approche systémique en matière d’implantation et de recherche, la science de l’implantation ainsi que la recherche participative communautaire étaient considérées et soulignées par les participants comme étant des voies à suivre.

L’intégration de telles perspectives dans les approches dominantes en santé publique est une première étape pour rapprocher les interventions courantes des considérations autochtones en matière de mieux-être mental et pour adopter et inclure une perspective axée sur la PSMMEMP.

Bien que des similitudes aient été relevées entre la promotion de la santé mentale des populations et la promotion du mieux-être mental, l’importance d’apprendre également des perspectives autochtones sur le mieux-être mental, dans l’intérêt de toutes les populations, a aussi été fortement exprimée.

Le Cadre du continuum du mieux-être mental des Premières Nations présente une compréhension exhaustive du mieux-être (Santé Canada et Assemblée des Premières Nations, 2015). Il indique que le mieux-être mental est constitué d’« un équilibre entre les aspects mental, physique, spirituel et émotionnel » de la vie que tous, même les plus vulnérables, peuvent souhaiter atteindre. Il affirme que le mieux-être mental est rendu possible quand les gens ont un but, de l’espoir, un sentiment d’appartenance et d’attachement et un sentiment que la vie a un sens. Cette perspective, qui met en lumière l’équilibre et l’harmonie, est considérée comme étant non seulement fondamentale pour les peuples autochtones du Canada, mais aussi bénéfique pour la population générale (Short, 2016). « L’espoir, un but, un sentiment d’appartenance et un sentiment que la vie a un sens » ont été nommés pendant le Forum comme étant des principes directeurs utiles pour tous les futurs efforts de PSMMEMP au Canada.

L’intégration de systèmes de connaissances autochtones et occidentaux dans les pratiques et la recherche a été considérée comme étant essentielle pour transformer le système canadien et progresser ensemble en vue de la réconciliation, conformément aux appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation (Rogers et al., 2019).

Dans la foulée de l’analyse des conversations, cinq grands rôles ou compétences de la santé publique en matière de PSMMEMP ont été définis. Ce sont les suivants :

Collaborer et établir des liens pour favoriser la PSMMEMP : la PSMMEMP nécessite la création de partenariats véritables et respectueux avec des parties prenantes issues de l’ensemble de la main-d’œuvre globale impliquée dans la PSMMEMP (les divers secteurs politiques; les secteurs de la santé, de la santé mentale et de la lutte contre la toxicomanie; les partenaires et communautés autochtones; les communautés non autochtones; la société civile et les populations cibles; les acteurs de la recherche et d’autres acteurs de la santé publique). La collaboration, par l’entremise d’approches participatives et autonomisantes, est au cœur de la PSMMEMP. Le partage d’expertise et de données probantes éclairées par les pratiques entre les acteurs de la santé publique ainsi que le partage et le développement continuels des connaissances au sujet des pratiques d’implantation avec les chercheurs sont aussi essentiels à la PSMMEMP. Le temps est un facteur crucial de tout partenariat, en particulier pour créer des relations respectueuses et fondées sur la confiance avec les communautés.

Mettre les connaissances en commun pour la PSMMEMP : la PSMMEMP nécessite d’échanger sans cesse des connaissances avec ses partenaires. Ce rôle suppose une communication bilatérale et une fonction de rapprochement. En effet, alors que les acteurs de la santé publique échangent continuellement avec leurs partenaires des données probantes au sujet de la santé mentale des populations, ils tirent des enseignements de l’expertise de ces divers partenaires, en plus d’échanger également les connaissances qui émergent des pratiques et d’établir des rapprochements entre celles-ci.

Intégrer collectivement la PSMMEMP aux pratiques de santé publique : ce rôle met l’accent sur la manière dont les activités ou les pratiques de santé publique reconnues, telles que l’analyse, la planification, l’implantation ou l’évaluation, peuvent être réfléchies et mises en œuvre en intégrant une perspective axée sur la PSMMEMP et du contenu lié à celle-ci. Une perspective axée sur la PSMMEMP en santé publique a été mentionnée comme étant davantage un processus d’intégration, puisqu’elle n’est pas considérée comme « une œuvre entièrement nouvelle ».

Favoriser le changement en matière de PSMMEMP : le fait de favoriser le changement est un rôle processuel qui s’est avéré central et lié à tous les rôles impliqués dans la PSMMEMP. La PSMMEMP suppose des manières de collaborer avec les autres qui dépassent les seuls objectifs de santé mentale ou de mieux-être mental. De telles manières de collaborer avec les autres visent à renforcer les capacités des tiers, ainsi qu’à les habiliter et à les autonomiser afin qu’ils agissent au profit de leur propre santé mentale et mieux-être mental. Tous les rôles et les activités qui entourent la PSMMEMP invitent à de telles capacités habilitantes.

Codiriger et plaider en faveur de la PSMMEMP : la PSMMEMP demande un leadership fort et un plaidoyer solide. Les responsables de la santé publique qui souhaitent faire avancer la PSMMEMP dirigent conjointement avec leurs partenaires des communautés autochtones et non autochtones, des professionnels issus de différents secteurs, ou d’établissements. La codirection suppose qu’il faut s’associer et continuellement échanger des connaissances avec l’ensemble des communautés et des partenaires pertinents. Quand les acteurs de la santé publique codirigent et livrent des plaidoyers, ils collaborent essentiellement pour faire connaître la PSMMEMP et pour en appuyer une vision commune et une orientation stratégique. Ils déploient et favorisent des interventions favorables à la PSMMEMP et font ressortir et appuient les liens avec les interventions visant l’équité en santé. Ils mettent en place également les efforts qui soutiennent des structures, des processus, des connaissances scientifiques, des travaux de recherche et une main-d’œuvre pouvant appuyer les changements (de perspectives, de sens et d’approches) en faveur de la PSMMEMP.

Ce document fournit une ligne directrice afin de soutenir les efforts de la santé publique en matière de PSMMEMP. Il n’est pas le produit d’un projet ou d’un processus de recherche. Il peut appuyer le perfectionnement professionnel en PSMMEMP et, éventuellement, servir de base à la concrétisation d’un référentiel de compétences formel en matière de PSMMEMP. Il est principalement destiné aux professionnels de la santé publique qui contribuent à définir le perfectionnement organisationnel et professionnel (ce qui inclut les praticiens en santé publique dans divers domaines de pratique, mais aussi ceux qui travaillent dans les milieux universitaires). Il vise à soutenir les interventions en amont afin de promouvoir la santé mentale et le mieux-être mental. Il ne couvre pas tout le continuum d’interventions qui sont considérées comme appartenant à une perspective axée sur la santé mentale des populations, laquelle pourrait inclure la prévention des troubles mentaux, le dépistage précoce ainsi que des activités de traitement ou de rétablissement. Il reconnaît les besoins importants des personnes qui vivent avec des troubles mentaux ou de celles dont les problèmes de santé mentale courants sont jumelés à la toxicomanie. Bien que ces groupes puissent être rejoints et soutenus par des interventions de PSMMEMP, ils ont souvent besoin d’interventions spécifiques qui vont au-delà de celles qui font couramment partie des approches de PSMMEMP.

En ce moment, certains réclament urgemment l’intégration d’une approche populationnelle en matière de santé mentale et de mieux-être mental aux interventions courantes en santé ainsi que des investissements pour renforcer les capacités de main-d’œuvre et organisationnelles. Ce document d’orientation est un pas en ce sens. Il défend largement l’idée d’intégrer au domaine de la santé publique une perspective axée sur la promotion de la santé, sur la promotion de la santé mentale des populations, ainsi que des connaissances et des processus autochtones visant le mieux-être mental, afin de favoriser la santé mentale et le mieux-être mental des populations. Ce document relève l’importance de renforcer et de soutenir des structures, des processus, des travaux de recherche, des connaissances scientifiques et une solide main-d’œuvre pour faciliter l’adoption des cinq rôles définis dans ce rapport et faire avancer les efforts de PSMMEMP. Il met l’accent sur la collaboration, la participation, le renforcement des capacités et la coproduction à tous les niveaux et dans toutes les activités d’implantation et de recherche qui entourent la PSMMEMP. Il mentionne le recours à des espaces formels d’échanges pour partager des connaissances, apprendre, et agir en tant qu’alliés des partenaires autochtones, communautaires et sectoriels, ainsi que des partenaires de la santé et de la santé mentale; autrement dit, de l’ensemble de la main-d’œuvre globale impliquée dans la PSMMEMP. « L’espoir, un but, un sentiment d’appartenance et un sentiment que la vie a un sens » ont été suggérés comme étant des notions clés pour orienter les efforts de PSMMEMP au Canada. En cette époque particulièrement difficile, alors que la pandémie de COVID-19 a des répercussions sur la santé mentale et exacerbe les inégalités en santé mentale, le fait d’opérationnaliser ensemble ces perspectives et de documenter leur implantation n’est pas seulement opportun, mais nécessaire.

Les rôles de la santé publique en matière de promotion de la santé mentale et du mieux-être mental des populations
Auteur(-trice)s
ISBN (électronique)
978-2-550-92965-9
Notice Santécom
Date de publication