Caractérisation du syndrome du marteau hypothénarien chez les travailleurs utilisant des outils manuels et exposés aux vibrations main-bras

Les travailleurs utilisant des outils portatifs vibrants et/ou des outils manuels (sans vibrations) sont à risque de développer le syndrome du marteau hypothénarien (SMH) et s’exposent ainsi à de lourdes conséquences pour la santé, dont l’amputation des doigts. En effet, l’artère cubitale de la paume de la main est située en superficie et n’est pas suffisamment protégée par des tissus (par exemple, des muscles). Elle est ainsi particulièrement vulnérable aux coups et vibrations ainsi qu’aux traumatismes répétés à la main, lorsque les travailleurs frappent ou cognent les matériaux usinés en utilisant la paume des mains. La contribution des vibrations reste toujours à documenter tout comme les outils à l’origine du développement de la maladie.

Le présent document décrit les résultats d’une étude qui visait à mettre à jour les connaissances du SMH quant à l’épidémiologie du syndrome, les mécanismes pathophysiologiques sous-jacents, les outils et métiers à risque, les approches thérapeutiques et préventives. Une section du document étaye également l’analyse de 31 cas de SMH répertoriés dans une banque de données de 355 travailleurs indemnisés pour doigts blancs et la comparaison de ces cas à ceux rapportés dans la littérature scientifique.

Le SMH est sous-déclaré et sous-diagnostiqué. Il se manifeste par des symptômes de blanchiment épisodique des doigts (phénomène de Raynaud), de douleur aux mains et d’intolérance au froid, comparable au syndrome vibratoire main-bras. Il se distingue de l’atteinte vasospastique du syndrome vibratoire main-bras par la présence de lésions de la paroi de l’artère cubitale qui passe au niveau de l’éminence hypothénarienne de la main. Les traumatismes sévères, même uniques, ou les microtraumatismes répétés sur l’éminence hypothénarienne utilisée comme un marteau, sont susceptibles d’écraser l’artère cubitale contre l’apophyse unciforme de l’os crochu, provoquant les lésions de la paroi de l’artère. Parfois, l’événement déclencheur, qui semble anodin, est ignoré par le sujet.

Deux types de lésions sont rapportées dans le SMH : 1) la thrombose de l’artère ulnaire ou de l’arcade superficielle; 2) l’anévrysme cubital. Par ailleurs, l’anévrysme peut se thromboser. Le SMH a été décrit, dans la littérature, parmi des travailleurs porteurs de doigts blancs et exposés aux vibrations, parmi des patients présentant un phénomène de Raynaud et parmi des travailleurs exposés aux vibrations considérés à risque mais qui n’ont pas consulté. D’un point de vue épidémiologique, il s’agit d’une maladie rare.

Au travail, les activités à risque sont associées principalement à du martelage, du pressage, des mouvements de poussée, d’écrasement, de vissage avec un outil contre la paume de la main. Il s’agit également de l’utilisation de la main comme d’un marteau pour frapper contre une surface dure (tuyaux de plomberie, pièces mécaniques de voiture qu’on veut mettre en place, planches de bois qu’on doit aligner) ou encore le choc à la région hypothénarienne d’un objet maintenu dans la paume de la main comme la clé à écrous, le levier de vitesse d’un tracteur, d’un autobus ou encore la manipulation d’outils vibrants.

La pratique professionnelle ou non de sports a également été rapportées comme activité à risque de développer un SMH. Chez les sportifs ce syndrome est relié aux chocs répétés par une balle ou un ballon, mais également au maniement d’un bâton ou d’une raquette qui comprime la paume de la main et génère des impacts. Le SMH a aussi été décrit lors d’activités de la vie courante. La compression de la paume de la main lors de l’utilisation d’une canne, de béquilles, d’une marchette ou d’une bêche, pourrait être la cause de l’apparition d’un SMH.

Les métiers à risque répertoriés dans les études de cas sont : des travailleurs d’usine, des machinistes, des travailleurs du secteur du métal, des travailleurs de la construction, des mineurs, des mécaniciens, des travailleurs forestiers, des jardiniers et des agriculteurs. Cette liste n’est pas exhaustive. Les outils vibrants sont le plus souvent percutants, causant des chocs répétés dans la région hypothénarienne. Le risque réel chez les travailleurs exposés aux vibrations des outils ou qui accomplissent un travail manuel demeure inconnu.

Il existe des variantes du tableau clinique. Les différents symptômes et signes du SMH peuvent être groupés en trois catégories : vasculaires, neurologiques et non spécifiques. Des sujets peuvent présenter uniquement des symptômes d’ischémie, d’insuffisance artérielle, d’autres, que des paresthésies ou de la douleur, alors que certains pourront présenter une combinaison ou une constellation de symptômes. Les sujets peuvent également être asymptomatiques malgré la présence d’une lésion qui sera démontrée ultérieurement lors de l’artériographie.

Dans la plus grande série de cas analysée (67 cas décrits), la prévalence des différents symptômes rapportés sont les suivants : douleur (95,5 %), intolérance au froid (79 %), cyanose (70 %), engourdissement (54 %), picotement (50,7 %), ulcère (40,2 %). Les doigts les plus touchés sont les 4e et 5e doigts, soit les doigts irrigués par l’artère ulnaire. Cependant, compte tenu des variantes anatomiques de la vascularisation, d’autres doigts peuvent être affectés. Les symptômes neurologiques sont le plus souvent dus à une compression de la branche sensitive du nerf ulnaire, par l’artère cubitale thrombosée ou un anévrysme de l’artère cubitale. Le SMH peut se présenter de façon aiguë par des ulcères digitaux, de la cyanose et de la douleur au niveau des doigts ou à la région hypothénarienne.

Le SMH est souvent confondu avec d’autres maladies telles que des collagénoses, des maladies sanguines, des infections, etc. L’examen clinique est important. Une masse douloureuse et pulsatile peut témoigner d’un anévrysme de l’artère cubitale. Le test d’Allen est crucial pour diagnostiquer une occlusion de l’artère cubitale. L’investigation clinique se poursuit par un test de Doppler et une pléthysmographie. L’artériographie conventionnelle est le gold standard. De nouvelles technologies sont en développement.

Il n’existe pas à l’heure actuelle de consensus sur l’approche thérapeutique à privilégier. Les objectifs du traitement du SMH sont essentiellement de restaurer la circulation sanguine des doigts ischémiques et de prévenir de futurs épisodes emboliques ou thrombotiques, ainsi que d’éviter le recours à l’amputation. Le traitement optimal demeure inconnu. Aucune étude randomisée n’a été répertoriée pour évaluer l’efficacité d’une approche en particulier.

On compte deux approches thérapeutiques, l’une conservatrice et médicale, l’autre chirurgicale. Rarement, l’approche conservatrice est utilisée seule. Elle est combinée à la prescription de médicaments. Le début aigu des symptômes, le degré d’ischémie, la nature de la pathologie (thrombose par opposition à anévrysme), l’état des artères collatérales sont des facteurs importants dans le choix de l’approche thérapeutique recommandée. En présence d’une ischémie aiguë qui met en danger la survie d’un doigt, une intervention plus agressive, le plus souvent chirurgicale, est proposée, de même qu’à la suite de l’échec d’une approche conservatrice et médicale, ou encore en présence d’un anévrysme. En présence d’une ischémie aiguë ou de nécrose digitale, une reconnaissance rapide et un traitement précoce sont critiques pour prévenir ou réduire l’étendue des amputations. Les différentes mesures de l’approche conservatrice et médicale sont variées, rendant difficile la comparaison du pronostic entre les études répertoriées.

L’analyse des 355 dossiers de travailleurs indemnisés par la Commission des normes, de l’équité salariale, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) pour des doigts blancs, a révélé la présence de 31 cas de thromboses cubitales/radiales, soit un nombre supérieur à ce que la littérature rapporte chez les travailleurs manuels et chez les travailleurs exposés aux vibrations main-bras, et 14 cas supplémentaires susceptibles d’être des cas de SMH non diagnostiqués. L’analyse de ces 31 dossiers et une comparaison avec les cas rapportés dans la littérature montrent que les mineurs, les travailleurs de la construction et les mécaniciens sont vulnérables au SMH et que les outils percutants sont les plus incriminés.

L’étude présentée dans les sections qui suivent, a permis de dégager des recommandations quant à l’importance d’informer les cliniciens et les milieux de travail sur l’existence du SMH. Des définitions nosologiques de la maladie sont proposées qui pourraient faire l’objet de discussion avec des comités d’experts. D’autres travaux de recherche et de développement doivent être réalisés pour faciliter le diagnostic précoce de la maladie, le développement d’outils pédagogiques pour les milieux de travail et les cliniciens, ainsi que pour mesurer l’efficacité des mesures de prévention au regard des méthodes, outils de travail et des équipements de protection. 

Note(s)

La synthèse de cette étude est disponible à l'adresse : www.inspq.qc.ca/publications/2209

ISBN (électronique)
978-2-550-77426-6
Notice Santécom
Date de publication