Avis de santé publique sur la prévention des traumatismes à la ferme au Québec
Le but de cet avis est de produire un état des connaissances sur les traumatismes non intentionnels survenant à la ferme et de formuler des recommandations quant aux moyens à déployer pour améliorer la sécurité des producteurs agricoles et de leurs familles de même que celle des travailleurs. En effet, la ferme constitue à la fois un milieu de travail et un milieu de vie pour les adultes et enfants qui y passent une bonne partie de leur temps. C'est d'ailleurs pour cette raison que l'avis porte sur les groupes cibles suivants : les enfants, les jeunes travailleurs, les travailleurs en général, les travailleurs âgés ainsi que les travailleurs migrants.
L'agriculture, secteur industriel en mutation, demeure la plus importante activité du secteur primaire au Québec. L'industrie bio-alimentaire fournit de l'emploi à quelques 467 000 travailleurs et travailleuses. De ce nombre, 57 627 (environ 12,3 %) sont à l'emploi de l'une ou l'autre des 29 327 entreprises agricoles réparties dans une vingtaine de sous-secteurs. En 2005, les recettes agricoles brutes totales pour le Québec s'élevaient à 7,4 milliards de dollars.
Parmi les problèmes que vit le secteur agricole au Québec, mentionnons la diminution du nombre de fermes, l'accès à la propriété pour la relève. Par exemple, la relative précarité en termes de sécurité financière des producteurs agricoles dans un contexte de transfert de leur entreprise a pour double effet de freiner l'accès des jeunes à la propriété et de garder en place plus longtemps les producteurs.
Par ailleurs, alors que les besoins de main-d'oeuvre ont été traditionnellement comblés par les membres de la famille, la nouvelle dynamique (notamment la taille grandissante des fermes) nécessite que l'on se tourne vers le recrutement de main-d'oeuvre externe. Or, le recrutement de la main-d'oeuvre dans une situation de vieillissement de la population s'avère difficile et on prévoit que la jeune génération aura peine à suffire à la demande dans un contexte hautement compétitif. De plus, dans la mesure où les conditions de travail ne correspondent pas aux aspirations des jeunes et que le travail agricole souffre de dévalorisation, les producteurs de certains secteurs doivent se tourner vers l'étranger pour combler certains besoins.
Dans ce contexte, la sécurité à la ferme (comme milieu de travail et comme milieu de vie) apparaît comme une préoccupation de premier plan parmi les enjeux à considérer dans une politique agroalimentaire puisqu'il s'agit d'une caractéristique susceptible d'améliorer tant les conditions de vie que les conditions de travail qui prévalent dans ce secteur. En effet, ni la Loi sur la santé et la sécurité du travail, ni la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles ne traitent de façon spécifique du secteur agricole. Au Québec, la prévention en milieu agricole est principalement le produit d'une collaboration entre la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) et l'Union des producteurs agricoles (UPA) à laquelle participe également le Réseau de santé publique en santé au travail. À noter également que, malgré la multiplicité des sous-secteurs agricoles impliqués, aucun organisme gouvernemental n'assume un leadership sur l'ensemble des enjeux et solutions au regard de la sécurité à la ferme. Il n'y a pas non plus d'instance permettant de délibérer sur ces derniers.
De plus, la CSST estime qu'un maximum de 41,5 % des établissements du secteur agricole sont inscrits à la CSST comme employeurs ou comme travailleurs autonomes. C'est donc dire que près de 60 % des entreprises agricoles sont soit assurées auprès d'assureurs privés (maladie, médicaments, invalidité), soit sans assurances, et ne profitent que très peu des initiatives de prévention mises de l'avant par cet organisme. Pour leur part, les équipes de santé au travail du réseau de santé publique, en raison de l'entente contractuelle avec la CSST, qui vient délimiter leur mandat par rapport notamment aux problématiques et clientèles à couvrir, n'interviennent que très marginalement sur le dossier des traumatismes à la ferme.
Concernant l'ampleur des traumatismes, le secteur de l'agriculture est l'un des secteurs économiques les plus à risque. Au Canada, des chercheurs du Programme Canadien de Surveillance des blessures dans le secteur agricole jugent que le taux de mortalité par traumatisme lié au milieu agricole arrive au quatrième rang des industries, derrière les secteurs de la production minière, de la foresterie et de la construction. Au Québec, au cours de la période examinée (de 1994 à 2007 pour les décès et de 1994 à 2008 pour les hospitalisations), 201 décès et 2 519 hospitalisations attribuables à un traumatisme lié au milieu agricole ont été répertoriés. Rapportés sur la population agricole, ces nombres correspondent à un taux de 14 décès et 168 hospitalisations par 100 000 personnes. À titre comparatif, le taux général de mortalité par traumatismes non intentionnels se situait, pour la période 2004 à 2007, à 28 décès par 100 000 personnes pour l'ensemble de la population québécoise. Il faut souligner que le taux de mortalité par traumatisme lié au milieu agricole présenté dans le présent travail réfère uniquement aux traumatismes ayant lieu au cours d'activités reliées à l'exploitation d'une ferme. Ainsi, comme la population vivant en milieu agricole est aussi exposée à la plupart des risques de traumatismes auxquels est exposée la population générale, il est probable que les taux de décès et d'hospitalisations rapportés ci-dessus s'ajoutent du moins en partie à ceux observés pour l'ensemble de la population. Chez les travailleurs agricoles, le taux d'incidence des lésions professionnelles d'origine traumatique s'élevait en 2006 à 10 lésions reconnues par la CSST pour 1 000 travailleurs de ce secteur. En outre, la CSST a déboursé 4 786 693 $ en moyenne chaque année pour des lésions professionnelles d'origine traumatique attribuables à un traumatisme chez les travailleurs du secteur de l'agriculture entre 2003 et 2007. Enfin, chez les travailleurs migrants, le taux d'incidence des lésions professionnelles d'origine traumatique reconnues par la CSST atteint 16 lésions par 1 000 travailleurs agricoles.
Les taux de décès et d'hospitalisations pour traumatismes liés au milieu agricole augmentent considérablement à partir de 50 ans au Québec, mais apparaissent également élevés chez les enfants âgés de 1 à 4 ans. D'ailleurs, le Québec présente un taux d'hospitalisation supérieur à celui observé dans l'ensemble des autres provinces canadiennes chez les enfants âgés de 1 à 4 ans et les adultes âgés de 50 ans ou plus. Au chapitre des lésions professionnelles d'origine traumatique, le taux d'incidence attribuable au secteur agricole est particulièrement élevé chez les travailleurs âgés de 15 à 24 ans et diminue avec l'avancement en âge. Ainsi, ce taux est significativement plus élevé chez les travailleurs âgés de 15 à 24 ans (15,7 par 1 000 travailleurs) et significativement plus bas chez les travailleurs âgés de 50 à 59 ans et de 60 ans et plus (respectivement 7,0 et 2,8 par 1 000 travailleurs).
La machinerie agricole est régulièrement en cause parmi les décès et les hospitalisations, notamment au chapitre des décès chez les enfants (72 %) et les personnes âgées de 65 ans et plus (69 %). La moitié des décès associés à la machinerie implique un tracteur, dont une part considérable serait attribuable à un renversement (54 %) (Paré & Tran, 2009).
Parmi les traumatismes n'impliquant pas de machinerie, les chutes représentent une part importante des décès (17 %) et des hospitalisations (44 %). Pour les lésions professionnelles d'origine traumatique reconnues par la CSST, 20 % seraient attribuables à une chute. Les traumatismes impliquant un animal sont aussi relativement importants avec 4 % des décès et 9 % des hospitalisations. Parmi l'ensemble des lésions professionnelles d'origine traumatique reconnues par la CSST, cette proportion atteint 3 %, dont plus du tiers provient du sous-secteur des services (vétérinaires, relatifs à l'élevage, à la reproduction des animaux, au moissonnage, à la réparation et autres services). Le travail dans les espaces clos constitue également un facteur de risque de traumatismes dus aux intoxications, aux suffocations, aux noyades ainsi qu'aux ensevelissements. Au moins dix décès survenus à l'intérieur d'endroits clos ont été identifiés au cours de la période étudiée. Enfin, la voie publique est le lieu où se produit le plus grand nombre de traumatismes mortels reliés au milieu agricole au Québec (Paré & Tran, 2009). Fait à noter, contrairement au nombre total de décès liés au milieu agricole, le nombre de collisions mortelles sur la voie publique avec une machine agricole ne diminue pas (Paré & Tran, 2009).
Par ailleurs, de nombreux facteurs de risque ont été identifiés dans les études analysées. Certains sont associés à des problèmes spécifiques. Pour les tracteurs, il s'agit de l'absence de structures de protection ainsi que le non-port de la ceinture de sécurité. Concernant le reste de la machinerie agricole, il faut surtout noter la non-utilisation des équipements de protection sur la machinerie ainsi que l'usure des machines. En ce qui a trait aux chutes, ce sont surtout l'âge, le diagnostic d'arthrite/rhumatisme, les troubles d'audition, la prise fréquente de médicaments, la présence d'eau ou de débris sur les planchers, etc. Concernant le travail dans les espaces clos, le risque de blessure est lié à la présence de gaz toxiques, principalement l'oxyde d'azote (NO) et le sulfure d'hydrogène (H2S). D'autres facteurs de risque sont spécifiques à certains groupes cibles. Chez les enfants, les limites au niveau du développement cognitif et physique, la difficulté d'avoir une supervision suffisante de la part des parents ou d'autres adultes principalement en période de haute production, la présence de nombreux dangers dans l'environnement de la ferme sont les principaux facteurs de risque de traumatismes. Chez les agriculteurs âgés, les limitations physiques, sensorielles et cognitives qui augmentent avec l'âge; les problèmes de santé, la prise fréquente de médicaments dont la plupart ont des effets secondaires, sont des facteurs qui expliquent le risque accru de traumatismes dans ce groupe particulier.
Au chapitre des mesures visant à réduire l'incidence des traumatismes à la ferme, plusieurs ont été identifiées. Certaines mesures ont été reconnues efficaces sur la réduction des traumatismes mortels ou graves liés à des mécanismes spécifiques. Ces mesures sont l'installation de structures de protection sur les tracteurs, l'installation et l'usage de la ceinture de sécurité dans les tracteurs, l'utilisation de dispositifs de sécurité sur la machinerie. D'autres mesures n'ont pas fait l'objet d'évaluation formelle en milieu agricole, mais ont été proposées par des groupes d'experts. C'est le cas des mesures préconisées pour réduire le risque de chutes de hauteur, les dangers d'intoxication dans les espaces clos ainsi que ceux associés à la présence des animaux. Concernant les groupes cibles, on retrouve des mesures ayant été proposées afin de rendre l'environnement de la ferme plus sécuritaire pour les enfants. Ces mesures sont basées sur des opinions d'experts ou sont inspirées d'expériences positives issues d'autres domaines de la prévention des traumatismes. C'est le cas par exemple de la mesure qui vise à séparer les aires de jeu des enfants des lieux prévus pour les activités de production agricole. Par ailleurs, il existe d'autres mesures qui s'adressent à l'ensemble des problèmes et des groupes cibles. Ces dernières ont montré une efficacité sur l'atteinte d'objectifs intermédiaires comme l'acquisition de connaissances sur la sécurité, le changement d'attitudes ou l'adoption de comportements sécuritaires. Ce sont les interventions de nature éducative, en particulier celles qui utilisent des approches interactives, celles qui utilisent des supports visuels et celles qui sont réalisées sur terrain. Par ailleurs, certaines lois et règlements ainsi que leur mise en application ont été reconnues efficaces sur la réduction des traumatismes, en raison de leur effet sur l'utilisation accrue des équipements de protection technologiques.
C'est sur la base de ces interventions et en tenant compte des facteurs de risque ainsi que du contexte sociolégislatif entourant les activités agricoles, que des recommandations sont formulées sur les mesures à mettre en place pour prévenir les traumatismes à la ferme au Québec. Précédées d'une série de constats qui les justifient, ces recommandations sont regroupées en quatre catégories : celle relative à l'organisation de la prévention, celles qui s'adressent à des problèmes spécifiques, celles qui s'adressent à des groupes cibles particuliers, et enfin celles qui visent à favoriser une meilleure intégration de la prévention des traumatismes en milieu agricole. Concernant l'organisation de la prévention, la recommandation porte sur le développement d'un programme de prévention des traumatismes pour le milieu agricole au Québec. Les recommandations portant sur les problèmes spécifiques visent à réduire les traumatismes liés aux tracteurs et aux pièces en mouvement, les traumatismes routiers sur la voie publique reliés aux activités agricoles, les traumatismes liés aux chutes, aux animaux ainsi qu'au travail dans les espaces clos. Les recommandations portant sur les groupes cibles particuliers visent quant à elles à réduire les traumatismes à la ferme chez les enfants, les travailleurs âgés ainsi que les travailleurs migrants. Enfin, les dernières recommandations visent une meilleure intégration de la sécurité dans les activités éducatives destinées aux enfants et aux travailleurs du milieu agricole.
La synthèse est également disponible : Avis de santé publique sur la prévention des traumatismes à la ferme au Québec : synthèse.