Veille scientifique en santé des Autochtones, avril 2024

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Petite enfance et développement de l’enfant

Temps d’écran et difficultés socioémotionnelles et comportementales chez les enfants autochtones du Canada

Owais, S., Ospina, M. B., Ford, C., Hill, T., Savoy, C. D. et Van Lieshout, R. (2023). Screen time and socioemotional and behavioural difficulties among Indigenous children in Canada. The Canadian Journal of Psychiatry.

Contexte

Les possibles répercussions de l’usage des écrans sur le développement des enfants sont au cœur des préoccupations de nombreuses organisations. À cet égard, l’Organisation mondiale de la Santé recommande de limiter le temps d’écran à une heure par jour pour les enfants âgés de 2 à 5 ans. Soulignons que la population autochtone de moins de 14 ans croît rapidement, représentant près du tiers la population autochtone totale. En raison des inégalités sociales et de santé observées chez les jeunes autochtones, la compréhension des possibles conséquences développementales de l’usage des écrans est à clarifier.

Objectif 

Décrire le temps d’usage des écrans et examiner les associations avec les difficultés comportementales et socioémotionnelles chez les Autochtones de moins de 6 ans au Canada.

Méthodologie 

Les données proviennent de l’Enquête sur les enfants autochtones (Aboriginal Children’s Survey) vivant hors communauté, réalisée entre octobre 2006 et mars 2007 au Canada. Les difficultés comportementales et socioémotionnelles des enfants sont analysées à partir du Questionnaire Forces et Difficultés (Strengths and Difficulties Questionnaire) rempli par un parent ou un tuteur. Ces difficultés sont mesurées sous cinq catégories : les difficultés émotionnelles, les problèmes de comportement, l’hyperactivité ou l’inattention, les problèmes relationnels entre pairs et les comportements prosociaux, soit les actes dirigés vers l’autre visant à aider, consoler, partager ou encore protéger. De plus, le parent ou le tuteur devait estimer le temps d’écran quotidien de l’enfant. Les résultats ont ensuite été ajustés selon l’âge et le genre de l’enfant ainsi que le niveau de scolarité du parent ou du tuteur.

Qu’est-ce qu’on y apprend?  

Un total de 6505 enfants âgés en moyenne de 3,57 ans font partie de l’étude. On retrouve 3085 enfants des Premières Nations (53,5 %), 2430 Métis (39,2 %) et 990 Inuit (7,3 %). Près de quatre enfants sur cinq dépassent les recommandations de temps d’écran de moins d’une heure par jour. En moyenne, le temps d’écran quotidien est de 2 heures 58 minutes pour les Premières Nations, de 2 heures 50 minutes pour les Métis et de 3 heures 25 minutes pour les Inuit.

En comparant avec les données d’une autre enquête représentative à l’échelle nationale, ces moyennes sont plus élevées que chez les enfants non autochtones. Plusieurs hypothèses sont émises pour expliquer cet écart : les répercussions de la colonisation sur la vie familiale, le manque de modèles positifs de parentalité, les inégalités socioéconomiques et un style parental moins interventionniste où l’autonomie de l’enfant est privilégiée.

Les résultats montrent une association significative entre une augmentation du temps d’écran et une augmentation des difficultés socioémotionnelles ainsi qu’une diminution des comportements prosociaux chez les jeunes enfants des Premières Nations et Métis, mais pas chez les Inuit. L’association reste significative lorsqu’elle est ajustée aux facteurs confondants. De plus, le sexe de l’enfant ne modère pas l’association dans les trois groupes.

Limites 

Les auteurs rapportent que les bienfaits potentiels du temps passé devant les écrans, par exemple son usage à des fins éducatives, n’ont pas été évalués. De plus, l’absence de données sur l’usage d’appareils mobiles comme les tablettes et les téléphones intelligents, qui ont connu une croissance dans les 15 dernières années, ne permet pas d’évaluer leurs effets sur le développement des enfants autochtones vivant hors communauté. L’édition 2022 de l’Enquête auprès des peuples autochtones, dont les résultats seront diffusés en 2024, permettra d’affiner les connaissances. Enfin, les auteurs rappellent que la nature transversale des données empêche de parler de causalité.


Facteurs de succès et obstacles des programmes autochtones de santé mère-enfant et le rôle des intervenants de première ligne : une étude de portée

Thompson, C., Million, T., Tchir, D., Bowen, A. et Szafron, M. (2024). Factors of success, barriers, and the role of frontline workers in Indigenous maternal-child health programs : A scoping review. International Journal for Equity in Health, 23(1), 28.

Contexte

Au Canada, des inégalités sociales de santé sont observées chez les mères autochtones et leurs enfants. La prévalence du diabète de grossesse, de l’anxiété et de la dépression est plus élevée chez les mères autochtones que non autochtones et davantage de bébés naissent avant terme. Plusieurs programmes de santé mère-enfant visent à améliorer cette situation, mais leurs effets restent limités. Il apparait toutefois que le succès d’un programme serait tributaire de l’implication de la communauté pour qui il est implanté. À cet égard, la contribution des intervenants au cycle de vie des programmes (conception, mise en œuvre et évaluation) reste à explorer.

Objectifs

Identifier les facteurs de succès et les obstacles des programmes autochtones de santé des mères et de leurs enfants de 0 à 6 ans. Explorer l’implication des intervenants au cycle de vie de ces programmes.

Méthodologie

Une étude de portée suivant le cadre de Arksey et O’Malley a été réalisée par une équipe multidisciplinaire (santé publique, soins infirmiers, études autochtones). Cette méthodologie utilisant une recherche documentaire large permet de regrouper différents types de données. L’évaluation de la qualité a été omise, en cohérence avec le cadre choisi, et pour favoriser l’émergence d’une variété de résultats non restreints à des normes occidentales de qualité scientifique. La littérature grise ainsi que les articles révisés par les pairs de 1990 à 2019 ont été scrutés. Les publications retenues ont fait l’objet d’une analyse thématique.

Pour cette étude de portée, un programme autochtone de santé mère-enfant est une action ou une approche à un ou plusieurs niveaux (individu, famille, ensemble de la communauté, etc.) avec la visée d’améliorer la santé et le mieux-être des mères et des enfants. Les intervenants de première ligne sont des personnes impliquées dans le programme au quotidien, par exemple des infirmières, des sages-femmes, des travailleurs communautaires ou sociaux.

Qu’est-ce qu’on y apprend? 

Le corpus regroupe 45 publications. Pour seulement 17 de celles-ci, la posture des auteurs a été retrouvée. En d’autres mots, qui sont les auteurs et comment leur position sociale pourrait influencer leur recherche.

Concernant les facteurs de succès des programmes recensés, sept thèmes ressortent : la création de relations, la culture, les styles de transfert des connaissances, la collaboration avec la communauté, les stratégies du programme, les ressources humaines et les considérations opérationnelles (p. ex. le financement à long terme ou des espaces accueillants pour les participants).

Concernant les obstacles, six thèmes ressortent : les répercussions de la colonisation, le pouvoir et la gouvernance, l’accès restreint au programme pour les participants et la communauté, les défis géographiques (p. ex. l’éloignement et le transport vers les programmes), les ressources humaines et les difficultés opérationnelles (p. ex. les lacunes technologiques ou la paperasse bureaucratique).

Le rôle des intervenants dans le cycle de vie des programmes, à l’exception de la mise en œuvre de celui-ci, n’était pas explicité dans 29 publications. Dans moins de la moitié des programmes, les intervenants avaient été impliqués exclusivement dans la conception. Seulement six publications font état de leur implication dans l’évaluation.

Pourtant, les auteurs rappellent que les intervenants connaissent la communauté locale et entretiennent des relations avec elle. Ils offrent une perspective privilégiée pour cerner les besoins des communautés et établir les priorités d’action du programme. Ainsi, les auteurs suggèrent que leur plus grande implication pourrait améliorer la pertinence et l’efficacité des programmes.

Limites

Les auteurs soulignent que l’extraction des données est limitée par l’information présente dans les publications retenues. Ensuite, déterminer la posture de l’auteur a requis des recherches supplémentaires dans les biographies publiées, il est possible que des informations potentiellement pertinentes n’aient pas été trouvées. L’étude de portée était limitée à quatre pays (Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, États-Unis). Les résultats sont alors difficilement applicables ailleurs. De plus, la généralisation des résultats à même les pays étudiés est limitée en raison de l’hétérogénéité des peuples et des communautés.

Sécurisation culturelle

Un essai contrôlé randomisé met en évidence de nouveaux outils pour évaluer les effets des formations en sécurité culturelle sur les patients autochtones

Smylie, J., Rotondi, M. A., Filipenko, S., Cox, W. T. L., Smylie, D., Ward, C., Klopfer, K., Lofters, A. K., O’Neill, B., Graham, M., Weber, L., Damji, A. N., Devine, P. G., Collins, J. et Hardy, B.-J. (2024). Randomized controlled trial demonstrates novel tools to assess patient outcomes of Indigenous cultural safety training. BMC Medicine, 22(1), 3.

Contexte 

Le racisme anti-autochtone dans les soins de santé influence négativement la santé et le mieux-être des peuples autochtones qui s’y retrouvent laissés pour compte. Des programmes de formation pour les prestataires de soins visant à améliorer la sécurité culturelle des Autochtones sont mis en place. Ces programmes sont cependant majoritairement évalués selon les effets rapportés par les participants aux formations. Toutefois, l’auto-évaluation positive par les prestataires de soins n’est pas nécessairement liée à de meilleurs résultats de santé pour les patients autochtones. L’utilisation d’un outil d’évaluation des formations en sécurisation culturelle à l’aide de visites de patients mystères, des acteurs jouant le rôle de patients, dans le contexte d’un essai contrôlé randomisé est une piste de recherche à explorer.

Objectif

Comparer les effets cliniques sur les prestataires de soins de deux interventions, soit une intervention brève anti-préjugés adaptée aux réalités autochtones et le programme intensif San'yas Indigenous Cultural Safety. Un second objectif visait à établir la faisabilité d’utiliser l’outil « patients autochtones standardisés non annoncés » (traduction libre de unannounced Indigenous standardized patients) pour évaluer des formations en sécurisation culturelle.

Méthodologie 

Un essai contrôlé randomisé multisites a été réalisé avec 58 prestataires de soins de santé non autochtones de la région de Toronto (médecins universitaires, infirmières praticiennes et résidents affiliés à des hôpitaux). Trois groupes de taille similaire et évoluant en parallèle ont reçu aléatoirement l’intervention brève (une heure sur les lieux de travail avec la présence des chercheurs), le programme intensif (huit à dix heures, interactif et en ligne, facilité par des gens formés), ou une formation médicale continue d’une durée similaire à la formation intensive (groupe témoin).

Pour le second objectif, des acteurs professionnels ont été formés pour jouer un scénario, à l’insu des prestataires de soins dans lequel un patient autochtone se présente à une clinique ou une salle d’urgence pendant la garde d’un prestataire participant à l’étude. Seuls les coordonnateurs de chacun des sites étaient informés de la recherche.

Ce qui a été mesuré :

  • La qualité des soins prodigués lors des visites de patients standardisés, y compris les chances que le patient recommande le prestataire de soins de santé à un ami ou à un membre de sa famille;
  • L’évaluation de l’expérience des patients en matière de soins;
  • Le respect des normes de pratique clinique pour le renouvellement des médicaments anti-inflammatoires non stéroïdiens et l’évaluation de la douleur.

Des analyses de régression multiple ont été utilisées pour contrôler les effets de l’âge, du sexe et du degré d’expérience auprès de patients autochtones des participants.

Qu’est-ce qu’on y apprend? 

  • La participation à l’intervention brève anti-préjugés ou le programme intensif augmente les probabilités que les patients standardisés recommandent fortement les prestataires de soins à un ami ou à un membre de leur famille. Elle améliore aussi l’évaluation par les patients de la qualité relationnelle avec les prestataires de soins en comparaison au groupe témoin.
  • L’étude démontre la faisabilité d’utiliser des patients standardisés comme outils d’évaluation des formations clinique en sécurisation culturelle. En effet, aucune des visites des patients standardisés n’a été détectée par les prestataires participants. Selon les auteurs, il s’agit d’une innovation pour le domaine en plein essor de la formation en sécurité culturelle, mais aussi celui plus vaste de la lutte aux préjugés et à l’oppression.
  • La petite taille de l’échantillon n’a pas permis de détecter l’influence des formations sur l’adhésion aux normes de pratique clinique.
  • L’âge, le sexe et l’expérience autochtone antérieure des prestataires de soins n’avaient pas d’effets sur l’expérience du patient standardisé.

Limites 

La taille de l’échantillon a été revue à la baisse en raison du recrutement difficile des participants, dans un contexte de surcharge de travail exacerbé par la pandémie de SRAS-CoV-2. De plus, le recrutement volontaire a pu amener un biais de sélection vers des participants plus sensibilisés au racisme anti-autochtone. Enfin, la présence sur les mêmes sites de participants aux groupes d’interventions et au groupe témoin a pu créer un biais de contamination.

Promotion du mieux-être et de la santé mentale

Affects négatifs et consommation d’alcool chez les adolescents autochtones : désagrégation des effets intra et inter personnes 

Reynolds, A., Paige, K. J., Colder, C. R., Mushquash, C. J., Wendt, D. C., Burack, J. A. et O’Connor, R. M. (2024). Negative affect and drinking among Indigenous youth: Disaggregating within- and between-person effects. Research on Child and Adolescent Psychopathology.

Contexte  

En dépit des défis et des traumatismes liés aux politiques coloniales, les populations autochtones ont démontré une forte résilience et une capacité à prospérer. Les inégalités sociales de santé mentale font partie de ces défis, notamment la dépression et l’anxiété, regroupés sous l’appellation affects négatifs, mais aussi la consommation d’alcool. Selon une étude américaine, plus de trois adolescents autochtones sur cinq avaient déjà vécu des symptômes dépressifs. De plus, ceux ayant des niveaux de dépression élevés avaient une probabilité augmentée de troubles de consommation d’alcool.

Objectif  

Examiner les associations entre les affects négatifs et la consommation d’alcool chez les adolescents autochtones scolarisés d’une communauté du Nord du Québec.

 Méthodologie  

Dans cette étude longitudinale, deux questionnaires d’auto-évaluation ont été soumis à 110 participants. Avec l’autorisation du parent ou du tuteur, plusieurs cohortes d’étudiants de 12 à 16 ans ont été recrutées entre 2011 et 2018. Ils s’identifiaient en majorité comme étant des Premières Nations, et quelques-uns sont Métis ou Inuit.

Trois hypothèses ont été formulées au sujet des associations entre les affects négatifs et la consommation d’alcool :

  • En moyenne, un haut niveau d’affects négatifs est associé à un haut niveau de consommation d’alcool.
  • Au niveau individuel, un haut niveau d’affects négatifs prédit un haut niveau de consommation d’alcool dans le temps.
  • Au niveau individuel, un haut niveau de consommation d’alcool prédit un haut niveau d’affects négatifs dans le temps.

Pour répondre à ces hypothèses, un modèle d’analyse prospectif a été utilisé, incluant le genre. Il servait à examiner les relations dans le temps entre les deux concepts, soit les affects négatifs et la consommation d’alcool. Ce modèle désagrège les effets intra et inter personnes. Les effets intra personnes réfèrent aux changements temporels individuels dans les concepts mesurés. Les effets inter personnes réfèrent aux différences dans les concepts mesurés entre les participants.

Qu’est-ce qu’on y apprend?   

Les filles (66 %) ont rapporté des niveaux d’affects négatifs et de consommation d’alcool plus élevés que les garçons (44 %). Concernant les trois hypothèses :

  • Contrairement à la première hypothèse, le niveau initial de dépression ou d’anxiété des adolescents n’est pas significativement associé à des changements dans leur consommation d’alcool dans le temps.
  • Contrairement à la seconde hypothèse, la dépression et l’anxiété ne prédisent pas forcément la consommation d’alcool au niveau individuel chez les adolescents autochtones. La consommation d’alcool durant l’adolescence est plus facilement influencée par le contexte social.
  • En accord avec la dernière hypothèse, les résultats montrent que lorsqu’un adolescent indique consommer plus d’alcool que d’habitude dans une évaluation, son niveau de dépression et d’anxiété est plus élevé qu’estimé à la prochaine évaluation. Ce résultat suggère que pour les participants de cette étude, la consommation d’alcool précède les affects négatifs.

Limites 

Les auteurs soulignent que seulement une communauté du nord du Québec a été incluse à cette étude. Toutefois, le choix de se concentrer sur un groupe homogène apporte une fiabilité aux résultats. Aussi, cette étude pourrait devenir une étape préliminaire à plusieurs collectes de données dans différentes communautés sur les similarités et les différences dans la consommation d’alcool et les affects négatifs. Le questionnaire d’auto-évaluation n’a pas été culturellement adapté ni à la vision du monde ni à l’expression de la dépression et de l’anxiété de la communauté limitant la validité des résultats. Enfin, la taille de l’échantillon reste limitée en plus d’être uniquement composé d’adolescents scolarisés 


Si vous vivez de la détresse, vous pouvez appeler la Ligne d’écoute d’espoir pour le mieux-être (1‑855‑242‑3310) ou clavarder en ligne. Ce service est disponible en tout temps pour tous les Autochtones du Canada.

D’autres ressources existent, consulter la liste des centres d’écoute par région.

L’inclusion des articles présentés dans ce bulletin de veille ne signifie pas leur endossement par l’Institut. Le jugement professionnel demeure essentiel pour évaluer la valeur de ces articles pour votre pratique. Vous pouvez également consulter la méthodologie de la veille scientifique en santé des Autochtones.