Virus du Nil occidental - Évaluation des attitudes, comportements et connaissances populaires

Le présent rapport documente des éléments d'information essentiels pour soutenir la conception des messages de santé auxquels seraient sensibles les populations à risque durant une campagne de communication sur le virus du Nil occidental (VNO). Il s'agit de relever les attitudes, les perceptions et les connaissances de la population québécoise en ce qui concerne l'infection par le VNO (transmission, vulnérabilité, gravité, traitement) ainsi que les pratiques de prévention (comportements adoptés et confiance accordée aux mesures de protection individuelle et d'aménagement de l'environnement).

La collecte des données a été faite au moyen de groupes de discussion. Dix-sept groupes ont été constitués avec des hommes et des femmes de 50 ans ou plus (groupe d'âge déterminé comme étant à risque au début de la recherche). Quatorze groupes se sont déroulés en français et trois, en anglais. À ceux-ci ont aussi été ajoutés quatre groupes contrôles, constitués de mères d'enfants d'âge préscolaire. En tout, 158 personnes ont participé aux réunions. Le choix des municipalités où ont été formés les groupes de discussion a été déterminé à partir des données qui étaient disponibles au début de l'enquête relative à la localisation des cas humains et aviaires ainsi que des «nbsp;poolsnbsp;» de moustiques infectés par le VNO durant l'été 2002. La recherche a donc été concentrée dans trois régions, soit la Montérégie, l'île de Montréal et Laval. Deux régions contrôles ont été ajoutées à l'enquête (Laurentides et Mauricie), afin de vérifier s'il y avait des différences dans le discours des gens de ces secteurs par rapport à ceux des régions cibles. La collecte des données a été faite de février à avril 2003.

Résultats

Au Québec, la majorité de la population semble avoir déjà entendu parler du VNO. Toutefois, la connaissance à propos de tous les éléments de l'infection demeure parcellaire. De fait, le degré de connaissances au sujet du VNO est relativement bas et, en majorité, les personnes rencontrées n'ont pas l'impression de s'être informées adéquatement ou d'avoir été bien informées. Selon toute évidence, le point de saturation sur le VNO n'est pas atteint et la population est encore sensible, sinon perméable, à l'information, et ce, malgré les activités de communication entreprises de 2000 à 2002.

Connaissances - Transmission

Les autorités de santé véhiculent une information sur le VNO qui est intégrée, sinon transformée par la population. Loin de faire partie d'un processus linéaire (émetteur/récepteur), l'information entre parfois en contradiction avec des croyances populaires bien ancrées. Ainsi, on observe une confusion dans le discours populaire entre les concepts de vecteur et de réservoir; tous les acteurs de la transmission du VNO (humains, moustiques, oiseaux) sont considérés à la fois comme vecteurs et comme réservoirs. Dans cette perspective, quatre sources majeures de transmission du VNO sont repérées par les personnes rencontrées: le virus est d'origine aéroportée pour, ensuite être déposé dans de l'eau stagnante; le virus trouve son origine dans d'autres pays et est transporté ici par des êtres humains infectés à l'étranger; le virus est porté par un moustique particulier, lequel parvient ici soit de ses propres ailes, soit par bateau, par avion, etc.; ou, enfin, le virus parvient jusqu'ici par des oiseaux migrateurs.

Connaissances – Problèmes de santé

Les problèmes de santé liés au VNO sont peu connus et le degré d'inquiétude réelle demeure bas. Plus de la moitié des personnes ayant participé aux groupes de discussion n'ont aucune idée de la gravité, des manifestations ou de l'évolution de l'infection par le VNO. Cela ne les empêche pas de s'en faire tout de même une opinion : que ce soit grave ou non, peu importe. De fait, la majorité conclut qu'elle ne se sent pas vraiment touchée par le sujet (soit parce que le problème ne lui semble pas grave, soit parce qu'elle le perçoit comme étant un problème d'ailleurs). Parmi ceux qui se sont fait une idée des symptômes d'infection par le VNO, ces perceptions reflètent ce que les gens connaissent des virus en général. Cependant, les avis se polarisent en deux camps: celui des inquiets pour qui le nom de l'infection est synonyme de maladie virulente et grave, et celui des vigilants pour qui le VNO est l'équivalent d'un syndrome grippal.

De façon générale, les gens perçoivent, comme étant vulnérables, les personnes dont le système immunitaire est affaibli, celles qui n'ont pas les anticorps nécessaires pour se défendre ou celles qui sont allergiques aux piqûres. De plus, les individus qui ne se sentent pas incommodés par les moustiques se perçoivent comme étant moins à risque que ceux qui sont incommodés. Parmi les personnes âgées de plus de 50 ans, la notion de vulnérabilité au VNO est relative et, selon elles, cette vulnérabilité n'est pas nécessairement liée à l'âge. Règle générale, les personnes rencontrées ne se sentent ni malades, ni affaiblies, ni immunosupprimées et, conséquemment, ne se sentent pas à risque. De fait, plusieurs aînés et la majorité des mères rencontrées s'inquiètent davantage pour leurs enfants que pour eux-mêmes. Cette inquiétude résulte, fort probablement, du fait que les adultes considèrent le système immunitaire des jeunes enfants comme n'étant pas toujours apte à les défendre contre des infections tel le VNO et qu'ils estiment que les enfants peuvent davantage être infectés qu'eux-mêmes parce qu'ils sont plus souvent exposés. Dans un même ordre d'idées, les personnes plus vulnérables seraient aussi celles qui habitent des lieux où le vecteur de l'infection est vu comme étant plus présent, peu importe que ce soit un endroit où la pression de piqûre est plus élevée ou un endroit où le nombre d'oiseaux est plus grand.

Comportements – Protection personnelle

La population ne connaît pas davantage les avis de santé spécifiques qu'elle ne connaît le mode de transmission du VNO ou l'histoire naturelle de l'infection. Essentiellement, ce qui a été retenu comme message de santé, c'est de ne pas toucher aux oiseaux morts. Pour le moment donc, les gens adoptent des comportements préventifs en raison de la nuisance, sans nécessairement savoir que ceux-ci peuvent être efficaces pour se protéger du VNO également.

Dans la vie quotidienne, la variété des comportements les plus populaires est assez limitée. Dans les foyers québécois, les moustiquaires sont omniprésents. Parmi les personnes qui se sentent incommodées par les moustiques, il semble que la principale stratégie soit l'évitement. Vient ensuite l'usage d'insectifuges domestiques; les préférences en ce qui concerne ces produits varient grandement. Les gens choisissent leurs insectifuges en se basant sur divers critères liés à la consommation, dont le prix, la réputation, l'attrait, etc. Le type d'ingrédients actifs est parfois un critère déterminant dans le choix des produits achetés par les consommateurs. Par exemple, certains refusent d'utiliser les produits à base de DEET. L'étiquetage de ces insectifuges pose d'ailleurs de véritables défis; en effet, selon les personnes interviewées, la concentration de DEET est très souvent mal indiquée et peu visible. On note aussi des différences de comportement selon qu'on est en ville ou dans la nature. En particulier, lorsque la pression de piqûre augmente, on privilégie davantage l'utilisation des produits plus forts que ceux auxquels on a habituellement recours en ville, plutôt que d'augmenter la fréquence de l'utilisation.

Les discussions font ressortir que l'observance en ce qui concerne les conseils de prévention varie beaucoup. Soit qu'on accepte d'emblée ces conseils parce qu'on a déjà recours à certaines pratiques, soit qu'on résiste aux avis de santé sous prétexte qu'on ne les trouve pas nécessairement justifiés. Cependant, les personnes les plus sensibles à une éventuelle amplification du risque sont celles qui se protègent déjà en raison de la nuisance. Quant aux personnes qui ne sont pas incommodées par la nuisance, il semblerait qu'elles ne se protégeront pas davantage tant qu'elles ne seront pas conscientisées au fait que «nbsp;ne pas être dérangé par les moustiquesnbsp;» ne signifie pas «nbsp;ne pas être à risquenbsp;».

Problèmes sémantiques

Lors des entrevues de groupe avec les francophones, deux problèmes sémantiques ont été mis au jour. Le premier est celui de l'utilisation du terme «nbsp;moustiquenbsp;». Pour plus des deux tiers des participants, ce terme signifie un ensemble d'insectes, notamment tous les insectes piqueurs mais, en particulier, les plus petits. L'un des effets directs de cette confusion terminologique consiste en ce que plusieurs personnes ne savent pas de quel vecteur elles doivent se protéger. Divers effets indirects en découlent; entre autres, une perception accrue du risque d'infection parmi ceux qui croient qu'il y a plusieurs vecteurs et un recours, pouvant être abusif, à des moyens de protection dans des endroits ou à des périodes de l'année où le vecteur principal du VNO n'est pas actif.

Une seconde confusion est observée relativement au terme «nbsp;insecticidenbsp;». Ainsi, dans le contexte des discussions au sujet de la protection personnelle, la majorité des participants francophones utilise spontanément le terme «nbsp;insecticidenbsp;» pour désigner les insectifuges. Ce terme semble être polysémique, donc il reflète une sensibilité au contexte dans lequel il est utilisé. Ainsi, lors des discussions autour de l'utilisation des pesticides, les gens utilisent le terme «nbsp;insecticidenbsp;» pour désigner les produits utilisés lors des épandages à l'extérieur; ils distinguent alors ceux-ci des insectifuges d'usage personnel. Cependant, quand on parle de la distinction entre insectifuge et insecticide, il est possible que le problème ne soit pas d'ordre sémantique seulement. En effet, les insectifuges sont aussi reconnus par les gens comme étant un poison pour les êtres humains. À cet égard, il est facile d'imaginer qu'ils puissent aussi l'être pour les moustiques. De plus, il semble parfois y avoir une certaine confusion entre la notion d'efficacité des insectifuges (durée active) et la notion d'efficacité des pesticides (létalité) dans le contrôle des insectes nuisibles.

Comportements – Contrôle vectoriel

Trois principaux éléments jouent en défaveur du contrôle des vecteurs par la population. Le premier, c'est une impression d'impuissance devant l'omniprésence des moustiques. Ainsi, plutôt que d'essayer de réprimer leur présence, la plupart des gens tentent de les éloigner de leur environnement immédiat, par exemple en utilisant des chandelles de citronnelle. Le deuxième facteur défavorisant, c'est l'ignorance fréquente relative aux gîtes de reproduction et une confusion entre les éléments du milieu qui attirent les moustiques et ceux où ils se reproduisent. Le troisième élément, c'est que les conseils sur l'élimination des gîtes de reproduction sont parfois mal accueillis, et ce, soit parce que certaines personnes se demandent pourquoi elles devraient faire attention à leur environnement immédiat si leur municipalité n'agit pas dans le même sens, soit parce qu'elles demeurent à proximité d'un lieu qui leur paraît beaucoup plus important comme site de reproduction (par exemple, un marais ou le bord d'une rivière ou d'un lac) et sur lequel elles n'ont aucun pouvoir.

La grande majorité des participants ignore les différences entre les divers types d'insecticides, et très peu de personnes connaissent la possibilité d'un contrôle biologique par des larvicides. En fait, il existe un discours d'opposition fort bien articulé autour des insecticides et des risques qu'ils représentent pour la santé des êtres humains et l'environnement. Ainsi, par rapport à la justification d'éventuelles interventions gouvernementales, la majorité des personnes rencontrées ne croit pas que le seuil d'alerte atteint est suffisamment élevé pour justifier le recours à d'éventuelles applications d'insecticides visant à prévenir le VNO, et ce, malgré le fait que certains soient en accord en raison des inconvénients causés par la nuisance.

Impacts des campagnes d'information

Pour la majorité des personnes rencontrées, il est évident que les campagnes d'information qui ont été faites avant 2003 n'ont eu que peu de conséquences sur leurs comportements ou leurs perceptions du degré de risque lié au VNO, si ce n'est une augmentation relative de la vigilance ou de l'inquiétude. Cependant, compte tenu des caractéristiques du problème, on peut établir comme postulat que le degré d'inquiétude n'a probablement pas besoin d'être très élevé pour que les gens adoptent ou renforcent certains comportements préventifs étant donné que les moustiques sont déjà considérés comme étant une nuisance. Ainsi, en ce qui concerne la protection personnelle, quelques répercussions de divers ordres ont été notées, le recours plus fréquent aux insectifuges, autant pour les adultes que pour les enfants en étant la principale. Quelques personnes ont aussi limité leurs déplacements, elles ont donc évité les endroits où le risque d'infection était perçu comme étant élevé et les endroits où la pression de piqûre est plus forte qu'ailleurs, comme dans les terrains de camping ou dans certains parcs provinciaux. Au regard des pratiques de prévention autour de la maison, des gens ont mentionné avoir commencé à utiliser des insecticides pour essayer de maîtriser le nombre de moustiques sur leur terrain. Quelques personnes mentionnent aussi avoir arrêté de nourrir les oiseaux autour de la maison. D'autres se demandent si elles ne doivent pas en faire autant.

Conclusions et recommandations

En gestion du risque, le seuil d'alerte précède habituellement le seuil d'intervention, comme dans le cas de la contamination environnementale. Dans le cas du VNO, la situation est souvent inversée, car une bonne partie de la population adopte déjà certains comportements de protection du fait de la nuisance. En conséquence, le seuil d'intervention pour la nuisance précède le seuil d'alerte pour la santé. Il existe aussi d'autres différences importantes en ce qui concerne la gestion du risque entre le problème des contaminants environnementaux et le problème du contrôle vectoriel. Parmi ces différences, nous retenons les suivantes :

  • dans le premier cas, les expressions populaires de chimiophobie s'attardent à ce que l'on détermine comme étant le problème (les contaminants environnementaux) tandis que, dans le second cas, elles s'attardent aux interventions possibles (l'application de pesticides);
  • dans le cas des contaminants chimiques, contrairement aux maladies vectorielles, l'agent responsable du risque est souvent invisible;
  • dans le cas du VNO, on a une certaine familiarité avec le vecteur (on a donc le sentiment de savoir comment s'en protéger), ce que l'on n'a pas avec les contaminants chimiques;
  • les problèmes de santé liés au VNO sont relativement rapides et les effets, visibles, tandis qu'ils sont souvent longs et insidieux dans le cas des contaminants environnementaux.

Compte tenu de ces différences, la gestion du problème du VNO présente un défi nouveau pour les personnes qui doivent intervenir en santé environnementale au Québec. À ce sujet, l'analyse soulève de nombreuses recommandations spécifiques en ce qui concerne la communication du risque. Elle les fait suivre de recommandations générales qui découlent de l'ensemble de l'analyse, dont le suivi d'indicateurs, tel le volume des ventes au détail des insecticides et des insectifuges.

Comme le réseau québécois de la santé publique n'a pas le monopole des avis de santé en ce qui concerne le VNO, des suggestions sont aussi présentées pour consolider ses campagnes de communication du risque et de prévention. Ces suggestions visent aussi à faciliter l'ouverture à l'expertise internationale en matière de contrôle vectoriel.

Auteur(-trice)s
Jacques Grondin
Unité de recherche en santé publique du Centre de recherche du CHUQ et Institut national de santé publique du Québec
ISBN (imprimé)
2-550-42017-9
Notice Santécom
Date de publication