Une politique bioalimentaire pour un Québec en santé : mémoire déposé dans le cadre de la consultation générale sur le Livre vert pour une politique bioalimentaire
Dans le présent mémoire, l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), à titre de centre d'expertise en matière de santé publique au Québec, attire l'attention des décideurs sur les enjeux de santé que soulève le Livre vert pour une politique bioalimentaire. Certes, une attention particulière doit être portée à la qualité nutritionnelle et à la sécurité des aliments, mais un développement durable du secteur bioalimentaire repose également sur des milieux de vie et de travail sains et sécuritaires. En s'appuyant sur les différents rapports qu'il a produits en la matière, l'INSPQ présente un document centré sur quatre thématiques distinctes, soit la saine alimentation et les problèmes reliés au poids, l'innocuité des aliments, l'occupation du territoire et la qualité de vie ainsi que la sécurité à la ferme. Il est en effet d'avis que le secteur bioalimentaire doit considérer ces enjeux de santé et mettre de l'avant différentes mesures pour surmonter les problématiques multiples et complexes qui y sont associées.
Les connaissances scientifiques relatives aux quatre thématiques abordées dans le mémoire amènent l'INSPQ à dégager certains constats et proposer des pistes d'actions autour de la qualité nutritionnelle et la sécurité des aliments, des milieux de vie et de travail sains et sécuritaires ainsi que de la bonne gouvernance du secteur bioalimentaire.
Du champ à l'assiette : des aliments sains et sécuritaires comme marque distinctive
Le Livre vert met de l'avant une vision qui fait du produit alimentaire la pierre angulaire de la politique de modernisation du secteur. L'INSPQ accueille favorablement l'idée de favoriser la production de produits alimentaires savoureux, distinctifs et de qualité. Ceci ne garantit toutefois pas leur caractère sain, ni l'accessibilité facilitée aux denrées agricoles, caractères qui contribueraient à cette marque distinctive en plus de répondre aux besoins actuels et futurs des Québécois en matière de santé.
Promouvoir un environnement agroalimentaire favorable aux saines habitudes de vie
Dans le Livre vert, la progression de l'obésité et du diabète n'est pas directement traitée comme un enjeu du secteur bioalimentaire et semble réservée au domaine de la santé publique. Pourtant, d'un point de vue scientifique, l'adaptation des politiques propres au secteur agroalimentaire à la réalité de l'épidémie d'obésité, du vieillissement de la population et des maladies chroniques constitue un enjeu déterminant pour contribuer à la santé de la population. Cette adaptation pourrait permettre des progrès en matière de santé en même temps que l'essor d'un secteur agroalimentaire québécois qui se démarque par rapport à la concurrence. Pour l'INSPQ, les politiques agroalimentaires ne sont pas exploitées à leur plein potentiel pour maximiser les effets positifs et minimiser les effets négatifs sur l'alimentation des Québécois. Tous les maillons de la filière bioalimentaire (dont les transformateurs, les distributeurs, les restaurateurs) ont un rôle à jouer dans la lutte contre l'obésité, car ils peuvent exercer une influence directe ou indirecte sur le prix, la disponibilité ou la qualité nutritionnelle des aliments.
Pour initier une politique de la transformation dont la marque distinctive coïnciderait notamment avec les objectifs de santé et de l'adoption de saines habitudes de vie, il conviendrait que cette politique renforce et mette en valeur des produits sains. Pour ce faire, la possibilité de compensations financières et fiscales pourrait être explorée afin de soutenir les entreprises désireuses de minimiser dans leur production l'utilisation d'intrants comme le sucre, le sel et le gras. Dans le même esprit, la création d'un programme d'investissement en capital de risque visant une hausse de consommation de produits alimentaires ciblés, en particulier les fruits et légumes, pourrait être envisagée. Parallèlement à ces mesures financières, et toujours pour encourager la consommation de fruits et légumes, la possibilité d'accroître la présence de marchés publics ou de mettre en valeur davantage les kiosques à la ferme devrait être considérée. Les circuits courts peuvent certes constituer d'excellents véhicules de promotion des produits de qualité et de niches ciblés, comme les produits du terroir, mais l'INSPQ est d'avis qu'ils devraient aussi être privilégiés pour accroître la disponibilité et l'accès aux fruits et légumes frais.
Assurer l'innocuité des aliments en limitant les résidus de pesticides dans les aliments et les risques de contamination alimentaire microbienne
Bien que la politique bioalimentaire puisse constituer un outil privilégié de production et de valorisation d'aliments de bonne qualité nutritionnelle, l'INSPQ tient à souligner le rôle clé que cette même politique peut et doit jouer dans le maintien et le renforcement de l'innocuité alimentaire. Comme indiqué dans le Livre vert, une maîtrise sans faille des risques alimentaires par l'ensemble de la filière bioalimentaire s'avère nécessaire pour maintenir la confiance des consommateurs et incidemment assurer le développement du secteur. Pour favoriser une offre d'aliments toujours plus sécuritaires, l'INSPQ croit qu'il est nécessaire de chercher à limiter les résidus de pesticides dans les aliments et à garantir leur innocuité microbiologique.
Les données disponibles nous montrent que des pesticides peuvent régulièrement être retrouvés dans les fruits et les légumes et dans les aliments transformés même si les concentrations mesurées respectent généralement les normes. Si les bilans de résidus de pesticides dans les aliments apparaissent être relativement bons et ne doivent pas constituer un frein à la consommation de fruits et légumes, il est actuellement impossible de conclure sur le niveau de risques sanitaires attribuables à la présence de pesticides dans les aliments consommés au Québec en raison particulièrement des limites statistiques de ces données. Cependant, il a été démontré que la population pouvait être exposée à ces produits, notamment les enfants québécois, et que des incertitudes persistent sur les risques à la santé. Dans ce contexte, des efforts doivent être maintenus pour mieux surveiller la présence de pesticides dans les aliments et pour en réduire les niveaux résiduels. La politique bioalimentaire pourrait certainement favoriser des actions au niveau de la surveillance de ces résidus et de certaines pratiques agricoles qui visent à améliorer les bilans de contamination. Parmi les pistes d'action à privilégier, la future politique pourrait par exemple bonifier le programme québécois de surveillance des résidus de pesticides dans les aliments et les programmes de formation/information des intervenants agricoles. La mise en place de mécanismes nécessaires à la divulgation des résultats de surveillance des résidus de pesticides dans les aliments pourrait en outre renforcer l'image de marque distinctive de façon à que les consommateurs aient un préjugé favorable à l'égard des produits du Québec. De plus, cette politique pourrait favoriser la promotion et l'adoption d'approches culturales et d'outils d'aide à la décision qui permettraient une diminution de l'utilisation des pesticides agricoles.
Si la présence de résidus dans les pesticides et leurs risques associés constituent un enjeu d'intérêt pour les consommateurs québécois qui se soucient de leur santé, la survenue de toxi-infections alimentaires collectives (TIAC) (telles que la salmonellose, la listériose, la campylobactériose et les infections à E. coli producteur de vérocytotoxine) et les enjeux de sécurité qu'elle soulève le sont tout autant. Les crises que peuvent occasionner ces événements peuvent en outre constituer une problématique de taille au maintien de la confiance des consommateurs que le Livre vert veut favoriser. Encore récemment, la crise survenue en Europe au printemps 2011 à la suite d'une épidémie d'infections à E. coli O104:H4, et les défis rencontrés pour identifier et retracer l'aliment incriminé, en sont des exemples éloquents.
Pour l'INSPQ, le renforcement de la sécurité alimentaire ainsi que de la traçabilité alimentaire de la terre à la table, tel qu'identifié dans le Livre vert comme une façon de distinguer les produits alimentaires québécois, peut être effectué de différentes façons. Entre autres, les produits alimentaires (soient-ils frais non transformés ou encore pré-préparés) devraient autant que possible subir un procédé d'inactivation des agents pathogènes compatible avec la nature de l'aliment. À défaut d'inactivation des agents pathogènes, ceux-ci pourraient être réduits par une amélioration de l'hygiène lors de la production et la transformation des produits. Le consommateur devrait en outre être informé adéquatement des risques à la santé des agents pathogènes et des moyens pour s'en prémunir. La surveillance et un encadrement plus serré de nouvelles pratiques à risques, comme l'élevage en milieu urbain, devraient aussi être effectués pour contrôler l'émergence potentielle de certains risques sanitaires. Ces derniers pourraient en outre être limités par l'implantation de programmes d'assurance qualité pour les entreprises alimentaires québécoises. Enfin, même si le Livre vert n'adresse pas explicitement la question, la sécurité alimentaire, d'un point de vue de santé publique, doit aussi englober l'enjeu de l'usage des antibiotiques en pratiques vétérinaires. Dans un contexte nord-américain où le traitement antibiotique préventif de masse ou l'emploi d'antibiotiques comme facteurs de croissance constituent des usages connus et encadrés, une politique bioalimentaire devrait préconiser et s'assurer que ces pratiques vétérinaires soient faites de façon judicieuse, notamment pour la résistance aux antibiotiques qu'elles pourraient engendrer à l'usage.
Pour une cohabitation harmonieuse et sécuritaire des milieux de vie et de travail
Adoptant une perspective de développement durable, le Livre vert insiste particulièrement sur la nécessité de faire du bioalimentaire un secteur qui contribue activement à la vitalité des régions québécoises. Cette vision passe en grande partie par le dernier objectif du document de consultation visant la valorisation de l'occupation dynamique du territoire. L'INSPQ reçoit favorablement cette démarche et tient à souligner son importance quant aux impacts positifs de celle-ci sur la santé des populations vivant en milieux agricoles et périurbains. Peu développés dans le Livre vert, ces impacts positifs sur la santé psychosociale des citoyens évoluant à proximité de territoires agricoles, soient-ils agriculteurs ou pas, sont pourtant primordiaux au développement durable du secteur bioalimentaire. Dans le même esprit, l'INSPQ tient à soulever une dimension incontournable de la vitalité et la pérennité du secteur agricole passée sous silence dans le Livre vert, soit la sécurité à la ferme. L'enjeu santé et alimentation, identifié dans le Livre vert, ne couvre pas en effet la question de la santé des travailleurs agricoles et de leur famille, ce qui apparaît restrictif tant d'un point de vue de santé publique que de celui du développement durable de ces milieux de vie et de travail.
Favoriser la qualité de vie et le développement durable des communautés
Le Livre vert insiste, avec raison, sur l'enjeu central de la vitalité du milieu rural. Pour le secteur de la santé publique, cette vitalité contribue activement à un milieu social favorisant la qualité de vie, et donc la santé. De nombreuses recherches confirment que la participation sociale, la cohésion, les relations de réciprocité et de confiance, la coopération et l'entraide, influencent positivement la santé de la population : taux de mortalité plus bas, meilleur accès aux services, plus grand bien-être général, meilleure résilience aux aléas. Or, avec le contexte de transformation des modalités de la pratique agricole observée depuis une trentaine d'années (taille des fermes, par exemple) ou encore l'installation à la campagne de nombreux non-agriculteurs, et sans nier les effets positifs de la multifonctionnalité de l'agriculture sur le milieu (attrait touristique, création d'emploi, etc.), les défis de cohabitation et les risques de tension sociale dans les milieux ruraux sont accrus. Pour faire face à ces problématiques, dans une future politique bioalimentaire qui respecte la vision de développement durable, la fonction économique de l'agriculture doit se conjuguer à un développement des communautés qui privilégie les principes d'empowerment (des individus, des organisations et des communautés), de concertation intersectorielle, et de participation citoyenne.
Dans le présent mémoire, l'INSPQ a identifié plusieurs mesures susceptibles de contribuer à une véritable intégration des dimensions sociales du développement durable dans la future politique bioalimentaire. Ces mesures touchent en premier lieu le nécessaire soutien des producteurs agricoles par l'ensemble de la communauté. Ce soutien communautaire passe bien sûr par des services (services sociaux, parascolaires, etc.) adaptés à leur réalité particulière, mais il est encouragé par la mise en valeur de la production locale au sein de leur communauté, notamment par les circuits courts. Les mesures de développement rural ou communautaire jugées efficaces, comme les pactes ruraux et les programmes tels Villes et villages en santé, pourraient certainement être plus répandus et encouragés. Enfin, la future politique devrait faire écho à d'autres mesures recensées dans le présent mémoire et qui visent la prévention et la résolution des conflits d'usage et de cohabitation. Parmi celles-ci figurent notamment l'encouragement au dialogue et au renforcement des liens sociaux entre agriculteurs et leur voisinage ainsi que la mise en œuvre de démarches de mitigation des impacts psychologiques et sociaux associés à l'agriculture.
Améliorer la sécurité en milieu agricole
Parce qu'elle concerne directement et concrètement la main d'œuvre actuelle et peut avoir des répercussions notables sur l'enjeu épineux de la relève, la sécurité à la ferme constitue selon l'INSPQ une dimension que la future politique bioalimentaire devrait intégrer davantage. Les travailleurs agricoles et les membres de leur famille évoluent dans un environnement qui comporte de nombreux risques. Par exemple, le milieu agricole est l'un des secteurs économiques où on retrouve le plus haut taux de traumatismes. En outre, comme le milieu agricole utilise plus de 80 % de tous les pesticides vendus au Québec, ces acteurs peuvent être exposés de façon significative à des produits qui peuvent avoir des impacts sur leur santé. Malgré cette réalité, ni la Loi sur la santé et la sécurité du travail, ni la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles ne traitent de façon spécifique du secteur agricole. La sécurité à la ferme, comme milieu de travail, mais aussi comme milieu de vie, apparaît comme une préoccupation de premier plan parmi les enjeux à envisager dans une action intersectorielle liant les milieux sanitaire et agricole, en raison des effets escomptés sur la santé des travailleurs, des producteurs et de leurs familles, de même qu'en raison de son impact sur la qualité de vie et sur le pouvoir d'attraction de la population dans ce secteur d'activités.
Plus concrètement, parmi les pistes d'action proposées dans ce mémoire, il conviendrait de développer un programme de prévention ciblant l'exposition aux pesticides et aux traumatismes chez ces populations. Aussi, pour limiter l'exposition des travailleurs agricoles aux pesticides, la future politique agricole devrait soutenir de façon plus explicite la gestion intégrée des ennemis des cultures, le développement de l'agriculture biologique et la Stratégie phytosanitaire québécoise en agriculture. Des incitatifs financiers reposant sur un principe de « santé-conditionnalité » pourraient aussi être employés comme outil de politique. Par exemple, un critère facilitant l'obtention d'une aide financière du ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec (MAPAQ) pourrait viser les entreprises qui visent à réduire les risques d'exposition professionnels et populationnels aux pesticides par l'acquisition d'équipements d'applications de pesticides plus sécuritaire ou l'utilisation plus coûteuse de techniques alternatives. Dans tous les cas cependant, l'INSPQ croit que la tenue de registres d'utilisation des pesticides devrait être rendue obligatoire pour assurer une véritable prévention des risques associés à leur emploi.
En-dehors de l'exposition aux pesticides, l'amélioration de la sécurité à la ferme du point de vue de la santé publique devrait viser une diminution des risques traumatiques. Parallèlement au programme de prévention proposé précédemment, les pistes d'action privilégiées par l'INSPQ sont de deux ordres. D'une part, parce que la ferme est un milieu de vie, les pistes d'action visent des groupes cibles particuliers, dont les enfants. Pour protéger ces derniers des risques inhérents aux activités agricoles, différents moyens pourraient être mis de l'avant, comme les incitatifs financiers pour favoriser l'installation par les producteurs agricoles de barrières physiques entre le lieu de travail et les aires de jeux. Et parce que les enfants sont souvent invités à participer à l'entreprise familiale, une stratégie de communication et des outils portant sur les tâches que les enfants peuvent accomplir en fonction de leur stade de développement, devraient être élaborés. Le même type de réflexion autour de la sécurité à la ferme devrait viser les personnes âgées ou en perte d'autonomie évoluant sur des fermes. Elles représentent un groupe où est observé un risque élevé de traumatismes. D'autre part, des pistes d'action d'ordre plus technique, ciblant des mécanismes particuliers de production de traumatismes, devraient être prises en compte. Notamment, il faudrait viser l'objectif que dans les fermes québécoises, tous les tracteurs soient munis de ceinture et de structures de protection en cas de retournement, et que toutes les pièces en mouvement soient protégées. L'application des mesures préconisées par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) pour prévenir les chutes, les problèmes liés au travail dans les espaces clos (suffocation, noyades, ensevelissements, etc.) ou encore les traumatismes causés par un animal, devrait en outre être davantage promue et soutenue.
Pour une bonne gouvernance du secteur bioalimentaire
L'INSPQ s'est interrogé à savoir comment les interventions du gouvernement dans le secteur bioalimentaire pouvaient être plus efficaces et rencontrer au mieux les objectifs fixés par le Livre vert. L'INSPQ dégage un certains nombre de réflexions plus générales qui constituent des conditions souhaitables pour la mise en œuvre de la future politique et de certaines des pistes d'action proposées par le présent mémoire. Celles-ci touchent les enjeux de la collaboration intersectorielle, de la collaboration fédérale-provinciale, de la bonification des programmes de formation-information ainsi que de l'implantation de programmes d'assurance-qualité.