Rapport sur la mise en œuvre de la Loi sur le tabac 2005-2010 : constats, interrogations et éléments de réflexion - Mémoire déposé à la Commission de la santé et des services sociaux

L'adoption de la Loi sur le tabac en juin 2005 est un jalon important de la lutte contre le tabagisme au Québec. Elle a pour objectifs de renforcer la protection de la santé des non-fumeurs dans divers lieux qui n'étaient pas visés par la loi précédente (milieux de travail, restaurants, bars, lieux servant à la garde d'enfants, terrains des écoles primaires et secondaires, 9 mètres de certains établissements, etc.), de réduire les possibilités d'achats de produits du tabac par les mineurs (réduction du nombre de points de vente, interdiction de l'étalage des produits du tabac) et de restreindre davantage la publicité et la promotion de ces produits hautement néfastes pour la santé pour ainsi modifier les normes sociales quant à l'usage du tabac.

Selon le rapport sur la mise en œuvre de la Loi sur le tabac 2005-2010 publié en septembre 2010 :

  • les travailleurs et les clients des lieux intérieurs tels que milieux de travail, restaurants, bars, brasseries et tavernes et salles de bingo semblent bien protégés de la fumée de tabac;
  • l'accès aux produits du tabac a nettement diminué;
  • la visibilité des produits du tabac dans les points de vente a pratiquement disparu;
  • et les commerçants respectent mieux l'interdiction de vendre du tabac à des mineurs qu'au début des années 2000 (ministère de la Santé et des Services sociaux [MSSS], 2010b).

Toutefois, il existe plusieurs situations problématiques qui ont pour effet d'exposer les non-fumeurs, incluant les enfants, à la fumée de tabac :

  • des difficultés réelles d'application de l'interdiction de fumer ont été observées sur les terrains des écoles primaires et secondaires;
  • les enfants ne sont pas protégés des résidus de la fumée de tabac dans les lieux servant à la garde d'enfants si l'on y fume en dehors des heures de garde;
  • les citoyens qui vivent dans des immeubles à logements sont exposés à la fumée de tabac qui s'infiltre dans leur logement;
  • la fumée de tabac se disperserait dans les lieux où des personnes sont hébergées du fait que les chambres fumeurs ne sont pas regroupées;
  • certains établissements touristiques ne respectent pas la loi;
  • la zone du 9 mètres pourrait être encore mieux respectée.

De plus, certaines stratégies ont pris de l'ampleur pour attirer de nouveaux fumeurs :

  • ajout d'additifs aromatisants dans de nombreux produits du tabac;
  • modification des cigarillos, échappant ainsi à la loi canadienne qui interdit l'ajout d'arômes aux cigarillos et la vente de cigarillos dans des paquets de moins de 20 cigarillos;
  • promotion de la cigarette électronique et de la pipe à eau (chicha);
  • apparition de nouveaux modes promotionnels sur les paquets de cigarettes;
  • apparition de plusieurs salons de chicha non reconnus par le gouvernement.

Enfin, les enfants peuvent être exposés à des niveaux élevés de particules néfastes pour la santé dans un espace clos et restreint comme le véhicule.

Les interdictions de fumer dans les lieux publics et les lieux de travail ont certainement contribué à faire réfléchir les citoyens sur la pertinence de ne pas fumer à l'intérieur de leur domicile ou de leur véhicule. Toutefois, près de 120 000 jeunes non-fumeurs québécois âgés de 12 à 17 ans auraient été exposés à la fumée de tabac dans leur domicile presque quotidiennement en 2009-2010 et plus de 90 000 jeunes de ce groupe d'âge l'auraient été lors d'un déplacement dans un véhicule privé (Lasnier, données non publiées).

Par ailleurs, il est particulièrement préoccupant de constater que la prévalence du tabagisme au Québec ne diminue pas au même rythme depuis le milieu des années 2000 qu'au cours des années 1990. La problématique du tabagisme n'est donc pas réglée : plus de 1,5 million de Québécois et Québécoises font actuellement usage du tabac. Lorsque l'on sait qu'un fumeur sur deux décède de maladies reliées à son tabagisme et que plusieurs tentatives de renoncement sont souvent nécessaires pour réussir à cesser de fumer à long terme, il est d'autant plus urgent de multiplier la variété d'interventions afin d'inciter et soutenir les fumeurs à renoncer au tabac et afin de protéger la santé des non-fumeurs exposés malgré eux à la fumée de tabac. Mais surtout, il est essentiel de mettre en place des stratégies pour éviter le recrutement de nouveaux fumeurs.

Ainsi, l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) est convaincu que de nouvelles mesures législatives s'avèrent nécessaires et suggère de considérer les mesures suivantes :

  1. Pour protéger la santé des enfants et des jeunes d'une exposition à la fumée de tabac :
    • interdire de fumer en tout temps dans les lieux servant à la garde d'enfants (garderies publiques, privées, et en milieu familial; centres de la petite enfance);
    • interdire de fumer dans un véhicule en présence de jeunes âgés de moins de 16 ans.
  2. Pour protéger la santé des non-fumeurs d'une exposition à la fumée de tabac :
    • permettre la mise en place uniquement de fumoirs avec ventilation indépendante dans les lieux où des personnes sont hébergées (CHSLD, résidences pour personnes âgées, etc.);
    • réviser à la baisse la proportion de chambres pouvant être allouées à des fumeurs dans les établissements d'hébergement touristique et envisager de permettre uniquement la présence de fumoirs ventilés de façon indépendante;
    • étendre à tous les établissements qui reçoivent du public l'interdiction de fumer à moins de 9 mètres des portes;
    • interdire de fumer à moins de 7 mètres des fenêtres qui s'ouvrent et des entrées d'air de tous les établissements qui reçoivent du public;
    • interdire de fumer sur les terrasses et patios des bars et restaurants.
  3. Pour rendre moins attrayants les produits du tabac, en particulier chez les jeunes :
    • interdire l'ajout d'additifs aromatisants, incluant le menthol, dans tout produit du tabac (indépendamment de son poids) et dans tout autre produit qui y est assimilé en vertu du règlement d'application;
    • considérer la cigarette électronique sans nicotine au même titre qu'un produit du tabac;
    • obliger les compagnies de tabac à présenter leurs produits dans des emballages neutres, selon un format prédéterminé;
    • interdire toute promotion sur des ajouts éventuels aux paquets de cigarettes et de produits du tabac (feuille insérée, pellicule plastique, etc.);
    • interdire toute forme de publicité des produits du tabac et des produits s'apparentant à des produits du tabac par tout moyen de communication incluant l'utilisation des nouveaux médias comme Internet, Facebook, Twitter, etc.

Les mesures suivantes devraient être poursuivies, intensifiées ou mises en œuvre par le gouvernement :

  • intensifier les activités de sensibilisation auprès du personnel scolaire et auprès des responsables de l'application de la loi en milieu scolaire pour que l'interdiction de fumer sur les terrains des écoles primaires et secondaires soit davantage respectée;
  • intensifier les activités visant à faire respecter l'interdiction de vente de tabac aux mineurs;
  • faire respecter l'interdiction d'étalage des pipes à eau dans les divers points de vente;
  • sévir contre les salons de chicha non reconnus par le gouvernement et surveiller l'émergence de nouveaux salons de ce type;
  • hausser le prix des produits du tabac à un niveau comparable à celui des provinces limitrophes avec une indexation automatique à l'inflation.

Enfin, le gouvernement devrait analyser les actions à entreprendre pour protéger la santé des non-fumeurs vivant dans des immeubles comportant deux logements ou plus.

Auteur(-trice)s
Annie Montreuil
Ph. D., chercheuse établissement, Institut national de santé publique du Québec
Sujet(s)
Tabac
Type de publication
ISBN (électronique)
978-2-550-68623-1
ISBN (imprimé)
978-2-550-68622-4
Notice Santécom
Date de publication