Déterminants de la plombémie chez les enfants d’une communauté minière
Mise en contexte
Les agences de santé publique internationales insistent de plus en plus sur la nécessité d’envisager toutes les mesures pour réduire autant que possible l’exposition au plomb. Il est donc pertinent d’étudier les déterminants qui contribuent le plus à cette exposition afin d’identifier les meilleures cibles d’action pour la réduire. Un environnement minier est intéressant à cet égard puisqu’il s’agit potentiellement d’un milieu hautement contaminé. Les communautés voisines de la municipalité de Flin Flon, au Manitoba, et de la ville de Creighton, en Saskatchewan, ont été le théâtre d’activités minières importantes depuis les années 30. Peu de temps avant la fermeture de la fonderie, en 2010, une évaluation du risque, incluant des mesures de plombémie, a été effectuée auprès des enfants de moins de 7 ans de la communauté. À ce moment, la concentration moyenne de plomb dans le sang était de 2,73 µg/dL, et 13 % des enfants présentaient une plombémie supérieure à 5 µg/dL.
À la suite de la fermeture de la fonderie, des mesures visant à diminuer l’exposition au plomb environnemental et le risque en découlant pour la population avoisinante ont été implantées. Safruk et al. (2017) ont alors réalisé une seconde étude de biosurveillance. L’objectif de cette étude était d’évaluer le lien entre la plombémie des enfants et les concentrations retrouvées dans les divers milieux environnementaux contribuant à l’exposition, soit l’eau potable, les sols, les poussières et la peinture.
Source : http://flinflonheritageproject.com/other-mines-albums-slideshows/wppaspec/oc1/cv0/ab212/pt6376
Méthodologie
L’étude a été menée auprès d’enfants vivant à proximité de la fonderie et sous les vents dominants. Trois types de données ont été recueillies dans le cadre de cette étude :
- des échantillons sanguins ont été prélevés chez des enfants de moins de 7 ans (n = 118) afin de mesurer la plombémie par spectrométrie de masse à plasma à couplage inductif (ICP-MS), au Centre de toxicologie du Québec (limite de détection [LD] : 0,0011 µmol/L);
- des renseignements sur les caractéristiques générales de la population à l’étude (âge, sexe, type d’habitat, statut socio-économique, etc.) ont été compilés à l’aide d’un questionnaire (n = 93);
- enfin, des échantillons de sols, de poussières intérieures, d’eau et de peinture ont été collectés et analysés pour déterminer leur contenu en plomb.
Ainsi, pour chaque enfant ayant fourni un échantillon sanguin, au moins 10 échantillons de sol extérieur ont été prélevés à 2,5 cm sous la surface du sol, selon un patron de répartition en « X » à l’endroit le plus souvent fréquenté par l’enfant, et analysés par ICP-MS (LD = 0,2 µg/g). Les échantillons de poussières sur des surfaces de 30 cm x 30 cm ont été collectés sur serviette humide à raison de deux échantillons par enfant, soit un dans la cuisine et un autre dans la pièce la plus fréquemment utilisée par l’enfant pour le jeu. Le contenu en plomb de chaque serviette a été analysé selon une technique analytique codée de l’Agence de protection de l’environnement des États-Unis (United States Environmental Protection Agency, U.S. EPA) (LD = 1 ng/cm2). Plusieurs échantillons d’eau ont été collectés au robinet de la cuisine des résidences étudiées. Le premier était prélevé après une période d’écoulement de 5 minutes afin de juger des concentrations dans l’eau du réseau de distribution. Après une période de stagnation de 30 min, le premier litre d’eau était collecté afin de représenter l’exposition associée à la plomberie résidentielle. Après avoir jeté les deux litres suivants, le quatrième litre était prélevé afin de caractériser l’eau ayant stagné au niveau de l’entrée d’eau de la résidence. L’analyse du plomb de ces 3 échantillons a été faite par ICP-MS, suivant une digestion à 3 ml d’acide nitrique (1 : 3; LD = 0,09 µg/L). Enfin, les surfaces peintes intérieures et extérieures des résidences des participants (murs, cadres de portes et de fenêtres) ont été analysées qualitativement pour leur contenu en plomb (minimum de 1 mg/cm2) à l’aide d’un appareil à fluorescence aux rayons X pour détecter la présence de plomb dans les peintures. Jusqu’à 10 échantillons par résidence ont ainsi été prélevés, incluant des éclats de peinture libre.
Les auteurs ont utilisé l’analyse de variance afin d’identifier les facteurs contribuant de manière significative à expliquer les concentrations sanguines mesurées. Ils ont appliqué un modèle de régression simple afin d’évaluer l’association entre chaque type de mesure environnementale (concentration dans l’eau potable, les sols, les poussières, la peinture) et la plombémie individuelle des participants, alors que des modèles de régression multiple ont été développés afin d’expliquer le lien entre la plombémie et les données personnelles colligées par questionnaire.
Résultats et discussion
L’étude de Safruk et al. (2017) permet d’abord de constater que l’exposition des enfants au plomb a diminué de près de moitié à la suite de l’arrêt des activités de la fonderie. Toutefois, bien que semblables aux mesures réalisées dans des populations dont l’exposition environnementale est jugée similaire (Levallois et al., 2013), les enfants de la région de Flin Flon présentent des plombémies plus élevées que celles mesurées à l’échelle canadienne (moyenne géométrique [MG] de 1,41 µg/dL pour les enfants de 3 à 5 ans, et de 0,77 µg/dL pour les 6 à 11 ans (Santé Canada, 2010).
Les auteurs rapportent que les analyses statistiques indiquent que les plombémies sont associées de manière significative avec un seul facteur personnel, soit l’âge des maisons (p = 0,034, r2 non fourni). De fait, les concentrations sanguines de plomb sont plus élevées chez les enfants habitant une résidence construite avant 1945. Elles sont aussi corrélées aux concentrations de plomb dans le sol (MG : 74,7 µg/g), les poussières (MG : 1,31 µg/cm2) et la peinture (moins de 10 % des maisons avaient des échantillons dépassant 1,0 mg/cm2).
Contrairement à des publications qui rapportent des relations significatives entre le plomb dans l’eau et le plomb sanguin dans des contextes comparables d’exposition environnementale (ex. : Levallois et al., 2013), Safruk et al. (2017) ne rapportent pas une telle association, et ce, peu importe le type d’échantillon (après 5 minutes d’écoulement ou après 30 minutes de stagnation). Ceci s’explique possiblement par la faible puissance statistique de l'échantillon populationnel étudié ainsi que par le fait que, dans ce milieu minier, les autres sources d’exposition représentent des contributeurs plus importants que l’eau potable en comparaison avec des milieux faiblement contaminés à l’exposition globale au plomb.
Conclusion
L’échantillonnage environnemental visait la détermination de la relation entre la teneur en plomb dans les différentes sources domestiques d’un enfant et sa plombémie. Bien que des associations statistiquement significatives entre les concentrations de plomb dans différents milieux environnementaux (sols, poussières et peintures) et la plombémie aient été observées, les auteurs rappellent qu’il est difficile d’identifier un seul facteur environnemental fort. De fait, les niveaux de plombémie mesurés dans la population de Flin Flon sont le résultat de l’exposition cumulée à des sources multiples faiblement contaminées. Cependant, comme les effets au plomb à faible dose restent préoccupants, principalement au regard de l’effet sur la diminution du quotient intellectuel des enfants, mais également concernant la toxicité cardiovasculaire et rénale, il importe de poursuivre les recherches visant une meilleure compréhension du lien entre la plombémie et la contamination du milieu de vie des enfants.
Cette étude a comme principale force que plusieurs milieux ont été analysés exhaustivement pour caractériser les sources d’exposition. Malheureusement, des limites importantes doivent être mentionnées, soit la nature transversale du devis expérimental ainsi que le nombre relativement petit d’individus investigués.
Enfin, sans qu’ils soient très novateurs, les résultats de cette étude permettent tout de même de confirmer ceux observés dans des contextes similaires d’exposition environnementale et, à ce titre, ils contribuent aux connaissances générales sur l’exposition des populations au plomb.
Références
- Levallois, P., St-Laurent, J., Gauvin, D., Courteau, M., Prévost, M., Campagna, C., Rasmussen, P. E. (2014). The impact of drinking water, indoor dust and paint on blood lead levels of children aged 1-5 years in Montréal (Québec, Canada). Journal of Exposure Science & Environmental Epidemiology, 24(2), 185-191.
- Safruk, A. M., McGregor, E., Withfield Aslund, M. L., Cheung, P. H., Pinsent, C., Jackson, B. J., … Sigal, E. A. (2017). The influenc of lead content indrinking water, household dust, soil, and paint on blood lead levels of children in Flin Flon, Manitoba ad Creighton, Saskatchewan. Science of the Total Environment, 593-594(10), 202-210.
- Santé Canada. (2010). Rapport sur la biosurveillance humaine des substances chimiques de l’environnement au Canada. Repéré à : https://www.canada.ca/content/dam/hc-sc/migration/hc-sc/ewh-semt/alt_fo…