Ecstasy et danse de la mort

Volume 11, Numéro 1

Auteur(s)
Lyse Lefebvre
B. Pharm., Pharmacienne, Institut national de santé publique du Québec

L'utilisation à des fins récréatives de substances chimiques diverses n'est évidemment pas un phénomène récent. Il n'est pourtant pas facile pour les cliniciens de maintenir à jour leurs connaissances dans ce domaine.

En effet, le profil de consommation des drogues évolue rapidement et la popularité d'une drogue donnée est souvent un phénomène d'une durée limitée, associé à un contexte socio-historique et fortement influencé par des modes au cours desquelles la consommation devient presque épidémique dans certains groupes de la société. De plus, il peut y avoir des variations importantes dans le profil de consommation de régions différentes. Par exemple, la consommation de phencyclidine (PCP) semble beaucoup plus fréquente à Québec qu'à Montréal où cette drogue est plus marginale. Par contre, la période "Crack" a frappé davantage la région montréalaise.

On a donc assisté depuis les années 60 à plusieurs modes successives. La marijuana a sans doute été l'une des plus importantes et des plus répandues au cours des années 60 et 70. Le LSD et d'autres hallucinogènes ont fait leur apparition au début des années 70. Au début de la décennie 80, la cocaïne (inhalation nasale) devenait de plus en plus populaire. Cependant, son prix élevé a poussé les toxicomanes à rechercher des substances moins coûteuses et facilement accessibles. La deuxième moitié des années 80 a donc vu s'accroître la consommation d'hallucinogènes tels que le PCP ou la psilocybine, de stimulants analogues des amphétamines connues sous le nom de "designer's drugs" (MDA, DOM, MDE, etc.), de cocaïne modifiée (freebase, crack). Depuis quelque temps, le méthylène dioxyméthamphétamine (MDMA), connu dans les milieux de la drogue sous le nom de Ecstasy, est de plus en plus populaire. Il s'agit d'une amphétamine semi-synthétique, habituellement absorbée par voie orale mais aussi occasionnellement par inhalation nasale. Le MDMA sous forme pure est une poudre cristalline blanche que l'on retrouve sur le marché illicite des drogues sous forme de capsule, de comprimé ou de poudre en vrac, vendu dans les discothèques et surtout dans les parties "RAVE". Une dose de MDMA coüte environ $ 40,00 canadien.

Bien que breveté en 1914 par E. Merck Cie comme anorexigène, le 3,4-méthylène dioxyméthamphétamine est demeuré virtuellement oublié jusqu'au début des années 70. Outre des effets stimulants modérés, il produit une sensation d'euphorie et d'altruisme et bien qu'il peut augmenter la perception, son potentiel hallucinogène est faible. Ces propriétés ont incité certains psychiatres des années 70 à explorer son potentiel psychothérapeutique afin d'aider leurs patients dans des domaines aussi divers que les thérapies matrimoniales, le traitement de l'alcoolisme et l'augmentation des perceptions chez la personne âgée. Toutes ces avenues se sont avérées inefficaces et le produit fut banni dans de nombreux pays comme médicament n'ayant aucune indication thérapeutique. En raison du potentiel d'abus du MDMA, un marché illicite lucratif s'est créé et l'usage récréatif de l'Ecstasy n'a pas cessé de croître depuis quelques années.

Actuellement, on retrouve l'Ecstasy dans la plupart des soirées de danse "RAVE". Les jeunes en consomment 50 à 150 mg p.o. au début, mais la tolérance s'installe rapidement et plusieurs utilisateurs augmentent les doses consommées au fil des semaines ou des mois d'usage. Certains peuvent en consommer 10 comprimés ou plus dans une soirée. Les effets se manifestent généralement 20 à 60 minutes après l'ingestion avec un "rush" ou "pointe" stimulant que certains comparent aux effets de la cocaïne. Cette période de pointe se transforme en euphorie qui peut persister 2 à 3 heures, suivie par une diminution graduelle de l'effet. Plusieurs utilisateurs rapportent souffrir d'insomnie, de lassitude et de fatigue au cours des 48 heures qui suivent la consommation de MDMA. Les effets indésirables les plus fréquemment rapportés après ingestion de doses non-toxiques de MDMA sont : sécheresse de la bouche, claquements des mâchoires, grincements des dents, nystagmus, sudation, nausées.

Lors d'ingestion de doses plus élevées ou d'ingestion répétée de doses "usuelles", des symptômes d'intoxication peuvent se manifester. Il s'agit le plus souvent de symptômes modérés tels que : agitation, hypertension, tachycardie, mydriase, trismus et diaphorèse. Cependant, on a aussi rapporté quelques cas d'intoxication sévères qui semblent évoluer selon un modèle classique caractérisé par : hyperthermie, coagulation intravasculaire disséminée, rhabdomyolyse, arythmies, convulsions et insuffisance rénale aiguë.

Bien que ces symptômes soient habituellement rapportés suite à la consommation de doses toxiques de MDMA, des décès ont été rapportés suite à l'utilisation de doses "usuelles" de MDMA. En effet, l'Ecstasy est très souvent consommée lors de soirées de danse "RAVE". Lors de ces "RAVE", les effets pharmacologiques du MDMA tels que l'euphorie et une augmentation de la sensibilité proprioceptive incitent les utilisateurs à danser pendant des périodes prolongées, ignorant les signaux de détresse de leur organisme tels que : déshydratation, crampes musculaires, étourdissements, épuisement et surmenage.

De plus, ces symptômes peuvent être aggravés par les conditions ambiantes telles que la chaleur, des vêtements trop chauds, l'absence de consommation de liquides autres que l'alcool. Ainsi, il a été démontré chez l'animal que le MDMA peut entraîner une production de chaleur excessive par des mécanismes sérotoninergiques, celle-ci étant plus grande lorsque la température ambiante est élevée.

L'utilisation de MDMA dans un tel contexte peut donc s'avérer extrêmement dangereuse et a entraîné au moins 7 décès en 1992 en Angleterre. Des complications incluant : convulsions, collapsus, hyperthermie sévère, coagulation intravasculaire disséminée, rhabdomyolyse et insuffisance rénale aiguë peuvent toutes être des conséquences de l'utilisation de l'Ecstasy comme une "dance drug". Le nombre et la sévérité des symptômes seront plus élevés si le patient n'est pas traité assez rapidement.

Lorsqu'un patient est conduit à l'urgence en état d'hyperthermie sévère, le clinicien doit intervenir rapidement et le traitement doit inclure le contrôle des convulsions, la mesure de la température centrale, une réhydratation rapide et dans certains cas, l'administration de dantrolène et des mesures actives de refroidissement.

L'Ecstasy est de plus en plus répandue chez nous et la littérature populaire laisse croire que cette drogue serait moins nocive que l'alcool. Pourtant, la littérature médicale démontre bien le danger de l'utilisation de cette substance.

L'Ecstasy est donc la drogue actuellement à la mode. Cependant, les médecins et autres intervenants de la santé doivent se préparer à rencontrer des utilisateurs de drogues de toutes sortes parfois banales mais aussi souvent très dangereuses. En effet, l'accès de plus en plus facile au réseau Internet permet à toute personne qui le désire, de trouver des informations sur l'utilisation récréative de plusieurs médicaments et produits domestiques courants. Les documents retrouvés ont souvent un contenu pseudo-scientifique trompeur et peuvent induire en erreur des personnes dont les connaissances et le sens critique sont insuffisants.

Le promotion de l'usage des drogues par l'intermédiaire de l'autoroute électronique peut donc représenter un danger pour les jeunes et pour toute personne instable ou influençable. Il faut donc être aux aguets et tâcher de dissuader les personnes concernées d'essayer toutes ces substances dont les effets ne sont que mirages et qui constituent autant de nouvelles formes de toxicomanie.

Numéro complet (BIT)

Bulletin d'information toxicologique, Volume 11, Numéro 1, juillet 1995