5 février 2002

Aliments génétiquement modifiés et risques pour la santé

Article
Auteur(s)
Christian Fortin
Institut national de santé publique du Québec
Marc Dionne
Institut national de santé publique du Québec
Michel Savard
M.D., médecin-conseil, ministère de la Santé et des Services sociaux
Maurice Poulin
Institut national de santé publique du Québec
Albert J. Nantel
M.D., M. Sc., ABMT, Institut national de santé publique du Québec
François Levac
Institut national de santé publique du Québec
Jean-Claude Dessau
M.D., médecin-conseil, Institut national de santé publique du Québec
Marjolaine Roy
Institut national de santé publique du Québec

Le présent article est un résumé des documents synthèse et technique  « Aliments génétiquement modifiés et santé publique » du comité sur les Organismes génétiquement modifiés (OGM) de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). Les deux documents sont disponibles en version intégrale sur le site Web de l’Institut : www.inspq.qc.ca

Mise en contexte

Le génie biotechnologique développe à rythme accéléré les techniques et les applications du transfert des gènes d’un organisme à un autre. Ce travail de précision à l’intérieur de la plus petite entité vivante crée, à partir de l’information génétique contenue dans l’ADN, de nouveaux agents actifs à l’intérieur de la cellule. Les aliments transgéniques sont le résultat de la technique de recombinaison d’ADN appliquée aux espèces vivantes comestibles. Cette technique permet la modification de plantes, d’animaux ou des micro-organismes par le transfert de gènes d’un organisme à l’autre. La manipulation consiste à isoler un gène étranger et à l’introduire dans une cellule hôte. Cependant, la compréhension des mécanismes d’adhérence et d’expression des gènes dans les cellules est limitée. Une nouvelle protéine se synthétise dans la cellule hôte à partir du code génétique du gène étranger. L’expression de nouvelles protéines confère de nouvelles propriétés à la cellule hôte. Les méthodes de recombinants d’ADN utilisent différents vecteurs pour effectuer le transfert de gènes, le vecteur étant un intermédiaire dans le processus de transfert génétique dont le rôle est de produire le gène en quantité importante en se multipliant. Les principaux vecteurs utilisés sont des virus, des bactéries ou des particules métalliques de tungstène ou d’or. Le choix du vecteur est spécifique à l’organisme hôte.

La dissémination des nouveaux gènes, leur évolution par mutation ponctuelle vers des résistances non souhaitables, leurs effets toxiques, allergènes ou cancérigènes potentiels inquiètent les membres de la communauté scientifique. Par contre, les possibilités de développement des organismes génétiquement modifiés (OGM) créent de nombreuses attentes (nouvelles cultures, médicaments, clonage de végétaux et d’animaux, amélioration de la valeur nutritionnelle, augmentation de la productivité pour des populations grandissantes, etc.); les enjeux sont ainsi d’ordre agricole, scientifique, social, politique, environnemental et économique.

Cet article s’intéresse particulièrement aux risques pour la santé que pourrait entraîner la consommation d’aliments génétiquement modifiés (AGM). Il est à noter qu’au Canada, les AGM se classent essentiellement en produits résistants aux herbicides ou insecticides, en produits résistant à certains virus végétaux, en produits dont la teneur en acide gras est différente de l’aliment déjà utilisé, et en produits dont le vieillissement est retardé. Les végétaux à caractères nouveaux sont notamment le canola, le maïs, la tomate, la pomme de terre, le soja, les graines de coton et les courges1.

Les risques à la santé

Les AGM n’étant pas des substances chimiques simples, mais plutôt des aliments entiers, les approches traditionnelles d’évaluation de l’innocuité utilisées en toxicologie ne sont pas applicables à leur évaluation. En effet, l’évaluation des produits ou substances pures tels les médicaments et les pesticides se fait, entre autres, par l’administration de fortes doses à diverses espèces d’animaux. Les limites à la quantité de tomates transgéniques, par exemple, que l’on peut faire ingérer à un animal, sont évidentes. Cet argument met en évidence l’écart qui s’est créé entre la toxicologie et la biotechnologie au cours des dernières années. L’approche traditionnelle de la toxicologie n’étant pas applicable aux AGM, il aurait fallu, dès le départ, développer des protocoles de recherche spécifiques en toxicologie sur ce sujet. Il faut rappeler également que le processus de développement des AGM est complètement différent de celui du développement pharmaceutique dans les années 50 qui se déroulait dans les milieux universitaires. En effet, la très grande majorité des travaux de recherche fondamentale menée sur les AGM a été réalisée par l’industrie sans être publiée dans la littérature scientifique du domaine public. Compte tenu de la confidentialité des documents étudiés, ceux-ci ne peuvent pas être examinés par des experts indépendants. Confier à l’industrie privée l’entière responsabilité de réaliser les études précédant la mise en marché revient donc à leur faire une confiance aveugle quant à la validité scientifique de ces travaux.

Par ailleurs, les principales inquiétudes reliées à la santé humaine et suscitées par les aliments transgéniques sont les effets toxiques ou allergènes de la nouvelle protéine encodée par le gène introduit ainsi que le transfert de résistance aux antibiotiques. L’insertion d’un nouveau gène pourrait agir de modulateur et créer un effet d’interaction appelé effet pléiotropique.

Les effets toxiques et l’affaire Pusztai

L’ajout d’un nouveau gène dans un organisme vivant (sur la molécule d’ADN) peut provoquer l’expression d’un ou de plusieurs gènes inactifs à l’état normal. Ce phénomène est appelé effet pléiotropique. Cette expression induite par le transgène peut entraîner la production de toxines, ou augmenter la production de toxines produites naturellement à l’état de traces. Or, nous savons que certaines toxines existent à l’état naturel et sont produites en quantité non toxique; c’est le cas de la solanine de la pomme de terre, de la tomatine de la tomate ou de l’acide érucique du colza. Ce risque, même minime, peut survenir et nul n’est capable d’en connaître les effets.

Ewen et Pusztai2, chercheurs expérimentés travaillant au Rowett Research Institute en Écosse, publient en 1999 les résultats de leur étude au cours de laquelle ils ont divisé une population de rats en trois groupes : le premier a été nourri avec des pommes de terre standard; un second a reçu des pommes de terre modifiées génétiquement par l’ajout d’un gène codant une lectine, la « Galanthus nivalis agglutinin », qui confère une résistance aux insectes; le troisième groupe recevait des pom­mes de terre n’appartenant pas à des variétés transgéniques, mais auxquelles la lectine avait été ajoutée. Les auteurs ont mesuré deux paramètres : l’épaisseur de la muqueuse intestinale et le degré d’infiltration lymphocytaire dans l’intestin. Les auteurs de l’étude concluent que la consommation de variétés transgéniques est associée de façon significative avec un épaississement de la paroi intestinale. Ils ont constaté de plus que l’invasion lymphocytaire est plus forte chez les rats ayant consommé des variétés transgéniques ou des pommes de terre auxquelles la lectine a été ajoutée. Les mesures sur le jéjunum montrent une différence significative entre le groupe de rats ayant mangé des pommes de terre standard et le groupe de rats ayant mangé des pommes de terre transgéniques alors qu’aucune différence significative n’a été observée entre le groupe de rats ayant consommé les pommes de terre standard et celles avec ajout de lectine.

Ces données ont été largement médiatisées et critiquées mais ont surtout ouvert le débat public sur cette question. Les auteurs ont été blâmés d’avoir extrapolé des résultats dont l’implication clinique n’est pas connue à des risques sur la santé humaine. Les différences notées étaient faibles. De plus, la méthodologie a été remise en question : mesures utilisées, biais possible de l’expérimentateur, nombre de tests statistiques utilisés, par exemple. Finalement, un des chercheurs ayant été congédié, la recherche n’a pu être complétée et aucune conclusion n’a pu être tirée de cette affaire3.

Le risque d’allergénicité

Dès qu’une protéine est ingérée, elle est susceptible d’être allergène et il est difficile de mesurer et de prévoir la capacité allergène d’une molécule. Des études ont été réalisées dans le but d’examiner la résistance des protéines dans le milieu gastrique.

Il ressort dans certaines études que la protéine est dégradée en quelques secondes; 15 secondes pour la protéine introduite dans le soja transgénique « Round up Ready » développé par la compagnie Monsanto. Par contre, des précautions sont à prendre au niveau du transgène pour limiter le risque d’allergénicité. Si le transgène code pour un allergène connu, il est probable que la plante transgénique exprimera la protéine exogène avec son potentiel allergénique. Les laboratoires qui étudient ces risques d’allergies évitent d’utiliser des gènes provenant d’organismes connus pour leur allergénicité.

Schubbert et collaborateurs4 ont fait le suivi de molécules d’ADN absorbées par des souris. Houdebine5 rapporte qu’il est apparu que, si l’ADN du virus était dégradé, une petite partie de cet ADN serait transférée dans le sang des animaux. Un examen plus détaillé a révélé que l’ADN était retrouvé dans le sang à l’état libre, mais aussi dans certaines cellules sanguines, les globules blancs essentiellement, et dans le foie, entre autres organes. Les fragments d’ADN retrouvés étaient relativement de petite taille et seulement quelques-uns étaient d’une longueur qui correspond à peu près aux plus petits gènes connus. Ces fragments d’ADN ont pu être retrouvés jusque dans le noyau des cellules. Toutefois, ils avaient tous disparu quelques jours plus tard et aucun de ces fragments n’a été retrouvé intégré dans le génome des souris. Houdebine considère que ces travaux sont plutôt rassurants puisqu’ils tendent à démontrer l’efficacité du processus de digestion qui fait que nous ne devenons en rien ce que nous mangeons. Il explique que l’expérimentateur a dû, pour faire la distinction entre l’ADN absorbé et l’ADN de souris, purifier l’ADN dont les sujets ont été gavés. L’ADN dans les aliments est normalement enrobé de protéines qui le protègent et qui orchestrent la réplication lors de la division cellulaire. Houdebine décrit le processus d’apoptose qui fait le clivage en fragments de petite taille, ne contenant plus de gènes entiers, dès que la cellule subit un stress. Après quoi, l’ensemble des gènes de la cellule est définitivement inactivé. Il aurait, selon lui, été intéressant d’examiner le devenir de l’ADN absorbé dans les conditions réelles de la digestion, pour vérifier s’il a subi un processus similaire à celui de l’apoptose.

La résistance aux antibiotiques

L’insertion d'un gène dans une cellule hôte nécessite le marquage du gène transféré par un gène de résistance à un antibiotique, et cela, parce que le gène introduit ne se retrouve pas ou ne s’exprime pas dans le génome de toutes les cellules hôtes. Les spécialistes font donc l’ajout de gènes qui confèrent la résistance à un antibiotique afin de permettre la sélection des cellules modifiées. Ces gènes de résistance se présentent sous une forme fractionnée et auraient peut-être pour risque d’être transférés à un organisme de la flore intestinale. De plus, certaines bactéries, par transformation, seraient capables d’intégrer le génome d’un autre organisme.

Courvalin6, directeur de l’unité des agents bactériens à l’Institut Pasteur et responsable du Centre national de référence des antibiotiques du Ministère de la santé française, s’inquiète du transfert de gènes de résistance aux antibiotiques. À son avis, il aurait été de bon sens d’appliquer le principe de précaution à des constructions génétiques faisant appel aux gènes marqueurs de résistance aux antibiotiques puisque ce procédé est peut-être inadéquat pour être utilisé sur le terrain. Il considère que la propagation à de très nombreuses copies de ces gènes favorisera leur dissémination et leur évolution par mutation ponctuelle vers des résistances encore plus grandes. Il remet sérieusement en question le choix des gènes utilisés en précisant qu’il n’y a pas de gènes anodins de résistance aux antibiotiques. Le gène « bla », qui confère la résistance aux pénicillines, est utilisé notamment dans les maïs MS3 et 176 reconnus au Canada. Ces gènes ne s’expriment pas chez la plante, mais sont sous le contrôle de signaux d’expression qui seront d’emblée opérationnels chez les bactéries. S’il y avait rétro transfert dans la bactérie, le plus petit événement génétique, le changement d’une seule paire de base pourrait, selon Courvalin, abolir 15 ans de recherche de toute l’industrie pharmaceutique. Il rappelle que depuis 20 ans, aucune nouvelle famille d’antibiotiques n’a été introduite en thérapeutique. Selon lui, un enzyme pourrait, non seulement inactiver toutes les pénicillines, mais toutes les céphalosporines, c’est-à-dire les molécules les plus récentes. Une mutation ponctuelle conséquente de l’utilisation du gène qui confère la résistance à la kanamycine ou à la néomycine, peut engendrer la résistance à l’amikacine, antibiotique largement utilisé dans les unités de soins intensifs pour le traitement des infections acquises à l’hôpital. Le gène de résistance à la kanamycine était notamment utilisé dans la tomate « Flavr Savr » avant son retrait volontaire du marché par Calgène.

La Royal Society de Londres7 est d’avis qu’il est peu probable que le risque soit plus grand que le déploiement actuel de l’utilisation des antibiotiques chez les humains et leur ajout à la nourriture animale. Toutefois, elle indique que d’autres recherches sont nécessaires et recommande l’utilisation d’alternatives.

Le Groupe d’experts Canadien sur l’avenir de la biotechnologie alimentaire8 est d’avis que les marqueurs de résistance aux antibiotiques ne devraient être utilisés dans aucun AGM destiné à la vente au Canada.

Le Canada est le troisième plus grand producteur de culture transgénique au monde, après les États-Unis et l’Argentine9. Au Québec, les superficies ensemencées en canola transgénique représentent 80 % des superficies totales de cette production10. Les ingrédients des aliments du garde-manger à base de maïs, de soja et de canola proviennent communément de plantes modifiées génétiquement. Selon Boyens11, 45 % des récoltes de colza de l’Amérique du Nord étaient génétiquement modi­fiées, en 1998 et en 1999, ce pourcentage s’élevait à 60 %. Durant ces mêmes années, 25 à 30 % du soja était résistant aux herbicides. Le soja génétiquement modifié est utilisé comme ingrédient de 60 % des aliments prépa­rés en industrie : huile à salade, margarine, mayonnaise, aliments pour bébé, crème glacée, etc. Selon les estimations pour l'Amérique du Nord en 1998, 10 % du maïs, 35 % du coton et 20 % des récoltes de pommes de terre étaient résistantes aux insectes. Plusieurs produits et dérivés sont actuellement disponibles, achetés et consommés, de nombreux autres sont ou seront portés en évaluation. Les statistiques officielles ne sont pas accessibles au consommateur pour juger de la quantité d’AGM qu’il consomme quotidiennement. Sans traçabilité, il est impossible de fournir une liste des aliments qui contiennent des AGM.

Conclusion

Il n’existe pas de conclusions définitives sur des sujets nouveaux comme les AGM5. Puisque les données scientifiques sont insuffisantes, il n’est pas possible, dans l’état actuel des connaissances, de prédire les effets des AGM sur la santé. Des risques potentiels de toxicité, d’allergénicité et de transfert de résistance aux antibiotiques ont été évoqués par plusieurs chercheurs reconnus dans le domaine. Il existe encore des incertitudes sur les mécanismes du transfert génique et de leurs effets sur les plantes. L’absence de recherches indépendantes et accessibles sur l’innocuité des AGM empêche l’évaluation adéquate des impacts sur la santé humaine. La mise en marché des AGM a eu lieu sans étiquetage, sans mécanisme de traçabilité et sans qu’aucune étude indépendante d’innocuité n’ait été réalisée. Des risques hypothétiques, d’effets toxiques ou allergènes de la nouvelle protéine encodée par le gène introduit de transfert de résistance aux antibiotiques et d’effets d’interaction, demandent qu’une approche basée sur la précaution soit appliquée. Des recherches sont nécessaires afin de réduire l’incertitude. Des mesures devraient être prises afin de permettre une gestion de la surveillance des effets inattendus ainsi que du risque résiduel tel que, par exemple, le retrait rapide d’un produit qui s’avèrerait inadéquat.

Références

  1. Agence canadienne d’inspec­tion des aliments (ACIA), 1997. Produits agricoles issus de la biotechnologie: Un bref état de la situation. 1 avril 1997. www.cfia-acia.agr.ca/francais/ppc/biotech/gen/statusf.shtml.
  2. Ewen, S.W.B, Pusztai, A., 1999. Effects of diets containing genetically modified potatoes expressing Galanthus nivalis lectin on rat small intestine. The Lancet, 354 (9187), October 16: 1353-1354.
  3. Rhodes, J. M., 1999. Genetically modified foods and the Pusztai affair. BMJ, 318(7193): 1284.
  4. Schubbert, R, Renz, D., Schmitz, B, Doerfler, W.,1997. Foreign (M13) DNA ingested by mice reaches peripheral leukocytes, spleen, and liver via the intestinal wall mucosa and can be covalently linked to mouse DNA. NEJM, 94:961-966.
  5. Houdebine, L. M., 2000. OGM. Le vrai et le faux. Le Pommier-Fayar.
  6. Courvalin, P. 1998. De la connaissance des gènes à leur utilisation. Première partie : l’utilisation des OGM en agriculture et dans l’alimentation. Tome I : Conclusion du rapporteur. Allocution à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. 8 juillet 1998. www.assemblee-nationale.fr/2/oecst/ogm_rap.htm.
  7. Royal Society (RS), 1998. Genetical­ly modified plants for food use. September. www.royalsoc.ac.uk/files/statfiles/document-56.pdf.
  8. Société royale du Canada (SRC), 2001. Éléments de précaution : recommandations pour la réglementation de la biotechnologie alimentaire au Canada. Rapport du Groupe d’experts sur l’avenir de la biotechnologie alimentaire. Sommaire exécutif.
  9. Royal Society of Canada (RSC), 2001. Element of Precaution: Recommen­dations for the Regulation of Food Biotech­nology in Canada. www.rsc.ca.
  10. Ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimen­tation, 2001. La sécurité alimentaire, notre responsabilité à tous. Bilan annuel des activités 2000-2001.
  11. Boyens, I., 1999. Les OGM. Comment la science de l’industrie biotechnologique altère secrètement nos aliments. Berger.