Biométrologie des fibres dans les tissus pulmonaires de travailleurs québécois atteints d'une maladie professionnelle reliée à l'amiante entre 1988 et 2008

La présente étude décrit les caractéristiques des 123 travailleurs québécois ayant eu une analyse biométrologique du contenu pulmonaire en fibres entre 1988 et 2007 et atteints d'une maladie professionnelle reliée à l'amiante (amiantose, mésothéliome et cancer pulmonaire).

Cette description a été réalisée à partir des données sur la maladie, l'histoire professionnelle et la biométrologie consignées dans les dossiers des travailleurs conservés à la Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec. L'histoire professionnelle des travailleurs a permis de déterminer dans quel milieu de travail (ou secteur/profession) avait eu lieu l'exposition à l'amiante responsable de la maladie : mines et moulins d'amiante, construction, entretien/réparation et autres. La profession exercée par le travailleur au moment de l'exposition à l'amiante a également été identifiée : métiers spécialisés, manoeuvres, opérateurs/conducteurs et autres. Les blocs de poumons qui ont servi à la biométrologie ont été analysés par microscopie électronique à transmission combinée à la spectrométrie dispersive en énergie des rayons-X dans deux laboratoires sous la supervision du même chimiste. Les données biométrologiques ont permis d'identifier le type de fibres présentes dans les poumons des travailleurs et de calculer leur concentration, leur longueur, leur diamètre et le rapport longueur/diamètre (L/d). Elles ont aussi permis de compter et de différencier les fibres courtes d'amiante (FCA), les fibres fines d'amiante (FFA) et les fibres correspondant à la définition de l'Organisation mondiale de la Santé (fibres OMS). Dans ce rapport, les FCA sont des fibres de longueur > 0,5 μm et < 5 μm, avec un diamètre < 3 μm et un rapport L/d ≥ 3:1. Les FFA ont une longueur ≥ 5 μm, un diamètre < 0,2 μm et un rapport L/d ≥ 3:1. Les fibres OMS ont une longueur ≥ 5 μm, un diamètre ≥ 0,2 μm et < 3 μm et un rapport L/d ≥ 3:1.

L'âge moyen des travailleurs de l'étude est de 69 ans et leur durée moyenne d'exposition à l'amiante de 23 ans. La majorité d'entre eux sont des hommes (99 %) et des fumeurs ou des ex-fumeurs (92 %). Plus de la moitié des travailleurs sont atteints d'un cancer pulmonaire. Trente-quatre pour cent des travailleurs ont été exposés dans les mines d'amiante, 21 % dans l'entretien/réparation et 15 % dans la construction; 49 % des travailleurs exerçaient des métiers spécialisés comme ceux de calorifugeur ou d'électricien (surtout dans la construction et l'entretien/réparation), 19 % étaient des manœuvres (principalement dans les mines) et 14 % étaient des opérateurs/conducteurs (dans divers secteurs/professions).

Dans les 380 blocs de poumons analysés, 8 790 fibres ont été dénombrées. Près de 54 % des travailleurs avaient trois ou quatre types de fibres dans leurs poumons. Un peu plus de 85 % des travailleurs avaient du chrysotile, 76 % de la trémolite, 64 % de l'amosite et 43 % de la crocidolite.

En général, les concentrations moyennes de fibres de longueur < 5 μm sont supérieures aux concentrations de fibres ≥ 5 μm et les concentrations de chrysotile et de trémolite sont plus élevées que celles des fibres d'amosite et de crocidolite. Les concentrations moyennes de fibres diminuent lorsque le délai médian entre la dernière exposition à l'amiante et l'analyse biométrologique s'allonge. Par ailleurs, les concentrations moyennes de fibres augmentent avec la durée médiane d'exposition.

Finalement, des fibres de chrysotile de toutes longueurs (< 5 μm et ≥ 5 μm) ont été observées dans les poumons de certains travailleurs plus de 30 ans après la fin de leur exposition.

Pour l'ensemble des travailleurs et pour l'ensemble des maladies, l'amosite présente la longueur moyenne la plus élevée et la trémolite la plus courte. Cette dernière a le diamètre moyen le plus grand et le chrysotile le plus petit. Le rapport L/d moyen est le plus élevé pour le chrysotile et le plus bas pour la trémolite pour laquelle il est toujours inférieur à 20:1.

L'ensemble des fibres se répartissent en FCA, FFA et fibres OMS dans des proportions de 50, 30 et 20 %. Les proportions de chrysotile et de trémolite qui sont des FCA sont plus élevées que pour les autres types de fibres d'amiante. Les fibres de chrysotile et de crocidolite ont les plus forts pourcentages de FFA. Enfin, les fibres de trémolite et d'amosite présentent les plus grandes proportions de fibres OMS, alors que le chrysotile en a moins de 3 %.

L'analyse des données par secteurs/professions et par professions révèle quelques différences : 1) peu importe la maladie, dans les mines, les concentrations de trémolite et de chrysotile sont plus importantes que dans les autres secteurs/professions, dans lesquels l'amosite prédomine; 2) chez les travailleurs des métiers spécialisés atteints d'une amiantose ou d'un mésothéliome, les concentrations d'amosite et de chrysotile sont les plus importantes, alors que chez les travailleurs avec un cancer pulmonaire les concentrations de chrysotile et de trémolite dominent; 3) peu importe la maladie, ce sont les manœuvres, dont la moitié provient du secteur des mines, qui ont les concentrations les plus élevées de chrysotile et de trémolite et 4) les opérateurs/conducteurs atteints d'un mésothéliome ont des concentrations plus élevées de chrysotile et d'amosite, alors que chez ceux qui ont un cancer pulmonaire, la trémolite et la crocidolite dominent.

L'étude repose sur une faible portion des travailleurs québécois atteints d'une maladie liée à l'amiante. Il faut donc interpréter les résultats avec précaution. Ces derniers sont cependant similaires à ce qui est décrit dans la littérature. La forte proportion de FCA et de FFA (80 %) et la faible proportion des fibres OMS observées dans le contenu pulmonaire des travailleurs reconnus atteints d'une maladie professionnelle reliée à l'amiante confirment la pertinence de prendre en compte d'autres critères dimensionnels pour caractériser les risques sanitaires liés à l'inhalation d'amiante.

Auteur(-trice)s
Louise De Guire
M.D., Institut national de santé publique du Québec
ISBN (électronique)
978-2-550-63728-8
ISBN (imprimé)
978-2-550-63727-1
Notice Santécom
Date de publication