21 mai 2019

Exploration des changements de perception de l’énergie éolienne chez des propriétaires terriens du Michigan (États-Unis) après la construction

Résumé scientifique
Le texte qui suit est le résumé d’une publication scientifique (ou d’une étude) n’ayant pas été réalisée par l’Institut national de santé publique du Québec. Ce document ne peut donc pas être considéré comme la position de l’Institut. Son objectif est de porter à l’attention des lecteurs des éléments récents de la littérature scientifique, et ce, sous un éclairage découlant de l’expertise des auteurs du résumé.
Auteur(s)
Emmanuelle Bouchard-Bastien
M. Env., conseillère scientifique, Direction de la santé environnementale et de la toxicologie, Institut national de santé publique du Québec
Vanessa Paré
Stagiaire en anthropologie, Institut national de santé publique du Québec

Mills SB, Bessette D, Smith H. Exploring landowners’ post-construction changes in perceptions of wind energy in Michigan. Land Use Policy. 2019;82:754-762.

Contexte

L’acceptation sociale des projets de développement éolien est modulée par plusieurs facteurs, tels que le processus décisionnel, les retombées économiques et les effets appréhendés sur le paysage et le milieu de vie (1). Afin de mieux anticiper ces fluctuations, plusieurs chercheurs ont tenté de mettre au jour une trajectoire type, la plus connue étant la courbe en « U » proposée par un expert américain pro-éoliennes des années 1990 (2), laquelle est encore soutenue par des scientifiques contemporains. Cette trajectoire suggère une attitude au départ favorable, qui se détériore avec l’accumulation de renseignements sur les impacts potentiels, et qui redevient à un niveau favorable lorsque les impacts anticipés s’avèrent moins importants que prévu et qu’une familiarité s’installe à l’égard du nouvel environnement. D’autres études observent toutefois d’autres trajectoires et, surtout, mettent en garde contre l’interprétation de la courbe en « U », qui serait plutôt le résultat de l’essoufflement des opposants.

Présentation de l'étude

L’étude de Mills et al. (3), conduite au Michigan (États-Unis) dans un milieu rural, vise à contribuer à cette réflexion en vérifiant l’hypothèse de la trajectoire en « U » auprès de propriétaires terriens vivant à proximité de parcs éoliens. Pour ce faire, les auteurs ont interrogé à deux périodes post-construction distinctes les mêmes propriétaires terriens, ce qui serait une première aux États-Unis selon les auteurs. En plus de mesurer si les craintes exprimées par les résidents lors de la période de planification d’un projet éolien se dissipaient à la fin de sa construction, les chercheurs ont voulu approfondir particulièrement l’influence de deux facteurs sur le niveau d’acceptation et de perception du risque, soit l’équité du processus de planification du projet éolien et les compensations financières.

Les résultats de l’étude se basent sur l’analyse quantitative de deux sondages postaux, le premier datant de 2014 (immédiatement après la mise en opération des éoliennes) et le deuxième de 2016. Pour mesurer le niveau d’acceptation des propriétaires terriens, les répondants devaient indiquer leur degré d’accord ou de désaccord selon quatre échelles (fortement en désaccord, en désaccord, en accord ou fortement en accord) vis-à-vis dix affirmations portant sur leur perception des bénéfices et des conséquences associés aux projets éoliens. Les facteurs de perception de l’équité du processus et des compensations financières, quant à eux, ont été évalués avec l’ajout de questions spécifiques dans le sondage de 2016. Puisque la visée de cette étude reposait sur l’analyse de l’évolution de la perception dans le temps, seules les réponses des résidents propriétaires ayant participé aux deux sondages ont été retenues. Sur 1028 sondages envoyés en 2014 et 964 envoyés en 2016, 520 ont été retenus pour cette étude. Les réponses aux dix affirmations ont été étudiées afin de révéler les perceptions et le niveau d’acceptation à l’égard de la filière éolienne, en plus de servir de variable pour analyser les résultats portant sur les deux facteurs ciblés par les chercheurs.

 

Principaux résultats

Les résultats concernant les bénéfices et les conséquences perçus ne forment pas une trajectoire en « U », amenant les chercheurs de l’étude à rejeter cette hypothèse. Sur les dix affirmations, six sont demeurées stables entre les enquêtes, ce qui ne démontre aucune augmentation notable de l’acceptation des projets éoliens sur une période de deux ans. Une seule affirmation (« les éoliennes contribuent à la lutte aux changements climatiques ») a connu une hausse du degré d’accord. Les trois autres, qui portaient sur les conséquences des éoliennes sur la migration des oiseaux, les conditions météorologiques et la santé, ont diminué, ce qui démontre une augmentation des préoccupations chez la majorité des résidents à propos de ces thématiques.

La perception d’équité du processus de planification du projet ainsi que l’attitude du promoteur ont une influence significative sur l’acceptation des projets éoliens auprès de la population étudiée, ce qui est cohérent avec d’autres études récentes menées en Amérique du Nord (4,5). Après avoir évalué en 2016 leur adhésion à des affirmations telles que « J’ai eu amplement l’occasion de donner mon avis durant la planification du projet éolien » et « La participation de la communauté a influencé les résultats du projet éolien (c’est-à-dire la localisation ou le nombre d’éoliennes) », les chercheurs ont séparé les répondants en deux groupes selon leur perception de l’équité du processus. Les résultats montrent que les répondants qui percevaient de l’équité dans le processus (groupe A) percevaient davantage de bénéfices que de conséquences que le groupe qui percevait des iniquités dans le processus (groupe B). De plus, chez certains répondants du groupe A, le taux d’adhésion à trois affirmations portant sur des bénéfices perçus a augmenté entre les deux enquêtes, et aucune adhésion à des affirmations portant sur des conséquences perçues n’a augmenté significativement. Inversement, les répondants du groupe B percevaient davantage de conséquences en 2014 et la plupart des perceptions évaluées n’ont pas changé en deux ans, même que certaines seraient devenues plus négatives. Ces résultats suggèrent que le temps peut accentuer le fossé entre les deux groupes si rien n’est entrepris pour remédier à la perception d’iniquité.

Pour ajouter une couche d’interprétation à ces résultats, les compensations financières reçues ont également été combinées aux changements mesurés entre les deux enquêtes à propos des bénéfices et des conséquences perçus. Les résultats sont similaires à ceux portant sur l’équité du processus, c’est-à-dire que les répondants ayant reçu une compensation financière de la part du promoteur éolien percevaient plus de bénéfices que de conséquences à l’égard de cette filière énergétique, et leur niveau d’acceptation s’accentuait avec le temps. Les propriétaires n’ayant pas reçu de compensation financière, quant à eux, percevaient davantage de conséquences deux ans plus tard. Toutefois, l’ampleur des changements de perception est moins significative que pour l’équité du processus, ce qui amène les chercheurs à conclure que le facteur de l’équité du processus a beaucoup plus d’influence sur la perception que les compensations financières, même si ces dernières ont également un rôle à jouer dans la perception des risques et l’acceptation des projets.

Discussion et conclusion

Les résultats de l’étude montrent que les propriétaires vivant à proximité de parcs éoliens perçoivent à la fois des bénéfices et des conséquences associés au projet éolien, et que ces perceptions sont modulées par le processus décisionnel et les retombées financières individuelles. Certes, plusieurs facteurs n’ont pas été considérés dans cette étude, tels que la distance du répondant par rapport à l’éolienne la plus proche et le nombre d’éoliennes présent sur la propriété, ce qui représente une limite importante. Toutefois, l’étude de Mills et al. (3) ne soutient pas la trajectoire en « U » de Gipe (2), puisque les résultats démontrent que le niveau d’acceptation n’a pas augmenté avec le temps, mais a plutôt varié chez certains propriétaires selon la perception d’équité dans le processus et l’obtention de compensations financières. Bien que ces deux facteurs paraissent significatifs pour moduler l’acceptation d’un projet, il a été démontré que les compensations financières s’avéraient moins importantes sur le long terme et influençaient sur une moindre mesure l’attitude positive des résidents. Au contraire, l’équité du processus de planification et la collaboration avec la communauté semblent primordiales pour s’assurer le soutien des résidents sur le long terme, surtout si le promoteur souhaite accroître le nombre d’éoliennes au fil des ans. Ces résultats suggèrent que les mesures prises par les promoteurs éoliens et par les autorités gouvernementales, municipales et locales, en termes de planification et de consultation, ont des effets qui vont bien au-delà de la réunion d’approbation finale d’un projet.

Perspective

Au Québec, le développement de la filière éolienne a commencé un peu avant les années 2000. C’est cependant depuis 2010 qu’il est possible de constater que le gouvernement accorde davantage d’importance, et donc de financement, à ce secteur (voir le tableau 1). Alors que les premiers projets se situaient dans la région de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine et surtout au littoral du fleuve Saint-Laurent, depuis les dix dernières années, de plus en plus de parcs se construisent en régions plus éloignées de celui-ci. Bien que la quantité d’énergie produite par le secteur éolien au Québec soit en constante augmentation depuis les années 2000, elle ne constitue qu’un peu plus de 4 % des sources d’approvisionnement énergétique d’Hydro-Québec, l’énergie hydraulique étant toujours bien en tête avec 94,5 % des parts (6).

De par la similitude entre les contextes socioéconomiques et sociopolitiques des États-Unis et du Canada, les résultats de l’étude de Mills et al. (3) peuvent s’appliquer au contexte québécois. D’ailleurs, certaines études québécoises portant sur la filière éolienne ont déjà souligné l’importance de la perception d’équité comme facteur d’influence de l’acceptabilité sociale (7,8). Les données concernant l’impact des compensations financières directes aux propriétaires, pour leur part, sont moins pertinentes pour le contexte québécois, puisque ce sont davantage les municipalités qui peuvent recevoir des compensations financières de la part des entreprises.

Tableau 1        Aperçu de la filière éolienne au Québec

Date de
mise en service

Nom du projet

Région

Nombre d’éoliennes

1998-1999

Le Nordais

Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine

132

2004

Mont Copper

Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine

30

2005

Mont Miller

Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine

30

2006

Baie-des-Sables

Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine

73

2007

Anse-à-Valleau

Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine

67

2008

Carleton

Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine

73

2009

Jardin d’Éole

Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine

85

2010

Site nordique expérimental en éolien CORUS

Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine

2

2011

Mont-Louis

Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine

67

2011

Montagne-Sèche

Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine

39

2011-2012

Gros Morne

Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine

67

2012

Saint-Robert-Bellarmin

Estrie

40

2012-2014

Le Plateau (2 phases)

Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine

60

2012

Montérégie

Montérégie

44

2013

De l’Érable

Chaudière-Appalaches

50

2013

New Richmond

Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine

33

2013

Des Moulins

Chaudière-Appalaches

59

2013

Massif du Sud

Chaudière-Appalaches

75

2013

Lac-Alfred (2 phases)

Bas-Saint-Laurent

150

2013

Viger-Denonville

Saguenay–Lac-Saint-Jean

12

2013-2014

Seigneurie de Beaupré (4 phases)

Capitale-Nationale

28

2014

Vents du Kempt

Bas-Saint-Laurent

43

2014

Rivière du Moulin (2 phases)

Capitale-Nationale

175

2014

La Mitis

Chaudière-Appalaches

12

2014

Le Granit

Estrie

12

2014

Saint-Damase

Bas-Saint-Laurent

10

2014-2015

Témiscouata (2 phases)

Bas-Saint-Laurent

10 et 22

2015

Des Moulins (phase 2)

Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine

9

2015

Saint-Philémon

Chaudière-Appalaches

8

2015

Frampton

Chaudière-Appalaches

12

2015

Mont Rothery

Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine

37

2015

Côte-de-Beaupré

Capitale-Nationale

10

2016

Pierre-de-Saurel

Montérégie

12

2016

Mesgi’g Ugju’s’n

Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine

47

2016

Roncevaux

Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine

34

2018

Nicolas-Riou

Bas-Saint-Laurent

65

2018

Mont Sainte-Marguerite

Chaudière-Appalaches

46

Projets à venir

Juin 2019

Saint-Cyprien

Montérégie

8

Automne 2019

Éoliennes Belle-Rivière

Saguenay–Lac-Saint-Jean

10

Octobre 2019

Dune-du-Nord

Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine

2

Automne 2021

Des Cultures

Montérégie

6  

Décembre 2022 et 2023

Apuiat (2 phases)

Côte-Nord

48 et 57

Sources : Ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (9); Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (10).

Références

  1. Brisson G, Gervais MC, Martin R. Éoliennes et santé publique. Synthèse des connaissances – mise à jour [En ligne]. Québec : Institut national de santé publique du Québec; 2013. Disponible : /sites/default/files/publications/1633_eoliennessp_synthconn_maj.pdf
  2. Gipe P. Wind Energy Comes of Age. New York: John Wiley & Sons; 1995.
  3. Mills SB, Bessette D, Smith H. Exploring landowners’ post-construction changes in perceptions of wind energy in Michigan. Land Use Policy. 2019;82:754-762.
  4. Rand J, Hoen B. Thirty years of North American wind energy acceptance research: What have we learned? Energy Res. Soc. Sci. 2017;29:135-148.
  5. Jami AA, Walsh PR. From consultation to collaboration: a participatory framework for positive community engagement with wind energy projects in Ontario, Canada. Energy Res. Soc. Sci. 2017;27:14-24.
  6. Hydro-Québec. Faits sur l’électricité d’Hydro-Québec : Approvisionnements en électricité et émissions atmosphériques [En ligne]. Québec : Hydro-Québec; 2017. Disponible : http://www.hydroquebec.com/data/developpement-durable/pdf/approvisionnements-energetiques-emissions-atmospheriques-2017.pdf
  7. Maillé M, Saint-Charles J. Fuelling an Environmental Conflict through Information Diffusion Strategies. Environmental Communication. 2013;8(3):1-21.
  8. Fortin MJ, Le Floch S. Contester les parcs éoliens au nom du paysage: le droit de défendre sa cour contre un certain modèle de développement. Globe. 2010;13(2):27-50.
  9. Ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles [En ligne]. Québec : Gouvernement du Québec; 2018. Projets éoliens au Québec. Disponible : https://mern.gouv.qc.ca/energie/energie-eolienne/projets-eoliens-au-quebec/
  10. Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques [En ligne]. Québec : Gouvernement du Québec; 2018. Registre des évaluations environnementales. Disponible : http://www.ree.environnement.gouv.qc.ca/resultats.asp