COVID-19 : Immunité de groupe et retour des enfants à l’école et à la garderie

Au cours des dernières semaines, la détection dans divers milieux de soins québécois d’un grand nombre de personnes infectées, mais asymptomatiques a pu créer la perception qu’une forte proportion de la population avait déjà été infectée et qu’une stratégie visant à développer une immunité de groupe, notamment par le retour des enfants à l’école ou en garderie pouvait être intéressante. Le présent document vise à soulever les éléments scientifiques concernant l’immunité de groupe et l’impact épidémiologique d’une stratégie visant à créer une immunité de groupe.

Concepts épidémiologiques liés à l’immunité de groupe

Le potentiel épidémique d’un virus dépend de la durée de sa contagiosité (d), de la probabilité de transmission lors d’un contact entre deux personnes (p), des taux de contacts entre les individus de la population par unité de temps (c) et de la proportion d’individus susceptibles (s) dans la population. Ce potentiel épidémique est résumé par le taux de reproduction (R) qui se calcule selon l’équation (1) suivante :

R = durée x probabilité transmission x contacts x susceptibles = dpcs

Le taux de reproduction (R) se définit comme le nombre moyen de cas secondaires causés par une personne infectée. Lorsque le R est > 1, le nombre de cas augmente d’une génération à l’autre et on est dans la phase montante avec une croissance exponentielle de l’épidémie. Ce n’est que lorsque le R < 1 que le nombre de cas décroit et qu’on est dans la phase descendante de l’épidémie.

Au début d’une pandémie, le potentiel épidémique est maximal parce que toute la population est susceptible au nouveau virus. On parle alors de R0 et pour la COVID-19, on estime ce R0 à environ 3. Cette haute valeur a été estimée tant au Québec qu’au Canada et dans la plupart des pays du monde, mais certains estimés situent le R0 à une valeur même plus élevée que 3.

Au fur et à mesure de l’évolution de la pandémie, l’infection touchera une proportion de plus en plus grande de la population. Les individus infectés finiront par guérir et acquerront une immunité. Plus la proportion de la population « immunisée » par la maladie deviendra grande, plus cette « immunité de groupe » ralentira la vitesse de progression de l’épidémie et plus le R diminuera en fonction de l’équation (1). Cette équation permet de dériver que le R deviendra inférieur à 1 seulement lorsque la proportion d’individus infectés par la maladie et devenue immune sera plus grande que 1 – 1/R0. Dans le cas de la COVID-19, ceci veut dire qu’en l’absence de mesures de distanciation sociale, il faut que plus de 66 % de la population ait été infectée (et soit devenue immune) avant que R devienne inférieur à 1.

Proportion de la population québécoise infectée

Au 20 avril 2020, il y a eu 11 059 cas de COVID-19 confirmés dans la population de Montréal et de Laval qui ont été les plus touchées, soit un taux de 0,44 %. Sous l’hypothèse qu’une personne symptomatique sur 5 ait été testée et confirmée et qu’il y ait autant d’infections asymptomatiques que d’infections symptomatiques, seulement 4,4 % des résidents de ces régions auraient été infectés. Ce faible pourcentage est du même ordre que celui retrouvé dans le comté de Santa Clara en Californie qui a été très touché par la COVID-19 et où une étude de séroprévalence des anticorps contre le SARS-CoV-2 chez 3 330 sujets a retrouvé une prévalence variant entre 2,5 % et 4,2 %. Ces proportions sont très loin de celles qui sont nécessaires pour atteindre un R < 1.

La proportion exacte de Québécois infectés ne sera connue qu’après avoir réalisé des enquêtes sérologiques, mais il est très probable que 90 % ou plus des Québécois n’ont toujours pas été infectés et sont encore susceptibles.

Immunité de groupe et retour des enfants à l’école et à la garderie

La grande majorité des enfants semblent peu ou pas symptomatiques lorsqu’ils sont infectés par le SARS-CoV-2. Dans ce contexte, il peut être tentant de retourner les enfants à l’école pour qu’ils acquièrent l’infection et développent une immunité qui protègerait la population adulte. Cependant, une telle approche est également à risque de provoquer une forte augmentation de la maladie dans la population adulte sans pour autant créer une immunité de groupe.

Les jeunes de moins de 20 ans représentent 20 % de la population québécoise. Même s’ils devenaient tous infectés grâce à un retour à l’école, le Québec serait loin d’avoir suffisamment d’individus immuns pour profiter d’une immunité de groupe. Par contre, il est certain que l’infection des enfants contribuerait à une transmission substantielle de la COVID-19 à leurs parents et aux autres adultes qui les entourent et pourrait ainsi entraîner un grand nombre d’hospitalisations sur une courte période avec un potentiel réel de dépassement de la capacité du réseau de la santé tant dans les grands centres urbains que dans les régions. Même si les cas de COVID-19 âgés de moins de 70 ans ont un risque de décès moindre que ceux qui sont plus âgés, une proportion non négligeable développe une infection sévère nécessitant une admission aux soins intensifs et parfois en décèdent. Dans le contexte actuel de mesures de distanciation importantes, ces adultes de moins de 70 ans constituent actuellement 65 % des cas confirmés par laboratoire et environ 35 % des patients hospitalisés. Ces proportions pourraient augmenter si leurs enfants rapportent l’infection à la maison.

Ce risque de transmission aux adultes n’est pas théorique. En Europe, une étude sur les taux de contacts selon les groupes d’âge a montré qu’un enfant/ado de 0-18 ans a entre 5 et 10 contacts par jour avec des enfants/ados de 0-18 ans et a aussi environ 5-6 contacts par jour avec des adultes de 18-60 ans. La majeure partie des contacts des enfants/ados sont à l'école et à la maison. Par ailleurs, comme une grande proportion d’enfants infectés resteront asymptomatiques, ces enfants ne se méfieront pas et continueront à avoir un grand nombre de contacts et à transmettre la maladie.

Ces observations vont dans le même sens que les travaux de modélisation faits par le groupe de l’Imperial College au Royaume-Uni montrant qu’une stratégie visant l’obtention d’une immunité de groupe risque de causer un nombre massif d’hospitalisations et de décès.

Finalement, il est important de rappeler qu’on ne connaît pour le moment ni le niveau de protection conféré par les anticorps produits par l’infection ni la durée de l’immunité générée par l’infection, deux facteurs qui ont des impacts directs sur l’atteinte d’une immunité de groupe.

Conclusion

Bien que la première vague de COVID-19 ait frappé très fort dans les régions de Montréal et Laval, il est plus que probable que la très vaste majorité de leurs habitants n’ont pas été infectés. Pour obtenir une immunité de groupe qui réduise le taux de reproduction à < 1, il faudrait que l’infection ait touché plus des deux tiers de la population. Dans le contexte où le Québec maintient de fortes mesures de distanciation sociale, la proportion de personnes immunes nécessaire à amener le R < 1 pourrait être un peu plus faible, mais elle restera vraisemblablement beaucoup plus élevée que celle que l’on obtiendrait en laissant la totalité des jeunes de moins de 20 ans devenir infectés et immuns. Une stratégie où on laisserait les jeunes s’infecter risque d’entraîner une forte augmentation de la maladie chez les adultes et de besoins en services hospitaliers et en soins intensifs sans atteindre la cible d’immunité de groupe recherchée.

Dans le contexte actuel, pour empêcher que le retour à l’école ou à la garderie s’accompagne d’une recrudescence de la transmission chez les adultes, il faudra que ce retour se fasse tout en maintenant de fortes mesures de distanciation sociales.

COVID-19 : Immunité de groupe et retour des enfants à l’école et à la garderie
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