Partenariat entre les services de police et les programmes d'échange de seringues : les enjeux de l'action intersectorielle

Ce rapport, réalisé par l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), cherche à discuter de la mise en tension de deux milieux directement impliqués dans l'implantation des programmes d'échanges de seringues (PES), soit la santé publique et la sécurité publique. Il documente l'impact des interventions policières sur l'utilisation des PES par les personnes utilisatrices de drogues par injection (UDI). Il vise aussi à mieux comprendre les conditions qui favorisent une meilleure implantation des PES, de même qu'à recenser les expériences fructueuses de collaboration intersectorielle dans ce domaine. Ce rapport repose sur une recension des écrits et sur une consultation auprès de 50 informateurs clés, soit des usagers des PES, des intervenants communautaires, des représentants de santé publique et des policiers.

Ce rapport a été réalisé à la demande du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), et vise à alimenter les travaux du Comité santé et sécurité publique à l'égard des programmes de prévention des ITSS/UDI, mis sur pied par le ministère de la Sécurité publique (MSP).

Les interventions policières et l'utilisation des PES

Les personnes qui font usage de drogues par injection sont ciblées par des actions de prévention en santé, mais elles peuvent aussi, en raison de leurs comportements induits par la consommation (infractions criminelles, nuisances publiques par le bruit excessif ou des comportements dérangeants induits par une intoxication sévère), être interpellées par les policiers en réponse à des plaintes des résidents et des commerçants. De manière générale, le PES et les services de police, qui poursuivent des objectifs visant la sécurité dans les milieux de vie des résidents et des commerçants, développent des liens de collaboration afin d'optimiser les actions de prévention de part et d'autre selon leur mission réciproque. Par contre, le travail de concertation entre les policiers et les responsables des PES rencontre parfois des obstacles, lorsque des actions reconnues efficaces pour assurer la conformité des conduites des citoyens aux normes socialement établies induisent indirectement des limites aux actions de prévention du VIH, du virus de l'hépatite B (VHB) et du virus de l'hépatite C (VHC) auprès des personnes UDI, ou inversement lorsque des actions des PES complexifient le travail des policiers.

Les informations tirées de la recension des écrits montrent que même si les interventions visant l'application des lois sur les drogues, ainsi que la prévention de la criminalité et la gestion de l'ordre public sont motivées par les plaintes de résidents et de commerçants, et légitimées par les stratégies de prévention dans l'espace urbain, elles peuvent, dans certains cas, avoir des effets sur les interventions en prévention du VIH, du VHB et du VHC réalisées par les PES.

Des auteurs ont observé que l'application des lois sur les drogues entraîne généralement des effets sur les pratiques de consommation, et favorise l'adoption de comportements non sécuritaires (partage du matériel d'injection, seringues laissées dans des endroits inappropriés, injection préparée à la hâte de manière non hygiénique et dissimulation de drogues dans des cavités corporelles). Les personnes UDI sont directement concernées par les lois sur les drogues, et lorsqu'il y a augmentation des mesures policières en lien avec ces règlements, on observe un accroissement de la crainte d'être interpellé. La documentation nous indique que les personnes UDI limitent alors les quantités de matériel d'injection qu'ils se procurent dans les PES, ne transportent plus leurs seringues souillées pour la récupération, s'éloignent des services des PES ainsi que des services de santé qui leur sont destinés. Ils s'isolent dans des lieux inconnus des travailleurs communautaires, et où les conditions de consommation augmentent les risques d'infections et de surdoses.

La prévention de la criminalité et la gestion de l'ordre public ne sont pas spécifiquement orientées vers les consommateurs de drogues, et de nombreux injecteurs ne sont pas interpellés pour des motifs en lien avec des interventions policières dans ce champ d'activités. Par ailleurs, les populations les plus marginalisées, celles qui sont visées par les PES, présentent souvent des caractéristiques et des comportements ciblés par les dispositions réglementaires et législatives relatives à l'utilisation du domaine public. L'itinérance, la consommation dans des lieux publics, le fait d'offrir ses services (sexuels, de lavage de pare-brise), ou de flâner dans un lieu public et de fréquenter un parc au-delà des heures d'ouverture sont des motifs d'interpellation de la part des policiers. Cette marginalité qui caractérise bon nombre d'usagers des PES, occasionne souvent des plaintes de la part de résidents et de commerçants, et entraîne des interventions policières en vue d'assurer la paix et l'ordre.

La documentation a montré que les activités policières en lien avec la législation concernant les drogues, ainsi que celles destinées au maintien de la paix, de l'ordre et de la sécurité publique peuvent interférer avec les activités des PES. Au Québec, il semble que ce sont davantage les activités en lien avec le maintien de la paix, de l'ordre et de la sécurité publique qui seraient mise en cause. La pratique policière est elle aussi affectée par la distribution de seringues comme mesure de prévention du VIH, du VHB et du VHC. Les policiers sont préoccupés par les seringues qui peuvent se retrouver dans le domaine public, et par les risques de piqûre accidentelle sur une seringue contaminée.

Les conditions qui favorisent une meilleure implantation des PES

Les consultations réalisées au Québec ont permis de dégager de nombreux acquis hérités d'une longue tradition de cohabitation, entre les intervenants terrain que sont les policiers et les intervenants communautaires des PES et, dans certains cas, des usagers des PES. De nombreuses solutions, en vue d'harmoniser des pratiques déjà existantes entre les services policiers et les intervenants et usagers des PES, ont été proposées par les participants à la consultation. Ils ont aussi nommé les difficultés à surmonter pour arriver à une concertation optimale. Il appert que la formation de comités de travail, ou plus simplement les rencontres de partage d'information sur les manières différentes d'intervenir permettraient aux intervenants sur le terrain de mieux coordonner leurs actions. Le développement d'outils de suivi de la situation permettant de réagir, et de proposer des ajustements lorsque surviennent des difficultés, ainsi que la formation des différents intervenants aux approches de santé publique dans le champ du VIH, du VHB et du VHC comptent parmi les solutions proposées.

On retiendra des consultations auprès d'acteurs clés qu'une plus grande circulation de l'information entre les intervenants sur le terrain et au sein des organisations, ainsi que le développement de compétences et d'habiletés pour mieux intervenir et se concerter, sont des pistes de solutions intéressantes. L'idée d'un cadre de référence sur les bonnes pratiques dans un environnement de réduction des méfaits, tout comme celle de la mise sur pied de comités mixtes permettant de réunir des intervenants des milieux policier et de la santé publique, ont été proposées. Il a aussi été suggéré que les autorités de santé publique et de sécurité publique soutiennent les efforts des intervenants sur le terrain, soit par une position officielle, soit par une politique nationale intégrant à la fois les aspects policiers, et les aspects de prévention des toxicomanies, de traitement des dépendances et de réduction des méfaits.

Les expériences fructueuses de collaboration intersectorielle

Plusieurs pays ont instauré des stratégies de réduction des méfaits en réponse à la situation relative à l'usage de drogues et aux risques de contracter le VIH, le VHB et le VHC. Ces stratégies ont été développées en réponse à des situations problématiques entourant l'usage de drogues et la sécurité dans les milieux de vie et elles répondaient à la fois à des préoccupations de santé publique et de sécurité publique. Lorsque l'approche de réduction des méfaits a été proposée, elle a été soutenue par les acteurs des deux secteurs. Ces stratégies ont obtenu des appuis du milieu à la suite de l'implication des autorités municipales ou gouvernementales, qui ont proposé des mesures de soutien à la concertation. De manière générale, et ce, même si elles ne sont pas parfaites, ces stratégies ont contribué à harmoniser les pratiques de santé publique et de sécurité publique. Cette recension des écrits a aussi permis de mettre en évidence des solutions et des stratégies de partenariat entre des policiers, et des agences de santé publique dans la lutte au VIH, au VHB et au VHC.

Il existe divers leviers qui peuvent être utilisés par les instances de santé publique et de sécurité publique, pour permettre à la fois de tenir compte des préoccupations des acteurs sur le terrain, et de favoriser la concertation pour assurer la prévention des infections au VIH, au VHB et au VHC, ainsi que la sécurité dans les milieux de vie des citoyens. Le Programme national de santé publique, tout comme la Stratégie québécoise de lutte aux ITSS, présentent des stratégies permettant la collaboration du réseau de la santé et des services sociaux avec d'autres instances publiques, privées et communautaires. Des dispositions similaires sont aussi inscrites dans la politique ministérielle du MSP, qui, de surcroît, s'appuie sur l'approche de police communautaire. À cela s'ajoutent deux plans d'action interministériels, soit celui en toxicomanie et celui en itinérance, qui offrent des leviers importants pour la concertation.

Les informations entourant des initiatives québécoises de collaboration ou de concertation entre les milieux policier, de la santé publique, et du communautaire, montrent qu'il existe, dans les faits, des lieux de concertation et que des collaborations basées sur des ententes formelles ont permis le développement d'un partenariat entre ces milieux. Retenons que le déploiement de ces initiatives a rencontré certains obstacles, ce qui est le propre des nouvelles initiatives, mais que des conditions favorables ont aussi contribué à leur réussite. Parmi les conditions favorables, les ententes entre représentants du MSP et du réseau de la santé et des services sociaux, le soutien d'un comité consultatif, ainsi que le développement des habiletés et compétences personnelles et professionnelles grâce à la formation, ont eu une incidence positive. L'évaluation, plus particulièrement en cours d'implantation, semble un facteur de réussite de ces initiatives.

Pistes d'action

Il apparaît donc nécessaire d'harmoniser les pratiques lorsque les actions préventives menées par certains acteurs entrent en conflit avec celles d'autres acteurs impliqués auprès des mêmes populations. C'est notamment le cas des populations de personnes toxicomanes, dont la dépendance à des produits illicites les place dans une position paradoxale entre le soin et la répression.

Les organismes responsables des PES proposent aussi de plus en plus d'encadrement pour les personnes toxicomanes, et leurs locaux sont généralement accessibles à des heures où les usagers sont en activité. Ces usagers devraient aussi faire partie de la solution pour assurer une continuité aux actions de sécurité amorcées par les policiers sur le terrain.

Le Québec dispose de leviers importants pouvant permettre la concertation entre les différents acteurs nationaux, régionaux et locaux, notamment des plans d'action interministériels en toxicomanie et en itinérance. Il serait souhaitable que les différents interlocuteurs puissent conjuguer leurs efforts pour répondre aux problèmes aussi complexes que la toxicomanie, la santé mentale et l'itinérance, et la transmission des infections au VIH, au VHB et au VHC. Aussi, la mise sur pied d'un comité interministériel « Comité santé et sécurité publique à l'égard des programmes de prévention des ITSS/UDI » réunissant les principaux acteurs de sécurité publique et de santé publique est un facteur favorable à la concertation.

Le recours à des approches intégrées, concertées, diversifiées et novatrices, comme les initiatives en santé mentale et en itinérance [Programme d'encadrement clinique et d'hébergement (PECH), Programme d'accompagnement justice-santé mentale (PAJ-SM) ou la Division urgence sociale de Laval, l'ÉMU ou l'Équipe mobile de référence et d'intervention en itinérance (EMRII)], semble approprié. Toutefois, ces initiatives présentent aussi des défis importants auxquels les acteurs devront répondre par des approches adaptées et un travail en réseau plutôt que de poursuivre des actions en parallèle.

Dans le but de soutenir les efforts des acteurs sur le terrain, le Comité santé et sécurité publique à l'égard des programmes de prévention des ITSS/UDI a déjà amorcé la préparation d'outils permettant de soutenir la concertation. La collaboration entre les milieux policier et communautaire pour la récupération des seringues et le renforcement du message sur la récupération sécuritaire des seringues auprès des personnes UDI doivent demeurer des points forts de la concertation. À cet égard, il serait judicieux de développer une collaboration avec l'Association québécoise pour la promotion de la santé des personnes utilisatrices de drogues (AQPSUD) pour la mobilisation des usagers de drogues autour de la question de la récupération sécuritaire du matériel d'injection.

Le Québec pourrait aussi développer une stratégie de concertation interministérielle en vue de conjuguer les efforts en prévention de la criminalité et mettre de l'avant l'adoption d'une politique intégrée en matière de prévention de l'usage de drogues et de réduction des méfaits liés à l'usage de drogues.

Il ne faut pas oublier l'importance du rôle des élus municipaux dans ce dossier. Il conviendra de les outiller adéquatement afin que les dossiers de santé publique qui touchent directement la communauté, comme c'est le cas des PES, soient mieux compris. Parmi les pistes d'action, les directions régionales de santé publique pourraient se donner comme objectif d'améliorer la compréhension de cette problématique auprès des élus municipaux, et les autorités municipales pourraient nommer des conseillers municipaux responsables des dossiers de santé publique. Ces derniers seraient bien placés pour encourager la mobilisation des partenaires municipaux en vue de développer des actions concertées sur le terrain en créant des ponts avec les policiers et les responsables de santé publique.

Note(s)

La synthèse est également disponible : Partenariat entre les services de police et les programmes d'échange de seringues : les enjeux de l'action intersectorielle - Synthèse.

Veuillez noter que, dans cette publication, une modification a été faite à la première phrase de l'avant-propos : « En 1988, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) posait les premiers jalons de son programme de prévention des infections au virus de l'immunodéficience humaine (VIH) ainsi qu'aux virus des hépatites B (VHB) et C (VHC) chez les personnes qui font usage de drogues par injection (UDI). » (10 mai 2013)

Auteur(-trice)s
Dominique Gagné
conseillère scientifique, Institut national de santé publique du Québec
ISBN (électronique)
978-2-550-66887-9
ISBN (imprimé)
978-2-550-66886-2
ISSN (électronique)
1919-174X
ISSN (imprimé)
1919-1731
Notice Santécom
Date de publication