Virage de la radiographie argentique vers la radiographie numérique pour le dépistage des pneumoconioses à l'Institut national de santé publique du Québec

Les Services cliniques de dépistage (SCD) de l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) assurent le dépistage des pneumoconioses auprès des travailleurs du Québec depuis le début des années 1980. Le dépistage se fait par la radiographie pulmonaire argentique (RA), en suivant les directives du Bureau international du travail (BIT). Les radiographies sont interprétées par des médecins dont la compétence est identique à celle des lecteurs B du National Institute for Occupational Safety and Health (NIOSH) et l'interprétation se fait en comparant l'image du patient avec les images radiographiques standardisées du BIT. Les SCD passeront sous peu de la technologie argentique à la technologie numérique. C'est pourquoi l'INSPQ a jugé utile de décrire les changements que pourrait apporter ce virage technologique, dans l'identification des anomalies compatibles avec une pneumoconiose, afin d'outiller les médecins du Réseau de santé publique en santé au travail (RSPSAT) qui prescrivent les radiographies de dépistage.

Les objectifs poursuivis étaient les suivants : 1) décrire les techniques des radiographies argentiques et numériques; 2) résumer leurs avantages et inconvénients; 3) revoir les études épidémiologiques comparant les résultats des dépistages des pneumoconioses par radiographies argentiques et numériques et 4) résumer les principales conclusions de la revue des études pouvant aider les médecins du Réseau de santé publique en santé au travail lors de la présentation des résultats des dépistages aux travailleurs.

La méthode suivie a consisté en une recherche documentaire sur les bases de données bibliographiques PubMed, Santécom, 360 Search, Medline et Embase à l'aide de mots clés. Selon les bases de données, de 640 à 7 421 documents ont été répertoriés, pour n'en conserver finalement que 16 pour une analyse approfondie. Quelques documents issus de la littérature grise ont aussi été retenus afin de recueillir de l'information générale sur les techniques de radiographie.

La technologie argentique est composée d'un récepteur comprenant un écran scintillateur et un film argentique. Lorsque les rayons X frappent l'écran, celui-ci les absorbe puis émet un rayonnement lumineux qui permet la formation d'une image latente sur le film radiologique. Ce film est ensuite développé pour obtenir des images radiologiques définitives (hard copy). La radiographie argentique postéro-antérieure est la méthode de dépistage des pneumoconioses depuis le début du vingtième siècle. La technologie numérique transforme les images de rayonnement créées par le passage du rayon X à travers l'objet à radiographier en images numériques au moyen d'un récepteur qui permet cette numérisation. Les images peuvent ensuite être imprimées sur un film laser (image imprimée ou hard copy) ou lues sur un moniteur au moyen d'écrans (image moniteur ou soft copy). Il existe deux technologies numériques : la radiographie cassette-récepteur (CR ou computed radiography) inventée en 1975 et la radiographie détecteur-récepteur (DR ou digital radiography) développée au début des années 1990. Depuis 2011, le NIOSH a rendu disponibles les critères d'interprétation des radiographies numériques et le BIT a édité des images numériques standards avec lesquelles la classification des radiographies numériques devrait se faire. Les images numériques imprimées sur film doivent être comparées aux images imprimées standards du BIT 2000. Les images lues sur moniteur doivent être comparées aux standards numériques du BIT 2011-D (lus eux aussi sur moniteur). La lecture des radiographies doit respecter des conditions bien précises et certaines approches sont non recommandées.

La technologie argentique présente les avantages d'être simple à réaliser, peu coûteuse et elle utilise une dose d'irradiation faible. Par contre, elle peut entraîner un taux de reprise élevé des radiographies, car elle est sujette à la sur ou à la sous-exposition. De plus, la gestion des films est un inconvénient important. La technologie numérique est rapide d'exécution et l'affichage de l'image est instantané. Elle offre une facilité d'accès et de manipulation des images, un archivage plus facile et peu coûteux. Cependant, son coût d'installation est élevé et il est nécessaire de standardiser les logiciels et les disques durs. La DR est plus avantageuse que la CR, car l'acquisition de l'image est instantanée, la dose d'irradiation est plus faible et il n'y a pas de cassette à manipuler. Par contre, le coût d'installation de la DR est plus élevé. L'avantage de la CR est qu'elle peut être utilisée au chevet des patients à cause de sa mobilité.

La qualité des images radiologiques (établie à partir d'échelles de points ou à partir des catégories du BIT) et la visibilité des structures anatomiques avec la DR image imprimée (DR hard copy ou DR HC) et la DR image moniteur (DR soft copy ou DR SC) sont en général supérieures aux images générées par la RA. Un peu moins d'études ont abordé la CR; la plupart d'entre elles montrent la supériorité de la CR image moniteur (CR soft copy ou CR SC) sur la RA ou son égalité. Dans deux études où la CR image imprimée (CR hard copy ou CR HC) et la RA ont été comparées, la RA est égale ou supérieure à la CR. Enfin, la qualité des images de la DR HC et de la DR SC sont respectivement supérieures à celles de la CR HC et de la CR SC. Les médecins du RSPSAT peuvent donc être rassurés sur la qualité des images radiologiques et sur la visibilité des structures anatomiques lorsque les SCD passeront de la technologie argentique à la technologie numérique, car les radiographies numériques sont en général de meilleure qualité. Les deux seules études qui ont comparé les technologies numériques entre elles montrent la supériorité de la qualité de la DR sur la CR.

Onze des 16 études retenues pour analyse ont permis de comparer, entre les différents types de radiographies, les résultats sur la détection des diverses anomalies pleuroparenchymateuses. Les radiographies numériques sont supérieures ou égales à la RA, sur le plan de la fiabilité et de la validité, et elles détectent plus ou autant d'anomalies parenchymateuses (toutes), de petites opacités (toutes) et de petites opacités de forme irrégulière par rapport aux rondes. Les radiographies numériques sont égales à la RA, sur le plan de la fiabilité ou de la validité et elles détectent autant d'opacités ≥ 1/0, d'épaississements pleuraux diffus et d'oblitérations de l'angle costo-phrénique. Enfin, la RA détecte plus de petites opacités selon 12 scores de profusion que la CR HC, plus de grandes opacités que la DR SC et plus d'anomalies pleurales (toutes) que la DR HC, la DR SC et la CR SC. Les médecins du RSPSAT doivent donc s'attendre à ce que les radiographies numériques de dépistage des différentes anomalies parenchymateuses et pleurales détectent plus ou autant d'anomalies que la RA dans la majorité des cas.

Seulement trois études ont comparé les radiographies numériques entre elles. En général, la DR HC est égale à la DR SC, sur le plan de la fiabilité et elle identifie plus d'anomalies parenchymateuses (toutes), de petites opacités selon 12 scores de profusion, de grandes opacités et d'anomalies pleurales et autant d'épaississements pleuraux diffus et d'oblitérations de l'angle costo-phrénique. La comparaison de la DR HC et de la CR HC montre que la première technologie identifie plus de petites opacités selon 12 scores de profusion et que les deux types de radiographies sont aussi valides pour la détection des opacités ≥ 1/0. Enfin, la CR HC est plus fiable que la DR HC pour la détection des petites opacités (toutes).

En général, la DR HC détecte donc plus ou autant d'anomalies que la DR SC et que la CR HC. Les médecins doivent cependant être prudents face à ces résultats, car ils reposent sur peu d'études.

Enfin, advenant l'apparition d'une nouvelle anomalie à la radiographie chez un travailleur inscrit dans un programme de dépistage depuis plusieurs années, le médecin devra se demander si cette nouvelle image résulte de l'évolution naturelle de la maladie ou d'une technologie plus sensible. La même question se posera au niveau des bilans collectifs qui seront réalisés à la suite des dépistages.

En conclusion, il est assez clair que le passage au numérique amènera une meilleure qualité de l'image et une plus grande visibilité des structures anatomiques. Pour la détection des anomalies pleuropulmonaires, la radiographie numérique pourra entraîner une détection plus élevée de certaines anomalies, une détection égale de certaines autres anomalies et une diminution de l'identification d'autres anomalies. Il faut cependant être prudent, car ces résultats reposent sur peu d'études. Enfin, il apparaît important d'observer les directives essentielles à une bonne réalisation et une bonne interprétation des radiographies numériques qui sont clairement définies par le BIT et le NIOSH.

Auteur(-trice)s
Louise De Guire
M.D., Institut national de santé publique du Québec
ISBN (électronique)
978-2-550-70865-0
Notice Santécom
Date de publication